Pointe aux Esquimaux — Lettres des premiers missionnaires/01/1859

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II
1859.
R„P„ Auguste Charpeney, O„M„I„

22 mai.

Le 22 mai le père Charpeney s’embarquât à Bertier à bord de Louis Coulombe, en compagnie du Père Babel qui faisait les missions montagnaises de la Côte et accompagna le père Charpeney jusqu’à la Pointe.

Je n’ai pas le nom de sa goëlette. P„V„

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Enfin le 31 mai, après nous être arrêté à Mingan pour déposer une belle cloche pour la chapelle, des barils de farine pour les sauvages, au couché du soleil nous étions en vue de la Pointe des Esquimeaux. L’arrivée d’un vaisseau est toujours un événement pour ces contrées où règnent pendant une si grande partie de l’année le silence et la monotonie du désert. Les acadiens, de la porte de leurs maisons, avaient vu le pavillon flotter sur le grand mât et bientot ils avaient distingué deux robes noires, le cri, voici les Pères, a retenti d’une extrémité de la place à l’autre ; en un moment le rivage a été couvert de monde pour nous souhaiter la bonne venue. Un homme d’une haute stature, à la barbe grise, au bonnet de toile ciré, un ancien capitaine de milice aux Îles de la Magdeleine, comme la charte qu’il m’a montrée avec honneur en fait foi, un homme qui a fait pendant trente-cinq printemps, sans aucune interruption, la pénible campagne de la chasse aux loup-marins, un homme enfin qui est le fondateur de la colonie, le père Firmin Boudreau, tel est celui qui s’est avancé le premier pour revendiquer l’honneur de donner l’hospitalité aux missionnaires. La foule nous a suivis à la maison. C’était un spectacle assez charmant de voir ces braves gens assis sur les bancs, sur les coffres, sur les lits, sur les barreaux de l’échelle du grenier ou bien debout à la porte ou enfin restés dehors vis-à-vis les fenêtres, et tous les yeux fixés sur nous, et les oreilles bien ouvertes, pour nous regarder et nous entendre parler. On aurait dit de pauvres exilés qui après une longue attente reçoivent la visite d’un ami, d’un frère, d’un père.

Le P Babel continue la route pour rencontrer les Montagnais et je suis resté pour commencer la mission aux Acadiens. Cette mission a duré dix jours qui ont été pour le pays comme autant de jours de fête. Les exercices avaient lieu deux fois par jour comme dans les retraites des paroisses du Canada, et avec la même solennité. J’ai fait quatre baptêmes, béni trois mariages et préparé à la première communion une douzaine d’enfants. Une grande procession faite sur le rivage de la mer a mis le comble à la joie, à l’enthousiasme des Acadiens. Les petits enfants tenaient tous à la main des oriflammes ornés de belles images, de rubans et de verdures ; trois jeunes gens portaient de grands pavillons aux couleurs de la patrie. Une cloche apporté des Îles de la Magdeleine comme relique, et suspendue au bout de deux grands sapins plantés au milieu de la place, remplissait les airs de ses sons joyeux, et le chant des saints cantiques retentissait dans ces lieux, où n’y a pas encore trois ans on n’entendait que les cris des goëlans et des perroquets. Après la cérimonie chacun exprimait ses impressions. Quelle bonne idée disait l’un, a eu le Père de nous faire marcher à la procession sur deux lignes parallèles ! As-tu vu comme il y avait long de monde. Je n’avions pas vu si bien marcher à la procession, c’était terrible. J’aurions donné deux louis, disait l’autre, qu’un bâtiment des Îles de la Magdeleine fût arrivé pendant la procession. Ah ! ces gens là ! ils vouliont nous empêcher de venir ici : ils nous disont disiont que nous ne verrions point de prêtres, que nous mangerions de la viande le vendredi et le carême comme des chiens, que nous ne ferions point de religion ! Ils verriont maintenant qu’ils se sont trompé. Enfin, disait celui-là, toi Xavier, qui sait écrire, tu leur fera une lettre dans laquelle tu marqueras toutes ces belles choses. Cependant les jeunes gens n'étaient pas satis entièrement satisfaits, Le missionnaire avait fait un oubli grave à leurs yeux. En effet, la jeunesse est partout la même, elle aime à faire du bruit. Or j’avais bien invité nos jeunes Acadiens à assister à la procession avec le chapelet, le livre de prières à la main, mais j’avais manqué de les inviter à venir avec leurs armes. S’ils n’avaient pas fait gronder le canon, ils n’en avaient pas de regret, attendu que cette machine de guerre ne se trouvait pas dans la place, mais il ne leur avait pas même été donné de faire parler la poudre par la bouche de leurs fusils. Quel malheur ! Enfin leur ardeur belliqueuse a dû se satisfaire le jour de la clôture de la mission, pendant le chant du Magnigieat et du Te Deum : on se serait cru dans les plaines de Magenta et de Solférino.

L’établissement de la Pointe des Esquimeaux comptait déjà, au temps de la mission, vingt-six familles Acadiennes, toutes bien nombreuses. Un jour je demandai à une bonne mère combien elle avait d’enfants pour occuper ses loisirs, car j’en voyais sortir de partout ; je n’en ai que quinze, me dit elle, et tous à part un, ont bonne envie de vivre. Les Acadiens vivent uniquement de chasse du produit de la pêche ne sont pas riches ; mais on voit avec plaisir une honnête aisance régner dans leurs maisons ; selon leur expression, ils ne savent pas ce que c’est de plaindre le pain. Ils n’ont qu’un regret, c’est de vivre loin du prêtre. « Qu’il nous est pénible, me disaient-ils avec larmes, d’aller au petit printemps courir sur les glaces les dangers de la chasse aux loups-marins, sans pouvoir auparavant aller à confesse ! Qu’il nous est pénible aussi de penser que lorsque nous serons malade, il n’y aura point de prêtres pour nous administrer les derniers sacrements et bénir notre tombe quand nous mourrons ! Priez donc mon Père Monseigneur l’Évêque de nous envoyer un prêtre ». Oui, les Acadiens de la Pointe des Esquimeaux soupirent avec ardeur après le jour où un prêtre viendra résider dans leurs contrées. C’est dans cette espérance qu’ils ont fait bâtir cette année un presbytère bien convenable qui servira provisoirement de chapelle. J’aimes à penser qu’ils se seront procuré pour l’instruction de leurs enfants un maître ou une maîtresse d’école dont le besoin se fait vivement sentir.

Pendant mon séjour à la Pointe j’avais eu l’avantage de faire connaissance avec l’excellent capitaine Hamon, natif de Saint Malo, en France ; mais établi depuis de longues années à Saint Thomas de Montmagny. Ma mission étant finie, j’ai accepté avec plaisir la place que ce monsieur m’offrait sur la goëlette prête à faire voile pour Natashquan.

Le père Charpeney ne descendit pas plus loin que Natashquan. En remontant il fit les missions d’Aqmasuis, Nabessippi, Watshishoo et de la Corneille et arriva à la Pointe de nouveau le 26 24 ou 27 25 juin.

Voici ce qu’il dit :

J’ai revu, en passant la Pointe des esquimeaux où même j’étais attendu pour bénir un mariage.[1] Les hommes étant partis pour la pêche, il ne restait que les enfants et le sexe dévot qui a voulu profiter de l’occasion pour s’approcher une seconde fois des sacrements. Le Dimanche dans l’octave de la Fête-Dieux, après la messe, je me suis embarqué avec plusieurs personnes désireuses de voir la procession des sauvages à Mingan, à la distance seulement de six lieues. Maître Carbonnaud, architecte du presbytère, me faisait les honneurs de sa berge neuve.

Le Père Charpeney fit toutes les missions des blancs jusqu’à Godbout, où il s’embarquât à bord d’une goëlette pour Québec vers le 20 juillet.

Voila pour le Père Charpeney.

Ce Carbonneau étant parlé par le Père Charpeney était F. Carbonneau qui travaillait à la chapelle de Mingan et qui était venu à la Pointe.

P V
  1. Jean Vigneau de Natashquan avec Olive Boudreau, fille de Firmin Boudreau, P„V„