Poésies de Benserade/Préface

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Poésies de Benserade, Texte établi par Octave UzanneLibrairie des bibliophiles (p. vi-xxiv).


PRÉFACE


SUR LA VIE ET LES ŒUVRES DE BENSERADE.




Que de son nom chanté par la bouche des belles,
Benserade en tous lieux amuse les ruelles.

Boileau.


Isaac de Benserade, un des poètes les plus connus du commencement du XVIIe siècle, est à coup sûr un des moins édités.

Son nom revient si souvent dans les anecdotes et historiettes du temps, sa personnalité acquiert un si haut relief et semble si fêtée à l’aurore du grand siècle, ses poésies enfin portent une empreinte si nettement marquée du caractère particulier à son époque, que nous nous sommes attaché à l’idée de publier les œuvres légères de ce bel esprit.

La postérité fut peut-être un peu froide, sinon injuste pour Benserade, et s’il n’avait eu la vaniteuse sagesse d’escompter la gloire de son vivant, il courrait grand risque de rester à jamais dans l’ombre, en dépit des maigres silhouettes de sa personne, tracées çà et là de nos jours, parmi des portraits d’oubliés et d’extravagants, ou des études poétiques sur le XVIIe siècle.

Notre poëte mérite cependant plus de considération qu’on ne paraît lui en accorder, car si le nom de Molière ne s’était pas dressé, superbe et accaparant dans son despotisme de gloire, Benserade serait certes regardé encore aujourd’hui comme une des plus curieuses originalités littéraires de la cour du grand Roi.

L’auteur du Misanthrope, à ses débuts, ne dédaigna pas de glaner ses succès dans la manière et le style de Benserade ; il rivalisa même avec lui pour les ballets du Roi, et ne prit pied à la cour qu’en longeant, en quelque sorte, la voie audacieuse que ce dernier s’y était tracée.

Avant la redoutable apparition de Molière, trois poëtes étaient jugés grands et originaux : Voiture, Benserade et… Corneille. La cour professait son estime pour les deux premiers, mais le public préférait l’autre. Le temps s’est fait grand justicier d’une appréciation qui nous étonne et nous fait sourire, aussi n’aurons-nous pas l’outrecuidance d’en appeler en faveur de notre protégé. Nous ne dirons pas avec le prince de Conti, que ce Monsieur de Benserade est un grand génie, nous penserons qu’une telle louange revient à Corneille, et que Benserade, par son talent, n’est pas indigne de la réimpression que nous lui accordons aujourd’hui.

« Jamais on ne vit personne s’élever à si peu de frais que le poëte Benserade, dit Paul de Musset[1], et c’est presque le seul homme de mince origine qui ait marché de front avec les grands à la cour de Louis XIV. »

En effet, Isaac de Benserade naquit en 1612 à Lyons-la-Forêt, petite ville de Normandie, où son père était modeste employé des domaines. De famille huguenote[2], il fut baptisé au temple des gens de sa religion et eut nom Isaac.

Bien que jeune, Benserade, qui prévoyait peut-être sa destinée et le tort que lui ferait une religion contraire aux croyances de la cour, abjura, et fut confirmé à huit ans par l’évêque de Dardanie.

Ce prélat, désirant lui voir changer son nom juif contre un autre plus conforme au catholicisme, pressait fort le jeune Isaac à ce sujet.

« Je changerai volontiers, dit-il, pourvu qu’on me donne du retour. »

L’évêque fut surpris de ce mot chez un enfant de cet âge, et répondit qu’on devait lui laisser un nom qu’il semblait si bien faire valoir.

À douze ans, Benserade perdait son père et se trouvait, du même coup, seul au monde et sans fortune. Il vint faire ses études à Paris, mais ses classes étaient à peine achevées que le précoce poëte, négligeant la Sorbonne pour le théâtre, s’amourachait d’une certaine Belroze, actrice de l’hôtel de Bourgogne, et y faisait recevoir une tragédie en cinq actes.

C’était sa Cléopâtre, imprimée en 1636[3], et dédiée à Monseigneur l’Éminentissime cardinal, duc de Richelieu, avec une épître fort bien tournée et un sonnet où Cléopâtre parle, et qui débute ainsi :

 
Je reviens des enfers d’une démarche grave.
Non pour suivre les pas d’un César, mais d’un Dieu,
Ce que je refusois de faire pour Octave
Ma générosité le fait pour Richelieu.

Qu’il triomphe de moy, qu’il me traite en esclave,
Rien ne peut m’empécher de le suivre en tout lieu.
Et le char d’un vainqueur si puissant et si brave
Mérite qu’une Reine en soutienne l’essieu.


Le ministre fut flatté de la dédicace du poëte de dix-huit ans. Il trouva que ce garçon rimait fort agréablement, et comme on lui annonçait qu’il était quelque peu son parent[4], Son Éminence accorda une pension de huit cents livres au jeune Benserade.

Le début était encourageant pour un écolier, aussi commença-t-on à parler du nouveau poëte, à la ville et à la cour, aux petits levers et aux soupers ; et la tragédie de Cléopâtre, qui fut jouée, reçut force applaudissements. L’amiral de Brézé s’enthousiasma tellement pour les tirades de Marc-Antoine, qu’il supplia l’auteur d’accepter son amitié, c’est-à-dire qu’à la mode du temps, il lui ouvrit sa maison et lui offrit, outre le logement et le couvert à sa table, sa bourse[5] et sa protection.

Benserade n’eut garde de refuser une pareille aubaine, il devint l’ami de l’amiral, et transforma son salon en un foyer littéraire où les beaux esprits du jour aimèrent à se rencontrer.

Ce fut là que Benserade lia connaissance avec le petit Michel, depuis le fameux Lambert, pour lequel il fit, dans la suite, la plus grande partie des paroles que cet illustre chanteur mit en musique.

L’étoile du poëte qui s’annonçait si bien faillit néanmoins pâlir un instant. L’amiral de Brézé fut tué d’un coup de canon[6], et Richelieu mourut.

La mort de l’Éminence ne parut que peu chagriner l’ingrat, mais sa pension lui était plus à cœur, car il exhala sa plainte dans ces quatre vers blessants pour l’ombre du grand Armand :


Cy-gist : ouv gist par la mortbleu
Le cardinal de Richelieu,
Et ce qui cause mon ennuy,
Ma pension avecque luy.


La perte n’était pas cependant irréparable, car peu après la reine mère lui constitua une autre pension de trois mille livres, ce qui, joint aux libéralités de certaines dames, lui permit de vivre très-convenablement à la cour.

Ces dons féminins, dont nous parlons, ne semblaient pas effaroucher outre mesure la pudeur des poëtes de l’époque, et l’on ne saurait en vouloir à Benserade, lorsqu’en lisant les stances sur une Voye de Bois[7], on remarque le ton dégagé et badin avec lequel il remercie une présidente anonyme du présent qu’elle lui doit envoyer.


Et quand je suis sans bois, m’en promettre une voye,
C’est une douce voye à me gagner le cœur.


Tallemant des Reaux[8], en chroniqueur mauvaise langue, prétend qu’il a ouï parler de la protection que Mme  la comtesse de La Roche-Guyon accordait au poëte, par un caprice amoureux de cette extravagante. Il ajoute même que, pour le tenir plus près d’elle, la vieille coquette l’installe dans un hôtel voisin du sien, où rien ne lui manque. La vaisselle d’argent brille sur sa table, il dispose d’un carrosse à couronnes et de trois laquais, et comme Benserade est rousseau, ses ennemis disent que la comtesse se ruine en parfums et en bains de toutes sortes.

La vérité est que Benserade se brouilla vivement avec elle ; et les stances contre une vieille[9], qu’il fit plus tard, nous semblent fort s’adresser à la pauvre comtesse.

Le succès de Cléopâtre ayant enhardi l’heureux tragédien, Benserade fit successivement : Iphis et Iante, comédie, 1637 ; La Mort d’Achille, 1687 ; Gustaphe, ou l’Heureuse Ambition, tragi-comédie, 1637 ; Méléagre, tragédie, 1641 ; et La Pucelle d’Orléans, tragédie, 1642[10].

Il composa également, en 1638, une paraphrase en vers sur les neuf leçons de Job, qui reçut l’approbation de Balzac et des autres savants de Rambouillet, et qui devait servir de point de départ au Sonnet de Job.

Mazarin, alors ministre, appréciait énormément le mérite de Benserade, et il disait volontiers que ses vers ressemblaient beaucoup à ceux qu’il avait faits dans sa jeunesse, à la cour du Pape.

Aussi l’économe cardinal l’assura de sa protection, et, chose étonnante, il lui fît une pension de deux mille livres en attendant les rentes plus considérables qu’il devait lui abandonner plus tard sur un évêché et deux abbayes.

Le protégé du cardinal ne tarda pas à être l’ami du jeune Roi. Louis XIV était alors amoureux, et les princes, en cette qualité, aimant à s’entourer d’un poëte pour chanter discrètement leur flamme, ce fut Benserade qu’il choisit et qu’il fit tour à tour rimer pour Mme  de Hautefort, Mlle  de La Vallière, et plus tard pour la Montespan.

Il était admis dans l’intimité du monarque, et avec Dangeau, le marquis de Vardes, le comte de Guiche et Lauzun, il faisait partie du petit cercle qui se réunissait chez Mlle  de La Vallière, laquelle l’avait pris en grande amitié. Dans ces réunions, où les rigueurs de l’étiquette étaient adoucies, Benserade démontrait son incontestable supériorité à faire les bouts-rimés, le grand délassement à la mode, pour lequel le Roi professait une estime toute particulière.

La fortune du poëte marchait donc rapidement. La célèbre Christine de Suède, qui avait lu ses ouvrages, en parlait avec admiration dans une lettre à la reine mère, et il fut bel et bien question d’envoyer Benserade comme ambassadeur à Stockholm[11] ; mais, étant survenu quelques affaires pressantes, malgré les préparatifs de départ qui se trouvaient faits[12], l’ambassade échoua, et Scarron put dater une de ses épistres[13] :


L’an que le sieur de Benserade
N’alla pas à son ambassade.


Le pauvre ambassadeur resta donc à Paris. Il commença à donner ces fameux ballets qui, par leur originalité, eurent tant de succès, et lui procurèrent auprès du Roi toutes les aimables faveurs que Molière devait récolter plus tard. Il avait une adresse toute particulière dans ces vers, et ce fut une innovation à la cour.

« Avant lui, dit Perraut[14], dans l’entrée de Jupiter foudroyant les cyclopes, les stances ne parlaient de Jupiter que comme Jupiter et en Jupiter, et pas du tout de la personne qui le représentait. M. de Benserade tourne les vers de façon qu’ils s’entendent de l’un et de l’autre…, le coup porte sur le personnage et le contrecoup sur la personne, ce qui donne un double plaisir en donnant à entendre deux choses qui, belles séparément deviennent encore plus belles étant jointes ensemble. »

Malheureusement l’on ne saurait apprécier aujourd’hui toutes les allusions vives et piquantes répandues dans ces ballets. L’auteur y peignait les inclinations, les attachements, et jusqu’aux aventures les plus secrètes des personnes de la cour. Toutes ces stances, si fort applaudies jadis, ne nous offrent plus qu’un intérêt littéraire médiocre, et c’est tout au plus si quelques chercheurs pourraient reconstruire, d’après ces données poétiques, les caractères et l’individualité de certains personnages marquants.

Benserade, à cette époque, était la coqueluche des précieuses, et La Bruyère semble l’avoir pris pour modèle dans le portrait de Théobalde[15], l’engouement des Philamintes et des Bélises, qui, sur sa moindre parole, s’écriaient : Cela est délicieux ; qu’a-t-il dit ?

Ses bons mots, ses épigrammes, ses pointes, comme on disait alors, étaient dans toutes les bouches et se transmettaient comme choses sur lesquelles on n’aurait su trop s’extasier.

Ce fut à peu près vers 1651 que les deux sonnets de Voiture et de Benserade partagèrent la cour et la ville, les salons et l’Académie. Toutes les pièces rassemblées de ce petit procès littéraire formeraient certainement plusieurs in-folio.

Voiture venait de mourir en 1648, et son sonnet à Uranie avait été recueilli par ses amis comme le dernier soupir de sa muse. Le sonnet de Job parut, et voilà la guerre civile du bel esprit allumée.

Le sonnet de Benserade fit fureur ; tout ce qu’il y avait d’amoureux à la mode, tous les languissants et les mourants du jour, trouvèrent admirable de peindre ainsi son martyre :


Il souffrit des maux incroyables,
Il s’en plaignit, il en parla :
J’en connois de plus misérables.


Le sonnet de Voiture se présentait avec un tout autre caractère.

« Il était de l’élégance la plus parfaite, dit Victor Cousin[16], un peu molle il est vrai, mais relevée, et animée d’un certain accent passionné, qui, sans éclater dans aucun trait particulier, se faisait partout doucement sentir. »

La cour se divisa en deux camps : les Jobelins et les Uraniens[17] ; le prince de Conti tenait le parti de Benserade contre Voiture, et Mme  de Longueville, sa sœur, défendait en revanche Voiture contre Benserade, ce qui fit dire à Mlle  de Scudéri :


À vous dire la vérité,
Le destin de Job est étrange,
D’être toujours persécuté,
Tantôt par un démon et tantôt par un ange.


Balzac composa une dissertation en treize chapitres[18] sur ces deux sonnets qu’il analyse, mot par mot, vers par vers, en rendant à chacun son mérite, et Corneille entra lui-même en lice, prenant parti pour Job contre Uranie, dans un sonnet[19] où il n’hésite pas à dire que celui de Voiture est sans doute mieux rêvé, mieux conduit, mieux achevé, mais qu’il voudrait avoir fait l’autre.

Les choses menaçaient de s’éterniser, et Mme  de Longueville écrivait[20] que les ministres devraient s’occuper de cette affaire plutôt que des assemblées de noblesse, quand Mlle  de La Roche du Maine, fille d’honneur de la reine, vint mettre fin à la guerre et apaiser les partis.

Comme on la priait de se prononcer pour l’un des deux sonnets, elle choisit au hasard, et croyant donner sa voix à Job elle prononça Tobie.

Le mot fit rire ; on le colporta partout, et chacun de s’écrier que La Roche du Maine avait plus d’esprit que tout le monde et qu’on devait se déclarer pour Tobie.

Il fallait que les passe-temps du jour fussent bien frivoles, pour que deux sonnets qui nous paraissent si inoffensifs aujourd’hui aient déchaîné de telles passions, et Sarrasin semblait juger sainement son époque en écrivant ceci :

« Nous sommes en un temps où tout le monde croit avoir le droit de juger de la poésie, de laquelle Aristote a fait son chef-d’œuvre, où les ruelles de femmes sont des tribunaux des plus beaux ouvrages, où, ce qui fut autrefois la vertu de peu de personnes devient la maladie du peuple et le vice de la multitude. »

Lorsque Benserade fut reçu à l’Académie française (le 17 mai 1674), il était âgé de plus de soixante ans. Il avait dans la docte assemblée un grand empire sur ses confrères et ce fut à lui que l’on dut en partie l’élection de La Fontaine. Le jour de la réception de M. Corneille le jeune[21], il lut à l’Académie une pièce qui fut extrêmement applaudie : c’est le portrait en raccourci des quarante académiciens par rapport à leurs personnes, à leurs talents, à leurs aventures et à leur fortune. Il parle avec liberté de chacun d’eux, mais avec ce tour fin et inimitable dont il s’est servi si souvent.

Furetière, dans ses factums, s’élève très-souvent contre Benserade qu’il désigne quelquefois sous le nom d’Alvarade. Ce fut un de ceux avec La Fontaine qu’il prit le plus à parti, mais Benserade eut beaucoup de défenseurs, et nous trouvons dans une lettre du comte de Bussy-Rabutin à Furetière, en date du 4 mai 1686, cette vigoureuse défense du poëte :

« M. de Benserade est un homme de naissance dont les chansonnettes, les madrigaux, les vers de ballet, d’un ton fin et délicat, et seulement entendu par les honnêtes gens de la cour, ont diverti le plus honnête homme et le plus grand roy du monde.

« Ne dites donc pas, s’il vous plaist, que monsieur de Benserade s’étoit acquis quelque réputation pendant le règne du mauvais goût, car, outre la fausseté de cette proposition, elle seroit encore criminelle.

« Pour les proverbes et les équivoques que vous lui reprochez, il n’en a jamais dit que pour s’en moquer ; enfin, c’est un génie singulier qui a plus employé d’esprit dans ses badineries, qu’il n’y en a dans la plupart des poëmes les plus achevés[22]. »

Benserade entreprit, quelque temps après sa réception à l’Académie, de mettre les Métamorphoses d’Ovide en rondeaux. Cet ouvrage, à l’usage de Monseigneur le Dauphin, fut imprimé supérieurement et enrichi de gravures de Leclerc et Lepautre, aux dépens du Roi, qui dépensa plus de dix mille livres pour cette édition[23].

Les rondeaux n’eurent aucun succès et tombèrent à plat, ils donnèrent cependant lieu à un rondeau épigrammatique, attribué jusqu’ici à Chapelle, mais qui est réellement d’un sieur Stardin. Cette satire si élégamment mordante eut plus de succès que tous les rondeaux de Benserade. La voici :


À la fontaine où l’on puise cette eau
Qui fait rimer et Racine et Boileau
Je ne bois point, ou bien je ne bois guère ;
Dans un besoin, si j’en avois affaire,
J’en boirois moins que ne fait un moineau.
Je tirerai pourtant de mon cerveau
Plus aisément, s’il le faut, un rondeau,
Que je n’avale un plein verre d’eau claire
À la fontaine.

De ces rondeaux, un livre tout nouveau
À bien des gens n’a pas eu l’art de plaire,
Mais, quant à moi, j’en trouve tout fort beau,
Papier, dorure, images, caractères,
Hormis les vers qu’il falloit laisser faire
À La Fontaine.


Il semble que Benserade ait voulu se défendre de donner cet ouvrage des Métamorphoses à l’impression, car il composa une préface et un errata en rondeau, dont voici la fin :


Pour moi, parmi des fautes innombrables,
Je n’en connois que deux considérables
Et dont je fais ma déclaration :
C’est l’entreprise et l’exécution,
À mon avis, fautes irréparables
Dans ce volume.


Il est impossible de faire une confession plus franche de ses fautes. L’auteur des Métamorphoses ne les fit imprimer que contraint par Louis XIV, qui trouvait l’idée des rondeaux sans doute fort à son goût, et le poëte ajoute dans sa préface :


Comme on défère au sentiment d’autrui,
Une personne en crédit aujourd’hui
Veut que j’imprime, ai-je pu l’en dédire !
Cette personne est le roi, notre Sire,
Il ne fait pas trop bon le contredire.
Il l’a voulu, prenez-vous-en à lui
Si j’ai mal fait.


L’échec de ses rondeaux fut néanmoins sensible à Benserade, jusqu’alors habitué aux succès, car il ne composa plus que deux cents fables d’Ésope réduites en quatrains, dont trente-neuf ont été gravées au labyrinthe de Versailles.

Après cet ouvrage, non-seulement il ne donna plus rien au public, mais encore il se retira du monde et ne parut plus à la cour.

Il vécut dans sa petite maison de Gentilly, se livrant aux douceurs du jardinage, et gravant sur les arbres de son jardin des inscriptions poétiques, n’oubliant pas d’y faire représenter ses armes surmontées d’une couronne de comte[24]. À soixante-quinze ans, Benserade écrivait encore :


Adieu, fortune, honneurs, adieu, vous et les vôtres ;
Je viens ici vous oublier.
Adieu toi-même, amour, bien plus que tous les autres
Difficile à congédier.


Isaac de Benserade mourut dans sa maison de Gentilly, âgé de 78 ans, regretté, dit l’abbé Tallemant, de toute la cour et de tous les honnêtes gens.

Nous avons raconté sommairement la vie du poëte en notant ses œuvres ; nous serions mal venu de faire une appréciation littéraire de tous ses ouvrages après la louange de Benserade par M. Pavillon, son successeur à l’Académie, et la réponse du savant Charpentier. Nous ne pourrions mieux parler du poëte que l’abbé d’Olivet, dans son Histoire de l’Académie, que Baillet, dans ses Jugements des Savants, et que Perraut dans ses Hommes illustres.

Les œuvres de Benserade ont surtout attiré notre attention par ce caractère de préciosité affectée qui les feront évidemment condamner par les uns, mais apprécier par les autres.

Cette première réimpression des poésies de Benserade montre que nous nous rangeons parmi ces derniers.

Le public, meilleur juge, nous donnera tort ou raison.

Octave Uzanne.



  1. Extravagants et originaux du XVIIe siècle, par Paul de Musset.
  2. Certains auteurs prêtent à Benserade une généalogie superbe, et le font descendre des anciens seigneurs de Malines. Moréri, dans son Dictionnaire, dit que Benserade était issu de Paul de Benserade, seigneur de Chépi, chambellan du roi Louis XII ; et M. Pavillon, dans son Éloge de Benserade, à l’Académie française, parle également de sa haute naissance. Nous ne nous arrêterons pas à ce sujet.
  3. Ménage cite la pièce comme faite en 1630, et dit à ce propos que Benserade était auteur plus que jubilé.
  4. La mère de Benserade était, paraît-il, une Laporte, et par conséquent alliée à la famille du cardinal.
  5. Segrais ajoute, dans ses Mémoires et Anecdotes, que M. de Brézé le faisait de moitié dans ce qu’il gagnait au jeu.
  6. Benserade fut attristé de la mort de M. de Brézé, et M. de Segrais raconte qu’il pleurait toutes les fois qu’il entendait parler de lui. (Mémoires et Anecdotes de M. de Segrais.)
  7. Page 36 de ce volume.
  8. Historiettes.
  9. Page 81 de ce volume.
  10. Samuel Chapuzeau, dans son Théâtre françois, donne la tragédie de la Pucelle d’Orléans à La Mesnardière, mais Paul Boyer, dans sa Bibliothèque universelle, marque qu’elle est de Benserade.
  11. Costar écrit toute une lettre à ce sujet à madame la marquise de Livardin. (Costar, lettre 165 du Ier vol., p. 480.)
  12. L’Ambassadeur de Suède à la Reine de Natolie, salut. Page 56 de ce volume.
  13. Scarron, Epistre burlesque à Madame la comtesse des Feique.
  14. Perraut, Parallèle des anciens et des modernes. (Édit. de Hollande, tome II, page 210.)
  15. La Bruyère, De la Société et de la Conversation.
  16. La Jeunesse de Madame de Longueville, par V. Cousin, Paris, Didier, 1853.
  17. On dit également Uranistes et Uranins.
  18. Balzac, Œuvres, in-folio, tome II, pages 580–594.
  19. Œuvres diverses de Pierre Corneille.
  20. Lettre de Madame de Longueville à M. Esprit. Manuscrit de Conrart, in-4o, tome II, page 13. Bibliothèque de l’Arsenal.
  21. Nouvelles de la République des Lettres, mois de janvier 1685, page 37.
  22. La colère de Furetière contre Benserade venait sans doute de ce qu’assis un jour à l’Académie dans le fauteuil de Furetière, Benserade s’écria : « Pardon, Messieurs, si je parle mal, mais je suis dans une place qui va m’inspirer beaucoup de sottises. »
  23. Métamorphoses d’Ovide en rondeaux, in-4o, de l’Imprimerie royale, 1676.
  24. Il paraît qu’un grand personnage, voyant les armes surmontées de la couronne de comte que Benserade avait mises sur la porte de sa maison, les ratifia, pour ainsi dire, en s’écriant : « C’est aux Poëtes à en faire. »