Principes de la science sociale/51

La bibliothèque libre.
Traduction par Saint-Germain Leduc et Aug. Planche.
Librairie de Guillaumin et Cie (Tome 3p. 387-402).


CHAPITRE LI.

CONTINUATION DU MÊME SUJET.


Des relations de la famille.

§ 1. — Relations de famille. Faiblesse des liens de famille dans le premier âge de société. Responsabilité, à la fois chez le père et le fils, croit en raison que croit la diversité d’emplois — avec la division de la terre — et le rapprochement des consommateurs et des producteurs.

Le misérable sauvage, — esclave qu’il est de la nature, et limité au seul travail d’appropriation, ne voit dans l’enfant qui lui naît qu’on surcroît à ses charges ; et n’était l’affection maternelle, peu d’enfants, surtout du sexe faible, vivraient même pour un jour. Le fils, arrivé à l’âge mûr, ne voit dans son père qu’un concurrent pour la subsistance, qui est rare. — Le fléau de l’excès de population se présente ainsi déjà de lui-même, et sous sa forme la plus maligne, — alors qu’il y a plus de terre vacante, et que la population est le moins considérable.

L’homme civilisé, maître de la nature, se réjouit à chaque augmentation de la petite famille qui l’entoure. Cultivant les sols riches, et trouvant dans des marchés voisins une demande pour tous ses produits divers, sa terre et son travail gagnent en valeur de jour en jour, tandis que diminue la valeur des utilités dont il a besoin pour sa femme, ses enfants et lui-même. Son loisir augmentant à chaque pas dans cette voie, il peut apporter une attention plus suivie à étudier le caractère de ses enfants et à former leur esprit ; — il les prépare ainsi à devenir des fils tendres et respectueux et des citoyens utiles. — Il s’entend avec ses voisins et aide à fonder des écoles et des collèges, — préférant le bonheur et la prospérité des générations futures à ses appétits actuels. — Le fils, à son tour, désire être en aide à son vieux père. — Il acquitte les dettes contractées dans le jeune âge, et respecte les droits de ses parents, comme ses propres droits ont été respectés.

De tous les êtres, il n’en est pas de plus faible que l’homme dans l’enfance ; — il n’en est point dont les facultés soient si lentes à entrer en action. De tous les êtres, c’est l’homme âgé qui a le plus besoin de s’associer avec son fils, — car il n’en est point dont le déclin des facultés précède de si loin la mort. De tous les êtres, c’est l’animal humain qui dépend le plus de l’entretien de ce commerce entre le père et ses enfants, commerce au moyen duquel ceux-ci sont mis à même de devenir plus tard l’homme véritable, maître de la nature, et de servir de bouclier et de protecteurs à ceux à qui ils ont dû le jour.

Comment le développement du pouvoir de combinaison conduit à ce but, ainsi qu’à chaque autre but utile, on le voit très-bien dans le diagramme que nous avons présenté si souvent, et auquel nous renvoyons encore le lecteur. Sur la gauche, il trouve la condition de société qui occupe le bas de l’échelle ; — la relation de père à fils y diffère à peine de celle qui existe chez les animaux inférieurs. Poussant vers l’est, il rencontre d’abord une population éparse, ayant peu de loisir à donner à l’instruction, et encore moins la facilité d’entretenir des écoles et des précepteurs. À mesure que nous avançons, nous voyons qu’augmente le pouvoir d’obtenir ces deux objets, jusqu’à ce qu’enfin, arrivant au Massachusetts, nous trouvons une communauté chez laquelle le devoir de développer l’intelligence de l’enfant, et de le mettre à même d’entretenir commerce avec ses semblables, a été proclamé de bonne heure et s’accomplit aujourd’hui plus parfaitement que dans aucun autre pays de la terre.

À gauche, la terre reste non divisée, les hommes vivent en exerçant leur pouvoir d’appropriation, et rien que ces pouvoirs ; le pouvoir d’association n’existe pas ; la production est faible ; le fléau d’excès de population est toujours là ; père et fils sont ennemis. À droite, la terre est divisée ; le pouvoir de coopération est considérable ; la production est abondante, la valeur de l’homme augmente ; l’agriculture tend à devenir une science ; le commerce au dedans et au dehors de la famille gagne en rapidité d’année en année. Regardez n’importe où, tous trouverez qu’autant que les productions se sont diversifiées, — que la matière a été plus utilisée, — il y a eu rapprochement entre les prix des denrées premières et utilités achevées, — la valeur de l’homme et de la terre s’est élevée, — le commerce de la famille devient plus intime ; — parents et enfants comprenant de mieux en mieux le sentiment de responsabilité des uns envers les autres, et la sainteté du foyer est de plus en plus appréciée[1].

§ 2. — Éducation dans le centre et le nord de l’Europe. Développement du sentiment de responsabilité au sujet de l’éducation de la jeunesse, tel qu’il se manifeste dans ces pays où les emplois vont s6 diversifiant de plus en plus.

Parmi les nations de l’Europe, une partie, nous le savons, par l’enseignement de Colbert, — cherche à placer le consommateur à côté du producteur, et soulage ainsi le fermier de la taxe écrasante du transport. En tête d’elles, marche la France. C’est que nous allons rechercher d’abord à quel point la politique favorable d’association a conduit à ce que se manifestât le sentiment de responsabilité en ce qui concerne le développement des intelligences.

Toujours en guerre à l’extérieur et chez elle, cette nation, pendant une longue suite de siècles, a tendu à la consolidation de la guerre, la centralisation de pouvoir dans les mains de la noblesse et du clergé et l’asservissement du peuple. Les famines et les pestes venant sans cesse, on regardait généralement les enfants comme un embarras, et bien peu arrivaient à l’âge d’hommes. L’adoption définitive de la politique de Colbert opéra un changement ; — la terre se divisa graduellement, et le sentiment de responsabilité se manifesta enfin de lui-même dans un article de la Constitution de 1791, déclarant qu’il serait organisé un système d’instruction commune pour tous, « et gratuite en tout ce qui concernait cette instruction qui était indispensable à tous. » — Les guerres et les destructions qui se succédèrent ne permirent pas de progresser dans cette voie. Aussi voyons-nous, qu’à une date assez récente, sur tous les jeunes hommes appelés à tirer à la conscription, plus de la moitié ne savaient ni lire ni écrire, et sur le reste on comptait 10 % qui ne savaient pas même lire. M. Dupin écrivait à cette époque, qu’à l’exception de la péninsule espagnole, des provinces turques, du sud de l’Italie, des ruines de la Grèce et des steppes de la Russie, il n’était pas de pays en Europe où l’éducation fût plus arriérée qu’en France[2]. Encore, en 1836, il y avait des cantons entiers, comprenant quinze ou vingt communes, qui étaient tout à fait dépourvus d’écoles ; et le royaume comptait sur 23 millions d’adultes, plus de 14 millions ne sachant ni lire ni écrire. Cependant il s’est opéré depuis lors un notable désengagement. — La loi de 1833 a pourvu, non-seulement à l’instruction gratuite dans les écoles primaires, mais aussi à un système d’instruction secondaire calculé pour former la jeunesse à certaines professions et à l’agriculture savante. En 1830, les écoles primaires étaient fréquentées par un million d’enfants ; en 1850 le chiffre était de 3.784.797, — étant presque quadruplé dans le court espace de vingt ans. Dans la même période, on a développé de plus en plus l’instruction supérieure ; — on a dépensé pour cela plus de 27 millions de francs en six années.

Au Danemark, où il n’y a encore que soixante-dix ans, le paysan pouvait être fouetté et emprisonné selon le bon plaisir du seigneur, nous trouvons les écoles fréquentées par un quart de la population ; et, de plus, on trouve des bibliothèques publiques et circulantes, des musées et des journaux dans les grandes villes, des établissements d’éducation et d’autres signes de goûts intellectuels dans les petites, — tous les centres locaux d’activité industrielle fournissant des applications professionnelles de l’intelligence développée dans les écoles[3].

En Suède, le chiffre des enfants fréquentant les écoles équivaut au sixième de la population. Il est rare de rencontrer quelqu’un qui ne sache ni lire ni écrire[4].

En Belgique, en 1830, le chiffre des enfants fréquentant les écoles primaires était de 293.000. En 1840, il montait à 462.000. Il était à celui de la population un peu plus que dans le rapport de 1 à 9. Aujourd’hui le rapport est de 1 à 8.

Dans le nord de l’Allemagne, tout enfant, depuis les vingt ou trente dernières années, a reçu une bonne éducation. « Depuis quatre ans, dit M. Kay, qui écrivait en 1850, le gouvernement prussien a fait une enquête générale dans tout le royaume pour constater le développement de l’éducation populaire. Sur toute la partie de la population ayant atteint l’âge de vingt et un ans, on n’a trouvé que le 2 p. % qui ne sût pas lire. Le fait m’a été communiqué par l’inspecteur général du royaume, »

Plus loin il dit : « La classe pauvre de ces pays lit beaucoup plus que la classe de nos pays qui sait et pourrait lire. Il est d’habitude générale en Allemagne et en Suisse, que quatre ou cinq familles ouvrières prennent ensemble un abonnement à une ou deux de ces publications qui paraissent une ou deux fois par semaine.

« Dans les villes, continue-t-il, où les classes les plus pauvres ont encore plus d’intelligence que celles de la campagne, le pauvre se procure des livres aussi facilement que des journaux. La classe pauvre des villes d’Allemagne et de Suisse lit donc beaucoup. Des oreilles anglaises m’écouteront avec quelque disposition à l’incrédulité, quand je leur apprendrai combien les pauvres de ces villes trouvent d’amusement et d’instruction dans leurs heures de loisir et pendant les longues soirées d’hiver. Je tiens du docteur Bruggeman, le conseiller catholique du conseil d’éducation à Berlin et de quelques professeurs et autres personnes que la classe la plus pauvre des villes connaît non-seulement les chefs-d’œuvre de la littérature allemande, mais les traductions des œuvres de sir Walter Scott, et d’autres nouvellistes et écrivains étrangers.

« Je me rappelle qu’un jour, à la promenade auprès de Berlin, en compagnie de M. Hintz, un professeur au collège normal du docteur Diesterweg, et d’un autre professeur, nous vîmes une pauvre femme qui ramassait sur la route du bois mort pour sa provision d’hiver. Mes compagnons me la montrent et me disent : Peut-être aurez-vous peine à croire que dans les environs de Berlin, les pauvres femmes, comme celle-ci, lisent les traductions des romans de Walter Scott et les livres les plus intéressants de votre langue, outre les chefs-d’œuvre de la littérature allemande. Cela me fut confirmé depuis par plusieurs autres personnes.

« Souvent et souvent j’ai vu de pauvres cochers de louage de Berlin, tout en attendant la pratique, s’amuser à lire quelque livre allemand acheté le matin pour fournir au plaisir et à l’occupation de leurs heures d’attente.

« Dans la plupart de ces pays, les paysans et les ouvriers des villes ont régulièrement par semaine des cours ou des classes pour étudier la musique, le chant, ou bien le dessin linéaire, l’histoire, les éléments d’une science.

« Comme on le voit, les femmes aussi bien que les hommes, les filles aussi bien que les garçons, jouissent dans ces pays des mêmes avantages et reçoivent la même éducation. Les femmes de la classe la plus pauvre sont en intelligence et en savoir à peu près les égales des hommes. »

Il y a un demi-siècle « on ne comptait dans les écoles d’Espagne que 30.000 enfants. — Depuis sept ans, le chiffre s’est élevé à 700.000, — c’est à la population totale dans la rapport de 1 à 17. — La Russie marche lentement, mais avec suite dans la même voie ; elle n’a fait que depuis peu le pas qui doit nécessairement précéder toute expansion générale d’instruction.

§ 3. — L’inverse manifesté dans ceux qui se guident sur l’Angleterre — et où les emplois sont de moins en moins diversifiés. Condition des enfants anglais. Manque à pourvoir à l’éducation générale. Infanticide. Les enfants regardés comme de simples outils à l’usage du trafic. Contraste à ces faits présentés par la condition des enfants du nord et du centre de l’Europe. Tendances désastreuses de la politique anglaise. Elle a nécessité en conséquence une théorie de l’excès de population.

Passons aux pays qui se guident sur l’Angleterre. Nous trouvons que dans l’Inde les écoles ont disparu[5]. L’Irlande avant l’union, fournissait, en fait de livres, nous l’avons déjà vu, un débouché assez important pour garantir une publication nouvelle des principaux ouvrages édités en Angleterre. Depuis l’acte d’union, ce marché a cessé d’exister. Récemment on a organisé un système extensif d’instruction et l’on a prôné les résultats. Mais à quoi serviront les écoles là où n’existe pas la demande pour les facultés qu’on se flatterait d’y développer ? L’Irlande, n’ayant pas de manufactures et par conséquent point d’agriculture qui mérite ce nom, la société doit continuer à ne présenter que deux grandes classes, les très-riches et les très-pauvres. — Cela étant, le pouvoir de coopération ne peut naître, les facultés de la population doivent rester sans développement ; la circulation sociétaire doit rester plus lente que dans tout autre pays qui se prétend civilisé, et la grande maladie de l’excès de population doit se perpétuer.

En arrivant au centre du système, à la patrie de la doctrine de l’excès de population, il devient essentiel de considérer que, tandis que la France a été le théâtre de guerres civiles et religieuses, suivies de deux invasions du territoire par les armées étrangères ; — tandis que la Belgique a servi constamment de théâtre de la guerre pour l’Europe, qui s’y donnait rendez-vous ; — tandis que l’Allemagne a été, pendant des siècles, ravagée par des armées qui se disputaient quelque partie de son territoire, — c’est à peine si l’Angleterre a vu depuis la conquête la trace du pied de l’ennemi sur le sien ; et, depuis le soulèvement écossais, en 1745, elle n’a jamais entendu le coup de fusil de l’ennemi. D’après cela, on peut avoir les plus fortes raisons de croire qu’elle aura pris de beaucoup l’avance sur le continent pour émettre le sentiment de responsabilité au sujet de l’éducation convenable de la jeunesse, et pour prendre les mesures qu’il peut suggérer. — Néanmoins, le contraire a tellement eu lieu que c’est ici que nous trouvons la terre se consolidant, la centralisation progressant, en faillite complète du gouvernement à établir aucun système d’éducation, à l’instar de ceux du nord et du centre de l’Europe. Les conséquences, M. Kay nous les expose ainsi : « Des enfants qui naissent dans la classe pauvre, en Angleterre, le plus grand nombre ne reçoit pas l’ombre d’éducation ; le reste, pour la plupart, ne mettra jamais le pied que chez une dame ou à une école du dimanche. Dans les villes, ils sont à l’abandon jusqu’à l’âge de huit ou neuf ans, polissonnant par bandes dans la fange des ruisseaux, pendant que les parents sont au travail quotidien. Dans ce vagabondage à l’époque de la vie où les impressions sont les plus vives et se retiennent le mieux, ils contractent des habitudes de saleté, d’immoralité, de désordre ; ils se complaisent dans des vêtements souillés et en lambeaux ; ils apprennent à marauder, à voler ; ils se lient avec des garçons qui ont déjà été en prison, et que de mauvaises relations ont endurcis au crime. Ils prennent à s’accabler de jurons affreux, à se battre, à filouter au jeu, à fainéantiser et consumer les heures dans des passe-temps vicieux. Ils n’apprennent rien que le vice ; Ils n’ont jamais de contact avec des gens valant mieux qu’eux ; personne qui leur enseigne les vérités de la religion, ou même quelque moyen d’améliorer leur condition dans la vie. Leurs plaisirs sont aussi ignobles que leurs habitudes. Une débauche trop infâme pour être nommée, les liqueurs spiritueuses, qu’ils commencent à boire dès qu’ils ont pu attraper un pence pour en acheter, le vol, le recel, des tours de force grossiers et dégoûtants, voilà ce qui charme leur existence. L’idée d’aller à des réunions musicales, comme on fait en Allemagne dans la classe pauvre, les ferait pouffer de rire, en supposant qu’il existât de telles réunions à leur usage. Le plaisir innocent de la danse leur est inconnu ; ils ne peuvent avoir les jeux de la campagne ; ils ne peuvent lire. Aussi, pour s’amuser et s’exciter, se jettent-ils sur la satisfaction des désirs et des appétits sensuels. C’est ainsi que dans la saleté, la débauche, l’ivrognerie, l’habileté à commettre le crime, une grande partie de la population de nos villes arrive à l’âge d’homme. Si quelqu’un doute de la fidélité du tableau et veut se convaincre par lui-même, qu’il lise les rendu-comptes des tribunaux, ou qu’il visite les mauvaises rues d’une ville d’Angleterre, à l’heure où les écoles sont pires, et qu’alors il compte les enfants sur le pavé ou sur le seuil des portes, qu’il prenne note de leurs manières, de leur apparence, de leurs pratiques dégradées et dégoûtantes.

« Beaucoup de paroisses, continue-t-il, n’ont aucune école. Là où il en existe, l’instruction est le plus souvent d’un caractère misérable. Les écoles primaires font terriblement faute en Angleterre. Chaque enfant, en Allemagne et en Suisse, reste à l’école ou reçoit de l’éducation, à partir de six ans jusqu’à quatorze ans, et souvent jusqu’à seize et dix-sept ; tandis qu’en Angleterre, de ceux mêmes qui vont à l’école, il en est peu qui continuent passé neuf ou dix ans. D’après cela, comment s’étonner que nos paysans, dans leur vêtement, leurs manières, leur apparence, leurs amusements, leur langage, leur propreté, le caractère de leur logis, la condition de leurs enfants et leur intelligence soient à un degré tout à fait déplorable au-dessous du paysan de l’Allemagne, de la Hollande, et de quelques parties de la Suisse et de la France. »

Au sujet de Londres, le même écrivain nous dit : « Les recherches persévérantes de lord Ashley et d’hommes excellents qui sont en rapport avec cette admirable société, « la Mission de la Cité » ont constaté qu’au milieu de Londres il existe un nombre considérable, et qui chaque jour augmente, de gens sans aveu, formant une classe à part, qui a ses occupations, ses intérêts, ses manières, ses mœurs à elle ; et que le nombre des enfants sales, abandonnés, errants, indisciplinés, qui fourniront les dix-neuf vingtièmes de la criminalité, et qui font la désolation de la capitale, n’est pas moindre que trente mille. »

« Ces trente mille vicieux sont comptés tout à fait indépendamment du nombre d’enfants qui ne sont que pauvres, dont fourmillent les rues de Londres, et qui n’entrent jamais dans une école : est pas d’eux dont il est question ici.

Maintenant à quoi s’occupent, comment logent ces petits misérables, quelles sont leurs habitudes ? Sur 1.600 qui passèrent devant la commission, 162 avouèrent qu’ils avaient été en prison une ou même deux, et quelques-uns plusieurs fois. 116 s’étaient enfuis de chez leurs parents ; 170 couchaient dans les lodging-houses (dortoirs publics) ; 253 n’avaient vécu qu’en mendiant ; 216 n’avaient ni bas ni souliers ; 280 n’avaient ni chapeau, ni casquette, pour coiffure ; 101 n’avaient pas de chemise ; 249 n’avaient jamais dormi dans un lit, la plupart ne se rappelaient pas même y être jamais entrés ; 68 étaient des enfants de condamnés[6].

L’effet d’un système sous lequel la consolidation de la terre va croissant, tandis que la population est forcée de chercher un asile dans les villes, se montre à plein dans un rapport sur la paroisse Saint-Gilles, dont nous citerons ce passage. « Votre commission a donné ainsi un tableau détaillé de la misère humaine, de la mal-propreté, de la dégradation, tableau dont les principaux traits sont un disgrâce pour un pays civilisé ; et votre commission a des raisons pour craindre, d’après des lettres publiées dans les journaux, que ce ne soit là que le type de la condition misérable des masses de la société entière, tant de celles qui habitent les chambres petites et mal aérées des villes manufacturières, que de celles qui habitent la plupart des cottages de nos campagnes. Dans ces misérables logis, tous les âges et les deux sexes, — pères et filles, mères et fils, frères et sœurs dans l’adolescence, étrangers adultes mâles et du sexe féminin, et des essaims d’enfants, — les malades, les moribonds et les morts — sont entassés ensemble, dans un contact et une pression qui répugneraient aux animaux, qui rendent impossible de conserver la décence la plus vulgaire, qui détruisent tout sentiment convenable de personnalité, tout respect de soi-même, pour y substituer un laisser-aller cynique, résultat infaillible d’intelligences viciées. »

Sur les hommes qui se marient en France et en Angleterre, il y a un tiers qui font une croix quand il s’agit de signer aux registres publics ; — la proportion est exactement la même dans les deux pays. Sur les femmes, c’est moins de la moitié en Angleterre, et plus de la moitié en France. L’avantage, dans ce cas, est du côté du premier pays. La question cependant ici comme en tout, ne porte pas sur la condition actuelle, mais sur le progrès, et en cela la France a l’avantage. —— Le nombre des enfants fréquentant les écoles y a quadruplé en dix-huit ans, tandis que celui de l’Angleterre n’a pas même doublé[7].

Nous avons parlé dans on précédent chapitre de la fréquence des infanticides, parlons ici d’une autre sorte d’assassinat d’enfants, enfants que leurs parents ou leurs tuteurs donnent à loyer à partir de six à huit, dix et douze ans. « Les hommes à qui sont transmises ces pauvres créatures, disait récemment un écrivain, emploient dans leur industrie deux sortes de machines : l’une faite de chair, l’autre de bois et de fer. Si une roue ou une courroie se dérange, l’ouvrier la remet en place ; si elle se détériore, qu’il faille du temps pour la réparer, on la met de côté et en substitue une autre pour éviter tout retard. On en agit de avec la machine-homme. Pourquoi ferait-on quelque différence ? Pourquoi ne ferait-on pas travailler un enfant aussi longtemps qu’on peut le forcer à aller, en y faisant au besoin un petit raccommodage, et ne le jetterait-on pas dans la rue, tout comme une roue brisée dans le magasin à ferrailles, pour s’en aller en morceaux. Il ne faut pas attendre que le maître, qui gagne par année des cents et des milles, voie ses profits diminuer, parfois de un à six en permettant à une petite créature qui s’est rendue malade de service, de rester au lit une semaine sans manquer à toucher ses dix-huit pence, ou sans perdre son droit à rentrer après son rétablissement. Ajoutons que ce que l’enfant gagne ce n’est pas lui qui en bénéficie, cela va à la personne qui a charge de lui, qui le nourrit et le loge tant bien que mal. Le petit travailleur nous semble être dans la position d’un volant recevant les coups d’une raquette et puis de l’autre, jusqu’à ce qu’enfin, le coup venant à manquer, il est à terre et est foulé aux pieds dans la poussière paternelle.[8] »

Ce fait de petites créatures sans défense traitées comme de simples machines, est prouvé par mille documents consignés dans les enquêtes parlementaires et autres. Pour peu qu’on ait étudié le sujet, on n’hésitera point à partager l’opinion de l’écrivain. « Que la misère, les souffrances, la dégradation des jeunes filles anglaises dresse tout ce qu’endurent les petites païennes à l’étranger ; que le système de plus abominable de démoralisation païenne, de cruauté, de crime, n’égale pas en atrocité le système qui emprunte un vernis au nom de christianisme, et prend pour ses victimes les enfants nés libres de la Grande-Bretagne, baptisés dans une foi, mais vivant et mourant dans l’ignorance de cette foi au détriment de leur âme. »

Comme contraste frappant nous voyons « que tous les enfants, entre six et quinze ans des villes de l’Allemagne et de la Suisse, et presque tous les enfants dans les villes de France, de Hollande, de Danemark et de Norvège passent chaque journée dans des classes aérées, vastes, propres, ou des cours bien saines, souvent en compagnie d’enfants des classes moyennes et sous la direction d’hommes qui seraient en état de professer aux enfants des riches. »

Différant en toute autre chose, — climat, territoire, coutumes, manières et religion, — les populations des pays que nous venons de citer ont ceci de commun : « qu’elles vivent, se meuvent, existent » sous le système dont le monde est redevable à Colbert, ce système qui vise à favoriser l’habitude d’association et de combinaison, et le développement des pouvoirs latents de la terre et de l’homme. Il s’ensuit que le rapport de famille est encouragé de plus en plus chaque jour, — que le sentiment de responsabilité au sujet de la direction convenable de la jeune intelligence gagne en intensité d’année en année. Différant en toute autre chose, les divers pays qui suivent la trace de l’Angleterre ont ceci de commun avec l’Angleterre elle-même : qu’ils rejettent Adam Smith et adoptent les principes de l’école Ricardo-Malthusienne. Il s’ensuit que les faits abondent qui sont invoqués à l’appui de la théorie de l’excès de population, —— les enfants sans assistance y devenant de plus en plus un pur instrument à l’usage du trafic.

De toutes les sociétés, dans le présent et dans le passé, aucune n’a été autant favorisée que l’Angleterre en pouvoir mis à sa disposition par une bienfaisante Providence, pour l’employer à faire progresser l’humanité en masse vers le bonheur et la prospérité. De toutes il n’en est aucune qui ait abusé du pouvoir mis en ses mains, avec moins de scrupule pour la ruine du bonheur et de la vie au dedans comme au dehors. — Aussi a-t-on été forcé de recourir à un manque d’harmonie dans la nature, quand on a essayé de prouver que Dieu s’est trompé dans son adaptation de l’offre des subsistances à l’accroissement de population.

§ 4. — Pour que l’éducation donnée dans les écoles devienne utile, il faut qu’existe la demande pour les facultés qui y sont développées. Pour qu’existe cette demande, il faut nécessairement la diversité dans les modes d’emploi. Pour l’existence de celle-ci, il est besoin de l’exercice du pouvoir de l’État.

Sur ce point, comme sur tous, l’Amérique est un pays de contrastes. — Une partie de l’Union interdit par les lois les plus sévères de donner de l’éducation à sa population de travailleurs, tandis que l’autre reconnaît pleinement le droit de tons à recevoir l’instruction, et le devoir attaché à la propriété de contribuer à ce que l’instruction puisse être acquise[9]. Dans l’une, la tentative d’enseigner est punie de la prison, comme violation des lois contre l’éducation ; tandis que dans l’autre il est peu de personnages tenus en plus haute considération que ceux qui ont le plus travaillé à mettre les moyens d’éducation à la portée de tous, l’orphelin et le criminel, l’enfant très-riche aussi bien que l’enfant le plus pauvre.

Le système de l’Union étant basé sur l’idée de décentralisation, les centres locaux tendent nécessairement à la dissémination générale d’établissements d’éducation en tout genre, depuis la bibliothèque élémentaire et la maison de refuge pour les jeunes détenus, jusqu’à la haute école et le collège. Cependant la centralisation fédérale tend à produire l’effet inverse, — en anéantissant les marchés locaux pour les produits de la terre et en poussant ainsi à l’abandon de la terre dans les vieux États. Il s’ensuit nécessairement que la population rurale diminuant, la faculté diminue d’entretenir }es écoles de village[10]. De grandes villes cependant se forment qui deviendront des mères-nourricières d’ignorance, de vice et de crimes, — la tendance dans cette direction étant ici, comme partout ailleurs, en raison de l’épuisement du sol et de l’expulsion de ses occupants. Chaque pas dans cette marche rétrograde est marqué par une tendance vers l’exercice du pouvoir d’appropriation, comme un remplaçant du travail honnête. La conséquence est que les villes américaines vont, à cet égard, tombant rapidement an niveau de ce qu’il y a de pire en Europe[11].

§ 5. On a écrit des livres pour prouver que la criminalité et l’éducation marchent de compagnie, c’est-à-dire que plus est développée chez l’homme l’aptitude à se servir de ses facultés, plus il a tendance à intervenir dans les droits d’autrui. Si cela était, le mieux serait de fermer les écoles. Le lecteur sent parfaitement que cela n’est pas. Ce qui a parfois produit cette illusion, nous allons l’expliquer.

Pour que le développement des facultés humaines soit de bénéfice à l’homme, il est indispensable que ces facultés aient un débouché ; — les herbes de la pire espèce se mettent toujours dans les meilleurs sols dès que le propriétaire les néglige. Pour que le débouché puisse exister, il faut la diversité dans les professions, — qui produit la concurrence pour. l’achat de l’effort humain de chaque sorte. La centralisation tend à empêcher l’augmentation de cette concurrence, tandis qu’elle favorise la concurrence pour sa vente, l’homme qui a besoin de vendre ses efforts devenant ainsi l’esclave de celui qui a moyen d’acheter. Plus il y a tendance dans cette direction, plus la société tend à se diviser en deux classes : les très-riches et les très-pauvres ; — il n’y a plus place pour les possesseurs de petites masses du capital matériel ou intellectuel. La classe des intermédiaires qui s’occupent comme soldats, marins, négociants, hommes de loi, ou de toute autre chose que de produire, s’accroît nécessairement ; — le mouvement sociétaire se ralentit à chaque surcroît et rend plus difficile d’acquérir une honnête existence. Le crime cependant augmente ; — c’est là une conséquence directe de cette légère excitation de faculté humaine qu’on trouve à l’école, et qui a besoin de l’activité de la vie sociale pour atteindre son plein développement. Dans ces circonstances l’éducation ne fait guère plus qu’aiguiser les facultés humaines pour mettre l’homme en état de se ruer sur ses semblables comme sur une proie. — C’est là la présente tendance en Angleterre et chez tous les peuplés qui marchent dans sa voie[12].

Parmi ces derniers, en règle générale, on peut placer les États-Unis, — quoique cependant occupant une position entre les classes très-différentes que nous avons établies. Dans les États du Nord, presque tous les enfants reçoivent un certain degré d’éducation ; mais lorsqu’ils passent de l’école dans le monde, ils trouvent qu’excepté la seule agriculture, une agriculture nullement savante, ces professions qui visent à augmente la quantité, ou à améliorer la qualité des utilités au service de l’homme, sont fermées pour eux. Le négoce, le barreau, et plus les professions abstraites sont au contraire toujours ouvertes, et absorbent ainsi une proportion indue de la masse de faculté qui a été développée dans les écoles[13].

Les conséquences ont été la formation d’une classe de population flottante toujours disposée à presque toute invasion dans le droit d’autrui, et l’augmentation de la criminalité qui s’ensuit.

Étudiez le monde, n’importe dans laquelle de ses parties, vous trouverez la preuve de la preuve de la vérité de cette proposition : que le sentiment de responsabilité envers Dieu et envers l’homme augmente en raison du rapprochement entre les prix des denrées premières et des utilités achevées, et de ce qui en résulte, le travail deviendra plus productif et l’équité présidant la distribution de ses produits[14].

  1. La sainteté du foyer est telle que pour exprimer nos rapports avec Dieu, à nous recourir à des mots inventés pour la vie de famille. Les hommes se qualifient les Enfants du père Céleste. — Souvestre. Attic Philosopher, p. 101.
  2. Dupin. Forces commerciales, vol. I, p. 52.
  3. Voyez précéd., vol. II, p. 112.
  4. Le sentiment de responsabilité respire très énergiquement dans les règlements adoptés par l’une des plus grandes fabriques de Stockolm, et que nous avons donnés. Voyez précéd., vol. II, p. 171.
  5. Voy. précéd., p. 275.
  6. « Dans White-Chapell et Spitafields, » dit le Quarterly-Review, ils forment une fourmilière ; mais c’est dans Lambeth et Westminster qu’on rencontre le plus de leur activité bourdonnante. Là, les sombres et affreux passages sont encombrés d’enfants des deux sexes de trois à treize ans. Quoique pâles et hagards, ils ont une vivacité étrange et s’occupent de milles manières, excepté à rien qui puisse leur être bon et utile au prochain. Leur apparence est sauvage, leur chevelure épaisse, la saleté dégoûtante qui rend difficile de distingua la couleur de la peau à travers les haillons, leur farouche indépendance en dehors de toute surveille tout frein, frappent d’anxiété et d’horreur quiconque n’est pas familiarisé à de telles choses. Visitez ces parages en été, la puanteur vous suffoquera ; visitez-les en hiver, vous frémirez à ce spectacle de centaines de créatures qui grelottent sous un costume qui serait léger sous les tropiques, La plupart sont dans une nudité complète ; ceux qui sont vêtus semblent en mascarade ; le pantalon ne dépasse pas les genoux, la queue de l’habit descend sur les talons. C’est ainsi qu’ils courent par les rues et flânent sur le bord de la rivière à la marée basse, en quête d’un morceau de charbon, d’un bâton, d’un bouchon ; une trouvaille fait toujours plaisir. Parfois il arrive que la bande éclate en cris joyeux, et fournit au passant, s’il est d’humeur contemplative, sujet de s’étonner et de voir avec un certain contentement que la dégradation physique et morale n’a pas encore brisé tout bourgeon de leur jeune énergie. » Cité par Kay, vol. I, p. 409.
  7. Nombre, en Angleterre, des enfants des écoles quotidiennes :
    en 1818   674.883 ou à la population 1  à  17.25
    en 1833 1.548.890 1 sur 11.27
    en 1851 2.407.409 1 sur 8.36
    En 1833, dans les écoles du dimanche,
    le chiffre d’enfants était comme
    1 à 9.28.
    En 1851 1 à 7.45.

    « Toutefois M. Tremenheere, dans son rapport, a constaté que le plus grand nombre des enfants quittent les écoles primaires avant l’âge de dix ans, — que la fréquentation est très-irrégulière, et que le peu qu’ils y apprennent, ils « l’ont oubliée au bout de quelques années. » Au sujet de l’ignorance générale de ceux qui ont passé par les écoles anglaises, voici ce que dit M. Wood, président de l’institution des ingénieurs des mines : « Aux engagements annuels, c’est à peine s’il se trouve un homme ou un jeune garçon qui puisse signer son nom au bas de l'engagement ; et cependant tous ces gens-là ont passé par les écoles, et nous supposons qu’ils y ont appris à lire et à écrire, mais qu’ils les ont quittées de si bonne heure qu’ils ont oublié le peu qu’ils avaient appris ; et nous les trouvons parfaitement incapables de signer leur nom. »
      « Dans le cours d’une enquête récente par une commission du parlement britannique, le coroner Wakley, constata un déplorable manque d’éducation dans la population ; et comme preuve, il raconte qu’en désignant un grand jury dans la partie ouest du comté de Middlesex, il avait trouvé.onze membres sur les trente hors d’état de signer leurs noms. Il croyait, ajoutait-il, qu’en examinant ses reçus pour dépenses, il pourrait établir que la moitié de ses jurés ne savent pas écrire. Un chef de jurés, un homme qui est tenu de posséder 100.000 dollars, et qui ne sait pas écrire !
      « De tous côtés nous rencontrons l’ignorance, et non toujours en compagnie de la pauvreté. Prenons dans la Gazette, à l’article dissolution de sociétés, pas un mois se passe sans que quelque malheureux homme, roulant sur l’or, mais gonflé d’ignorance, en est réduit à l’experimentum crucis, à mettre une croix au lieu de signature. Le nombre de petits jurés, surtout dans les districts ruraux, qui ne peuvent signer qu’avec une croix est énorme. Il n’est pas rare de voir des documents de paroisse, d’une grande importance locale, déshonorés par ce signe humiliant, l’y ont apposé des hommes que leurs fonctions dénotent comme des hommes de marque et même de valeur. — Dickens : Household Words.

  8. Charlotte Élisabeth. Wrongs of Women, part. III, p. 100.
  9. La ville de Boston, avec une population de 15.000 âmes en l’année 1856-7, consacrait au service d’éducation la somme de 335.000 dollars, employée à entretenir une université, un collège de latin, une école normale, soixante-dix de grammaire et deux cent quatre écoles primaires. Le chiffre d’étudiants et d’écoliers était 23.749. L’éducation coûte en moyenne 14 dollars 41 cents. — Dans la même année, la dépense pour le culte public a été 240.000 dollars.
  10. Voy. précéd., p. 336.
  11. « Dans la grande criminalité, les quatre cinquièmes des causes jugées étaient contre des mineurs, et les deux tiers de toutes les accusations pour crime durant le trimestre ont été contre des prévenus de 15 à 21 ans. — Presentment of the Grand Jury. New-York, 1852.
      « Sur 16.000 criminels qui sont entrés aux Tombes, à New-York, l’année dernière, 4.000 étaient au-dessous de 21 ans, et 800 parmi eux étaient entre 9 et 15 ans. Sur 2.400 voleurs enfermés dans cette prison, 1.000 étaient au-dessous de 21 ans, et 600 au-dessous de 15.
      « L’homme qui écrit ceci a eu pendant les deux dernières années quelques occasions d’observer à fond la dégradation de l’Europe, et il a conçu le triste présage que notre société dans l’avenir repose sur une base de crime et de misère. L’Europe n’a rien de pire que le côté noir de New-York. Les lanes de Liverpool, de Westminster et de Saint-Gilles, les faubourgs de Vienne ne présentent pas un aspect de misère plus générale et de vice moins refréné que nos quartiers inférieurs. » Rev, C.-L. Brace.
  12. Dans une occasion récente, lord Campbell adressait au grand jury du comté de Chester, à propos de l’état de la morale publique dans cette localité, un discours dont voici le résumé.
      « Le calendrier qui se déroule devant lui est effrayant. Il n’y a que trois ou quatre mois depuis la tenue des dernières assises et que la geôle a été vidée, et voici aujourd’hui une autre liste de crimes dont le degré fait frémir et dont le nombre est alarmant. Non-seulement les causes sont nombreuses, mais les cas sont de la teinte la plus sombre. Les voici exposés devant vous par groupes rangés selon l’ordre alphabétique, et sous chaque tête d’ordre le nombre des cas est considérable (ici l’émunération des sortes de crimes) ; il y en a qui n’avaient pas encore été nommés chez nous. C’est un fort triste état de choses. La faute cependant n’en est pas aux fonctionnaires, ils ont sans nul doute rempli leurs devoirs de magistrats pour que la loi fût exécutée, l’ordre maintenu, les droits de propriété assurés ; mais une considération importante et sur laquelle on doit réfléchir, c’est que notre prospérité matérielle ayant augmenté, le crime a augmenté aussi dans quelques parties du pays. Il avait espéré que grâce au progrès de l’éducation et à l’instruction religieuse que donne le clergé, un meilleur état de choses se serait présenté. »
  13. Voir précéd., vol. II, p. 246, 258.
  14. Depuis plus d’un demi-siècle M. Malthus et ses disciples ont poussé le peuple anglais à adopter leur théorie de contrainte morale tout en prêchant des mesures tendant à la destruction de la responsabilité morale. Ils ont obtenu du succès pour ses dernières, comme on en a pu juger au dernier meeting pour le progrès de la science sociale. Un membre du clergé s’est appesanti sur la difficulté sérieuse qu’il y aurait à appliquer aucun système d’éducation plus forte à un district où la population était surtout occupée au travail du tissage et où un tout petit enfant était déjà utile à ses parents. « Ce petit, a-t-il dit, est déjà en état de soigner un baby tandis que sa mère est à l’atelier, et s’il arrive qu’une jeune femme ait un ou deux enfants avant mariage, c’est actuellement un avantage pour elle, cela lui assure un mari parmi les plus habiles ouvriers de ce district du Lancashire. »