Poésies de Jean Froissart/Le Dittie de la flour de la Margherite

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LE DITTIE.

DE LA FLOUR DE LA MARGHERITE.


Je ne me doi retraire de loer
La flour des flours, prisier et honnourer.
Car elle fait moult à recommender.
C’est la Consaude, ensi le voeil nommer.
Et qui li voelt son propre nom donner,
On ne li poet ne tollir ne embler,
Car en françois a à nom, c’est tout cler,
La Margherite,

De qui on poet en tous temps recouvrer.
Tant est plaisans et belle au regarder.
Que dou véoir ne me puis soëler.
Toujours vodroie avec li demorer,
Pour ses vertus justement aviser.
Il m’est avis qu’elle n’a point de per.
À son plaisir le volt nature ouvrer.
Elle est petite,

Blanche et vermeille, et par usage habite
En tous vers lieus ; aillours ne se delitte.
Ossi chier a le préel d’un hermitte,
Mès qu’elle y puist croistre sans opposite,

Comme elle fait les beaus gardins d’Égypte.
Son doulc véoir grandement me proufite ;
Et pour ce, est dedens mon coer escripte
Si plainnement :

Que nuit et jour en pensant je recite
Les grans vertus de quoi elle est confite ;
Et di ensi : « Li heure soit benite
» Quant pour moi ai tele flourette eslitte,
» Qui de bonté et de beauté est ditte
» La souveraine ; et s’en attenc mérite,
» Se ne m’y nuist fortune la trahitte,
» Si gandement

» Qu’onques closiers, tant sceuist sagement,
» Ne gardiniers ouvrer joliëment,
» Mettre en gardin pour son ébattement
» Arbres et flours et fruis à son talent,
» N’ot le pareil de joïe vraïement
» Que j’averai, s’eure le me consent. »
De ce penser mon espoir fait présent
Un lonc termine ;

Et la flourette en un lieu cruçon prent,
Où nourie est d’un si doulc élément
Que froit ne chaut, plueve, gresil ne vent
Ne li poënt donner empècement ;
Ne il n’i a planette ou firmament
Qui ne soit preste à son commandement.
Un cler soleil le nourist proprement
Et enlumine

Et ceste flour qui tant est douce et fine,
Belle en cruçon, et en regard bénigne,
Un usage a et une vertu digne
Que j’ai moult chier, quant bien je l’imagine.
Car tout ensi que le soleil chemine
De son lever jusqu’à tant qu’il decline,
La Margherite encontre lui s’encline
Comme celi

Qui monstrer voelt son bien et sa doctrine ;
Car le soleil qui en beauté l’afine,
Naturelment li est chambre et courtine,
Et le deffent contre toute bruïne,
Et ses couleurs de blank et de sanguine
Li paraccroist ; c’en sont li certain signe
Pourquoi la flour est envers li encline.
S’ai bien cuesi

Quant j’ai en coer tel flourette enchieti
Que sans semence, et sans semeur aussi,
Premièrement hors de terre appari.
Une pucelle ama tant son ami,
Ce fut l’hérès, qui tamaint mal souffri
Pour bien amer loyalment Cephéy,
Que des larmes que la belle espandi
Sus la verdure

Où son ami on ot ensepveli,
Tant y ploura, dolousa et gémi
Que la terre les larmes recueilli.
Pité en ot ; encontre elles s’ouvri ;
Et Jupiter qui ceste amour senti,

Par le pooir de Phébus les nourri ;
En belles flours toutes les converti
D’otel nature

Comme celle est que j’aim d’entente pure,
Et amerai tous jours quoique j’endure.
Mès s’avenir pooie à l’aventure,
Dont à son temps ot jà l’éüz Mercure,
Plus éüreus ne fu ains créature
Que je seroie, ensi je vous le jure.
Mercurius, ce dist li escripture,
Trouva premier

La belle flour que j’aim oultre mesure ;
Car en menant son bestail en pasture,
Il s’embati dessus la sepulture
De Cephéy, de quoi je vous figure,
El là cuesi, dedens l’encloséure,
La doulce flour dont je fac si grant cure.
Merveilla soy ; il y ot bien droiture,
Car en janvier,

Que toutes flours sont mortes, pour l’yvier,
Celle perçut blancir et vermillier,
Et sa couleur viveté tesmongnier.
Lors dist en soi : « Or ai mon desirier ! »
Tant seulement il en ala cueillier
Pour un chapiel ; bien les volt espargnier
Et à l’Irès ala celui cargier
Et si le prie

Que à Sérès le porte sans targier
Qui de s’amour ne le voelt adagnier.

S’en gré le prent, sa vie aura plus chier.
Ce que dist fist errant le messagier.
À Sérès vint le chapelet baillier.
Celle le prist de cler coer et entier,
Et dit : « Bien doi celui remercier
» Qui s’esbanie

» À moi tramettre un don qui me fait lie ;
» Et bien merir li doi sa courtoisie.
» Et je voeil que, de par moi, on li die,
» Que jamais jour n’amera sans partie. »
Moult liement fu la response oye.
Car tout ensi l’Irès li signefie
À son retour et li acertefie.
Ne plus ne mains

Là et la flour une vertu jolie,
Car elle fist celui avoir amie
Qui devant ce venir n’y pooit mie.
Ne poroit jà estre ensi en ma vie ?
Je ne sçai voir, non-pour-quant je m’afie
En bon espoir, ce grandement m’aye.
Mès toujours ert en coer de moi chierie,
J’en sui certains,

La belle flour que Margherite clains.
Elle le vault pour ce, sus toutes lains.
Et se me sens de la droite amour çains,
Mercurius qui de tous biens fu plains,
Car tant l’ama que tous soirs et tous mains

Quels temps qu’il fust, kalendes ou toussains
Un chapelet en portoit li compains,
Tout pour l’amour

Serès sa dame ; en otel pourpos mains,
Car tant me plaist de la flour li beaus tains
Qu’il m’est avis qu’il ne soit homs humains
Nomméement, ne rudes, ne villains,
Qui atouchier, y doie ongle ne mains.
Et se l’éür j’ai eu premerains
D’elle trouver, ne m’en lo, ne m’en plains
Par nesun tour ;

Fors seulement que dou perdre ai paour.
Dont pour moi mettre en un certain sejour,
En lamentant souhède nuit et jour,
Et di ensi : « Pleuïst au Dieu d’Amour
» Que je véisse enclos en une tour,
» O le closier, la gracieuse flour ;
» Et si n’euïst homme ne femme au tour
» Qui sourvenit,

» Peuïst illuec et fust en un destour,
» À mon cuesir, n’ai cure en quel contour. »
En ce souhet je pense toute honneur.
Mès souhedier me fait plaisance, pour
À grant loisir regarder sa coulour
Blanche et vermeille, assise sur verdour.
S’en ce parti vivoïe, nul millour
Ne doit quérir

Homs, ce m’est vis, qui tant aime et desir
La flour, que fai. Car n’ai aultre desir

Que del avoir pour véoir à loisir
Au vespre clore et au matin ouvrir ;
Et le soleil de tout le jour sievir,
Et ses florons contre lui espanir.
Tele vertu doit-on bien conjoir,
À mon semblant.

Si fai-je voir ; là gist tout mon plaisir.
Il m’est avis, le jour que le remir,
Qu’il ne me poet que tous biens avenir,
Et pour l’amour d’une seule, à qui tir,
Dont je ne puis que de regars joir.
C’est assés peu ; mès ce me fault souffrir.
Toutes les voeil honnourer et servir
D’or en avant

Et si prommec à la flourette, quant
Ès lieu venrai, là où il en croist tant,
Tout pour l’amour de la ditte devant,
J’en cueillerai une ou deus en riant,
Et si dirai, son grant bien recordant :
« Veci la flour qui me tient tout joiant,
» Et qui me fait en souffissance grant
» Tous biens sentir.

» Com plus le voi et mieuls me sont séant
» Si doulc regard et si arroi plaisant ;
» Car en cascun floron, je vous créant,
» Porte la flour un droit dart ataillant,
» Dont navrés sui si, en soi regardant,
» Que membre n’ai où le cop ne s’espant.
» Mès la vertu au Dieu d’Amours demant
» De moi garir. »