Poésies de Marie de France (Roquefort)/Fable LXXIII

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FABLE LXXIII.

Dou Lox qui jura par serement.
alias
D’uns Leus ki devint prodome[1].

Jadis avilit k’un Lox promist
Que char ne mengereit ce dist
Es quarante jurs de quaresme,
[a]A-tant en aveit mis sun esme[2].
En un bos truva un Mutun
Cras è refet sous la toisun ;
Dunc à sei-mesme demanda

K’est-ce, fet-il que voi-jou là ?
Chest un Mutons, ce m’est avis.
[b]Ne fust pur çou que j’ai pramis,10
Que nule char se ne mengereie,
De sun costé me refereie.
[c]Or ai, fait-il, parlé folie.
Gel’ voi tut seus sanz cumpaignie,
Ce m’est avis si jeo nel’ gart[3]
Tix i vienra d’aucune part
Qui l’enmenra ensanble od sei,
Si n’en laira noient pur mei.
Geo puis bien prenre le Motun
Se le menjerai cum Saumun.20
[d]Car li Saumons plus custereit
Que li Moutons ne rendereit.
Dunques prist li Lox le Mutun
Si l’estrangla lès uns buissun
E le menga sanz demurer.

MORALITÉ.

Par cest Flabel vus vueil mustrer

Si vait d’Ome de mavès cuer.
Il ne puet lessier en nul fuer[4]
[e]Sun seurfet ne sa glutonie.
Jà encuntre sa lécherie[5]30
Ne Huns ne Fame lékerresse
Ne gardera weu ne promesse.


  1. La Fontaine, liv. x, fab. vi. Le Loup et les Bergers.

    Idem, liv. xii, fab. ix. Le Loup et le Renard.

    Pidpay., tom. iii, p. 116 (Contes Indiens).

    La fable n° 88, Des dui Lox, pourroit bien avoir été détachée du même cadre pour en faire un tableau à part.

    Le Grand d’Aussy, tom. iv, p. 214.

  2. Il avoit ainsi porté son estimation.
  3. Je pense que si je ne le garde pas pour moi, tel autre viendra qui l’emmenera avec lui.
  4. En aucune manière, nullement,
  5. Gourmandise, gloutonnerie.
Variantes.
  1. Aitant avoit mis son terme.

  2. Se pour ce nou que j’ai pramis.

  3. Faim ai, fait-il, par ma folie,

  4. Miex vaut de Saumon à mangier,
    Aussi l’à ma bouche plus cier.

  5. Son forffait ne sa lécherie
    Ne encontre sa gloutrenie.