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L’Âme universelle

Les deux fluides : l’âme, l’électricité. — L’âme, fluide intellectuel. — L’électricité, fluide matériel. — Les deux moteurs du monde.

J’ai, depuis vingt ans, dans des centaines, pour ne pas dire dans des milliers d’articles, démontré péremptoirement que l’électricité, sous ses trois formes de fluide impondérable, de lumière et de chaleur, était l’unique agent de l’univers — chaleur froide et lumière noire dans le vide de l’infini, ne se manifestant qu’au contact de notre atmosphère.

Aujourd’hui, je veux démontrer que l’autre fluide, celui que l’on appelle l’âme, le fluide intellectuel ou intelligence, comme l’on voudra, réside également à l’état général, répandu dans tout l’univers.

Pour bien faire comprendre ma pensée, je dirai : il ne s’agit pas d’admirer l’intelligence des hommes ou des chiens, ou des éléphants, ou des fourmis, mais simplement d’affirmer hautement que cette intelligence est répandue partout à l’état de fluide dans l’univers, tout comme l’électricité, et qu’il suffit de circonstances particulières pour le mettre en évidence et en enregistrer les manifestations.

De même que l’électricité, fluide sous ses deux formes, lumière et chaleur ne se manifeste qu’au contact de notre atmosphère, de même l’âme-fluide, répandue dans le monde, ne se manifeste que lorsqu’elle est entrée dans un corps vivant, lorsqu’elle y réside et qu’elle y est, pour ainsi dire, condensée.

C’est si vrai que non seulement je puis en donner de nombreux exemples, mais encore je me fais fort de provoquer les manifestations extérieures de cette âme-fluide, à volonté, chez des quantités d’êtres qui, jusqu’à ce jour, avaient passés pour en être tout à fait dépourvus.

Deux exemples, entre cent, que je prends dans les journaux du moment, suffiront, je pense, à éclairer ma démonstration :

« Des plaintes nombreuses en escroquerie avaient été déposées à Londres et à Anvers contre une charmeuse de serpents, nommée Zulema Kerdry, qui ces jours-ci était arrivée à Paris où elle était engagée par un impresario.

« Un mandat fut remis à M.  Hamard, sous-chef de la sûreté, qui se rendait chez la charmeuse, dans un hôtel de la rue de Trévise.

Zulema était couchée. Quand M.  Hamard lui fit connaître le but de sa visite, elle siffla doucement et de dessous son traversin sortirent plusieurs serpents d’allures menaçantes.

Elle dit à M.  Hamard :

— « Si vous avancez vous serez mordu, car je lancerai contre vous ces serpents qui n’obéissent qu’à moi. Leur morsure amène une mort immédiate.

« Sans s’émouvoir, le magistrat répondit à la charmeuse que ses menaces ne l’empêcheraient pas d’exécuter cuter son mandat, et qu’en exécutant ses menaces, elle encourait les travaux forcés.

« Zulema se rendit à ce raisonnement et frappa sur un timbre.

« Un domestique parut auquel elle ordonna de renfermer les serpents dans un panier. Quand cette opération fut terminée, elle s’habilla et suivit docilement M.  Hamard qui la fit écrouer au dépôt ».

Voilà donc une femme qui avait su réveiller l’âme universelle endormie dans le corps de ses serpents et l’y condenser, en quelque sorte.

Mais, est-ce que l’exemple des phoques savants si merveilleusement dressés, exhibés récemment sur la scène du Casino de Paris n’est pas encore plus concluant ? Est-ce qu’à sa voix, le dompteur et l’ami de ces bonnes bêtes n’a pas réveillé leur intelligence endormie et n’y a pas condensé merveilleusement le fluide-intelligence ?

Donc, je n’exagère pas en disant que je peux provoquer à volonté les manifestations du fluide-âme tout comme du fluide-électricité ; pour cela, il suffit de me donner un être vivant quel qu’il soit et j’arriverai si bien à faire jaillir, si j’ose m’exprimer ainsi, l’âme universelle, que l’on sera bien obligé de reconnaître que je suis dans la vérité.

Mais, diront peut-être des chercheurs de petites bêtes, c’est le cas de le dire, des esprits chagrins, c’est du pur panthéisme que vous êtes en train de développer là devant nous.

À cela je répondrai :

1o  Que je n’en ai cure ;

2o  Que toute ma vie, j’ai été un admirateur et un amant passionné de la belle, bonne et grande nature, source de toutes poésies, sans savoir si je faisais du panthéisme, oui ou non.

Dans ma jeunesse, très ferré en philosophie, j’ai dévoré et médité Spinoza, Schelling, Hégel, et j’avoue que je n’ai jamais rien compris à toutes leurs conceptions de panthéisme matérialiste ou idéaliste. Tout en Dieu ou Dieu en tout me semblent des formules également vides. Ces hommes n’ont jamais été que des rêveurs, ils n’ont jamais tenu compte des réalités tangibles que, seule, la science expérimentale peut nous révéler petit à petit.

Donc, que je fasse du panthéisme ou non, je m’en moque, ce que je sais bien, c’est que l’électricité est l’unique moteur de l’univers, sous ses trois formes : fluide, chaleur et lumière. Ce que je sais bien encore, c’est que je puis provoquer à volonté les manifestations du fluide-âme ou intelligence, comme vous voudrez, chez les êtres les plus obscurs, et cela me suffit, car je crois que cette double constatation sera très féconde au point de vue du développement futur de toutes les sciences, quelles qu’elles soient, purement expérimentales ou même morales, suivant l’acception fausse que l’on donne à ce qualificatif.

Tout doit être en effet rationnel, expérimental et démontré dans l’ordre scientifique.

Maintenant, des gens de très bonne foi, et qui suivent mes travaux avec trop de bienveillance, me disent :

— Vous êtes arrivé à cette conclusion que l’on peut condenser et réveiller le fluide-intelligence, l’âme universelle, à volonté chez l’être vivant, dans la faune, c’est parfait ; cependant vous ne croyez pas vous-même au principe de vie chez les infiniment petits ; vous n’y voyez que des combinaisons chimiques, rentrant dans le domaine de l’électricité-chaleur — comment arrangez-vous cela ?

— Je n’arrange pas, je constate, voilà tout, avant de tout expliquer.

— N’avez-vous pas cherché à provoquer des manifestations extérieures de l’âme universelle, du fluide-intelligence chez la flore et dans le monde géologique ou minéralogique ?

— Non, car je ne crois pas aux chimères.

— Cependant les arbres, les plantes cherchent la lumière et semblent aimer le soleil ; qui nous dit qu’elles ne souffrent pas et ne pensent pas comme nous, seulement d’une façon plus obscure.

— Je ne le pense pas et, à vrai dire, je n’en sais rien. Quant à chercher la lumière, le jour, ça rentre dans les phénomènes ordinaires de l’électricité-lumière et chaleur.

Pour aujourd’hui, je crois avoir assez nettement expliqué ce qu’était le fluide électricité-chaleur-lumière, unique moteur de l’univers et le fluide-âme, moteur de tous les actes des êtres animés. Je m’en tiens là.

Que si les infiniment petits participent des deux, ce que je ne suis pas loin de croire, c’est possible, mais nous le verrons plus tard, si les découvertes de la science nous le permettent. Jusque-là, réservons nos conclusions à propos du rôle des deux fluides chez les microbes.