Polémique à propos d’enseignement entre M. J.-P. Tardivel et M. C.-J. Magnan/La racine du mal (de la Vérité)

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LA RACINE DU MAL


(De la Vérité du 21 avril 1894.)

Dans sa livraison du 16 avril, le rédacteur de l’Enseignement primaire, de Québec, se plaint amèrement de l’esprit public, dans notre province, ou plutôt du manque d’esprit public. Il commence ainsi son écrit :

« On se plaint, et avec raison, que l’école primaire telle qu’organisée dans notre province ne prépare pas suffisamment l’enfant aux luttes de la vie pratique ; qu’elle ne fait presque rien pour lui inculquer cet amour du travail intellectuel sans lequel le plus modeste ouvrier ne peut se perfectionner dans son état. »

Et il termine par ce cri de douleur :

« Oui, l’esprit public, du haut au bas de l’échelle, est le grand, l’unique coupable. L’apathie des puissants, l’indifférence du grand nombre et la mesquinerie des contribuables ont fait de la noble profession d’instituteur un triste métier qui suffit à peine à donner le pain quotidien. Si nous ne voulons pas manquer à notre mission nationale, il est temps de réformer l’école primaire en faisant de l’enseignement une véritable carrière. »

Voilà un demi-siècle environ que dans notre province nous essayons le système scolaire moderne : l’État organisant, dirigeant, contrôlant plus ou moins l’œuvre de l’éducation. M. Magnan nous déclare que le résultat obtenu est loin d’être satisfaisant. Grand nombre de ceux qui s’occupent des questions scolaires sont absolument de son avis. Ne serait-il donc pas temps de changer de système ? Nous le croyons. Un demi-siècle doit être suffisant pour mettre un système scolaire à l’épreuve.

Il est admis qu’en toute chose l’intervention de l’État tue l’esprit d’initiative particulière.

Ce qui fait qu’il n’y a pas d’esprit public dans notre province, lorsqu’il s’agit d’éducation, c’est que, peu à peu, notre population qui, comme toutes les populations latines, est essentiellement logique, a été gâtée par la fausse doctrine que la formation de l’enfance et de la jeunesse est une fonction gouvernementale ; tandis qu’en réalité elle est une fonction purement domestique et religieuse. Convaincus que l’éducation regarde surtout le gouvernement, nos gens ne s’en occupent guère plus que de l’administration des terres publiques. Soyons-en persuadés, le mal dont l’Enseignement primaire se plaint si amèrement a sa racine là et non ailleurs.

Le remède est donc tout indiqué : qu’on applique à l’éducation les vrais principes chrétiens. Qu’on reconnaisse, non en théorie seulement, mais en pratique, que la formation de l’enfance est une fonction domestique de par le droit naturel, et religieuse dans les pays chrétiens. Dans aucun état de société elle ne saurait être une fonction politique.

Mais comme, pour rester dans le domaine des choses pratiques, il faut une certaine organisation scolaire ; comme les familles ne sauraient généralement remplir leur devoir à l’égard de leurs enfants si elles restaient isolées les unes des autres, qu’on donne à cette organisation scolaire la forme qui est tout indiquée dans un pays comme le nôtre : la forme paroissiale et diocésaine. Que l’organisation scolaire s’identifie avec l’organisation paroissiale et diocésaine. Que le curé soit ex officio le président des écoles de sa paroisse devenues des écoles paroissiales au lieu de municipales. Que l’évêque soit le directeur général, l’inspecteur en chef des écoles de son diocèse. Que le bureau scolaire de chaque localité, présidé par le curé, soit une institution vraiment paroissiale, fonctionnant comme fonctionnent les fabriques. Ainsi l’autorité domestique et l’autorité religieuse, ces deux autorités si bien faites pour s’entendre, et auxquelles incombe conjointement l’œuvre de l’éducation, seraient toutes deux à leur place ; elles auraient seules la responsabilité de la formation de la jeune génération ; et le sentiment de cette responsabilité donnerait à leur zèle une impulsion extraordinaire. C’est là, nous en sommes convaincu, le seul moyen de réveiller l’esprit public.