Poétique (trad. Ruelle)/Chapitre 8

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Traduction par Charles-Émile Ruelle.
(p. 19-20).
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CHAPITRE VIII


De l’unité de l’action.


I. Ce qui fait que la fable est une, ce n’est pas, comme le croient quelques-uns, qu’elle se rapporte à un seul personnage, car il peut arriver à un seul une infinité d’aventures dont l’ensemble, dans quelques parties, ne constituerait nullement l’unité ; de même, les actions d’un seul peuvent être en grand nombre sans qu’il en résulte aucunement unité d’action.

II. Aussi paraissent-ils avoir fait fausse route, tous les poètes qui ont composé l’Héracléide, la Théséide et autres poèmes analogues ; car ils croient qu’Hercule, par exemple, étant le seul héros, la fable doit être une.

III. Homère, entre autres traits qui le distinguent des autres poètes, a celui-ci, qu’il a bien compris cela, soit par sa connaissance de l’art, soit par un génie naturel. En composant l’Odyssée, il n’a pas mis dans son poème tous les événements arrivés à Ulysse, tels, par exemple, que les blessures reçues par lui sur le Parnasse, ou sa simulation de la folie au moment de la réunion de l’armée. De ces deux faits, l’accomplissement de l’un n’était pas une conséquence nécessaire, ou même probable de l’autre ; mais il constitua l’Odyssée en vue de ce que nous appelons l’ « unité d’action ». Il fit de même pour l’Iliade.

IV. Il faut donc que, de même que dans les autres arts imitatifs, l’imitation d’un seul objet est une, de la même manière la fable, puisqu’elle est l’imitation d’une action, soit celle d’une action une et entière, et que l’on constitue les parties des faits de telle sorte que le déplacement de quelque partie, ou sa suppression, entraîne une modification et un changement dans l’ensemble ; car ce qu’on ajoute ou ce qu’on retranche, sans laisser une trace sensible, n’est pas une partie (intégrante) de cet ensemble.