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VII
Chez Jeanne, la vie continuait paisible et régulière. En réalité, Maurice pensait peu à Marceline, se trouvant heureux et satisfait auprès de sa femme qui, tous les matins, après une nuit très active, le laissait sans désirs et les jambes un peu molles.
En réalité, il ne désirait pas Line, et s’il répondait à ses avances c’était plutôt par orgueil.
Jeanne, de son côté, n’avait rien remarqué, son amie ayant assez d’hypocrisie pour se cacher d’elle, elle avait l’habitude de dérober ses pensées les plus secrètes à sa mère, il ne lui était donc guère difficile de tromper une étrangère prévenue à l’avance en sa faveur.
Cependant, Line retourna la voir et s’arrangea de façon à rencontrer Maurice. Puis, un dimanche, elle les invita à son tour. La semaine entière elle fut nerveuse, à la seule pensée de cette longue après-midi à passer auprès de celui dont elle avait fait son idole. Rien de définitif n’avait été échangé entre eux… pas de précisions, de rendez-vous fixe, rien de pratique en somme… ce qui n’empêchait pas la jeune femme d’avoir la chair en émoi.
Le grand jour arriva enfin. Le matin, elle fut debout à la première heure, afin de surveiller les domestiques dans leurs préparatifs. Elle voulait que cette petite fête fut d’une intimité élégante et chaude. Son mari la plaisanta sur ses soucis de maîtresse de maison. Elle haussa dédaigneusement les épaules et le jugea honteusement prosaïque. Ses efforts, Croyait-elle, avaient une raison plus haute, un but plus tendre.
C’était tout son amour exalté qu’elle voulait faire percevoir à l’ami, à travers les mille attentions charmantes qu’elle préparait. En vérité, il ne verrait rien de tout cela parce que l’homme rarement est touché par ces moyens détournés, sa psychologie reste toujours plus superficielle, plus physique, si l’on peut dire. Mais elle n’avait jamais pu étudier l’homme et lui croyait de ces attendrissements puérils auxquels sa féminité s’arrêtait doucement.
Maurice et Jeanne se présentèrent joyeux comme de coutume, avec, épandue sur toute leur personne, cette nonchalance rieuse, fruit de leur bonne entente et de la sécurité de leur existence.
René fut heureux de les voir et trouva la jeune femme plus jolie encore, la comparant mentalement à la compagne dont le caractère s’aigrissait chaque jour davantage.
Marceline eut avec Maurice un serrement de mains prolongé qui fit battre follement son pauvre cœur malade, et elle ne douta plus d’être aimée parce qu’elle le souhaitait.
Le déjeuner fut gai grâce à l’entrain de Jeanne ; les deux hommes y répondirent aisément, mais Line conservait une attitude soucieuse, ayant au fond d’elle-même une angoisse étrange faite d’espérance et de crainte. Elle se disait que cette journée ne se terminerait point sans apporter une décision définitive et l’idée de la faute commençait à la troubler.
Au salon, après le café, Jeanne s’installa au piano, et René, galant, se précipita auprès d’elle pour lui tourner les pages d’une partition qu’elle connaissait par cœur. Maurice n’avait aucune jalousie, possédant en sa femme une confiance tranquille qui chassait de son esprit même la pensée de la chute possible. En revanche, il était content d’être débarrassé de la présence du mari, afin de pouvoir à son aise flirter en compagnie de Line. Il ne souhaitait rien d’autre que ce flirt aimable et amusant, mais Marceline avait de plus douces espérances. La passion la tenaillait, son imagination n’ayant jamais connu de frein exaltait ce désir physique et trouble qui s’enfonçait en elle lentement.
Auprès du jeune homme, elle fut timide comme une vierge, elle eut des rougeurs subites, parce que dans son esprit passaient des suppositions scabreuses. Il fut étonné de cette attitude et, désireux de la tranquilliser, se fit plus doux, plus tendre. Il obtint ainsi le résultat contraire, elle vit dans cette manière d’agir une preuve indubitable d’amour et, ne sachant encore rien de la vie, s’abandonna brusquement à l’affolement de sa passion. Ne voyant plus rien que l’aimé, elle se laissa aller contre lui, sa joue toucha son épaule et le sourire de ses lèvres rouges était, à lui seul, une offre de son corps. Mis ainsi au pied du mur, il n’osa plus reculer, quoi qu’il reconnût soudain ne pas énormément désirer la jeune femme. Mais il devait à sa qualité de mâle de répondre à ses avances impératives. Il prit la main de Line et la pressa amoureusement. Ils se rapprochèrent, prêts l’un et l’autre aux défaillances suprêmes.
Jeanne plaqua quelques accords et cessa de jouer. Elle avait vu le geste, et un sourire moqueur avait glissé sur ses lèvres. Pourtant, elle se refusa à s’attarder longtemps chez l’amie perfide, et bientôt elle trouva un prétexte pour entraîner Maurice.
Seule, Marceline se sentit folle d’une joie désordonnée, elle se jurait qu’elle aimait et qu’elle était aimée. Elle ne remarqua pas qu’il n’y avait en elle aucune impatience, et son cœur, malgré son exaltation, se contentait de ce demi-bonheur.
Dehors, Jeanne ne fit à son mari aucune scène. Elle lui dit seulement qu’elle avait surpris le rapprochement languide qui indiquait assez le genre de leurs sentiments.
Franchement, elle demanda :
— Où veux-tu en venir ? Ne vois-tu pas que c’est une petite bécasse qui se lance les yeux fermés dans la première intrigue qui se présente. Ne te rends-tu pas compte que tu brises son ménage et sans doute aussi le nôtre, parce qu’il y aura quelque chose de changé entre nous ?
Il haussa les épaules :
— Que faire ? Je ne puis pourtant jouer le rôle d’un Joseph pudibond ?
Elle éclata de rire :
— Ô vanité masculine ! Laisse-moi agir et ton orgueil sera sauf.
Le lendemain, Line, effondrée dans un fauteuil, lisait le billet suivant :
Tu es certainement une petite bête et je te vois courir gaiement à ta perte, je préfère cependant que tu exerces tes talents de séduction auprès d’un autre que mon mari. Tu ne t’étonneras donc pas de ne plus nous revoir. Inutile d’ajouter que j’ai surpris hier ton manège vis-à-vis de Maurice. Crois-moi, le plus paisible des époux vaut mieux que l’amant le plus troublant.
À toi quand même,