Précoce/2

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PrécoceÉditions modernes (p. 29-42).
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II


Jeanne avait rejoint Maurice sur le bord du lac. Ils s’embrassèrent aux lèvres… longuement. La jolie blonde adorait ces caresses, et se collant contre son fiancé, elle se rendait vite un compte exact de la valeur de son sex-appeal.

Insister eut été malséant. Jeanne dûment fixée, s’empara du bras de son fiancé et l’entraîna :

— Viens, on va faire du footing !

Il la suivit docilement, un peu congestionné, mais amusé par sa gaieté vivante. Auprès d’elle, il se sentait heureux, parce que déjà leur vie était commune. Ils avaient les mêmes soucis, les mêmes espoirs. À elle, il avouait paisiblement ses ennuis, tout ce qu’il cachait aux autres, sachant avoir en la compagne une amie et un soutien moral. Ensuite, ils avaient parlé de l’amour et l’avaient assimilé à une très grande camaraderie.

Elle était restée vierge. Elle ne voulait pas d’une chute bête et sans saveur. Pour lui, elle se réservait vierge de corps, estimant que le mariage devait se sceller réellement par le baiser. Mais à part cela, tout ce qu’elle avait pu lui donner d’elle, elle l’avait généreusement offert. Sur sa poitrine dénudée, il avait posé des baisers fous. Ses mains fiévreuses s’étaient égarées parmi un dessous sobre mais soyeux. Elle l’avait laissé faire, heureuse de ce contact caressant, s’abandonnant déjà… son corps était pour lui, au lieu de se dérober, elle s’offrait, les yeux déjà révulsés.


 

Elle lui parla de sa rencontre :

— J’ai vu Marceline Marcieux en venant.

— Ah ! Elle se marie le même jour que nous, je crois…

— Oui, et elle connaît à peine son fiancé…

Il rit, son scepticisme amusé par cette affirmation :

— Elle connaîtra mieux son premier amant…

— Pourquoi dis-tu cela ?

— Parce que c’est logique. Manquant de confiance auprès du premier homme qui l’aura eue, elle conservera vis-à-vis de lui toujours une crainte instinctive. La crainte de la femelle prise par le mâle. Jamais plus il n’y aura abandon complet. Le mari éveillera les sens, ce sera l’amant qui les apaisera.

— C’est du pallas, pauvre cher, tu bafouilles !

— Mais non… c’est la réalité.

— Et moi, alors ?

— Ce n’est pas la même chose… ma chérie à moi ; ton corps, ton joli corps, je le connais… sur le bout du doigt… tu me l’as donné, je l’ai parcouru de baisers fous, tu es prête pour la grande initiation, tu ne la retardes que pour mieux la savourer… tu seras consentante, désireuse, tout ton corps s’offrira, prêt à souffrir d’abord, pour éprouver ensuite la grande secousse, celle qui te donnera à moi pour toujours. Pourquoi considérer cette jouissance comme quelque chose de défendu, de dérobé ? Notre amour peut s’afficher en plein jour, il est légal, il est humain !

— Alors, chéri, quand je serai bien savante, j’en instruirai d’autres ?

— Brantôme le prétend, cependant je ne le crois pas. Le désir charnel n’est pas une matière extensible. En face de l’apaisement sensuel d’une femme, les séductions perdent leur latin… C’est une question de tempérament, il n’y a pas de règles générales… c’est l’homme qui doit chercher, trouver, réussir à calmer les émois charnels de la femme, ce n’est pas toujours commode, mais c’est fort possible.

— C’est de la fatuité, maintenant… tu prétends m’apaiser ?

— Très simplement…

Il sourit :

— Et moi aussi… ce n’est pas de la philanthropie pure… il y a aussi un peu d’égoïsme.

Il l’embrassa sur les lèvres, elle se colla contre lui et ricana :

— L’apaisement mutuel devient urgent !

— Cela ne tardera pas, heureusement.

— En y mettant chacun du sien.

— Comme tu dis… on fera ce qu’il faut… longuement. Mais cela ne peut s’obtenir que lorsqu’on s’aime sincèrement, sans égoïsme et sans fausse honte.

— Amen !

Ils rirent.

Très énervés, ils allèrent côte à côte à la recherche d’allées désertes pour pouvoir s’embrasser, se palper… la face congestionnée, mais l’esprit libre, le cœur en paix.


 

Marceline, à la hâte, avait regagné le toit maternel. Après s’être débarrassé du chapeau et du manteau dont la simplicité la chagrinait toujours, elle pénétra au salon.

Sa mère lisait. À son entrée, elle leva les yeux :

— Comme tu as tardé, petite !

— J’ai rencontré Jeanne Deville.

La vieille dame fronça les sourcils :

— Je n’aime pas beaucoup que tu fréquentes cette écervelée.

Line baissa les paupières ; elle n’avait pas l’habitude de discuter et gardait pour elle toutes les réflexions personnelles qui s’amassaient lentement au fond de son cœur. Ne pouvant se confier, elle pensait beaucoup, son imagination possédait une activité excessive qui agrandissait les images riantes de ses désirs.

Cette fois encore elle se tut, n’osant dire combien la conversation de son amie l’avait troublée. Elle prit un ouvrage de couture et, tandis que ses doigts travaillaient, machinalement, elle rêva. Une impatience la torturait : René, son fiancé, devait venir, il dînerait en famille. Elle avait hâte qu’il fût là. Pour elle, il représentait l’homme, celui qui procure les plaisirs mystérieux. Ce n’était pas René qu’elle aimait, c’était elle-même, et lui ne restait que l’outil de sa propre satisfaction. Il devait l’apaiser, la rendre heureuse, rendre sa chair heureuse… Évidemment, il serait un mari présentable, elle croyait donc ne pas devoir souhaiter autre chose. De l’intimité future, elle ne s’inquiétait pas, parce qu’elle avait assez l’habitude de la sournoiserie pour échapper à la tutelle de quiconque et son instinct féminin lui indiquait que l’époux serait encore plus aisé à duper que sa mère.

L’après-midi fut longue, monotone ; mais, à six heures, le père rentra en compagnie du fiancé. Elle rougit en voyant ce dernier et lui sourit. Elle le regarda mieux et constata qu’il était beau, que son manteau était élégant. Elle ne lui en demandait pas davantage, pensant qu’il lui ferait honneur et que ses amies le lui envieraient.

Il fut aimable, sans plus, gêné par la présence des parents qui arrêtaient l’expansion de la jeune fille, paralysant sa propre audace. Naïf, il ne s’inquiétait pas de la jeune fille, se persuadant qu’il formerait la femme sans difficulté.

Le père seul avait quelque gaieté, émaillant la conversation de sous-entendus égrillards que tous saisissaient sauf Marceline. Mais, comme elle voyait rire, elle percevait le sens caché et tremblait, voyant une obscénité où il n’y avait que gaillardise.

Elle se figurait en même temps que l’odeur de la chair, qui se prêtait à ces grivoiseries, devait être composée de mille perversités délicieuses.

Et le soir, dans sa chambre, elle relut un livre d’amour qui lui procura des rêves précieux où René et elle jouaient des rôles assez divers, plutôt compliqués :

La bouche de son fiancé s’écrasait sur la sienne, sa main soulevait le vêtement de nuit, cherchait à se fixer… cherchait… trouvait enfin et, crispée, s’arrêtait, se fixait… prenant possession. Son désir exacerbé lui faisait perdre alors toute pudeur, elle s’offrait, son ventre se tendait, et dans un souffle elle murmurait :

— Prends moi !

D’un bond, il la portait sur le lit. Un instant, il s’égare… Elle tremblait de désirs… il ne savait pas… il était inexpérimenté… il cherchait… ne trouvait pas… hésitait… lui faisait mal. Alors elle, la vierge, le guidait, l’assistait…

Et elle s’éveillait, brisée… en sueur, mais heureuse, tant !

Mais était-ce ainsi que les choses se passaient ? Elle savait bien que les enfants ne venaient pas dans les choux, mais elle ne possédait pas une précision absolue.

En un mot, elle espérait un bonheur surhumain, des plaisirs délicats, des sensations profondes, et surtout prolongées… renouvelées encore… toujours. Et tout cela ne pouvait pas se produire, parce que dans notre faible nature, la faculté de sentir est limitée à l’extrême. Le choc médullaire dure quarante secondes au maximum et c’est là tout ce qui résulte d’heures, de mois, d’années de désirs.

Elle aspirait donc, de toute la violence de son jeune sang, à l’instant ineffable où elle goûterait à ces joies délicates, se préparant à en savourer toutes les délices en de longs moments d’extase. Rien d’autre ne l’attirait, parce que tout le reste, elle le connaissait. La vie quotidienne ! Elle savait d’avance ce qu’elle serait ; en ayant l’exemple devant elle, dans sa famille même.

Mais le mystère de la chambre à coucher dont elle ignorait, Croyait-elle, bien des détails, la troublait profondément parce qu’elle se torturait le cerveau de suppositions absurdes.