Poésies de Frédéric Monneron/L’Alouette

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II

L’ALOUETTE.

à m. ch. secrétan.


 
« J’ai dépassé le peuplier
Que la brise humide et plaintive
Incline, argente et fait plier
Sur les eaux calmes de la rive.

» J’ai surmonté le vert coteau,
La source et les moelleux ombrages
Dont la tourelle du château
Voile ses antiques vitrages.

» J’ai dépassé ce roc plus fier,
Où la cascade qui se dore,

De son nuage blanchit l’air,
Autour du gouffre obscur encore.

» Salut ! beau ciel ! libre, perlé !
Ciel nuancé d’or et d’opale !
De là-haut le lac est voilé !
Les blés sont gris, le monde est pâle !

» Mon léger vol toujours poursuit
La lueur tendre et matinale,
Les dernières ondes du bruit,
La rêveuse étoile qui luit
La nuit.

» Ma voix limpide et pure
Coule des sons d’amour,
Même avant la nature
Je vole vers le jour.
Mon aile qui scintille
Fend l’air !
Je frétille
Et grésille
Dans l’éther !

» Mais soudain j’ai vu le zéphyre,
Fatigué de suivre mon vol,

S’asseoir au ciel et me sourire
Et dire :
« Petit oiseau, n’es-tu pas fol,
» Oh ! bien fol de risquer ton aile
» Si loin dans la voûte éternelle,
» Trop haut,
» Trop tôt ?

» Par delà le ciel qui s’azure
» La nuit s’ouvre, je te l’assure,
» Mugissante, insondable, obscure.
» Petit oiseau, descends, descends,
» Pendant qu’il en est encor temps ! »
Mais l’alouette et la jeune ame
Ont trop d’amour et trop de flamme
Pour demeurer en bas,
Hélas !


Oh ! n’embrassons pas tant d’espace,
Jeunes esprits, joyeux oiseaux,
Car les cieux même ont des tombeaux
Pour qui nourrit trop son audace !


29 avril 1835.