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Prononciation antique

I

Comment se prononçait l’u chez les égyptiens. — L’ou, vieux comme le monde. — Comment les pyramides m’en ont fourni une preuve irréfutable.

J’étais encore bien jeune lorsque le comte de Pistois, vieil ami de Balzac, d’Hetzel, du comte de Grammont et de tout le mouvement républicain d’alors, sous l’Empire, vint un jour présenter à mon père le marquis de la Lance qui venait de publier un gros volume, tiré seulement à 60 exemplaires et intitulé : Mes Petits Papiers.

Comme le marquis de Belloy, comme les autres secrétaires de Balzac que mon père connaissait, que sont devenus ces écrivains ? Je l’ignore. Tous morts sans doute, tant une période de trente-cinq à quarante ans est tout à la fois courte et longue en ce bas monde !

Toujours est-il que tout enfant encore, je lus avec un vif intérêt les différents chapitres, écrits un peu à bâtons rompus, de Mes Petits Papiers et qu’il y en eut un surtout qui frappa beaucoup mon esprit chercheur, avide d’apprendre, comme on peut l’être autour de la dixième année et lorsque l’on est élevé dans un milieu purement intellectuel.

Comment l’on prononçait lu dans l’antiquité, en admettant même qu’il existât ? Sur ce thème passionnant pour un philologue, le marquis de la Lance avait écrit une petite étude des plus substantielles et, sans s’embarrasser de savoir si l’u existait vraiment ou non, après avoir rappelé comment il n’avait été introduit officiellement dans la typographie qu’en 1629 par Zeitner, imprimeur à Strasbourg, il examinait le vieux V voyelle et le vieux V consonne de notre moyen âge et de l’antiquité et il concluait hardiment que l’antiquité n’avait jamais connu que la prononciation OU et que l’U était par conséquent bien récent et ne remontait, en effet, qu’au commencement du XVIIe siècle.

Si certains prétendent que les Grecs prononçaient leur upsilon I, notre Y — l’i grec — beaucoup pensent qu’ils prononçaient ou, comme les Latins. D’ailleurs les Allemands prononcent ou, les Anglais ou et iou, il semblait donc bien entendu que l’u était une invention bien moderne et bien française.

J’avoue que tout cela m’avait paru curieux et concluant et lorsque, plus tard, par moi-même, j’avais pu constater que l’ou existait bien dans tous les pays scandinaves, que l’on n’y prononçait jamais autrement le latin et qu’une étude approfondie m’avait révélé que l’ou était bien la seule prononciation latine, dès la loi des douze tables, la cause m’avait parue absolument entendue.

Cependant, j’étais toujours friand, à l’occasion, d’appuyer mes convictions sur de nouvelles preuves ; mais le courant de la vie m’emportait et je ne pensais plus que de loin en loin à la question, lorsqu’il me fut tout à coup donné, il y a quelques années seulement, de la résoudre d’une façon absolument concluante et définitive.

L’événement est tellement inattendu et extraordinaire, par certains côtés, que c’est lui que j’ai résolu de conter, en quelques mots, dans le présent chapitre.

Quoique trop dramatique au point de vue politique, mon voyage en Algérie m’avait donné le désir de passer un jour en Égypte. Je pus enfin le réaliser et le souvenir, toujours vivace, de mon cousin Alphonse Hardon, le grand ingénieur qui fit réellement le canal de Suez, sous les ordres de Lesseps, me fit recevoir à bras ouverts et ouvrir aussi toutes les portes, même les plus fermées, mêmes celles des grandes pyramides.

Avec une grande bonté, le Khédive me conseilla de m’habiller en arabe pour ne pas éveiller les susceptibilités toujours un peu fanatiques des habitants, il me fit donner une escorte sûre, prise parmi ses propres serviteurs et c’est ainsi que j’eus la faveur, unique au monde, non seulement de monter sur les grandes pyramides, mais encore de visiter en détail tout l’intérieur, jusqu’aux profondeurs les plus insensées de celle de Chéops.

C’est là où je retrouvai sur la poussière du sol, des empreintes de pieds d’hommes qui avaient plusieurs milliers d’années et que je pus recueillir assez de grains de blé, remontant aux antiques rois de Memphis, pour en ensemencer tout un petit champ et manger de l’excellent pain l’année suivante. Mon seul regret fut de n’avoir pas pu le manger avec la viande archi-millénaire des mammonths, sur les côtes de Sibérie, comme je l’ai raconté dans un autre chapitre.

Mais bientôt une autre découverte, beaucoup plus extraordinaire encore, allait me combler de joie et vraiment en la contant ici, je me souviens, comme si j’y étais, de l’émotion folle qu’elle me causa sur le moment.

Par une foule de chemins tortueux, bizarres, rapides, qui nous forçaient d’en dresser le plan, au fur et à mesure que nous avancions dans le ventre du monstre mégalithique, pour ne pas nous perdre à jamais, manquant d’air, étouffant, mal éclairés, nous étions descendus beaucoup plus bas que le niveau même du sol, dans cette grandes pyramide de Chéops et mes compagnons, visiblement fatigués, comme moi d’ailleurs, commençaient à manifester des sentiments de terreur, malgré les ordres formel du Khédive, de me protéger et de me suivre n’importe où, même au sein des enfers.

Enfin nous arrivâmes au fond d’une petite pièce circulaire, en forme de cloche à fromage et devant nous, à nos pieds, sur de légers socles de porphyre, quatre sarcophages : ceux de deux grandes personnes et de deux petits enfants d’une dizaine d’années, à n’en pas douter.

Je n’insisterai pas sur les précautions religieuses avec lesquelles j’ouvris les deux grands d’abord qui renfermaient l’un une momie d’homme et l’autre une momie de femme que je reconnus de suite pour un roi et une reine, aux attributs peints et admirablement conservés sur les sarcophages.

Quand j’ouvris les deux petits, avec plus d’émotion encore, je me trouvai en face de deux superbes momies de jeunes fillettes d’une dizaine d’années — les enfants du couple royal — tenant dans les bras… quoi ? Je vous le donne en mille… chacune une superbe poupée égyptienne, bien habillée et avec des étoffes sans doute très passées, sans jeu de mot, comme leurs petites maîtresses, mais encore intactes.

C’était la première fois que l’on faisait une semblable découverte dans les tombeaux Égyptiens ; les larmes me coulaient silencieusement sur les joues, des larmes de joie et de stupéfaction et, en vérité, les hommes de mon escorte étaient aussi troublés que moi.

J’étais là, bête, anéanti, n’osant violer cette jeunesse interrompue par la mort depuis des milliers d’années, cette enfance que je retrouvais figée dans ses jeux hiératiques ! C’était fou et sublime et ces deux momies de fillettes m’en imposaient plus que celles de leurs parents, parce que, même vue ainsi, à travers la nuit profonde du temps et de l’espace, la mort de l’enfant est toujours infiniment impressionnante.

Combien restai-je ainsi ? je n’en sais rien, mes hommes n’avaient plus peur, parce que, petit à petit, ils avaient deviné une partie des sentiments tout à la fois tumultueux et supérieurs qui s’étaient emparé de mon âme et que, dans une certaine mesure, dans la mesure de leur culture intellectuelle restreinte, ils les partageaient, tant la grandeur des circonstances élève les hommes !

Pour moi, je ne ressentais plus l’étouffement, ni la chaleur intense, j’étais dominé par un monde de pensées qui s’entrechoquaient en foule, à la fois dans mon cerveau et je ne me doutais guère qu’ainsi anéanti devant les sarcophages de ces deux petites reines, tenant dans leurs bras momifiés leur chère poupée, je me trouvais au seuil de l’une des plus curieuses découvertes de la philologie, à la fin du siècle dernier !…