Pour l’histoire de la science hellène/1

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Felix Alcan (Collection historique des grands philosophes) (p. 18-28).




CHAPITRE I

LES DOXOGRAPHES GRECS


1. Aristote avait pris l’habitude, avant d’exposer sa doctrine sur un sujet donné, de mentionner les opinions émises avant lui et de préparer, par leur critique et leur réfutation, la voie au développement de ses propres théories. Aussi les divers écrits scientifiques du Stagirite nous fournissent-ils nombre de renseignements historiques des plus précieux en raison de leur ancienneté et de la parfaite compétence de leur auteur ; toutefois, il est impossible, en thèse générale, de les accepter sans réserves, car ils sont plus ou moins entachés de polémique, et, d’un autre côté, Aristote les accommode suivant ses propres concepts, ainsi qu’il est naturel, puisqu’il se propose comme but la science, et non son histoire.

L’intérêt que présentaient les divers renseignements ainsi épars dans l’œuvre du Maître, et en même temps leurs lacunes elles-mêmes, pour qui voulait se rendre compte des idées d’autrefois, devaient naturellement faire désirer la composition d’un ouvrage d’ensemble donnant des travaux des anciens physiologues une analyse complète et fidèle. Ce fut une des tâches que s’imposa Théophraste, le plus illustre disciple et le successeur d’Aristote.

L’histoire qu’il écrivit paraît avoir été connue dans l’antiquité sous deux recensions différentes, l’une Des opinions des physiciens (φυσικῶν δοξῶν) en seize livres, l’autre Sur les physiciens (περὶ φυσικῶν) en dix-huit [1]. Peut-être la différence entre le nombre des livres des deux recensions provient-elle simplement de ce qu’un auteur de catalogue aura compris dans la seconde un Abrégé en deux livres, qui, en tout cas, a été écrit de très bonne heure.

De ce volumineux ouvrage, il ne subsiste qu’un morceau vraiment entier, relatif aux Sensations, et quelques citations, la plupart de seconde main, et surtout dans Simplicius, qui les a empruntées à Alexandre d’Aphrodisias. Il y a bien encore, sous le nom de Théophraste, dans le Pseudo-Philon Sur l’incorruptibilité du monde, un fragment considérable ; mais il provient plutôt du péripatéticien Critolaos, et expose, en tout cas, à côté d’opinions anciennes, des doctrines du Portique que Théophraste n’avait pas touchées ; car, loin de descendre jusqu’à ses contemporains, il s’était arrêté à Platon.

Ces rares débris suffisent cependant pour nous apprendre qu’il avait suivi un ordre de matières méthodique, en classant même sur chaque question les opinions, non d’après la suite des temps, mais d’après leur caractère ; à cet égard, le morceau sur les Sensations[2] donne un bon exemple de son procédé. Toutefois, au début de son ouvrage et à propos des principes, il avait successivement présenté au lecteur les divers physiciens dont il parlait, et donné alors quelques indications sur leur personnalité et leurs relations historiques.

D’autre part, suivant en cela l’exemple de son maître, à l’exposition des systèmes anciens, il avait joint leur critique d’après les doctrines de son école. Les renseignements qui proviennent de Théophraste sont donc, en principe, susceptibles des mêmes réserves que ceux que fournissent les écrits d’Aristote ; il y a d’autres motifs de circonspection dans le respect que professe le disciple pour le maître et dans la façon dont il cherche à développer les idées émises par le Stagirite, bien loin de les contrôler et de les rectifier, s’il y a lieu.

2. L’ouvrage historique de Théophraste, de même que l’œuvre d’Aristote, ne se répandit guère, pendant la période alexandrine, en dehors du cercle restreint de l’école péripatéticienne. Cependant il servit, dans une mesure plus ou moins large, aux faiseurs de biographies et aux auteurs de Successions des philosophes qui commencèrent bientôt à fleurir. Il était évidemment facile d’extraire, soit du grand ouvrage, soit de l’abrégé, la suite méthodique des opinions professées sur chaque sujet par chacun des anciens physiciens et de présenter ainsi un tableau résumé de chaque système. Un pareil extrait, qui paraît assez fidèle[3], fait le fonds de ce livre des Philosophumena faussement attribués à Origène et que l’érudition allemande s’accorde aujourd’hui, sans motifs bien décisifs, à mettre sous le nom de saint Hippolyte, évêque et martyr. Toutefois, le compilateur de ces Philosophumena, qui, en tout cas, vivait vers le commencement du iiie siècle, a également utilisé un abrégé biographique d’une valeur bien moindre, si ce n’est par les renseignements chronologiques qu’il renferme et dont j’aurai à parler dans le prochain chapitre.

D’autres abrégés de Théophraste, également par noms d’auteurs et de plus en plus éloignés de la source primitive, ont de même été utilisés :

1o Dans le fragment des Stromates du Ps.-Plutarque, conservé par Eusèbe (Préparation évangélique, I, 8) : les opinions qui y sont recueillies ne concernent guère que les principes, le monde et les astres, à part quelques digressions sur Aristippe et Épicure qui, évidemment, ne proviennent pas de Théophraste ;

2o Par Diogène Laërce, qui, d’ailleurs, à côté d’une compilation relativement détaillée, en emploie une autre beaucoup plus sommaire, laquelle ne dérive pas directement de Théophraste) mais d’un biographe quelconque ;

3o Par divers auteurs ecclésiastiques, généralement très brefs dans l’objet, comme Eusèbe (Prép. évang., X, XIV, XV, passim), Théodoret, Irénée, Arnobe, saint Augustin, Épiphane, etc.

Théophraste avait, il est vrai, composé, en dehors de son grand ouvrage historique, un certain nombre de monographies, mais rien n’indique qu’elles aient jamais été directement utilisées.

Il est évidemment impossible de déterminer à quelle époque ont été faits les divers abrégés dont nous retrouvons ainsi les traces, et dont la valeur relative peut s’apprécier par comparaison, soit avec les fragments conservés sous le nom de Théophraste, soit avec le corps des Placita philosophorum dont nous allons parler tout à l’heure. Il y a eu sans doute toute une série de pareils abrégés, composés aux dates les plus différentes jusqu’à ceux qui nous sont parvenus. Mais les premiers et les meilleurs seuls ont été directement tirés, soit des Opinions des physiciens, de Théophraste, soit de leur Épitomé originaire. Les autres ont été successivement écrits d’après des abrégés antérieurs, et la tradition s’est peu à peu corrompue jusqu’à perdre toute valeur.

3. En dehors de ces abrégés par noms d’auteurs (qui furent complétés, pour les philosophes postérieurs à Platon, au moyen de sources très diverses), il devait nécessairement arriver un moment où l’on sentit le besoin de refaire un travail semblable à celui de Théophraste, suivant un ordre méthodique analogue, mais prolongé de façon à embrasser les temps postérieurs.

Cet ouvrage, ce recueil primitif des Placita, devait, par la suite, faire oublier son modèle, mais il se trouve lui-même aussi bien perdu pour nous. En tout cas, il ne fut pas composé avant la fin de la période alexandrine ; il date donc d’une époque où le courant éclectique était déjà assez prononcé et, dès lors, son auteur ne pouvait que renoncer au plan de Théophraste, d’accompagner la mention des diverses opinions d’une critique conforme à des principes déterminés.

Les avantages d’une telle modification auraient été très grands, si le rédacteur des Placita avait compris l’importance que présentait la recherche de la liaison historique réelle entre les différentes thèses qu’il consignait dans son recueil. Mais non seulement le sens de cette liaison lui manquait absolument ; à vrai dire, il n’avait aucune des qualités que sa tâche réclamait. Là où il fallait un historien, il n’y eut qu’un banal compilateur.

Juxtaposer, purement et simplement, avec la plus complète indifférence, les affirmations les plus disparates, cela lui suffisait. Au point de vue scientifique, les résultats d’un tel procédé ne pouvaient être que déplorables.

Aristote tout le premier, Théophraste après lui, s’étaient bien fait un plaisir d’opposer les unes aux autres les opinions des anciens physiciens. Exagérer les différences, au lieu de mettre en lumière les points communs, c’était le moyen de détruire ces opinions les unes par les autres, et de laisser le champ libre pour l’exposé d’une thèse nouvelle. Mais au moins le Stagirite développait cette thèse, au moins semblait-il chercher à faire jaillir la vérité du choc des doctrines contraires.

Tels que les Placita furent rédigés, ils ne pouvaient que satisfaire la curiosité du lettré ou fournir des arguments au scepticisme. Ils caractérisent l’état d’esprit d’une époque dont nous ne pouvons que difficilement nous faire une idée, à notre idée, à notre âge de dogmatisme scientifique. Il semble que l’étude de la nature était alors retombée à l’état actuel de notre philosophie, au simple probabilisme. L’idéal si bien entrevu par Aristote s’est obscurci ; déjà académiciens et épicuriens se sont endormis sur le commode oreiller du doute, et les stoïciens ne sont pas de taille à secouer la torpeur qui gagne les esprits. L’éclectisme auquel ils se laissent désormais aller, décèle en réalité un manque de convictions, quelles que soient les protestations contraires.

4. Il semble qu’au second siècle avant notre ère, l’académicien Clitomaque faisait déjà dans un but sceptique un extrait de Théophraste, au moins pour la partie concernant les principes ; on croit, en effet, que c’est à ses écrits que Cicéron a emprunté la matière de son Lucullus, où se retrouve un pareil extrait, évidemment traduit du grec. Un peu plus tard, l’épicurien Philodème, dans son ouvrage Sur la piété, dont des fragments importants ont été tirés des manuscrits d’Herculanum, opposait de même les unes aux autres les opinions des anciens sur les dieux, et Cicéron le paraphrasait encore dans son premier livre De deorum natura[4].

Bien entendu, les sceptiques proprement dits, comme Sextus Empiricus, ne se feront pas faute de semblables procédés. Mais c’est surtout aux chrétiens que les recueils des doxographes fourniront plus tard un arsenal inépuisable dans leur lutte contre l’hellénisme, et c’est même grâce surtout à cette polémique que de tels recueils ont survécu, malgré leur mince valeur intrinsèque. Le procédé est toujours le même, s’il varie comme forme du ton le plus sérieux au persiflage ou même à la bouffonnerie. Exposer contradictoirement les opinions des écoles adverses, sans se soucier de les reproduire exactement, en les réduisant au contraire à des formules brèves et exagérées, accoupler les dénégations aux affirmations tout en se gardant bien d’en indiquer les véritables motifs, il y a là un mode de discussion trop facile pour qu’on n’en ait pas toujours usé et abusé.

Mais, ce qui doit nous toucher le plus, c’est uniquement de la sorte que l’histoire des anciens systèmes nous a été transmise. Dans toutes les sources, depuis Aristote, ils nous apparaissent aussi opposés que l’auteur qui nous en parle pouvait oser les figurer. C’est donc un chaos complet, et le premier besoin, dès qu’on a commencé, dans les temps modernes, à les étudier sans le même parti pris, fut évidemment de chercher à y remettre de l’ordre, à rétablir les filiations logiques. Néanmoins, la croyance à la réalité d’oppositions fondamentales, en nombre plus ou moins grand, s’est forcément implantée comme préjugé, même chez les historiens les plus imbus du désir de l’unité. Le développement de ces oppositions constitue d’ailleurs un cadre aussi avantageux pour l’exposé des doctrines que leur réduction à quelques formules saisissantes est commode pour la mémoire du lecteur. De là le succès des histoires de la philosophie conçues dans cet esprit ; de là aussi la rareté des quelques tentatives qui ont pu être faites en sens contraire.

Et cependant, tant qu’on persistera dans cette voie, l’histoire de la science restera inintelligible ; le progrès des connaissances positives, l’élaboration des concepts correspondants ne peuvent être discernés ni compris, si l’on ne pénètre au delà des contradictions apparentes pour retrouver le fonds commun. Ainsi, tandis que les documents font surtout ressortir les différences entre les anciens physiologues, le rôle de l’historien doit être aujourd’hui de rechercher surtout les ressemblances ; c’est, en effet, leur constatation seule qui peut permettre de rendre raison des différences, d’en préciser le véritable caractère et d’en déterminer l’importance réelle.

5. Je viens de tirer la conclusion pratique qui ressort, pour l’usage critique des sources, de leur histoire, dont j’ai entrepris le récit. Reprenons-en le fil et revenons à ces anciens Placita, qui, comme je l’ai dit, sont perdus, mais qui ont été abrégés eux-mêmes, et dont les débris se retrouvent dans deux compilations distinctes que nous possédons encore et où la communauté de leur origine se reconnaît immédiatement.

La plus ancienne de ces compilations figure au nombre des œuvres de Plutarque, sans qu’il soit, d’ailleurs, permis de la lui attribuer ; elle est connue sous le titre latin qui nous a servi à désigner le recueil originaire ; c’est en grec : περὶ τῶν ἀρεσϰόντων φιλοσόφοις φυσιϰῶν δογμάτων ἐπιτομῆς βιϐλία πέντε.

La seconde compilation constitue le premier livre des Éclogues de Stobée, écrit au ve siècle. Quant aux Placita du Ps.-Plutarque, la date ne peut guère être descendue après la mort du polygraphe de Chéronée, car cet ouvrage a été utilisé par Athénagore dès 177 de notre ère, comme il a été copié plus tard par Eusèbe (Præp. evang.), Théodoret (Græc. affect. curat.), Cyrille (Contr. Julian.), le Ps.-Galien de l’Histor. philosoph., Laurentius Lydus (De mensibus).

On retrouve encore des extraits, mais cette fois plus libres, du Ps.-Plutarque dans Justin[5](Cohort. ad Gentil.) et dans Achille[6] (De universo). Au reste, la triple mention de cet ouvrage dans le Catalogue, dit de Lamprias, des œuvres de Plutarque, atteste assez à quel point il fut répandu.

La comparaison des divers extraits des Placita avec le texte des manuscrits actuels est des plus intéressantes. Tant de sources, d’apparence si diverses, se réduisent à une seule ; mais si, grâce à leur multiplicité et à leur ancienneté, elles permettent souvent d’importantes corrections, il faut, bien souvent aussi, reconnaître que les altérations du texte remontent à une époque encore plus reculée et que l’imperfection des premiers manuscrits eux-mêmes a été l’origine d’une foule d’erreurs qui se sont diversement propagées.

Pendant le moyen âge, les Placita du Ps.-Plutarque ont continué à jouir de la vogue qu’ils avaient acquise dès l’antiquité. Les Arabes les ont traduits comme classiques, et les érudits byzantins, Michel Psellus, Siméon Seth, Tzetzès, etc., les ont à leur tour copiés ou ont essayé de les imiter. Mais il est inutile de nous arrêter plus longuement sur leurs témoignages, qui n’ont de valeur que pour la critique du texte.

6. Le recueil de Stobée comprend un fonds commun avec celui du Ps.-Plutarque ; mais, la plupart du temps, il est beaucoup plus complet, tandis que pour certains chapitres, c’est tout le contraire. Le rapprochement des deux textes amène immédiatement à conclure que les deux compilateurs avaient à leur disposition un recueil antérieur qu’ils ont, chacun de leur côté, tantôt copié littéralement, tantôt écourté à leur guise.

Pour recomposer ce recueil, il faut évidemment faire abstraction de divers emprunts faits par Stobée à d’autres auteurs et ne portant point le caractère des Placita. Il a notamment ajouté, sur Aristote et les stoïciens, de longs extraits des Abrégés d’un Arius Didymus, contemporain et ami d’Auguste, lequel professait d’ailleurs les opinions du Portique et a été également utilisé, parfois pour les mêmes morceaux, par Eusèbe dans sa Préparation évangélique. Le caractère particulier du style de ces fragments les fait aisément discerner ; quelques autres, au contraire, pourraient être, au premier abord, confondus avec les Placita, tandis qu’un examen plus attentif fait reconnaître qu’ils proviennent, par quelque intermédiaire, d’un Corpus ancien d’Allégories homériques, d’où sont dérivées également les Allégories d’Héraclite, la Vie d’Homère d’un Ps.-Plutarque, ainsi que quelques extraits dans Sextus Empiricus et Probus sur Virgile. Ces derniers extraits sont probablement tirés d’un grammairien Héracléon, contemporain d’Auguste ; ainsi ce Corpus, où les opinions des anciens philosophes étaient rapprochées des vers d’Homère, semble remonter au ier siècle avant notre ère, mais il ne représente aucune tradition sérieuse.

7. En dehors de ces deux sources spéciales de Stobée, quelle est donc celle qui lui est commune avec le Ps.-Plutarque des Placita ? On la retrouve encore directement utilisée par Théodoret (Græc. affect. curat.), ainsi que par Némésius (De nat. hom.), que plus tard Mélétius a librement copié. Or, Théodoret nomme expressément cette source : .Ἀετίου τἡν περὶ ὰρεσχόνζων ξυναγωγήν Cet Aétius nous est complètement inconnu d’ailleurs et l’on ne peut fixer son âge que par conjecture, vers la fin du ier siècle de notre ère. Il n’en est pas moins possible, grâce à Stobée et au Ps.-Plutarque, de recomposer, sans difficultés majeures, sa collection des Placita, que le second compilateur s’est, pour son compte, rarement permis d’interpoler. Ce travail de restitution a été accompli par H. Diels avec une admirable sûreté de critique, et désormais c’est donc Aétius et non Stobée ou le Ps.-Plutarque qu’il convient de citer d’après l’édition des Doxographi græci.

Avons-nous retrouvé du moins ce rédacteur des Placita primitifs que nous avons dû signaler comme malheureusement bien au-dessous de sa tâche ? Pas même, et Aétius lui était encore inférieur ; il semble avoir appartenu à l’école péripatéticienne, mais il n’en a certainement été qu’un élève bien médiocre. On le voit d’ailleurs prendre plaisir à intercaler dans sa compilation des morceaux d’origine stoïcienne à côté d’autres nettement épicuriens. Mais en fait, cette compilation, il doit la copier, en l’abrégeant plus ou moins, dans un recueil originaire directement composé, d’une part sur Théophraste, de l’autre, pour les temps postérieurs à Platon, sur les manuels courants des doctrines en vogue.

8. L’existence de ce recueil primitif peut se reconnaître à divers indices.

Censorinus (De die natali) expose sur divers sujets des opinions anciennes, dans des termes dont la parenté avec l’ouvrage d’Aétius est indéniable, quoiqu’on ne puisse admettre qu’il l’ait traduit. Or, comme on sait que Censorinus a copié Varron, il s’ensuit que ce dernier devait, déjà vers le milieu du ier siècle avant notre ère, utiliser un recueil de Placita, ce qui concorde, pour la date à assigner à ce recueil, avec le fait que les derniers savants dont il faisait mention, sont Posidonius et Asclépiade.

Divers extraits, dans Isidore (aussi d’après Varron), dans Tertullien (d’après Soranus), etc., paraissent remonter indirectement à la même origine.

En étudiant quelles additions Aétius a pu faire au fonds primitif, on arrive à cette conclusion que les citations expresses d’Aristote lui appartiennent, le premier compilateur n’ayant utilisé qu’un manuel d’école. Aétius semble aussi de temps en temps avoir fait quelques emprunts à des biographes ou ajouté quelques citations banales.

Il est clair, d’autre part, que le rédacteur des Placita primitifs appartenait à l’école stoïcienne de Posidonius et qu’il a dû se servir des écrits de ce dernier. Il semble également avoir eu à sa disposition un recueil d’opinions de médecins, plus ou moins ancien, et constituant dès lors aussi une source étrangère à Théophraste.

Il n’en reste pas moins certain que, pour tous les philosophes antérieurs à Platon, le successeur d’Aristote demeure l’unique source de tous les renseignements doxographiques de l’antiquité et que la valeur de ces renseignements se doit estimer d’après le degré dont on peut admettre qu’ils se rapprochent du texte de Théophraste.

9. Pour terminer ce sommaire de l’histoire de la doxographie, il suffira d’ajouter quelques mots sur deux ouvrages spéciaux, le Pseudo-Galien De Historia philosopha, et Hermias (Gentilium philosophorum irrisio).

Comme je l’ai déjà indiqué, la première compilation a été en partie copiée littéralement sur les Placita du Ps.-Plutarque. La date de cet opuscule est très incertaine ; il semble toutefois qu’on doive la rapprocher de l’an 500 de notre ère. Probablement destiné à l’instruction générale des étudiants en médecine, ce manuel entre, particulièrement sur la logique, dans des développements étrangers aux Placita et il donne aussi un aperçu très bref sur les successions des écoles philosophiques. L’auteur a donc fait des emprunts à une autre source, qu’il est possible de déterminer comme ayant été un manuel stoïcien écrit vers l’an 100 de notre ère, et utilisé également d’une part, par Clément d’Alexandrie, de l’autre, par Sextus Empiricus.

L’écrit que nous possédons sous le nom d’Hermias représente, sous la forme la moins sérieuse, mais en même temps de la façon la plus caractéristique, la polémique chrétienne dirigée contre la philosophie hellène. Le ton de la moquerie est tel qu’on ne peut guère supposer que les adversaires visés soient encore debout ; la date de l’opuscule paraît donc postérieure au Ve siècle et peut-être est-elle beaucoup plus récente. Quant aux sources utilisées, on peut en tout cas reconnaître Justin (Cohort. ad Gentil.), c’est-à-dire indirectement les Placita du Ps.-Plutarque ; mais il y a des traces d’emprunts à quelque autre manuel doxographique et quelques-uns de ces emprunts ne sont pas sans intérêt.

En résumé, l’histoire de la tradition écrite qui nous a transmis les opinions des anciens physiologues, réduit à une seule véritable les très nombreuses sources qui se présentent au premier abord ; cette source unique est d’ailleurs quelque peu sujette à caution, et, d’un autre côté, nous ne pouvons y puiser directement ; il nous faut la reconstituer à l’aide d’éléments impurs. Mais au moins la critique peut s’exercer d’après des principes assurés ; elle marche sur un terrain solide et n’a guère à redouter l’indécision entre deux textes contradictoires. Nous allons voir qu’il n’en est pas malheureusement toujours de même en ce qui concerne la chronologie des physiologues.


  1. Diog. Laërce, V, 46 et 48. — On reconnaît aisément que la liste des écrits de Théophraste que donne cet auteur, est une copie de quatre catalogues de collections différentes, classées par ordre alphabétique, mais où entraient, surtout dans les deux dernières, nombre d’ouvrages faussement attribués à Théophraste, s’ils provenaient sans doute d’anciens péripatéticiens. Les deux recensions de l’ouvrage historique figurent, la plus volumineuse dans le premier (avec l’Abrégé en deux livres), l’autre dans le second catalogue. Le premier indique encore, comme titres analogues (V, 45 et 40) : Sur la nature, trois livres ; Contre les physiciens, un livre ; huit livres de Physique, (φυσικῶν). Ces derniers paraissent avoir correspondu à ceux de la Physique d’Aristote et avoir été abrégés en un seul livre (second catalogue). Quant aux dix livres περὶ φυσικῶν ἱστοριῶν et aux huit περὶ φυσικῶν αἰτιῶν, qu’indiquent les éditions ordinaires, il faut lire φυτικῶν, car il s’agit des livres Sur les plantes, qui subsistent en grande partie. Enfin un livre Sur la nature (V, 50) apparaît encore au milieu des quelques autres qui suivent le quatrième catalogue.
  2. Pages 499 à 527 des Doxographi græci de Diels.
  3. L’ordre des matières régulièrement suivi est : principe, dieu, monde, terre, mer, fleuves, Nil, astres, soleil, lune, voie lactée, étoiles filantes, vent, pluie, grêle, neige, tonnerre, arc-en-ciel, tremblements de terre, animaux.
  4. Cicéron, qui met cette paraphrase dans la bouche d’un épicurien, défigure d’ailleurs singulièrement son tuteur, en exagérant ses dires et en y mêlant des faussetés évidentes, comme s’il voulait le ridiculiser.
  5. L’authenticité de cet ouvrage est au moins douteuse ; il n’en paraît pas moins antérieur au ive siècle.
  6. Ordinairement confondu, sur l’autorité de Suidas, avec Achille Tatius, l’auteur du roman de Leucippe et Clitophon. Le rédacteur de l’ouvrage dont Petau a publié dans son Uranologion les débris qui nous restent, était un grammairien qui semble avoir vécu vers le commencement du iiie siècle. Sa principale source a été un écrit d’un philosophe contemporain d’Auguste, Eudore, qui, lui-même, puisait dans les ouvrages du mathématicien Diodore d’Alexandrie. disciple de Posidonius. De la sorte, ce qui nous reste d’Achille, constitue, sous forme d’une introduction aux Phénomènes d’Aratus, un des spécimens les plus importants que nous ayons de la science stoïcienne.