Polémique à propos d’enseignement entre M. J.-P. Tardivel et M. C.-J. Magnan/À qui la faute

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À QUI LA FAUTE


(De l’Enseignement primaire du 16 avril 1894.)

On se plaint, et avec raison, que l’école primaire, telle qu’organisée dans notre province, ne prépare pas suffisamment l’enfant aux luttes de la vie pratique ; qu’elle ne fait presque rien pour lui inculquer cet amour du travail intellectuel sans lequel le plus modeste ouvrier ne peut se perfectionner dans son état.

Naguère, l’honorable M. G.-A. Nantel, ministre des Travaux publics dans le gouvernement de Québec, au cours d’une conférence sur l’instruction primaire, signalait en termes éloquents le triste état de choses que nous venons de mentionner. Puis il ajoutait : « Je voudrais bien ne pas être trop sévère. Je voudrais faire large et généreuse la part du dévouement et des sacrifices de notre corps enseignant. Mais je ne puis taire cette vérité que l’enseignement donné dans un trop grand nombre de nos écoles primaires présente un côté plus défectueux encore que la faiblesse des études elles-mêmes. Nos enfants sortent des écoles, en général, sans la moindre ambition d’accroître, ni même de conserver ce qu’ils ont appris ».

À qui la faute ? qui est responsable d’un si grand malheur ? — L’esprit public, ne craint pas de répondre le courageux ministre. Mais, plutôt, écoutons l’honorable M. Nantel lui-même :

« Ce qui est plus grave, ce qui réduit notre enseignement élémentaire à un état d’infériorité qu’on ne saurait cacher, c’est l’apathie, générale dont il est entouré. On semble se dire que, la cotisation payée, le contribuable n’a plus rien à faire, l’action du clergé devant suffire, serait-il privé de tout autre concours de la part de ces mêmes contribuables.

« Quelle différence disent ensuite nos réformateurs, entre les résultats obtenus chez nous et chez nos voisins Haut-Canadiens et Américains ? Oui, répondrais-je, mais quelle différence aussi dans le sentiment public au sujet de l’éducation !

« Quels sacrifices ne s’impose-t-on pas là-bas pour une cause que l’on regarde comme la cause de toute la nation, la cause de l’avenir du pays ? »

M. l’abbé S. Corbeil, prêtre, qui a fait une critique très judicieuse de la conférence de M. Nantel, affirme la même chose en termes remarquables :

« Avec M. le ministre, je suis prêt à accuser l’esprit public. Fils d’un instituteur qui, malgré ses hautes qualités pédagogiques, ne fut point à l’abri de procédés impitoyables et iniques, j’ai connu par les infortunes domestiques comme on les traite, ces dévoués instituteurs, sans respect ni estime. Je sais quel vœu formait mon père pour ses fils : il leur souhaitait d’autres destins que les siens. »

Quel triste et pénible aveu, grand Dieu !

Oui, l’esprit public, du haut au bas de l’échelle, est le grand, l’unique coupable. L’apathie des puissants, l’indifférence du grand nombre et la mesquinerie des contribuables ont fait de la noble profession d’instituteur un triste métier qui suffit à peine à donner le pain quotidien. Si nous ne voulons pas manquer à notre mission nationale, il est temps de réformer l’école primaire en faisant de l’enseignement une véritable carrière.

Pour en arriver là, nous avons besoin de nouveaux Nantels et de nouveaux Corbeils.