Pompée/Acte IV
ACTE IV.
Scène première.
Quoi ? de la même main et de la même épée
Dont il vient d’immoler le malheureux Pompée,
Septime, par César indignement chassé,
Dans un tel désespoir à vos yeux a passé ?
Oui, Seigneur ; et sa mort a de quoi vous apprendre[1]
La honte qu’il prévient et qu’il vous faut attendre.
Jugez quel est César à ce courroux si lent[2].
Un moment pousse et rompt un transport violent ;
Mais l’indignation qu’on prend avec étude
Augmente avec le temps, et porte un coup plus rude ;
Ainsi n’espérez pas de le voir modéré :
Par adresse il se fâche après s’être assuré.
Sa puissance établie, il a soin de sa gloire.
Il poursuivoit Pompée, et chérit sa mémoire ;
Et veut tirer à soi, par un courroux accort,
L’honneur de sa vengeance et le fruit de sa mort.
Ah ! si je t’avois cru, je n’aurois pas de maître :
Je serois dans le trône où le ciel m’a fait naître ;
Mais c’est une imprudence assez commune aux rois
D’écouter trop d’avis, et se tromper au choix ;
Le destin les aveugle au bord du précipice ;
Ou si quelque lumière en leur âme se glisse,
Cette fausse clarté, dont il les éblouit,
Les plonge dans un gouffre, et puis s’évanouit.
J’ai mal connu César ; mais puisqu’en son estime
Un si rare service est un énorme crime,
Il porte dans son flanc de quoi nous en laver[3] ;
C’est là qu’est notre grâce, il nous l’y faut trouver.
Je ne vous parle plus de souffrir sans murmure,
D’attendre son départ pour venger cette injure ;
Je sais mieux conformer les remèdes au mal :
Justifions sur lui la mort de son rival ;
Et notre main alors également trempée
Et du sang de César et du sang de Pompée,
Rome, sans leur donner de titres différents,
Se croira par vous seul libre de deux tyrans.
Oui, par là seulement ma perte est évitable[4] :
C’est trop craindre un tyran que j’ai fait redoutable.
Montrons que sa fortune est l’œuvre de nos mains ;
Deux fois en même jour disposons des Romains ;
Faisons leur liberté comme leur esclavage.
César, que tes exploits n’enflent plus ton courage ;
Considère les miens, tes yeux en sont témoins.
Pompée étoit mortel, et tu ne l’es pas moins ;
Il pouvoit plus que toi ; tu lui portois envie ;
Tu n’as, non plus que lui, qu’une âme et qu’une vie ;
Et son sort que tu plains te doit faire penser
[5].
Tonne, tonne à ton gré, fais peur de ta justice :
C’est à moi d’apaiser Rome par ton supplice ;
C’est à moi de punir ta cruelle douceur,
Qui n’épargne en un roi que le sang de sa sœur.
Je n’abandonne plus ma vie et ma puissance[6]
Au hasard de sa haine ou de ton inconstance ;
Ne crois pas que jamais tu puisses à ce prix[7]
Récompenser sa flamme ou punir ses mépris :
J’emploierai contre toi de plus nobles maximes.
Tu m’as prescrit tantôt de choisir des victimes,
De bien penser au choix[8] ; j’obéis, et je voi
Que je n’en puis choisir de plus dignes[9] que toi,
Ni dont le sang offert, la fumée et la cendre
Puissent mieux satisfaire aux mânes de ton gendre.
Mais ce n’est pas assez, amis, de s’irriter :
Il faut voir quels moyens on a d’exécuter ;
Toute cette chaleur est peut-être inutile ;
Les soldats du tyran sont maîtres de la ville ;
Que pouvons-nous contre eux ? et pour les prévenir,
Quel temps devons-nous prendre, et quel ordre tenir ?
Nous pouvons tout, Seigneur, en l’état où nous sommes[10].
À deux milles d’ici vous avez six mille hommes,
Que depuis quelque jours, craignant des remuements,
Je faisois tenir prêts à tous événements.
Quelques soins qu’ait César, sa prudence est déçue.
Cette ville a sous terre une secrète issue,
Par où fort aisément on les peut cette nuit
Jusque dans le palais introduire sans bruit ;
Car contre sa fortune aller à force ouverte,
Ce seroit trop courir vous-même à votre perte.
Il nous le faut surprendre au milieu du festin,
Enivré des douceurs de l’amour et du vin.
Tout le peuple est pour nous. Tantôt, à son entrée,
J’ai remarqué l’horreur que ce peuple a montrée[11]
Lorsque avec tant de fast[12] il a vu ses faisceaux
Marcher arrogamment et braver nos drapeaux ;
Au spectacle insolent de ce pompeux outrage
Ses farouches regards étinceloient de rage :
Je voyois sa fureur à peine se dompter ;
Et pour peu qu’on le pousse, il est prêt d’éclater ;
Mais surtout les Romains que commandoit Septime,
Pressés de la terreur que sa mort leur imprime,
Ne cherchent qu’à venger par un coup généreux
Le mépris qu’en leur chef ce superbe a fait d’eux.
Si durant le festin sa garde l’environne ?
Les gens de Cornélie, entre qui vos Romains
Ont déjà reconnu des frères, des germains,
Dont l’âpre déplaisir leur a laissé paroître
Une soif d’immoler leur tyran à leur maître :
Ils ont donné parole, et peuvent, mieux que nous,
Dans les flancs de César porter les premiers coups.
Son faux art de clémence, ou plutôt sa folie,
Qui pense gagner Rome en flattant Cornélie,
Leur donnera sans doute un assez libre accès
Pour de ce grand dessein assurer le succès.
Mais voici Cléopatre : agissez avec feinte,
Seigneur, et ne montrez que foiblesse et que crainte[13].
Nous allons vous quitter, comme objets odieux
Dont l’aspect importun offenseroit ses yeux.
Allez, je vous rejoins.
Scène II.
Et de tout mon pouvoir combattu sa colère.
Vous êtes généreuse ; et j’avois attendu
Cet office[14] de sœur que vous m’avez rendu.
Mais cet illustre amant vous a bientôt quittée.
Sur quelque brouillerie, en la ville excitée :
Il a voulu lui-même apaiser les débats
Qu’avec nos citoyens ont eus[15] quelques soldats[16] ;
Et moi, j’ai bien voulu moi-même vous redire
Que vous ne craigniez rien pour vous ni votre empire ;
Et que le grand César blâme votre action
Avec moins de courroux que de compassion.
Il vous plaint d’écouter ces lâches politiques
Qui n’inspirent aux rois que des mœurs tyranniques :
Ainsi que la naissance, ils ont les esprits bas.
En vain on les élève à régir des États :
Un cœur né pour servir sait mal comme on commande ;
Sa puissance l’accable alors qu’elle est trop grande ;
Et sa main, que le crime en vain fait redouter,
Laisse choir le fardeau qu’elle ne peut porter.
Vous dites vrai, ma sœur, et ces effets sinistres
Me font bien voir ma faute au choix de mes ministres.
Si j’avois écouté de plus nobles conseils,
Je vivrois dans la gloire où vivent mes pareils ;
Je mériterois mieux cette amitié si pure
Que pour un frère ingrat vous donne la nature ;
César embrasseroit Pompée en ce palais ;
Notre Égypte à la terre auroit rendu la paix,
Et verroit son monarque encore à juste titre
Ami de tous les deux, et peut-être l’arbitre.
Mais puisque le passé ne peut se révoquer[17],
Trouvez bon qu’avec vous mon cœur s’ose expliquer.
Je vous ai maltraitée, et vous êtes si bonne,
Que vous me conservez la vie et la couronne.
Vainquez-vous tout à fait ; et par un digne effort
Arrachez Achillas et Photin à la mort :
Elle leur est bien due ; ils vous ont offensée ;
Mais ma gloire en leur perte est trop intéressée.
Si César les punit des crimes de leur roi,
Toute l’ignominie en rejaillit sur moi :
Il me punit en eux ; leur supplice est ma peine.
Forcez, en ma faveur, une trop juste haine.
De quoi peut satisfaire un cœur si généreux
Le sang abject et vil de ces deux malheureux ?
Que je vous doive tout : César cherche à vous plaire,
Et vous pouvez d’un mot désarmer sa colère[18].
Si j’avois en mes mains leur vie et leur trépas,
Je les méprise assez pour ne m’en venger pas ;
Mais sur le grand César je puis fort peu de chose,
Quand le sang de Pompée à mes desirs s’oppose.
Je ne me vante pas de pouvoir le fléchir[19] ;
J’en ai déjà parlé, mais il a su gauchir ;
Et tournant le discours sur une autre matière,
Il n’a ni refusé, ni souffert ma prière.
Je veux bien toutefois encor m’y hasarder,
Mes efforts redoublés pourront mieux succéder ;
Et j’ose croire…
Je crains que ma présence à vos yeux ne l’irrite[20],
Que son courroux ému ne s’aigrisse à me voir ;
Et vous agirez seule avec plus de pouvoir.
Scène III.
CHARMION, ACHORÉE, Romains.
Reine, tout est paisible ; et la ville calmée,
Qu’un trouble assez léger avait trop alarmée,
N’a plus à redouter le divorce intestin
Du soldat insolent et du peuple mutin.
Mais, ô Dieux ! ce moment que je vous ai quittée
D’un trouble bien plus grand a mon âme agitée !
Et ces soins importuns, qui m’arrachoient de vous,
Contre ma grandeur même allumoient mon courroux :
Je lui voulois du mal de m’être si contraire,
De rendre ma présence ailleurs si nécessaire ;
Mais je lui pardonnois, au simple souvenir
Du bonheur qu’à ma flamme elle fait obtenir.
C’est elle dont je tiens cette haute espérance
Qui flatte mes desirs d’une illustre apparence,
Et fait croire à César qu’il peut former des vœux,
Qu’il n’est pas tout à fait indigne de vos feux,
Et qu’il peut en prétendre une juste conquête[21],
N’ayant plus que les Dieux au-dessus de sa tête.
Oui, Reine, si quelqu’un dans ce vaste univers
Pouvoit porter plus haut la gloire de vos fers ;
S’il étoit quelque trône où vous pussiez paroître
Plus dignement assise en captivant son maître[22],
J’irois, j’irois à lui, moins pour le lui ravir,
Que pour lui disputer le droit de vous servir ;
Et je n’aspirerois au bonheur de vous plaire
Qu’après avoir mis bas un si grand adversaire[23].
C’étoit pour acquérir un droit si précieux
Que combattoit partout mon bras ambitieux ;
Et dans Pharsale même il a tiré l’épée
Plus pour le conserver que pour vaincre Pompée.
Je l’ai vaincu, princesse ; et le Dieu des combats
M’y favorisoit moins que vos divins appas :
Ils conduisoient ma main, ils enfloient mon courage ;
Cette pleine victoire est leur dernier ouvrage :
Et vos beaux yeux enfin m’ayant fait soupirer,
Pour faire que votre âme avec gloire y réponde,
M’ont rendu le premier et de Rome et du monde.
C’est ce glorieux titre, à présent effectif,
Que je viens ennoblir par celui de captif :
Heureux, si mon esprit gagne tant sur le vôtre,
Qu’il en estime l’un et me permette l’autre !
Je sais ce que je dois au souverain bonheur
Dont me comble et m’accable un tel excès d’honneur.
Je ne vous tiendrai plus mes passions secrètes :
Je sais ce que je suis ; je sais ce que vous êtes.
Vous daignâtes m’aimer dès mes plus jeunes ans ;
Le sceptre que je porte est un de vos présents ;
Vous m’avez par deux fois rendu le diadème :
J’avoue, après cela, Seigneur, que je vous aime,
Et que mon cœur n’est point à l’épreuve des traits
Ni de tant de vertus, ni de tant de bienfaits.
Mais, hélas ! ce haut rang, cette illustre naissance,
Cet état de nouveau rangé sous ma puissance,
Ce sceptre par vos mains dans les miennes remis,
À mes vœux innocents sont autant d’ennemis.
Ils allument contre eux une implacable haine :
Ils me font méprisable alors qu’ils me font reine ;
Et si Rome est encor telle qu’auparavant,
Le trône où je me sieds m’abaisse en m’élevant ;
Et ces marques d’honneur, comme titres infâmes,
Me rendent à jamais indigne de vos flammes.
J’ose encore toutefois, voyant votre pouvoir,
Permettre à mes desirs un généreux espoir.
Après tant de combats, je sais qu’un si grand homme
A droit de triompher des caprices de Rome,
Et que l’injuste horreur qu’elle eut toujours des rois
Peut céder par votre ordre à de plus justes lois.
Je sais que vous pouvez forcer d’autres obstacles :
Vous me l’avez promis, et j’attends ces miracles.
Votre bras dans Pharsale a fait de plus grands coups,
Et je ne les demande à d’autres Dieux qu’à vous.
Tout miracle est facile où mon amour s’applique.
Je n’ai plus qu’à courir les côtes de l’Afrique,
Qu’à montrer mes drapeaux au reste épouvanté
Du parti malheureux qui m’a persécuté ;
Rome n’ayant plus lors d’ennemis à me faire,
Par impuissance enfin prendra soin de me plaire ;
Et vos yeux la verront, par un superbe accueil,
Immoler à vos pieds sa haine et son orgueil.
Encore une défaite, et dans Alexandrie
Je veux que cette ingrate en ma faveur vous prie ;
Et qu’un juste respect, conduisant ses regards,
À votre chaste amour demande des Césars.
C’est l’unique bonheur où mes desirs prétendent ;
C’est le fruit que j’attends des lauriers qui m’attendent :
Heureux si mon destin, encore un peu plus doux,
Me les faisoit cueillir sans m’éloigner de vous !
Mais, las ! contre mon feu mon feu me sollicite :
Si je veux être à vous, il faut que je vous quitte.
En quelques lieux qu’on fuie, il me faut y courir,
Pour achever de vaincre et de vous conquérir.
Permettez cependant qu’à ces douces amorces
Je prenne un nouveau cœur et de nouvelles forces,
Pour faire dire encore aux peuples pleins d’effroi,
Que venir, voir et vaincre est même chose en moi[24].
C’est trop, c’est trop, Seigneur, souffrez que j’en abuse :
Votre amour fait ma faute, il fera mon excuse.
Vous me rendez le sceptre, et peut-être le jour ;
Mais si j’ose abuser de cet excès d’amour,
Je vous conjure encor, par ses plus puissants charmes,
Par ce juste bonheur qui suit toujours vos armes,
Par tout ce que j’espère et que vous attendez,
De n’ensanglanter pas ce que vous me rendez.
Faites grâce, Seigneur, ou souffrez que j’en fasse[25],
Et montre à tous par là que j’ai repris ma place.
Achillas et Photin sont gens à dédaigner :
Ils sont assez punis en me voyant régner ;
Et leur crime…
Dessus mes volontés vous êtes souveraine ;
Mais si mes sentiments peuvent être écoutés,
Choisissez des sujets dignes de vos bontés.
Ne vous donnez sur moi qu’un pouvoir légitime,
Et ne me rendez point complice de leur crime.
C’est beaucoup que pour vous j’ose épargner le roi,
Et si mes feux n’étoient…
Scène IV.
ANTOINE, LÉPIDE, CHARMION, Romains.
César, prends garde à toi :
Ta mort est résolue, on la jure, on l’apprête ;
À celle de Pompée on veut joindre ta tête.
Prends-y garde, César, ou ton sang répandu
Bientôt parmi le sien se verra confondu.
Mes esclaves en sont ; apprends de leurs indices
L’auteur de l’attentat, et l’ordre, et les complices :
Je te les abandonne.
Et digne du héros qui vous donna la main !
Ses mânes, qui du ciel ont vu de quel courage
Je préparois la mienne à venger son outrage,
Mettant leur haine bas, me sauvent aujourd’hui
Par la moitié qu’en terre il nous laisse de lui[26].
Il vit, il vit encore en l’objet de sa flamme,
Il parle par sa bouche, il agit dans son âme ;
Il la pousse, et l’oppose à cette indignité,
Pour me vaincre par elle en générosité.
Tu te flattes, César, de mettre en ta croyance
Que la haine ait fait place à la reconnoissance :
Ne le présume plus ; le sang de mon époux
A rompu pour jamais tout commerce entre nous.
J’attends la liberté qu’ici tu m’as offerte,
Afin de l’employer toute entière à ta perte ;
Et je te chercherai partout des ennemis,
Si tu m’oses tenir ce que tu m’as promis.
Mais avec cette soif que j’ai de ta ruine,
Je me jette au-devant du coup qui t’assassine,
Et forme des desirs avec trop de raison
Pour en aimer l’effet par une trahison :
Si je veux ton trépas, c’est en juste ennemie :
Mon époux a des fils, il aura des neveux ;
Quand ils te combattront, c’est là que je le veux,
Et qu’une digne main par moi-même animée,
Dans ton champ de bataille, aux yeux de ton armée,
T’immole noblement, et par un digne effort,
Aux mânes du héros dont tu venges la mort.
Tous mes soins, tous mes vœux hâtent cette vengeance ;
Ta perte la recule, et ton salut l’avance.
Quelque espoir qui d’ailleurs me l’ose ou puisse offrir,
Ma juste impatience auroit trop à souffrir :
La vengeance éloignée est à demi perdue,
Et quand il faut l’attendre, elle est trop cher vendue[27].
Je n’irai point chercher sur les bords africains
Le foudre souhaité que je vois en tes mains[28] :
La tête qu’il menace en doit être frappée.
J’ai pu donner la tienne, au lieu d’elle, à Pompée :
Ma haine avait le choix ; mais cette haine enfin
Sépare son vainqueur d’avec son assassin,
Et ne croit avoir droit de punir ta victoire[29]
Qu’après le châtiment d’une action si noire.
Rome le veut ainsi ; son adorable front
Auroit de quoi rougir d’un trop honteux affront,
De voir en même jour, après tant de conquêtes,
Sous un indigne fer ses deux plus nobles têtes.
Son grand cœur, qu’à tes lois en vain tu crois soumis,
En veut aux criminels plus qu’à ses ennemis,
Et tiendroit à malheur le bien de se voir libre,
Si l’attentat du Nil affranchissait le Tibre.
Autre aussi qu’un Romain ne l’en doit garantir.
Tu tomberois ici sans être sa victime ;
Au lieu d’un châtiment ta mort seroit un crime ;
Et sans que tes pareils en conçussent d’effroi,
L’exemple que tu dois périroit avec toi.
Venge-la de l’Égypte à son appui fatale,
Et je la vengerai, si je puis, de Pharsale.
Va, ne perds point de temps, il presse. Adieu : tu peux[30]
Te vanter qu’une fois j’ai fait pour toi des vœux[31].
Scène V.
ACHORÉE, CHARMION.
Reine, voyez pour qui vous me demandiez grâce !
Je n’ai rien à vous dire : allez, Seigneur, allez
Venger sur ces méchants tant de droits violés.
On m’en veut plus qu’à vous : c’est ma mort qu’ils respirent,
C’est contre mon pouvoir que les traîtres conspirent ;
Leur rage, pour l’abattre, attaque mon soutien,
Et par votre trépas cherche un passage au mien.
Mais parmi ces transports d’une juste colère,
Je ne puis oublier que leur chef est mon frère.
Le saurez-vous, Seigneur ? Et pourrai-je obtenir
Que ce cœur irrité daigne s’en souvenir ?
Oui, je me souviendrai que ce cœur magnanime
Au bonheur de son sang veut pardonner son crime.
Adieu, ne craignez rien : Achillas et Photin
Ne sont pas gens à vaincre un si puissant destin.
Pour les mettre en déroute, eux et tous leurs complices,
Je n’ai qu’à déployer l’appareil des supplices,
Et pour soldats choisis, envoyer des bourreaux
Qui portent hautement mes haches pour drapeaux.
Repousser avec lui ma mort qu’on a jurée ;
Et quand il punira nos lâches ennemis,
Faites-le souvenir de ce qu’il m’a promis.
Ayez l’œil sur le Roi dans la chaleur des armes,
Et conservez son sang pour épargner mes larmes.
Madame, assurez-vous qu’il ne peut y périr,
Si mon zèle et mes soins peuvent le secourir[32].
- ↑ Var. Il est mort, et mourant, Sire, il vous doit apprendre. (1644-63)
- ↑ Var. Jugez César vous-même à ce courroux si lent. (1644-56).
- ↑ Var. Sire, il porte en son flanc de quoi nous en laver. (1644-63)
- ↑ Var. Oui, oui, ton sentiment enfin est véritable :
C’est trop craindre celui que j’ai fait redoutable. (1644-56) - ↑ Var. Que ton cœur est sensible, et qu’on le peut percer. (1644-56)
- ↑ Var. Et n’abandonner pas ma vie et ma puissance. (1644-56)
- ↑ Var. Ni souffrir que demain tu puisses à ce prix. (1644-56)
- ↑ L’édition de 1682 porte seule : « aux choix, » au pluriel.
- ↑ On lit digne, au singulier, dans l’édition de 1656.
- ↑ Var. Nous pouvons beaucoup, Sire, en l’état où nous sommes. (1644-63)
- ↑ Var. J’ai remarqué l’horreur qu’il a soudain montrée. (1644-56)
- ↑ Voyez tome I, p. v de l’Avertissement, en note.
- ↑ Var. Sire, et ne lui montrez que foiblesse et que crainte. (1644-63)
- ↑ Toutes les éditions, excepté celle de 1656, portent : « Cette office, » au féminin.
- ↑ Il y a eu, sans accord, dans toutes les éditions publiées du vivant de Corneille, et même encore dans celle de 1692.
- ↑ Var. Qu’avec nos citoyens ont pris quelques soldats (a). (1644-56).
(a) Voltaire a adopté cette variante dans son texte de 1764. - ↑ Var. Mais puisque le passé ne se peut révoquer. (1644-56).
- ↑ Var. Vous pouvez d’un coup d’œil désarmer sa colère. (1644-56)
- ↑ Var. Je ne me vante pas de le pouvoir fléchir. (1644-56)
- ↑ Var. Je crains que de nouveau ma présence l’irrite ;
Elle pourroit l’aigrir, au lieu de l’émouvoir. (1644-56) - ↑ Var. Et qu’il en peut prétendre une juste conquête. (1644-56)
- ↑ Var. Plus hautement assise en captivant son maître. (1644-56)
- ↑ Var. Qu’après avoir mis bas un si digne adversaire. (1644-56)
- ↑ Allusion au fameux Veni, vidi, vici, que César écrivit à un de ses amis de Rome après la victoire qu’il remporta plus tard, en Asie, sur Pharnace, fils de Mithridate. Voyez la Vie de César par Plutarque, chapitre v.
- ↑ Var. Faites grâce, Seigneur, ou souffrez que j’en donne,
Et fasse voir par là que j’entre à la couronne. (1644-56) - ↑ Var. Par la moitié qu’en terre il a laissé de lui.
Quoi que la perfidie ait osé sur sa trame,
Il vit encore en vous, il agit dans votre âme. (1644-56) - ↑ Var. Quand il la faut attendre, elle est trop cher vendue. (1644-56)
- ↑ Var. Le foudre punisseur que je vois en tes mains. (1644-56)
- ↑ Var. Et me laisse encor voir qu’il y va de ma gloire
De punir son audace avant que ta victoire. (1644-56) - ↑ Var. Va, ne perds point le temps, il presse. Adieu : tu peux. (1648-56)
- ↑ « Ces derniers vers que prononce Cornélie frappent d’admiration, et quand ce couplet est bien récité, il est toujours suivi d’applaudissements. Quelques personnes ont prétendu que ces mots : « tu peux te vanter, » ne conviennent pas, qu’ils contiennent une espèce d’ironie, que c’est affecter sur César une supériorité qu’une femme ne peut avoir. On a remarqué que cette tirade, et toutes celles dans lesquelles la hauteur est poussée au delà des bornes, faisaient toujours un peu moins d’effet à la cour qu’à la ville. C’est peut-être qu’à la cour on avait plus de connaissance et plus d’usage de la manière dont les personnes du premier rang s’expriment, et que dans le parterre on aime les bravades, on se plaît à voir la puissance abaissée par la grandeur d’âme. » (Voltaire)
- ↑ Var. Si mon zèle et mes soins le peuvent secourir. (1644-56)