Poésies de Frédéric Monneron/Fragment à Mme ***
II
FRAGMENT À Mme ***.
L’envoi des vers suivants était accompagné de ces mots : « Puisque vous voulez des vers qui, détachés du reste, ne signifient absolument rien, je vous envoie ceux-ci ; agréez, Madame, cet envoi comme la preuve irrécusable de mon obéissance et de ma parfaite abnégation. »
Il se terminait ainsi : « Vous voyez bien que vous n’en savez pas plus après qu’avant. »
» N’est-il plus sur la terre, où l’âme est asservie,
D’exil à notre foi, de refuge à la vie ?
Plus de secrets berceaux où l’on renaisse encor,
Sous les doigts de son ange, à son bel âge d’or ?
Plus d’ombre où la jeune âme indolente et divine,
Dans un doux souvenir rêvant son origine,
Et de l’intime lyre écoutant un accord,
De la terre à son Dieu remonte sans effort ?
» N’est-il plus pour le barde indocile et sauvage
D’amoureuses fraîcheurs, de solitaire ombrage,
Où d’un lointain passé l’écho mélodieux
Nous parle d’un ami qui nous entend des cieux ?
Dans l’oubli des ingrats, jurant à ceux qu’on aime
Un amour sans mélange, une foi sans blasphème…
Ne pourrons-nous revoir quelque vallée en fleurs,
Où nos yeux fatigués désapprennent les pleurs ?
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» Tu glissas sur la terre, ame jeune et plaintive,
Comme aux cordes d’un luth une main fugitive,
Pour en tirer toujours les doux chants du regret,
Ou l’écho passager d’un céleste secret.
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» Mais quand les oublieux, dédaignant cette lyre,
N’en écouteront pas les accords que j’en tire,
Moi, gardien jaloux de leur virginité,
Je ne veux que la nuit et que l’éternité.
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» Viens donc, emporte-moi, souffle libre et sublime !
Des frais gazons du val aux neiges de la cime.
Là-haut ! fuyons là-haut. De ces monts radieux
Notre tombe s’éclipse, et le ciel s’ouvre mieux.
Là, j’aurai pour flambeaux les murmurants mystères
Des abîmes voilés… pour mes seules prières
L’hymne sourd qu’entonna leur bouche de géant…
Puis, à défaut d’espoir, leur vague et bleu néant ! »
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C’est ainsi qu’il chantait, et la voile sifflante
Fuyait du frais Léman la rive nonchalante.
Aux feux dorés du soir, ses regards soucieux
Sous la vague sondaient le bleu chemin des cieux.
Docile amour des airs, la voile ondule et plie.
À l’horizon du lac, dans leur mélancolie,
Les Alpes et les cieux rougissent tour-à-tour,
S’entretenant au loin d’un mutuel amour.
De la brillante nuit, messagère plaintive,
Une vague indolente expirait sur la rive,
Comme un signe d’adieu, sur les sables du bord
Secouant de son eau les fraîches perles d’or.
Plus blanche était l’écume, et les rives plus noires…
Et les longs peupliers au bout des promontoires,
Se berçant dans leur rêve, au souffle frais et pur,
Mariaient leur feuillage aux pâleurs de l’azur.
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C’était l’heure douteuse où l’Alpe au front de rose,
Dépassant dans les cieux l’ombre de toute chose,
Voit bleuir à ses pieds de profondes forêts,
Aspirant les parfums de ses gazons plus frais ;
L’heure où les pâtres blonds, à la taille grossière,
Accroupis dans la cendre, autour de la chaudière,
Mêlant un long silence au doux son de leur voix,
Travaillent leurs cuillers ou leurs jattes de bois.
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