Préface du supplément à L'Illustration du 10 février 1912

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Les deux nouvelles du célèbre écrivain américain Jack London, l’Amour de la vie et la Foi des hommes, sont, en leur brièveté, parmi les œuvres les plus achevées qu’il ait produites, les plus caractéristiques aussi de son singulier talent. C’est à dessein qu’elles ont été réunies ici : le sujet de chacune d’elles est emprunté à la vie rude des chercheurs d’or qui vont tenter la fortune dans le lointain Klondyke. Et toutes deux, si courtes soient-elles, donnent, de l’art sobre et puissant de Jack London, l’idée la plus exacte et la plus complète. Ces quelques pages, extraites d’une œuvre littéraire déjà considérable, suffiraient presque à mettre en lumière ce qui fait l’originalité de ce conteur : un sentiment très personnel de la nature, qu’il sait peindre avec vigueur, avec passion, le goût et la compréhension des êtres simples et candides, dominés par l’instinct, unis, par une étroite communion, à la terre farouche.

Une existence mouvementée, aventureuse, n’a pas peu contribué à développer en Jack London cette sensibilité si particulière, qui l’a fait justement comparer au romancier de la Jungle, Rudyard Kipling. Pris, très jeune, par une sorte de fièvre de voyages, il a parcouru, à pied, les États-Unis et le Canada, et accompagné la première caravane de mineurs au Klondyke. Marin, il a chassé le phoque dans la mer de Behring et entrepris, en 1906, à bord d’un petit yacht, une croisière de plusieurs années dans le Pacifique, au cours de laquelle il a visité les îles Sandwich, Tahiti, les îles Marquises, les îles Salomon, l’Australie. Journaliste, il a suivi, en 1904, la campagne de Mandchourie comme correspondant d’un journal américain. L’homme qui réunit tant d’activités diverses a trouvé le temps d’écrire une vingtaine de livres, qui ont atteint, dans le Nouveau Monde, des tirages inconnus dans l’Ancien, et dont le plus célèbre est l’Appel de la Forêt (The Call of the Wild), récemment traduit en français. Il est, à trente-six ans, l’un des premiers et l’un des plus féconds littérateurs des États-Unis.

La traduction de l’Amour de la vie est due à M.  Paul Wenz, celle de la Foi des hommes à M.  Georges Dupuy. L’un et l’autre étaient particulièrement préparés, par une commune affinité de tempérament avec Jack London, pour rendre fidèlement toute la couleur et toute la saveur du texte anglais. Paul Wenz, dont nos lecteurs ont déjà pu apprécier le talent, pour avoir lu, ici même, plusieurs nouvelles publiées sous le pseudonyme de Paul Warrego, a fait paraître, depuis, deux volumes de contes : À l’autre bout du monde et Sous la croix du Sud. En des récits dramatiques, qui ont le relief intense de la vie, il a évoqué pittoresquement les mœurs du bush australien, qu’il connaît, mieux que personne, par expérience. Il possède, en effet, en Australie, un vaste domaine, dont il dirige l’exploitation ; et c’est ainsi qu’il eut, en novembre 1908, l’occasion de rencontrer, à Sydney, Jack London, et de lier amitié avec lui.

Georges Dupuy, qu’une mort prématurée a emporté au mois de décembre dernier, était de la race de ces journalistes entreprenants que tentent les reportages lointains. Il se trouvait, dans l’hiver de 1899-1900, au Klondyke, en même temps que Jack London ; il le revit, quelques années plus tard, au cours d’un second voyage dans les régions arctiques. Il s’était attaché à l’étude des mœurs américaines, sur lesquelles il a laissé deux livres curieux : Vieilles Figures du Nouveau Monde et Heures du Grand Nord.