Problèmes internationaux et la guerre/3

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L’ORGANISATION DE LA SOCIÉTÉ DES NATIONS




31. Conception générale de la Société des Nations.
32. Déclaration des Droits internationaux.
33. Pouvoir législatif international.
34. Pouvoir judiciaire international.
35. Pouvoir exécutif international.
36. Force armée internationale.
37. Territoires internationaux.
38. Congrès-Constituante après la guerre.
La charte mondiale.




L’examen des facteurs et des conditions de la vie des peuples nous a conduit à cette constatation générale : tout en développant leur vie nationale, les peuples se sont élevés jusqu’à une vie internationale et celle-ci se montre de plus en plus active, étendue et variée.

Les grandes forces de la société sont en travail, en dehors des frontières comme au dedans. Les forces ethniques mettent les nationalités aux prises avec l’état impérialiste, oppresseur, mutileur, annexionniste ; les forces économiques font surgir les rivalités pour les approvisionnements et les débouchés ; les forces intellectuelles et morales font entrer en conflit langues, religions, mœurs, idéologies particulières ; les forces politiques opposent et font s’entre-choquer les souverainetés absolues des États. Ces antagonismes, s’additionnant, s’amalgamant, se déclanchant au même moment, ont donné son caractère propre et unique à cette lutte titanesque, la guerre mondiale.

Mais tandis que ces nationalismes se combattent sur tous les terrains, semblant ne laisser de place que pour la domination ou l’anéantissement, voici que de toutes parts se sont fait jour des orientations nouvelles et que des faits nouveaux ont été produits. Il semble bien que les antagonismes nationaux puissent trouver une conciliation relative dans des formes supérieures de vie, sur le fondement de l’interdépendance au lieu de l’isolement, de la coopération au lieu de la lutte, de la liberté au lieu de l’oppression et de la contrainte, de l’ordre et de l’organisation au lieu du désordre et de l’anarchie. Une vie internationale régulière tend à affirmer son existence et ses droits à côté de la vie nationale et comme prolongement de celle-ci. Dans tous les domaines des structures sociales élargies, sont en voie de s’édifier sur la base de la reconnaissance d’idéals et d’intérêts généraux, communs à tous, véritablement universels et humains ; sur la base aussi de la subordination à eux des idéals et des intérêts nationaux, de la même manière que ceux-ci ont contraint à se subordonner à eux les intérêts particuliers des factions, des partis, des régions et des clochers.

La Société des Nations, tel est le terme qui s’est imposé pour désigner cette communauté supernationale[1]. C’est d’elle dont il nous reste à examiner la constitution définitive, aboutissement de longs efforts.

Jusqu’ici nous étions sur le terrain solide des faits. Nous disions surtout ce qui est, et notre œuvre était principalement d’analyse et d’exposé. Nous allons passer sur le terrain mouvant des conceptions, obligé de dire ce qui s’annonce dans un prochain avenir ou ce qui rationnellement devrait être. C’est à la fois de la synthèse et un plan proposé à l’action réfléchie et volontaire. Mais ici encore il est possible de laisser une large place aux faits et de rattacher en quelque sorte demain à aujourd’hui, Il suffit de montrer que les réformes proposées peuvent avoir leur point de départ dans de premières organisations existantes, essais timides et isolés sans doute, mais qu’il serait utile et possible de développer, compléter, coordonner entre eux. Au demeurant, il ne s’agit pas d’apporter des plans poussés jusqu’aux nécessités de l’exécution immédiate. Il surfit de montrer avec quelque précision ce qui est dans la ligne de l’évolution des faits et des meilleures aspirations de notre temps.

Nous pouvons donc nous borner, surtout après ce que nous avons exposé antérieurement, à une simple esquisse, appuyée de quelques développements. Et cette esquisse peut se limiter à l’organisation de la vie internationale publique, en laissant de côté ce qui concerne celle de la vie privée ou corporative. Sans doute les deux ordres de vie se complètent, se soutiennent et s’interpénètrent ; mais sans compter que les relations internationales entre individus et associations ont déjà pu être largement organisées, ainsi que nous l’avons vu, ce sont les relations entre les États qui actuellement ont besoin urgent d’être stabilisées et organisées[2]

31. CONCEPTION GÉNÉRALE DE LA SOCIÉTÉ DES NATIONS.



1. Organisation proposée. — L’organisation entrevue peut être définie de la manière suivante : Établissement entre les États d’une union juridique sur le pied d’une égale autonomie et indépendance. Institution au-dessus d’eux d’une autorité supernationale, douée de personnalité morale juridique et de souveraineté politique. Juridiction de cette autorité étendue aux grands intérêts mondiaux, dans le double but d’une part d’empêcher ce qui peut leur nuire et en premier lieu l’insécurité internationale, d’autre part de favoriser ce qui peut leur être utile. Déclaration positive et précise de droits fondamentaux garantis internationalement aux individus, aux associations, aux nationalités, aux États, considérés tous comme personnes et membres de la communauté humaine. Répartition des fonctions attribuées à l’autorité supernationale entre quatre grands organes ou institutions : Un Pouvoir législatif, congrès ou parlement, formé de délégués des Parlements nationaux et où soient aussi représentés les grands intérêts et fonctions économiques et intellectuels incorporés dans des unions internationales ; un Pouvoir judiciaire, exerçant les fonctions de médiation, d’arbitrage, de jugement et de conciliation, auquel participent tous les États, auquel le recours soit obligatoire et dont les décisions soient appuyées de sanctions efficaces ; un Pouvoir exécutif, exercé par un Conseil diplomatique international, ayant charge de diriger et d’administrer les intérêts mondiaux dans les limites des lois et de la justice mondiale, disposant à cet effet des administrations, des ressources financières, des forces de sanction nécessaires ; enfin un Pouvoir de sanction, une armée internationale formée de contingents fournis par les armées nationales, placée sous la direction d’un état-major central et dont les opérations aient pour objet d’imposer aux opposants par la force légale les mesures qu’a arrêtées le Conseil international. Action exercée sur le monde tout entier : d’une part dans les territoires appropriés par les États, d’une manière indirecte, à l’intermédiaire de ceux-ci ou d’organisation spéciale ; d’autre part, d’une manière directe, sur les mers et dans les airs et sur certaines parties de terres déclarées domaine international. Détermination de toute l’organisation ainsi définie en une Charte mondiale, constitution supérieure à laquelle ne puisse s’opposer aucune constitution nationale. Établissement de cette Charte par un grand congrès de toutes les Puissances, à réunir immédiatement après la guerre et après le règlement des questions propres aux belligérants, congrès qui siégerait en véritable Constituante mondiale.

2. Systèmes possibles de politique internationale. — Jusqu’ici le monde n’a connu que trois systèmes de politique internationale, trois principes directeurs des rapports entre États : L’hégémonie, l’équilibre, le système chrétien du moyen âge. Ce dernier impliquait une règle morale fondée sur l’autorité religieuse, les Papes exerçant un pouvoir théorique pondérateur. Mais la Réforme affaiblit la papauté, tandis que sous l’action des légistes et des théoriciens du droit national grandissait l’autorité morale et se formait l’État moderne. Le système disparût à la Paix de Westphalie, qui reconnut les États protestants. — L’hégémonie, la prépondérance d’un seul conduit sous sa forme extrême à l’empire universel. Cette politique, pratiquée dans les temps modernes par les Habsbourg, la maison d’Espagne, la France de Louis XIV et de Napoléon s’est toujours écroulée en ruines. Le vieux rêve de domination a hanté l’Allemagne à son tour et voici que la guerre, non terminée encore, montre déjà quel sort veulent lui réserver les nations coalisées pour lui résister. — Quant à l’équilibre il consiste à balancer les forces entre elles et à former des combinaisons qui se fassent contrepoids. Cette politique a pour corollaire celle des alliances, des compensations et aussi des « pourboires ». Elle a trouvé deux fois son expression, jugée momentanément parfaite, dans le traité de Westphalie et celui de Vienne. Mais avec l’accession d’un grand nombre d’États nouveaux à la vie mondiale, avec l’accélération de croissance de certains éléments constitutifs des États, tels que la population, le commerce, l’instruction, la réalisation de l’équilibre est un « puzzle ». La moindre rupture qui se produit en lui provoque le renversement de tout le système. — La Société des nations ou Union des États, sur une base d’égalité et d’indépendance, le nouveau système proposé, réalise pour les États ce que la société civile réalise pour les individus. Les droits y sont équivalents et également garantis, qu’il s’agisse d’un fort ou d’un faible, d’un riche ou d’un pauvre.

3. L’Union est fédérative. — L’organisation proposée serait l’extension à tous les États d’une véritable fédération comportant un lieu minimum. Elle serait ainsi l’aboutissement du mouvement fédératif et du mouvement des alliances. Les ententes particulières et les groupements entre certains États pourraient continuer à exister pourvu qu’ils n’aillent pas à l’encontre des principes de l’Union.

4. L’Union est juridique. — L’Union ne saurait se concevoir que sous la forme de système juridique. La Société des nations est avant tout une société basée sur le droit, impliquant des facultés et des obligations corrélatives, de nature aussi précise et aussi obligatoire que ceux qui dérivent de la société des individus dans un État civilisé. L’existence d’une telle société entre les États a été officiellement reconnue aux deux conférences de La Haye, sans que des mesures aient toutefois été prises pour en assurer le parfait fonctionnement.

5. L’Union est mondiale. — L’Union doit s’étendre à tous les États indistinctement et à toutes leurs possessions, colonies et protectorats. Ce ne serait pas atteindre les buts recherchés que de la limiter à certains États. Les États-Unis et le Japon, bien qu’États américains et asiatiques, ont été reconnus comme grandes Puissances ; antérieurement la Turquie avait été admise dans le concert européen bien que puissance non chrétienne. Vouloir créer une Union des États de l’Europe (États-Unis de l’Europe) c’est méconnaître l’état réel des relations mondiales, où des intérêts plus grands existent, par exemple, entre certains pays de l’Europe occidentale et les Amériques, qu’entre ces pays et ceux de l’Est ou du Sud de l’Europe. Les grands problèmes de l’avenir seront des problèmes extra-européens dans lesquels l’Amérique du Nord, l’Amérique du Sud et le Japon seront intéressés. Déjà actuellement le Japon est un des belligérants et les États-Unis ont bien des difficultés à ne pas entrer dans le conflit. — Presque tous les États se sont fait représenter à la 2me Conférence de la Haye.

6. L’Union est limitative de souveraineté. — L’Union implique abandon de certains droits extrêmes que les États revendiquent les uns à l’égard des autres. Elle est limitation de leur souveraineté. Les États ont à choisir : ou bien garder leur souveraineté absolue en s’exposant à des luttes à outrance, et à toutes les terribles conséquences de cette lutte, telle qu’elle est conduite dans la guerre moderne ; ou bien renoncer à l’absolu de cette souveraineté et accepter la transaction honorable mais sûre d’un pacte mondial. En réalité, dans la situation politique actuelle, le choix est plus circonscrit encore, puisqu’il s’agit simplement de renoncer aux alliances particulières qui limitent déjà et depuis longtemps la souveraineté de presque toutes les grandes puissances, renoncer à l’alliance précaire et instable avec quelques-uns en faveur de l’alliance permanente et solide avec tous. L’interdépendance et la solidarité sont au fond de la vie des États. L’Union ne fait que les reconnaître, les organiser et en déduire toutes les conséquences favorables.

7. L’Union est pratique. — La Société des nations n’est pas « utopique », car elle est conçue à l’image des sociétés nationales les plus avancées. Elle a un but, des membres (une population), des organes, une sphère d’action (territoires). Elle n’innove donc pas sur ces points, mais continue et prolonge ce qui est, conformément au fait fondamental que les relations internationales ne sont que le prolongement hors frontières des relations nationales. L’avènement de la Société des nations est placé ainsi sur la ligne générale de l’évolution sociologique, qui nous montre l’apparition successive de structures de plus en plus larges embrassant d’abord la cité, puis le comté et le duché, puis l’État, et où rien ne vient démontrer que ce dernier stade doive être tenu pour l’ultime ; au contraire, la possibilité d’une communauté organisée entre les intérêts supérieurs, nationaux et humains, est dès à présent entrevue par les meilleurs esprits.

8. L’Union est à créer d’une pièce. — L’établissement en une fois d’institutions internationales formant un système complet est conforme aussi à des précédents qui, pour être de moindre envergure que l’œuvre à réaliser, n’en sont pas moins probants. Dans nos sociétés modernes les institutions ne naissent plus de l’usage immémorial et lentement orienté vers des directions inconnues. Presque tous les États . possèdent une constitution écrite qui fut l’œuvre des esprits conscients et raisonnants, avant de devenir la loi obligée de tout un peuple. Ces constitutions ont créé d’une pièce le système des institutions nécessaires sans attendre qu’elles se soient produites d’elles-mêmes, par suite d’on ne sait quelle harmonie préétablie entre activités individuelles inconscientes. Quant aux quatre institutions fondamentales proposées, le législatif, le judiciaire, l’exécutif, la force armée, ce sont celles auxquelles ont abouti partout l’action organisatrice des sociétés. Vouloir pour simplifier, se borner à l’institution d’une autorité unique nantie de tous ces pouvoirs, c’est verser dans la confusion inévitable, renoncer aux avantages d’une bonne division des fonctions et s’imposer de faire en plusieurs étapes ce qui forcément est la conséquence d’un premier acte dans cette direction. L’explicite vaut mieux que l’implicite.

9. L’Union, autorité supernationale. — L’Union de tous les États en une société organisée des nations ne mettrait certainement pas fin aux luttes et aux conflits. Ceux-ci sont de l’essence même de la vie. Mais elles seraient transformées, comme l’ont été les conflits intérieurs. Une autorité supernationale, représentation visible et agissante de ce qu’il y a de commun et de supérieur à tous les États, serait plus qu’une simple addition d’autorités nationales, de la même manière qu’un État est plus qu’une association de communes. Il y a une différence de degré, presque de nature. Dans le désarroi du moyen âge et des premiers temps de l’époque moderne, alors que les féodaux et les petits princes ne connaissaient d’autre système de vie que la guerre entre eux et l’exaction des faibles au-dessous d’eux, a surgi l’autorité nationale du roi et de l’empereur. L’autorité supernationale doit naître maintenant, les circonstances étant analogues.

10. L’Union ne peut être évitée. — Est-ce en une, deux ou plusieurs étapes qu’un ordre international public pourra être établi ? Nul ne peut le dire à raison de la complexité extrême des circonstances ; mais il ne paraît pas douteux que la direction des événements tende vers cet aboutissement et ce serait faire une immense économie d’énergie sociale, éviter de nouvelles guerres et révolutions, que de profiter de la dislocation générale actuelle pour tenter une solution radicale et intégrale.

On a fait des propositions diverses moins complètes et moins radicales. Certains pensent qu’il suffirait d’un régime d’opinion appuyé sur le contrôle parlementaire de chaque pays et accordant une autorité morale suffisante aux conventions politiques pour que les gouvernements les respectent à la manière dont les particuliers respectent leurs engagements. — D’autres estiment que le concert mondial des grandes puissances étant le dernier organe qu’avait formé la Société des nations avant la guerre, c’est lui qu’il faut prendre comme base de toute réorganisation. Ils proposent en conséquence de renforcer les 8 grandes puissances par 4 petites puissances, choisies librement par leurs pairs, et de considérer que le corps des XII ainsi formé représente avec une approximation suffisante, non seulement la sagesse et le jugement, mais aussi les forces du monde civilisé, ce corps ayant le droit de faire appel à ses propres forces, et à celles de toutes les autres comme police internationale[3]. — D’autres encore pensent qu’une ligue de la paix, qu’ils ne définissent d’ailleurs pas en détail, suffira à tous les besoins actuels[4]. — En réalité tous ces projets sont d’accord pour reconnaître qu’une nouvelle fonction est née : assurer la paix, et qu’en conséquence un nouvel organe doit naître en vertu même de la division du travail social. Cet organe ne peut être qu’une autorité supernationale se rapprochant plus ou moins du type de celle dont nous esquissons ci-après quelques détails[5].

32. LA DÉCLARATION DES DROITS INTERNATIONAUX



À la hase de l’organisation proposée doit être placée une Déclaration des droits internationaux, ceux que les pouvoirs internationaux ont précisément pour objet de garantir et de protéger efficacement. Cette déclaration doit partir de l’individu et s’élever, de groupement en groupement, jusqu’aux États : a) à la base, consécration, extension ou proclamation des libertés humaines fondamentales et égalité civile entre sujets de l’État et étrangers[6] ; b) ensuite, déclaration du droit des nationalités : autonomie et indépendance des nations, ainsi que leur droit de disposer d’elles-mêmes et d’obtenir un statut international définissant leur situation ; égalité des races et des langues[7] ; c) liberté de religion et octroi d’un statut international aux églises (internationalisation de la loi des garanties qui règle le statut italien du Saint-Siège) ; d) reconnaissance des droits civils aux grandes associations internationales, notamment à celles d’ordre économique et intellectuel ; e) garantie donnée à toutes les catégories sociales de pouvoir exprimer leur volonté dans les grandes questions de l’organisation internationale (garanties minima, dans le sens du suffrage universel) ; f) liberté économique s’étendant au travail, au capital, aux produits, avec détermination des droits et obligations fondamentales ; g) liberté intellectuelle ; h) proclamation solennelle de l’autonomie et de l’indépendance des États, mais, en même temps, de leur solidarité et de la limitation de leurs droits par les lois internationales auxquelles ils doivent respect.

Beaucoup de ces droits sont d’ores et déjà acquis par des conventions internationales, ou consacrés au profit des nationaux et des étrangers par les constitutions et lois nationales. Il est utile néanmoins que la charte les proclame à nouveau, avec la forme solennelle qu’elle peut leur donner ; par là, qu’elle en étende uniformément l’application à tous les pays et qu’elle les place sous la garantie collective des États. La méconnaissance ou le déni de ces droits a été fréquemment l’occasion, tout au moins le prétexte, de graves conflits[8].

En ce qui concerne les droits individuels, ils sont inscrits dans les Constitutions de la plupart des peuples libres et ont été promulgués en termes clairs par la Révolution française (Déclaration des Droits de l’Homme[9]). Ils avaient été transmis à celle-ci par la Renaissance, qui avait affranchi intellectuellement l’individu à regard de la puissance religieuse ; par la Constitution anglaise et plus tard par la Révolution américaine ; par les franchises des villes libres du moyen âge et, au delà d’elles, par la liberté proclamée dans la Rome antique.

L’évolution de la liberté a été marquée par les étapes successives de l’abolition de l’esclavage, puis du servage, par l’établissement de la liberté civile, puis de la liberté politique. La garantie internationale des droits de l’homme constitue donc le couronnement de l’œuvre séculaire d’émancipation. Déjà la liberté religieuse a été consacrée par traité après les grandes guerres de religion (1648). La liberté physique a été internationalement consacrée par les traités qui ont proclamé l’abolition de l’esclavage, après les guerres coloniales.


33. LE POUVOIR LÉGISLATIF INTERNATIONAL


Le premier organe de la société des nations à créer est le pouvoir législatif, celui qui dit la loi, ce qui doit être, et par là exprime la volonté commune, formule l’imperium ou souveraineté internationale.

Le parlement mondial doit être organisé comme une coordination des forces universelles, un miroir de l’humanité[10].

331. Rôle du Parlement international.


Nous avons insisté sur la nature politique et non juridique de la plupart des grands conflits internationaux de l’heure actuelle. Les États luttent pour leur croissance et leur influence. Un parlement des États doit avoir pour fonction de normaliser semblables luttes, à la manière dont un parlement national fournit à tous les partis en présence le moyen de faire prévaloir leur volonté sans bouleversement ni révolution, mais d’une manière légale. Une cour de justice ne peut pas écarter la cause d’un trouble, c’est-à-dire changer la loi. Cela appartient à une institution législative, laquelle, au moyen d’une majorité légale et par une loi toujours modifiable, décide entre deux intérêts opposés (par exemple s’il s’agit de savoir quel système d’impôt il faut établir, frappant les capitalistes ou les ouvriers ; quel système de tarif douanier protégeant l’agriculture ou l’industrie).

Dans les relations internationales il devrait en être de même. Toute nation devrait pouvoir influencer la marche des affaires du monde dans la mesure de sa puissance réelle, comme la direction de la politique d’un pays à base démocratique appartient au parti le plus puissant. La minorité doit s’incliner devant la majorité. Celle-ci est le principe pratique d’un règlement des choses humaines. Cette possibilité donnée à chaque parti, de grandir et d’adapter un jour la société à ses propres besoins est la condition même de la paix à l’intérieur des États. Elle a mis les peuples à l’abri des révolutions violentes et a introduit dans la vie interne des sociétés un principe de développement. Cette vie n’est pas basée sur le maintien du statu quo, sur la conservation des droits acquis. Toutes les situations existantes peuvent, à l’heure où les majorités en décident, faire place à d’autres situations. De même on ne peut vouloir que le monde international demeure dans le statu quo, comme tendent à le maintenir les thèses purement juridiques et pacifiques. On ne peut protéger indéfiniment dans leurs droits historiques les nations qui, au regard d’autres plus jeunes et plus actives, plus productives, ont fini par vivre de leur richesse héritée ou d’avantages naturels incomplètement mis en valeur, et sont devenues désormais décadentes ou moins productives. En résumé il est nécessaire d’en arriver entre les nations elles-mêmes à des institutions législatives internationales où chaque État soit représenté par une puissance de vote proportionnelle à sa force réelle (cérébrale, musculaire, économique) et où, à côté des intérêts propres à chaque pays, puissent être représentés aussi les grands intérêts communs à toute la terre et à toute l’humanité. Ce doit être la fonction d’un parlement international. Mais pour atteindre ce but il doit être basé sur une « loi électorale », qui fasse de lui une sorte de résultante ou parallélogramme de toutes les forces internationales et dans lequel les décisions soient prises sous l’empire de la majorité.

Un parlement mondial doit donc fournir le moyen de discuter ouvertement et clairement les intérêts, d’apprendre aux peuples à se connaître en travaillant ensemble, de donner l’impression sensible d’être le corps représentatif de toutes les forces humaines.

332. Organisation générale du Parlement.


Il y a en théorie bien des manières d’organiser un parlement international. Le parlement peut être une représentation diplomatique des États et en ce cas ne guère différer des grands congrès. Il peut aussi être une émanation des parlements nationaux, ou encore compléter cette représentation par celle des grandes forces économiques et intellectuelles organisées. Ces trois ordres de représentation peuvent être combinés en une seule assemblée, ou bien en deux assemblées formant Chambre haute et Chambre basse. L’essentiel est d’arriver à une expression adéquate des forces. La représentation doit l’emporter sur l’élection. Un système rationnel réserverait aux délégués diplomatiques des gouvernements le Conseil exécutif des États et créerait un parlement à deux branches, représentant, l’une l’individu en tant qu’être humain en une première chambre nommée par les parlements nationaux, l’autre les fonctions et les intérêts mondiaux en une deuxième chambre dont les membres seraient désignés par les grandes unions internationales.

Toute organisation doit tenir compte des groupements basés sur les circonscriptions territoriales et de ceux basés sur les fonctions sociales. Les structures sociales, en effet, nous l’avons dit déjà, évoluent dans une double direction. Les unes ont leur base dans le lieu ; elles organisent toutes les choses humaines qui se trouvent dans les limites d’une même circonscription territoriale. Les autres ont leur base dans la fonction et s’organisent entre toutes choses similaires sans égard à leur répartition territoriale. Le développement de ce phénomène caractérise surtout la récente évolution des États. Ils ne se bornent pas à maintenir en activité une simple hiérarchie des circonscriptions locales et régionales, allant des plus réduites aux plus étendues. Ils tendent aussi de plus en plus à donner une organisation distincte, plus ou moins autonome, à chacune des grandes fonctions de la société nationale : l’enseignement, l’hygiène les transports, la vie économique sont représentés par de grandes administrations centralisées, qui poursuivent leurs tins propres et influencent constamment l’activité purement circonscriptionnelle des communes, des arrondissements, des provinces.

Dans l’organisation mondiale une place doit être donnée aux forces nationales et territoriales, représentées par les États, et aux forces fonctionnelles (grands intérêts universels), représentées par les Unions universelles et les associations internationales. Comme toute constitution, la Charte doit avoir pour but de réaliser l’équilibre des forces en présence et donner à chacune d’elles une part proportionnelle de représentation et de pouvoir. Cette organisation est une réplique de celle qui fonctionne aujourd’hui dans presque tous les pays civilisés. Elle n’est ainsi qu’un développement nouveau apporté au régime représentatif[11]. Déjà, au stade national d’organisation, chaque État a dû concilier, dans sa constitution intérieure, les nécessités du régionalisme et de la division territoriale avec celles des grandes fonctions générales. Dans certains États, l’équilibre a pu être obtenu par la coexistence de plusieurs assemblées, constituées chacune sur une base différente et concourant harmoniquement au gouvernement de l’ensemble.

333. Attribution des voix.


La question au vote du parlement international est capitale. Elle implique notamment une solution sur ces deux points : de combien de représentants disposera chaque nation ? Le vote aura-t-il lieu par tête ou par nation ? Dans une certaine mesure ces deux points peuvent se confondre, car le nombre de représentants importe relativement peu si le nombre de votes n’en dépend pas, et si le vote s’opère par délégation et non par tête. — De nombreux systèmes sont possibles pour l’organisation du vote :

1er  système. — Un État, une voix. Il y aurait donc 52 voix puisqu’il y a 52 États, et chacun de ceux-ci pourrait se faire représenter par le nombre qu’il lui plairait de délégués, avec un maximum pour éviter une assemblée trop nombreuse. (Mettons 3 délégués, soit un parlement de 156 membres). C’est le principe en usage dans les congrès et conférences diplomatiques, notamment aux conférences de la Haye. Il a fait l’objet de telles critiques que son maintien n’est pas étranger au peu de progrès faits jusqu’à ce jour par le principe même de ces congrès. Il revient, en effet, à donner la même puissance de vote aux minuscules principautés de Monaco et de Lichtenstein, à la république d’Haïti qu’aux grandes Angleterre et Allemagne.

2me système. — Vote proportionnel au chiffre total de la population. La population du globe étant de 1,500,000,000 d’habitants, avec un parlement de 150 députés, soit 1 député par 10 millions d’habitants, beaucoup de pays (Suisse, Belgique. États Scandinaves) n’auraient pas de représentants. La France aurait 4 représentants, l’Allemagne 6, la Russie 15. Ce résultat ne paraît pas acceptable.

3me système. — Vote proportionnel à la population qualifiée (les habitants de la Métropole et des colonies, ayant 21 ans d’âge, sachant lire et écrire, aptes à se suffire à eux-mêmes). Si dans ce système on représente par 100 la puissance de vote maximum et qu’on l’attribue à l’Angleterre, les États-Unis sont représentés par 80, l’Allemagne par 72, la France pour 40, la Russie par 35, l’Autriche par 15. Le principe « qualitatif » venant affecter le principe quantitatif de la population, est une amélioration réelle[12].

4me système. — Vote d’après la classe où son importance relative range chaque État. Le système s’inspire de celui en vigueur dans les unions internationales (poste, télégraphe, hygiène, etc.), mais il en diffère en ce que ce ne serait pas la volonté des parties qui les rangerait dans telle ou telle classe d’après les chiffres d’une cotisation consentie. Il serait établi par évaluation approximative un tableau de l’importance des États, et ce tableau servirait de base au vote international. Ce serait une sorte de cote mal taillée, formée empiriquement. Supposons 4 classes. Dans les premières seraient rangées les 8 grandes puissances et elles se partageraient entre elles sur un pied d’égalité, la majorité absolue, soit 56 % de tous les votes. Dans une deuxième classe seraient rangés de grands États non élevés au rang de grandes puissances : l’Espagne, la Suède, le Brésil, l’Argentine, le Chili, la Chine. Dans une troisième classe seraient rangés tous les autres États, à l’exception de ceux qui auraient été classés dans la dernière classe : donc la Hollande, la Belgique, la Suisse, le Portugal, les pays Scandinaves, les États balkaniques, les républiques sud-américaines, etc. Chacun y recevrait la même puissance de vote. Dans la quatrième classe figurerait d’abord le groupe des États centraux américains (Nicaragua, Guatemala, Honduras, Costa-Rica, Salvador, Panama, Haïti et république Dominicaine) qui se partageraient 2 % du vote ; ensuite les États minuscules (Monaco, Lichtenstein, Luxembourg, San Marin, Monténégro), lesquels se partageraient 1 % du vote avec les États africains d’Abyssinie et de Liberia. On aurait donc en résumé :

1re classe : 08 États ayant ensemble 56 % soit chacun 7xxx %
2me cla» 06 Ét»ats ayant e»sembl 15 % soit c»acun 2 ½ %
3me cla» 23 Ét»ats ayant e»sembl 27 % soit c»acun 1  %
4me cla» 15 Ét»ats ayant e»sembl 02 % soit c»acun 0,12 ou 0,14 %

Il conviendrait peut-être de donner une représentation aux protectorats et aux pays semi-indépendants[13].

5me système. — Vote d’après la puissance proportionnelle exacte des États à leurs différents points de vue. Ce dernier système tendrait à donner une formule rigoureuse mathématique au principe dont le système précédent n’est qu’une approximation. À chaque État serait attribuée une puissance de vote maximum, soit 100, divisée à son tour en une série de coefficients attribués à chacun des facteurs principaux qui constituent sa puissance. Le facteur population recevrait un maximum de 66 et le facteur territoire un maximum de 34, mais chacun de ces deux coefficients serait divisé par moitié, l’un pour la quantité brute, l’autre pour la qualité. Pour apprécier celle-ci des sous-facteurs appropriés seraient choisis. Ainsi la qualité d’une population, au point de vue de sa puissance internationale, serait évaluée en fonction de sa fécondité (naissance), des efforts faits pour rendre plus hygiéniques ses conditions de vie et qui retentissent sur sa longévité, du degré de culture ou d’instruction, de l’aptitude à appliquer les connaissances (production du blé à l’hectare), du degré d’internationalité que marque la part du pays dans le commerce mondial. Toutes ces données sont fournies aujourd’hui par les statistiques ; elles atteignent donc le degré de précision et d’objectivité désirable. En outre, la révision périodique du coefficient électoral de chaque État permettrait d’adapter exactement et en tous temps celui-ci à sa véritable puissance, qu’il importe de voir représenter dans le Parlement international[14].

Voici à titre d’exemple quel pourrait être le tableau de ces divers coefficients[15].

1. Population.
xxx11.
En quantité 
  
33
66
100
xxx12.
En qualité 
  
xxxxxx121.
Fécondité (natalité) 
  
03
33
xxxxxx122.
Santé (longévité) 
  
03
xxxxxx123.
Instruction (alphabétisme) 
  
10
xxxxxx124.
Productivité (rendement du blé) 
  
06
xxxxxx125.
Internationalité(commerce extérieur) 
  
11
2. Territoire.
xxx21.
En étendue 
  
17
34
xxx22.
En qualité 
  
xxxxxx221.
Climat (habitabilité) 
  
04
17
xxxxxx222.
Richesses naturelles(mines, forêts) 
  
04
xxxxxx223.
Accessibilité(chemins de fer,
voies navigables, ports)
 
  
09



334. Majorité ou unanimité.


Les décisions à prendre par le parlement, international devraient l’être à la majorité (majorité absolue ou majorité des ) en excluant la nécessité de l’unanimité. Le principe majoritaire est une nécessité. « Pour faire fonctionner un gouvernement libre, dit Bryce, il n’y a aucun autre moyen que le dogme de la majorité[16]. Mais c’est un moyen, non un fondement de droit. La vérité c’est que le plan général de la vie universelle suppose la subordination de la partie au tout. En conséquence la minorité doit, au non : de l’ordre légal, s’incliner devant la majorité ; mais la majorité, au nom de la justice, doit s’incliner devant l’intérêt de tous[17].

Le principe de l’unanimité doit être abandonné définitivement comme il a commencé à l’être progressivement dans les conférences officielles. Il aboutit à l’immobilité, paralysant les meilleures bonnes volontés et créant au profit du petit nombre une situation prépondérante. Déjà, le Congrès de la Paix, cherchant les moyens d’obvier à l’obstructionnisme de certains États, émettait à ce sujet en 1910 le vœu suivant : « Le principe de l’unanimité ne met pas obstacle à ce que les gouvernements constituant la majorité ou la minorité concluent au cours d’une session des traités relatifs à des questions qui n’ont pas obtenu l’assentiment de tous les États représentés. » Deux Unions universelles ont nettement rompu avec le principe de l’unanimité. C’est l’Union postale universelle et l’Union sucrière internationale. Dans l’Union postale universelle, pour devenir exécutoires les propositions de modification et d’interprétation des conventions doivent réunir l’unanimité des voix, les deux tiers ou la simple majorité absolue suivant qu’il s’agit de tel ou tel article (Article 26 de la Convention postale universelle). En cas de dissentiment relativement à l’interprétation, ou à la responsabilité, pour une administration de son application, le litige est réglé par arbitrage à la majorité des voix. En ce qui concerne l’Union sucrière, la Convention internationale, conclue en 1902, a fait de la Commission internationale une véritable juridiction internationale, capable d’assurer l’application de la Convention et de pénaliser les sucres primés. Ce tribunal prononce par voie de majorité ; ses réunions ont pour objet les constatations relatives au régime intérieur des sucres dans les pays contractants et les évaluations du montant des primes qui dérivent de ces régimes. De telles décisions ont un caractère exécutoire par elles-mêmes pour tous les États contractants.

Pour se protéger contre le coup des simples majorités on a souvent imposé un plus grand nombre de voix. Ainsi c’est aux deux tiers des voix que peuvent seulement être revisées les constitutions. Dans le « Bundesrat », ou Conseil fédéral de l’empire allemand, lorsqu’il s’agit d’un projet d’ordre constitutionnel ou organique, sur les 58 voix qui le composent l’opposition d’une minorité de 14 voix suffit pour entraîner le rejet de la mesure proposée. Aux États-Unis, un bill quelconque voté par la Chambre et le Sénat, et non approuvé par le Président, doit être discuté et voté une seconde fois par les corps délibérants et réunir alors les deux tiers de voix dans chaque Chambre.

335. Représentation des fonctions ou intérêts.


Un peuple n’est pas un agrégat d’individus. C’est aussi un ensemble de fonctions exercées par des hommes. Deux termes sont d’irréductible et égale importance : vie de l’individu et fonction de la société. Aussi l’organisation spontanée de celle-ci se fait-elle d’après des divisions autres encore que les divisions territoriales. Dans le monde entier, elle s’opère par couches et groupements d’intérêts et le besoin existe de faire dans la représentation une place à la compétence organisée, au savoir technique, à côté de la représentation de l’individu et des intérêts politiques tout à fait généraux.

Pour l’organiser il faut déterminer les catégories d’intérêts à représenter, les électeurs, les éligibles.

a) Comme « catégories » d’intérêts à représenter, les trois classes : capital, travail, intelligence, pourraient servir de hase. À première vue, il semble que ces classes épuisent bien les catégories pratiques, et qu’un tiers de la puissance de vote devrait être attribuée à chacune et être sous-subdivisé ensuite entre leurs sous-catégories. C’est conforme aux grandes caractéristiques sociales de l’heure présente, où les luttes économiques priment les autres et où l’intelligence exerce en toute indépendance son influence sur les deux autres catégories. Dans cette dernière catégorie, intelligence, on réunira tous les groupements qui poursuivent des buts désintéressés : sciences, arts, lettres, religions, etc. Les consommateurs, eux, n’ont pas de représentation spéciale dans ce système parce qu’ils sont répartis en fait dans les trois autres catégories, que tout individu est consommateur et qu’à côté de la représentation des intérêts existe un autre mode de représentation basé sur les droits accordés à tous les individus (Chambre basse).

b) Les « électeurs » seraient ici les collèges électoraux à organiser. Ils peuvent être au premier ou au second degré. On peut supposer un système qui s’appuie sur les grandes associations internationales fédéralisées, c’est-à-dire composées des associations nationales de même spécialité, lesquelles à leur tour grouperaient toutes les associations régionales ou locales répondant à une définition donnée. Il y aurait autant de collèges spéciaux d’électeurs qu’il y aurait de catégories d’intérêts et de pays.

c) Afin de déterminer les « éligibles », le premier vote donnerait lieu successivement à deux opérations. 1° Dans la première, chaque collège national-spécial présenterait trois personnes de sa spécialité et de son pays qui selon lui seraient dignes de siéger à la Chambre haute internationale. 2° Les listes nationales spéciales seraient fusionnées en une liste internationale-spéciale. Les mêmes collèges électoraux, de mêmes catégories et de tous les pays, éliraient autant de représentants à choisir sur cette liste qu’il y aurait de sièges réservés à leurs catégories d’intérêts. Ainsi supposons qu’il y ait à désigner 20 représentants internationaux du travail : comme il existe 52 pays présentant chacun des candidats, les divers « collèges électoraux nationaux du travail » auront tous ensemble à choisir 20 représentants parmi les candidats. Cette méthode présente plusieurs avantages. Le collège des électeurs est limité sans doute dans son choix par la liste des éligibles, mais en même temps il est déchargé de beaucoup de responsabilité. Quelle que soit l’issue finale, les députés appartiennent à l’élite des spécialistes de tous les pays. En stipulant que dans chaque catégorie il ne peut être nommé qu’un seul député appartenant à une même nationalité, ce système donne toute garantie au principe de l’égalité internationale des nations, tout en réalisant une représentation des fonctions sociales et non des États.

Le système exposé ici donne une représentation « globale » aux trois intérêts : travail, capital, intelligence. Un autre système, plus organique peut-être, consisterait à représenter directement à la Chambre haute les Unions internationales déjà constituées pour régulariser les fonctions de la société arrivées au stade d’internationalisation : fonctions intellectuelles et fonctions économiques. Dans ces dernières (industrie, commerce, transport, agriculture, mines, etc.) on trouve jointes déjà les forces du capital, du travail, de l’intelligence, mais appliquées chaque fois à un objet spécial. Les trois espèces de forces ne formeraient pas trois blocs dans la représentation, mais, associées les unes aux autres à tous les degrés intermédiaires de l’organisation, elles participeraient au pouvoir sous la forme d’une représentation des Unions[18].

336. Précédents.


L’institution d’un parlement international peut se réclamer de divers exemples qui, sans constituer des précédents, n’en constituent pas moins des faits de haute portée pratique.

a) L’histoire du régime représentatif parlementaire. Il remonte à la fin du moyen âge, époque où il fonctionnait déjà en Espagne, en Portugal, en Suisse, en Suède, en Angleterre. Ce dernier pays a su lui donner un très grand développement ; de là il a passé en Amérique et a pris ensuite une forme continentale en France au moment de la Révolution. Aujourd’hui tous les pays l’ont, adopté et le parlement est devenu une institution universelle. Il fonctionne chez les petites et chez les grandes nations, dans les États unitaires et dans les États fédératifs, dans les monarchies, les empires et les républiques. Il constitue l’institution la meilleure que les hommes aient inventée pour débattre ensemble de leurs intérêts vitaux.

b) L’histoire des grands congrès diplomatiques qu’il a fallu réunir chaque fois que de graves questions se posaient pour tous les États. En particulier les deux Conférences de la Haye en 1899 et 1907 constituent de vrais précédents d’une représentation mondiale, À ces Conférences, à la dernière surtout, à peu près tous les États avaient envoyé des délégués (44 sur 52). Elles se sont réunies pour faire un travail normal de législation internationale, alors qu’aucune guerre ne le rendait immédiatement nécessaire. La seconde Conférence a demandé que l’institution devînt périodique, et une troisième Conférence était en préparation au moment de la guerre. L’expérience a démontré les avantages de l’institution, et ses insuffisances, auxquelles parerait un parlement. C’est l’absence d’un statut fixant son organisation, sa permanence et sa compétence ; c’est l’esprit diplomatique qui y a régné au lieu du souffle parlementaire et populaire ; c’est le défaut de proportionnalité dans les votes et l’exclusion du principe de majorité[19].

c) L’Union interparlementaire a fonctionné avec fruit pendant plusieurs années. Elle tient des conférences annuelles ou tous les deux ans. Constituée primitivement pour l’arbitrage international, en 1912 elle a révisé ses statuts et s’est donné un objet général dans le domaine du droit international. Son œuvre a été remarquable et a porté des fruits, mais combien timide et insuffisante ! Elle ne forme pas une délégation véritable et organique des parlements ; ses décisions n’ont aucune autorité souveraine et elle n’a pas de responsabilité : l’objet de ses travaux est volontairement restreint.

d) Au cours de la guerre, l’action interparlementaire s’est fait sentir. Des délégations des parlements alliés à une réunion internationale sont en voie de formation. Une Conférence interparlementaire commerciale, réservée aux Alliés, doit se réunir à Paris en avril 1916. Avant la guerre fonctionnait une Union interparlementaire scandinave.

34. LE POUVOIR JUDICIAIRE INTERNATIONAL



Le Pouvoir judiciaire international comprend actuellement l’ensemble des institutions, les unes permanentes, les autres temporaires, qui ont pour but le règlement des conflits particuliers entre États. Leur mise en fonctionnement constitue ce qu’on a appelé la procédure pu droit international public.

Jusqu’ici trois moyens juridiques : arbitrage, médiation, commission d’enquête avaient été organisés comme un système devant rendre possible la solution de tous les conflits quelle que soit leur nature. L’arbitrage devait s’appliquer surtout aux conflits juridiques bien qu’il trouve son application ailleurs aussi. La médiation était indiquée pour les graves conflits d’intérêts. Les commissions d’enquête devaient se borner à établir les faits, laissant aux parties le soin d’en tirer les conclusions.

Cependant les institutions créées ont été reconnues n’être que de simples acheminements vers des institutions plus parfaites : une Cour de justice à côté de l’arbitrage, un Conseil permanent de conciliation à côté des Commissions d’enquêtes. Ainsi serait établie désormais distinction bien nette outre les causes justiciables et celles qui ne le sont pas. Ces diverses institutions, anciennes et nouvelles, devraient être comme les branches d’une organisation générale, de la même manière que, dans un État, les Cours et Tribunaux, malgré leur diversité justifiée par les objets différents, se rattachent à une organisation unique.

La justice internationale, l’instance suprême, doit s’étendre à tous les cas et donner satisfaction à tous ceux qui se sentiraient lésés dans leurs droits garantis par traités internationaux ; non seulement les États, mais aussi les nationalités qui ne sont pas représentées par un État[20]; les minorités opprimées dans un État ; les individus, pour ce qui concerne leurs relations internationales.

De toutes les institutions internationales, ce sont les judiciaires qui ont fait l’objet des études les plus étendues, des réalisations les plus considérables. C’est pourquoi nous pouvons nous dispenser d’entrer ici dans de longs développements. Renvoyant à la littérature générale du sujet, nous nous bornerons à l’indication des points acquis, des lacunes et desiderata, des propositions suggérées.

341. L’arbitrage international.


Il existe actuellement une Cour internationale d’arbitrage. L’arbitrage est facultatif. Les arbitres sont choisis dans chaque cas particulier par les gouvernements intéressés, sur une liste dressée d’avance et conservée par le Conseil d’administration de la Cour. Déjà cette forme rudimentaire de la justice a rendu maints services[21]. Il y a lieu de maintenir le principe de l’arbitrage et son organisation, mais de l’améliorer.

L’arbitrage international est ancien. Il a son origine chez les Grecs[22]. Dans l’empire romain il ne joua qu’un rôle effacé de même qu’au début du moyen âge[23]. Dans sa forme moderne il est le don des Anglo-Saxons et date du traité de Jay de 1794[24]. Les nations sud-américaines l’instaurèrent, de bonne heure à l’initiative de Bolivar, qui, n’ayant pu parvenir à les unir en une vaste fédération, proposa tout au moins de régler leurs différends par le moyen de l’arbitrage. Celui-ci est passé dans les mœurs des républiques. Ce fut le cas fameux de l’Alabama (1860) qui attira surtout l’attention du monde sur l’arbitrage.

Les constitutions fédérales eurent à s’occuper des conflits entre leurs membres. Ainsi la constitution fédérale de la Suisse de 1874 règle la solution des différends qui viendraient à s’élever entre les cantons.

Sous Léon XIII, une idée se faisait jour : voir établir un arbitrage international qui eut été confié au Pape. Celui-ci eut établi une ligne de démarcation entre les ambitions des diverses puissances. Cette idée commençait à être traduite dans les faits par la désignation du Vatican comme le siège d’un tribunal d’arbitrage pour la résolution pacifique des conflits internationaux. Bismarck y eut recours pour régler la question des Carolines en litige entre l’Allemagne et l’Espagne. La papauté avait été invoquée par l’Espagne écrasée par les États-Unis dans l’affaire de Cuba. Aussi lors de la réunion de la Conférence de la Paix beaucoup s’attendaient à y voir inviter le Pape. Il n’en fut rien à la suite des démarches de l’Italie.

Après des tentatives faites en 1882 pour grouper certains États de l’Amérique centrale et méridionale en une réunion pour l’arbitrage, une conférence panaméricaine fut réunie à Mexico en 1902, à la suite de laquelle toutes les républiques américaines s’unirent par un traité général. Les États de l’Amérique centrale, après des conférences centrales américaines spéciales, se sont liés par des traités entre eux. Ils possèdent aujourd’hui leur propre Cour internationale d’arbitrage à Carthago. La propagande en Europe depuis 1889 a été conduite par les Congrès universels de la paix et par l’Union interparlementaire. L’Institut de Droit international avait préparé un projet de procédure d’arbitrage dès 1875. Un autre projet fut adopté par le Congrès universel de la paix, à Anvers, en 1894. La première Conférence de la paix en 1899, a donné à ces efforts une consécration officielle dans la « Convention pour le règlement pacifique des conflits internationaux », adoptée par les vingt-sept États représentés, et, après quelques modifications, par les quarante-quatre États représentés en 1907. Il s’agirait toutefois d’une simple procédure arbitrale, d’une Cour à réunions intermittentes et non d’un Tribunal permanent. La proposition russe à la Conférence de 1899 tendait à introduire l’obligation de se soumettre au jugement d’une telle cour, mais elle ajoutait qu’une telle obligation n’existait pas pour les questions touchant à la vie ou à l’honneur d’un État. Chaque État restait juge de ce qui pour lui était une question de vie ou d’honneur. La proposition obtint l’adhésion de presque tous les délégués ; seule l’Allemagne fit des objections, avec l’Autriche et la Turquie. Le Kaiser considérait que l’arbitrage était une atteinte a sa souveraineté[25]. La conférence dut suspendre ses travaux et faillit continuer sans l’Allemagne. Finalement on se résolut, pour ne pas faire échouer toute la chose, à céder à la volonté de Berlin et à instituer à la place de l’arbitrage obligatoire l’arbitrage facultatif.

La deuxième Conférence de la paix, en 1907, a fait un pas de plus. Non seulement elle a créé une Cour internationale des prises, mais arrêté le projet d’une Cour internationale suprême, dont la signature fut recommandée aux États par le représentant de tous les États à l’exception de quatre. Le principe de l’arbitrage a été accepté à la Conférence de 1907 de La Haye par trente-cinq puissances sur quarante-quatre représentées, ayant ensemble 1 milliard 285 millions d’habitants. La minorité, composée de cinq opposants, n’avait, que 222 millions d’habitants, soit 1/60me de la majorité.

En même temps que cet effort pour constituer l’organisme chargé de trancher les conflits, des efforts parallèles étaient faits pour amener les États à se lier les uns à l’égard des autres dans le but de soumettre leurs différends à l’arbitrage. La Russie faisait cette recommandation dès 1889. Depuis 1900 furent signés 197 traités d’arbitrage. En 1907, une proposition formelle en vue de rendre l’arbitrage obligatoire fut faite à la Conférence de La Haye, mais elle échoua par l’opposition de 9 États sur 45, trois autres s’étant abstenus (opposition des empires germains). Depuis, certaines conventions d’arbitrage couvrant tous les cas ont été signés par le Danemark, la Hollande, l’Argentine et l’Italie.

Plus récemment l’Angleterre, la France, l’Espagne, la Chine ont signé avec les États-Unis des traités d’arbitrage conformes au plan Wilson-Bryan (Peace Plan Bryan). Ils stipulent qu’au cas où des difficultés s’élèveraient entre un de ces pays et les États-Unis, une commission serait nommée pour étudier les moyens d’aplanir ces difficultés. Si des hostilités devaient éclater, elles ne pourraient commencer que douze mois après la nomination de cette commission. (L’expérience de 1914 montre que la mobilisation partielle ou complète doit être considérée comme une action hostile). D’après les traités de La Haye une commission d’enquête ne peut être convoquée que séparément pour décider un cas particulier. Le plan Bryan au contraire a en vue l’établissement d’une commission permanente qui ne se bornerait pas à l’examen des faits qui divisent les partis, mais aurait à résoudre les différends par ses conseils. C’est une nouvelle organisation de la vie diplomatique avant d’avoir recours à l’arbitrage[26].

Au cours de la guerre, en 1915, des traités d’arbitrage très complets ont été signés entre les États-Unis et les trois républiques de l’A.B.C. (Argentine, Brésil, Chili). — Les États actuellement en guerre n’ont entre eux qu’un seul traité d’arbitrage. Les alliés ont conclu avec d’autres 66 traités d’arbitrage ; les impériaux en ont 8[27].

Evans Darby a compté 6 arbitrages au XVIIIme siècle, 417 au XIXme et 63 de 1900 à 1903. Depuis cette date, il y a eu environ 150 arbitrages. Il y avait en 1913, 36 traités bipartites d’arbitrage sans aucune réserve ; 13 traités réservant les questions constitutionnelles, 46 traités sous la réserve des intérêts vitaux, de l’indépendance, de l’honneur national ou des intérêts d’une tierce puissance ; 19 traités relatifs aux questions de compétence ; 65 traités pour les différends d’ordre juridique ou d’interprétation des conventions ; 44 pour des traités de droit international de commerce et de navigation ; 72 pour d’autres sujets. Une convention mondiale d’arbitrage est nécessaire. Une réforme qui ne serait réalisée que par convention bipartite, au lieu de l’être par convention universelle, exigerait 1,128 traités différents.

Il est intéressant de signaler en passant ce que coûte la justice internationale actuelle en regard des services qu’elle a rendus. La Cour permanente d’arbitrage a un budget de 28,222 florins qui est réparti entre quarante-quatre puissances. Les plus importantes (Allemagne, France, États-Unis, etc.) y interviennent pour 25 unités, soit pour la somme insignifiante de fr. 1,482.25 par an.


342. Cour suprême de Justice Internationale.


À côté de la procédure d’arbitrage il est nécessaire d’instituer une nouvelle cour internationale de justice.

1. L’organisation actuelle de la Cour de La Haye a donné lieu aux critiques suivantes : a) Il s’agit, d’une cour d’arbitrage et non d’une cour de justice qui solutionne tous les conflits internationaux et dont l’intervention serait obligatoire. b) La grande variété des tribunaux d’arbitrage, qui tous empruntent leur titre à la cour permanente mais dont néanmoins la composition et le caractère différent considérablement, enlève toute cohérence aux sentences consécutives, auxquelles par conséquent tout esprit de suite fait défaut. c) Les juges pour la plupart sont diplomates plutôt que jurisconsultes ; il n’y a donc pas de compétence juridique, inhérente à la notion de fonction judiciaire. d) Les juges ne sont pas indépendants, mais relèvent des gouvernements qui les ont nommés : peu importe qu’ils soient nationaux ou étrangers, ils dépendent de leurs commettants. e) L’influence politique se fait nécessairement sentir et exclut une jurisprudence reposant uniquement sur le respect du droit strict. C’est pourquoi le prestige moral des sentences de la cour laisse beaucoup à désirer et sa juridiction contribue peu à la réforme et au progrès du droit international. Jusqu’ici la cour de La Haye s’est attachée plutôt à considérer ce qui est équitable et à chercher à contenter les deux parties plutôt qu’à donner entièrement raison aux demandes ou aux défenses comme dans la justice civile[28]. f) La composition de chaque tribunal arbitral comporte des lenteurs lamentables et des frais disproportionnés, ce qui contribue plutôt à détourner les parties litigeantes qu’à les attirer vers la cour[29]. g) Il n’y a pas de procureur international et la Cour ne peut pas agir proprio motu. h) Les décisions n’ont pas de sanction. i) Cette guerre a provoqué parmi les peuples un sentiment tout nouveau : celui de la nécessité d’infliger un châtiment moral et matériel à celui qui est responsable de la guerre. Il est devenu l’ennemi de l’Humanité entière et celle-ci veut qu’il soit puni. Elle demande qu’un tribunal décide de sa culpabilité et applique les peines méritées. C’est une forme du sentiment plus organique déjà que celle du simple désir de voir les coupables vaincus ; elle implique une idée de justice. Et comme conséquence, c’est une fonction nouvelle à ajouter à celles de la Cour de justice, qui n’avait jusqu’ici été demandée que pour trancher les conflits avant que ceux-ci ne se voient transformés en guerre. j) Il faut distinguer entre la Juridiction gracieuse, qui comprend la médiation, les bons offices, les commissions d’enquête, et la Juridiction contentieuse. Cette dernière sera arbitrale ou judiciaire. On a malheureusement confondu tous les termes et les expressions traditionnelles ; on a parlé d’arbitrage permanent et obligatoire et de justice arbitrale. Or, l’arbitrage est, par essence, volontaire et temporaire ; ce qui peut être permanent, c’est la promesse ou l’engagement de recourir à l’arbitrage ; ce qui peut aussi être permanent, c’est une liste d’arbitres comme celle qui est déposée à la Haye. Mais l’arbitrage ne peut devenir effectif lors d’un conflit que par le consentement des États en cause et le choix fait par des arbitres appelés à trancher le différend. Il ne peut être obligatoire que si le choix des arbitres appartient à un organisme qui agit à la place de l’État qui se refuse à les désigner ; aucune des conventions dîtes d’arbitrage obligatoire, conclues jusqu’à ce jour, ne contient une telle disposition. Quant à la Cour de justice arbitrale dont s’est occupée la Conférence de la paix en 1907, elle porte, elle aussi, un titre contradictoire. Une cour de justice véritable est par essence une juridiction devant laquelle la comparution des parties est obligatoire ; vis-à-vis de la partie qui se refuse à comparaître, la décision qui interviendra sera prononcée par défaut et deviendra exécutoire après certains délais impartis pour faire opposition. Le principe d’une telle juridiction est à la base de la Cour internationale des prises, que nous verrons probablement fonctionner au cours de la guerre actuelle[30]. »

2. Il y a lieu de créer une véritable cour supérieure de justice internationale et de passer outre à l’objection que, pour chaque peuple, l’honneur et l’intérêt vital sont choses délicates, pour l’appréciation desquelles il peut difficilement s’en remettre à autrui. La cour devra être permanente et être dotée d’un statut ou règlement organique. Ce point a fait l’objet de diverses propositions, dont les principales peuvent être résumées ainsi : a) « La Cour connaît de tous les conflits d’ordre juridique entre les États contractants. Sont considérés comme tels tous les conflits concernant l’interprétation de traités et de la teneur de règles ou principes du droit des gens, y compris la fixation de dédommagements dus pour violation de traités, de règles ou de principes de ce droit. La Cour connaît également des différends surgis entre États contractants, lesquels, par quelque traité particulier, sont soumis a l’arbitrage. Ces différends sont considérés comme étant d’ordre juridique, même s’ils ne tombent pas sous la définition précédente. » (Projet de l’Organisation centrale pour une paix durable, 1916.) b) Composition : membres élus par le Bureau international permanent parmi les candidats de capacité juridique reconnue, portés sur une liste à raison de quatre délégués par chaque État et de telle manière que tous les membres de la Cour appartiennent à des nationalités différentes et qu’aucun État ne puisse exercer une prépondérance ; c) Procédure : faculté, pour tout État qui se croit lésé dans ses droits, d’assigner les autres États devant la Cour ; obligation de donner aux sentences des motifs basés sur le droit international.

343. Conseil permanent d’enquête et de conciliation.


1. Les conventions de La Haye ont prévu l’organisation dans chaque cas déterminé de commissions internationales d’enquête chargées d’établir les faits. D’autre part les traités d’arbitrage du plan Bryan organisent une procédure permanente entre les États contractants. Par extension et généralisation du même principe on propose d’instituer un Conseil international permanent de conciliation, avec lequel pourraient être combinées les commissions internationales[31]. Le Conseil de conciliation aurait pour but de provoquer l’adaptation du droit au fait. Il devrait se prononcer sur les conflits et réclamations qui ne sont pas justiciables, et suggérer s’il le faut des moyens nouveaux de solutions et d’adaptations particulières de moyens généraux.

2. L’institution s’inspire de l’idée que les situations nouvelles créées par le développement même de la vie nécessitent à chaque instant un ajustement du droit aux circonstances. Quand il ne peut être obtenu directement par les parties intéressées, c’est à une tierce médiation qu’il faut avoir recours, afin de faire de ses recommandations la base d’un droit nouveau librement consenti. C’est à des Conseils de conciliation que toutes les nations, pour leurs affaires intérieures, ont dû confier le soin de chercher à mettre fin aux différends entre patrons et ouvriers et aux grandes guerres industrielles qu’ils déchaînaient. Il y a cinquante ans les conflits entre le capital et le travail étaient devenus de véritables guerres sociales. Or un jour, dans une grande industrie du nord de l’Angleterre, tandis que les deux parties étaient prêtes à engager la lutte, quelqu’un proposa tout à coup et fit adopter une « machinerie » apte à réconcilier les revendications opposées et les disputes qui pourraient naître encore à l’avenir. Depuis lors il n’y eut plus de conflits sérieux dans cette industrie et l’institution nouvelle gagna de proche en proche. L’institution s’est depuis étendue. On a commencé par des organisations non permanentes ; désorganisations constituées pour chaque conflit, avec caractère facultatif, les intéressés étant libres d’y recourir ou non. Il n’était exercé d’action sur les volontés que par la publicité donnée aux conclusions des conseils. Puis on a proposé des conseils permanents de conciliation et d’arbitrage et on a cherché à rendre cette procédure obligatoire. L’initiative, tant qu’il n’y a pas grève, ne peut émaner que des deux parties intéressées ou de l’une d’elles ; mais, s’il y a grève, elle peut émaner du conseil. Car la grève, outre qu’elle fait apparaître des possibilités de désordre, indique entre les parties un état d’hostilité et de rupture qui laisse peu espérer l’initiative de l’une d’elle, tandis qu’elle permet d’attendre quelques résultats de la démarche d’un magistrat, auquel elles peuvent répondre sans paraître faire une avance. — La différence entre un tribunal et un conseil de conciliation en matière privée est rendue claire par cet exemple : des ouvriers peuvent réclamer au tribunal le payement d’un salaire de 5 francs qui leur a été promis ; mais si, à raison de la cherté de la vie ou de la hausse des prix de vente du produit, ils estiment en promériter six, il n’y a qu’un conseil de conciliation qui, pour éviter la grève, puisse décider équitable et opportun de leur en donner cinq et demi. Qu’un État réclame des colonies parce qu’il croit que la pléthore de sa population, son expansion, etc., lui en font une nécessité, ce n’est pas une cour de justice qui pourra les lui concéder, vu l’absence de titre ; mais un conseil international de conciliation pourrait suggérer des moyens équitables pour qu’il puisse en acquérir contre compensation.

3. On a proposé de donner l’organisation suivante à la nouvelle institution internationale : a) Objet : prévenir et régler les conflits entre États qui ne sont pas de caractère justiciable. b) Composition : désignation des membres du conseil de la même manière que ceux de la cour d’arbitrage. c) Mise en action : obligation pour chaque État de soumettre à conciliation tout différend « non justiciable » qui pourrait mettre ultérieurement en danger ses relations amicales avec un autre ou des autres États. Faculté pour le conseil, lorsqu’il estime qu’il existe un tel conflit entre États, de le prendre en considération de sa propre initiative et d’inviter les États intéressés à le lui soumettre, en vue de concilier les intérêts ; même faculté alors qu’aucun conflit ne serait né actuellement, mais que le conseil jugerait utile de présenter des suggestions à propos d’une affaire internationale. d) Procédure : préparation et publication par le conseil sur chaque conflit d’un ou plusieurs rapports contenant les recommandations pour son règlement amiable. Obligation pour les gouvernements de fournir au conseil tous les moyens facilitant l’accomplissement de sa mission. Faculté pour le conseil de délibérer en séance publique ou en séance privée ; droit pour lui de nommer des comités composés ou non exclusivement de ses membres et chargés de lui faire rapport sur toute question entrant dans la sphère de ses attributions. e) Sanction : en cas de refus par un État d’accepter et de rendre effectives les recommandations contenues dans un rapport du conseil ; examen à faire de concert par les États de toute la situation qui en résulte et, s’il y a lieu, action collective à entreprendre en vue de réaliser les recommandations.

344 Médiation.


Lorsqu’un litige s’élève entre deux ou plusieurs États, il se peut qu’un État tiers intervienne pour l’apaiser et le résoudre : cette intervention est une médiation. La médiation se distingue de l’arbitrage en ce que le médiateur, à la différence de l’arbitre, ne rend pas un jugement et n’impose pas sa volonté aux parties : il suggère simplement les décisions équitables qui peuvent amener la solution du différend. La médiation d’un État tiers peut être réclamée par l’une ou par les deux parties ; elle est quelquefois offerte spontanément par l’État tiers. Certains États peuvent s’engager par traité à demander, en cas de difficultés, la médiation d’une puissance tierce : en fait, au XIX{e|{me}} siècle, on pourrait citer de nombreux cas de médiation. Ainsi les grandes puissances ont agi comme médiatrices en 1897 pour amener la paix entre la Turquie et la Grèce.

On a proposé de donner à la médiation la forme d’un organisme médiateur permanent et d’en déterminer la procédure de manière à permettre en tous temps, même aux belligérants qui ne cesseraient les hostilités, de faire connaître continuellement les conditions auxquelles ils feraient la paix. L’organisme lui-même pourrait prendre l’initiative de faire certaines suggestions et même de soumettre des bases complètes de règlements du conflit[32].

Semblable institution part de l’idée qu’on se bat pour un objectif et qu’il n’y a pas inconvénient à le faire connaître si l’on est dans son bon droit. Beaucoup de guerres cependant ne visent qu’un accroissement de puissance, et ceux qui les déclarent ne sauraient, préciser autrement leur but qu’en disant qu’ils veulent profiter d’une victoire pour s’agrandir, asservir des voisins et prendre le plus possible. La non déclaration des objectifs de guerre, la non limitation d’avance des conséquences politiques d’une action militaire victorieuse, permet d’ailleurs de juger des intentions louches ou troubles des belligérants.


345. Les Sanctions.


1. Le problème des sanctions du droit international est capital. Un droit sans sanction est un simple conseil, « une flamme sans chaleur » (von Jhering). Jusqu’à aujourd’hui les sanctions du droit international, son autorité, résidèrent dans l’opinion publique et dans le fait que ses principes fondamentaux étaient estimés admis d’un commun accord par tous les peuples civilisés. On jugeait que les traités devaient normalement être exécutés de bonne foi et les sentences des arbitres obéis[33]. On estimait que les États ont intérêt à ne pas perdre leur position morale au sein de la collectivité internationale et à sauvegarder leur honneur et leur prestige, car rien ne peut arriver de plus infâme pour un État que d’apparaître à la face du monde comme le violateur du droit des gens et le contempteur des traités.

Maintenant une heure critique a sonné pour les nations. La guerre actuelle a été signalée par des violations abominables et cyniques du droit international. La vie, la sécurité n’est plus possible pour les États sans que les devoirs internationaux soient transformés en obligations, ou sans que les droits correspondants soient sanctionnés, munis d’action juridique, garantis par les organes appropriés d’une justice internationale. La constitution d’une force internationale de sanction doit ainsi réunir toutes les bonnes volontés. Sans doute, même établie, il suffira toujours d’un seul État brigand pour troubler la paix, mais on peut espérer que le respect de la liberté des États voisins augmentera à mesure que le nombre des hommes libres et éclairés croîtra sur la terre ; et que les violations brutales du Droit deviendront plus difficiles à réussir par un seul contre tous, si le droit est aussi devenu la force grâce à l’adhésion du plus grand nombre d’États.

2. L’État moderne possède à l’intérieur quatre moyens d’imposer la volonté de la loi : a) Somme de monnaie imposée comme amende, ou dommage récupérable sur la propriété. b) Emploi de la force physique pour s’opposer à l’atteinte au droit. c) Désignation d’une autorité faisant l’acte désiré aux lieu et place et aux frais du condamné. d) La prison.

3. Le pouvoir de sanction doit avoir une force proportionnée à la résistance possible. Dans la vie nationale c’est l’État et les autorités déléguées par lui qui organisent et disposent de cette force, depuis le simple agent de police ou le gendarme, lorsqu’il s’agit de faire respecter l’ordre par un individu isolé, jusqu’à des brigades de police, des escouades de gendarmes, de la force armée s’il s’agit d’une bagarre, d’une grève, d’une émeute, d’une insurrection. Pour imposer à un ou à plusieurs États le respect de la volonté collective (décision du Parlement international ou décision d’une des institutions de justice) il faut, finalement une force considérable, une véritable armée internationale ou l’action jointe de plusieurs armées nationales. Nous en traiterons plus loin en détail[34].

4. Mais l’emploi de la force n’est qu’un des moyens de sanction. Dans le domaine international comme dans le domaine national, il en existe d’autres : a) Isolement de la nation récalcitrante : boycott, interdit, excommunication, ostracisme, cessation de toutes les communications économiques et commerciales. C’est la pénalité que l’on trouve à l’origine du droit commercial (Practice of outlawry ; Sumner Maine). Cet isolement implique la suppression des privilèges et avantages internationaux, consuls à l’étranger, usage de la poste et du télégraphe universels, la liberté d’exportation et d’importation, la liberté de voyage et de séjour à l’étranger, le recouvrement des sommes, l’exécution des jugements, la protection des œuvres intellectuelles, brevets et droits d’auteur. b) La prohibition des emprunts contractés à l’étranger. c) Le cautionnement des puissances tierces. d) Le dépôt préventif des sommes d’argent dans une banque internationale pour faciliter le payement des amendes. e) La mise sous séquestre des sommes d’argent ou des territoires appartenant aux nations en litige. f) Séquestre des biens des nationaux de ce pays ; placement dans des camps de concentration de ces nationaux. g) Défense de transporter sur des navires d’autres produits que les produits du pays. h) L’exclusion temporaire ou définitive de l’union, formée par la société des nations, des délégués ayant résisté à une sentence.

Il existe donc des méthodes coercitives, les unes diplomatiques, les autres économiques, les troisièmes militaires. S’il peut être difficile d’organiser des sanctions pour des cas aussi graves que ceux pouvant entraîner la guerre, par contre il paraît évident que d’autres parmi les sanctions proposées seraient parfaitement efficaces dans des cas de moindre gravité. Pour les autres, que perdrait-on au moins à essayer ? En conséquence il y aurait à faire prévaloir ce principe : « Les États seront tenus à prendre de concert des mesures diplomatiques, économiques ou militaires, dans le cas un État agirait militairement, au lieu de soumettre le différend à une décision judiciaire ou de recourir à la médiation du Conseil d’enquête et de conciliation[35]. »

35. LE POUVOIR EXÉCUTIF INTERNATIONAL
L’ADMINISTRATION



Dans l’intérieur des États, le pouvoir exécutif est celui qui pourvoit à l’exécution des lois, à la sûreté de l’État, au maintien de l’ordre public et aux différents besoins de la société. L’organisation administrative est l’ensemble des institutions qui assurent le fonctionnement du pouvoir exécutif. L’Administration est l’ensemble des divers services au moyen desquels il est pourvu à la sûreté de l’État, au maintien de l’ordre public et à la satisfaction de tous les autres besoins de la société ; cette organisation est une émanation du pouvoir exécutif. — Ces définitions, mutatis mutandis, peuvent être transportées dans le domaine international. Il est proposé d’organiser le Pouvoir exécutif sous la forme d’un Conseil des États, ce Conseil ayant charge entr’autre de la gestion des Unions internationales administratives avec le concours des Associations internationales[36].

351. L’action concertée des États.


1. L’action de concert est naturelle, instinctive : coalition des petits contre l’hégémonie des grands pour imposer leur volonté aux petits. Aussi l’histoire politique a-t-elle enregistré bien des cas où des mesures exécutives ont été occasionnellement concertées entre les gouvernements. Il s’agit de rendre organique ce qui aujourd’hui est encore amorphe, informe et accidentel. Le concert porte tantôt sur des mesures diplomatiques, tantôt sur des mesures militaires. Il donne lieu à intervention. L’intervention est l’immixtion d’un ou de plusieurs États dans les affaires d’un autre État, tantôt dans ses affaires intérieures, tantôt dans ses affaires extérieures. Les jurisconsultes déclarent qu’elle est contraire aux principes de l’indépendance des États, mais légitime quand elle résulte d’une convention où est partie l’État qui donne lieu à intervention, ou quand le droit de conservation de l’État intervenant se trouve mis en péril. L’intervention est souvent motivée par un traité antérieur dit « de garantie » ou par un accord résultant des intérêts communs engagés. On a fait remarquer qu’une intervention convenue n’est plus une intervention. Une intervention collective doit être approuvée, car il y a seulement intervention à rejeter quand il s’agit d’annexion violente et imposée par la force.

2. Au cours du XIXe siècle, les mesures concertées et les interventions ont été nombreuses. En 1815 les Alliés se promirent de tenir des réunions consacrées à l’examen des mesures pour le maintien de la paix de l’Europe. Les congrès du Concert européen eurent lieu périodiquement, notamment en 1818, 19, 20, 21, 22 et 1825. La Sainte-Alliance, établie en même temps, était fondée sur le principe de l’intervention pour protéger les souverains contre la révolution. En fait elle intervint plusieurs fois, contre Naples et contre l’Espagne, donna mandat spécial à l’un ou à l’autre État d’opérer l’intervention. Mais de bonne heure l’Angleterre se détacha de la manière de voir des autres puissances. Dès 1821, dans une dépêche, lord Castlereagh précisait ainsi son attitude : « Bien qu’aucun gouvernement ne peut être plus disposé à maintenir le droit de tout État d’intervenir, lorsque sa sécurité et ses intérêts essentiels sont menacés d’une manière sérieuse et immédiate par les événements intérieurs d’un autre État, le gouvernement anglais regarde cependant l’admission de ce droit comme ne pouvant être justifié autrement que par la plus urgente nécessité et devant être limitée et régularisée par cette nécessité. » Quelques années après, l’Angleterre achevait son évolution et en arrivait à des interventions en faveur des peuples insurgés contre le despotisme de leurs maîtres. La Grèce bénéficia de cette politique. En vertu des mêmes idées, l’Angleterre favorisa l’indépendance de la Belgique en 1830. Cependant la doctrine de l’intervention allait en s’affaiblissant de plus en plus, au point que la non-intervention était devenue en théorie un principe absolu. Maison la vit renaître sous une nouvelle forme dans cette Amérique qui avait cependant proclamé par la plume de Monroe qu’elle s’opposerait aux interventions européennes.

Parmi les cas de mesures concertées on peut encore citer l’action militaire des grandes puissances pour la Crète (blocus et occupation], l’Arménie, les Balkans (contrôle de la Macédoine), tous cas où l’on voit les faibles s’adresser aux forts. Combien plus fructueusement ne se seraient-ils pas adressés à une organisation internationale centrale ! Il y a eu action concertée lors de l’expédition de Pékin en 1900, au moment de la révolte des Boxers, et aussi lors de la démonstration à Antivari contre le Monténégro et de l’occupation de Scutari en 1913.

L’intervention fut parfois motivée par des raisons de commerce. Ainsi, ce fut à la suite de la suspension du service de la dette mexicaine que la France, l’Angleterre et l’Espagne signèrent le 31 octobre 1861 la convention de Londres, laquelle stipulait la nécessité d’une intervention. Plus tard, une intervention au Vénézuela pour motifs financiers a pris la forme d’un blocus.

Un mandat a été sollicité par la France et l’Espagne à Algésiras pour rétablir l’ordre au Maroc ; un mandat a été demandé par l’Italie aux puissances pour elle et pour l’Autriche en vue de régler les affaires d’Albanie. Les mesures de concert ont été expressément prévues dans certaines conventions. Ainsi l’accord entre le Japon et les États-Unis (lettres échangées, Washington, 30 novembre 1908) dit ce qui suit : « Si quelque événement menaçant le statu quo ainsi décrit se produit, il resterait aux deux gouvernements à entrer en communication l’un avec l’autre, afin d’arriver à une entente sur les mesures qu’ils pourraient considérer comme utiles à prendre. » Un autre exemple : l’acte relatif au statu quo dans la mer du Nord, 1908 contient cette clause : « Dans le cas où, d’après l’opinion d’un gouvernement désigné ci-dessus (Allemagne, Danemark, France, Grande-Bretagne, Pays-Bas, Suède), le statu quo territorial actuel dans les régions limitrophes de la mer du Nord serait menacé par des événements quelconques, les puissances signataires de la présente déclaration entreront en communication pour se concerter, par la voie d’un accord à conclure entre elles, sur les mesures qu’elles jugeraient utiles de prendre dans l’intérêt du maintien du statu quo de leurs possessions. »

3. En fait, jusqu’ici, quand les grandes puissances européennes sont intervenues, on les a considérées comme représentant les intérêts généraux de l’Europe. Il y a la une présomption toute gratuite ; les puissances n’étaient pas seulement des quasi-mandataires (negotiorum gestores) mais elles avaient aussi leurs intérêts égoïstes propres et les défendaient. Il est bon pour tous que la fonction d’intervention soit assumée à l’avenir par des organes qui représenteraient vraiment la communauté mondiale tout entière, encore des puissances déterminées sans doute, mais intervenant ensuite de décisions de justice prises ou de mesures concertées par les institutions internationales.

4. Une représentation diplomatique collective a été organisée dans divers cas d’une manière permanente. Ainsi tous les ministres américains à Washington ont la gestion de l’Union Panaméricaine ; tous les ministres à Tanger ont la gestion des affaires locales de Tanger. Chaque fois qu’il y a alliance, il y a mesures prises de commun accord[37]. Dans la crise actuelle l’entente entre gouvernements alliés a dû devenir particulièrement étroite. Les Empires du centre agissent avec la plus grande unité ; ils font véritablement bloc. Les Alliés ont pu déjà pendant plus d’un an et demi réaliser le concert très étroit de mesures non seulement militaires, mais diplomatiques, et cela malgré la forme parlementaire de leurs gouvernements. Ils ont institué à Paris des conseils de guerre communs, des conseils diplomatiques et finalement une Conférence permanente. Ce fait a la valeur d’une expérience très probante. M. Briand disait en novembre 1915, à la Chambre : « Nous estimons que la coordination des efforts des nations alliées peut et doit se faire encore plus complète et surtout plus prompte. Si malaisée qu’elle soit à établir sur les théâtres variés et si distants, nous sommes résolus à la réaliser par des rapports plus fréquents et par des contacts de plus en plus intimes. » Le 17 novembre, les quatre ministres anglais MM. Asquith, Grey, Balfour et Lloyd Georges venaient de Londres à Paris pour assister à une réunion du Conseil de guerre, et depuis les réunions des états-majors alliés se sont succédé. En février 1916, M. Briand se rendait à Rome. En mars a eu lieu la Conférence des alliés à Paris qui, après deux jours de délibération faisait connaître ses principales résolutions : « I. Les représentants des gouvernements alliés réunis à Paris les 27 et 28 mars 1916 affirment l’entière communauté de vues et la solidarité des alliés. Ils confirment toutes les mesures prises pour réaliser l’unité d’action sur l’unité de front. Ils entendent par là à la fois l’unité d’action militaire assurée par l’entente conclue entre les états-majors ; l’unité d’action économique dont la présente conférence a réglé l’organisation, et l’unité d’action diplomatique que garantit leur inébranlable volonté de poursuivre la lutte jusqu’à la victoire de la cause commune. — II. Les gouvernements alliés décident de mettre en pratique dans le domaine économique leur solidarité de vues et d’intérêts. Ils chargent la conférence économique qui se tiendra prochainement à Paris de leur proposer les mesures propres à réaliser cette solidarité. — III. En vue de renforcer, de coordonner et d’unifier l’action économique à exercer pour empêcher les ravitaillements de l’ennemi, la conférence décide de constituer à Paris un comité permanent dans lequel tous les alliés seront représentés. — IV. La conférence décide : 1° De poursuivre l’organisation entreprise à Londres d’un bureau central international des affrètements. 2° De procéder en commun et dans le plus bref délai à la recherche des moyens pratiques à employer pour répartir équitablement entre les nations alliées les charges résultant des transports maritimes et pour enrayer la hausse des frets. »

5. En vue d’empêcher les guerres civiles dans l’Amérique du Sud, le Dr  Tobar, ancien ministre des affaires étrangères de l’Équateur, a proposé en 1907 à l’Union Panaméricaine le projet caractéristique suivant : « Les Républiques américaines, pour leur bon renom et leur crédit, sinon pour d’autres considérations humanitaires et altruistes, doivent n’intervenir de façon directe dans les dissensions intestines des Républiques du continent. Cette intervention pourrait consister au moins dans le refus de reconnaître les gouvernements de fait issus des « révolutions contre la constitution. » Cette doctrine a été formellement reconnue entre les États centraux américains à la Conférence de paix centre-américaine (20 décembre 1907). Dans la déclaration qu’il a faite lors de sa prestation de serment en 1913, le président Wilson a posé le principe que « tout gouvernement latino-américain d’origine révolutionnaire ou inconstitutionnelle ne saurait avoir les sympathies du cabinet de Washington et qu’il ne serait pas reconnu par lui ». Pareille déclaration équivalait à proclamer officiellement l’ingérence continue des États-Unis dans les affaires des États indépendants et souverains de l’Amérique latine pour vérifier la constitutionnalité des gouvernements établis. La première application en a été faite an Mexique, mais elle y a rencontré la vive résistance que l’on sait, amenant peu à peu cette évolution d’associer à cette fin les républiques du Sud à l’action de la grande république du Nord. Le président Wilson a nettement indiqué dans ses déclarations au sujet du Mexique les moyens qu’il entendait mettre en œuvre pour appuyer son principe d’intervention ; mesures financières (aucune reconnaissance des emprunts contractés par les chefs révolutionnaires, de telle sorte que la banqueroute en soit la conséquence), mesures militaires (blocus des ports pour empêcher toute relation avec le dehors et tarir toutes recettes douanières[38]).

6. Tout plan d’organisation internationale implique forcément intervention, non seulement dans les affaires extérieures des États (la forme même de la mise en œuvre des sanctions internationales), mais dans les affaires intérieures ; car dans un système où il est donné aussi des droits et des garanties internationales à l’individu, aux groupes, aux nationalités, il faut prévoir des lésions de ces droits et conséquemment des interventions.

La paix internationale a pour corollaire la paix nationale. Donc, pas de révolution triomphante. On comprend d’ailleurs que raccord créant l’union d’États s’étant fait entre États dont les gouvernements étaient connus, il puisse y avoir rupture du lien fédéral si la forme du gouvernement changeait radicalement. (Se figure-t-on par exemple un État de l’Union américaine ou un canton de la Confédération suisse se donnant un gouvernement monarchique ?) Il faudra donc régler, dans une entente mondiale, le régime intérieur des divers États. Le principe du Dr  Tobar et du président Wilson pourrait être admis en le précisant : Liberté aux peuples d’être régis par le gouvernement de leur choix, mais obligation pour eux de demeurer constitutionnels. Ceci implique toutefois que les constitutions comprennent des clauses relatives à leur révision et n’empêchent pas par conséquent l’évolution des institutions intérieures. Ce n’est pas tel ou tel régime politique des États qu’il faut viser, mais bien la situation révolutionnaire et les troubles de la paix publique. Tout régime doit être admis pourvu qu’il ne soit pas contraire aux principes d’ordre public universel de la Charte mondiale. L’intervention internationale d’ailleurs ne devra pas nécessairement prendre la forme impérative ; l’Union pourra bien souvent intervenir auprès des nations arriérées par ses conseils et ses appuis, au lieu de menacer et d’imposer.

352. Le Conseil des États.


Il est proposé de confier le Pouvoir exécutif international à un Conseil des États formé des représentants de tous les gouvernements à raison d’un par État. Il s’agit donc d’un Directoire, d’un pouvoir exercé en collège.

1. On ne pourrait admettre, en effet, l’attribution de l’exécutif au chef d’un des États, encore moins l’instauration d’une dynastie héréditaire nouvelle, internationale. La direction de la Confédération mondiale doit être démocratique, c’est-à-dire égalitaire. En 1870 on a vu les princes allemands consentir le sacrifice personnel de leur puissance dans un esprit de sagesse ; ce précédent est digne de servir d’exemple pour les chefs d’État qui dans les monarchies auront comme les États eux-mêmes renoncé à quelques-uns de leurs droits de souveraineté au profit du pouvoir central international. Ainsi le commande le bien commun.

L’histoire fournit ici des leçons. Donner à un prince ayant des États patrimoniaux le gouvernement de l’Union c’est s’exposer au retour de ce qui arriva autrefois en Allemagne, Les Habsbourg y firent résolument passer leurs intérêts personnels avant ceux des autres États. D’ailleurs, si quelque chef héréditaire était donné à l’Union internationale telle qu’elle est conçue, on tomberait dans des formes qui ne seraient pas sans analogie avec celles du Saint-Empire romain après la paix de Westphalie. L’empereur alors n’incarnait pas le principe de la souveraineté. Celui-ci résidait dans la collectivité des membres de l’empire, réunis en diète, et l’empereur devait être en quelque sorte le ministre des États de l’empire (Reichstände). L’empereur, suivant l’expression du grand Frédéric, était alors « le chef élu d’une noble république de princes ». — À l’inverse, l’histoire fournit l’exemple probant de gouvernements collectifs. À Rome le danger des excès de pouvoir d’un seul était évité par la division de ce pouvoir, c’est-à-dire par la collégialité ou la pluralité de chefs égaux. Chaque magistrature avait plusieurs titulaires (ordinairement deux), ils se faisaient contre-poids, se consultaient, se limitaient, et chacun d’eux, par l’intercession, possédait le droit d’annuler les actes illégaux d’un collègue. Un élément de modération était aussi la courte durée du mandat. — D’autres cas de collégialité existaient, dans les cités du moyen âge, en France, et sous le Consulat dans ce même pays. — Récemment le congrès de l’Uruguay a entrepris la révision de la Constitution pour y substituer le « Gobierno colegiado », au gouvernement personnel. Ce gouvernement serait constitué par un « momumvirat » c’est-à-dire que les ministres du système actuel deviendraient autant de présidents, chacun d’eux ayant alternativement pour un an la délégation de la fonction et de la dignité présidentielle devant les puissances. — Au lieu de confier le Conseil des États à une représentation diplomatique, on pourrait le confier à une délégation élue par les divers parlements. C’est le système des délégations de la monarchie austro-hongroise que désignent le parlement de Vienne et de Budapest.

2. Le Conseil dès États serait chargé de mettre en mouvement tout le mécanisme de l’organisation internationale. Il n’aurait d’autre pouvoir cependant que ceux que lui attribueraient formellement la charte et les lois internationales portées en vertu de la charte même. Il participerait à la confection des lois internationales, en préparant le projet avec l’aide de ses offices, en sanctionnant et promulguant les lois votées par le parlement. Il pourrait convoquer le Parlement international, lequel d’ailleurs se réunirait lui-même, quand il le jugerait bon. Il participerait à la fixation de l’ordre du jour de ses travaux et y défendrait ses projets. Le Conseil représenterait l’autorité internationale tout entière vis-à-vis des États, commanderait les forces de police internationale et administrerait tous les intérêts communs dont la charge lui aurait été confiée. Il pourrait choisir à cet effet parmi ses membres ou en dehors une délégation qui formerait une sorte de ministère international, dont relèverait toute l’administration internationale, répartie aujourd’hui entre de nombreuses unions et offices sans lien les uns avec les autres. — Mais on s’efforcerait de veiller sur la réelle compétence personnelle des membres de ce Conseil : un pouvoir quelconque, quelque solide qu’il soit, fut-il même divin, ne peut s’exercer et se faire reconnaître pleinement que lorsqu’il est représenté par des hommes de mérite.

353. Historique de la Conférence des Ambassadeurs.


1. Pendant le règlement de l’affaire des Balkans, l’organe du Concert européen était la Conférence des Ambassadeurs réunie à Londres. Cet organe s’est formé tout naturellement dans le but de simplifier la procédure des échanges de vues entre les puissances. Les circonstances qui ont préparé sa constitution, les longues négociations de la paix, la révolution turque, lui ont donné une importance considérable. Il a fallu réaliser, par une série de mesures quasi immédiates, l’union des puissances dans un but d’action rapide[39]. La réunion avait en vue un objet pratique, extérieur à elle-même, la solution de la question d’Orient. Elle a établi des séances de discussion, des instruments diplomatiques communs, les notes des puissances manifestant leur volonté commune, des communications incessantes et rapides des ambassadeurs avec leurs Gouvernements, un protocole de son action consistant dans la remise de ces notes aux États balkaniques et à la Turquie. La Conférence des Ambassadeurs a su travailler au milieu des passions nationales reflétées dans la presse et dans les divers parlements. Elle a eu à sa disposition la force d’abord, la flotte européenne concentrée dans la mer Égée à l’entrée des Dardanelles, une force navale capable de donner une sanction à ses décisions ; ensuite les moyens de priver la Turquie des ressources financières nécessaires à la continuation de la guerre.

2. Sir Edward Grey a, le 12 août 1913, exposé en ces termes, aux Communes, le mécanisme de l’institution : « À quoi bon avoir recours à une conférence d’ambassadeurs ? Les moyens diplomatiques ordinaires n’eussent-ils pas suffi ? Les moyens ordinaires de communication entre les grandes puissances se résument d’un mot : le télégramme qui va de capitale à capitale. Ce moyen d’échange réclame six ministres des Affaires Étrangères et trente ambassadeurs, trente-six personnes au total. Tout cela, fait une lente et lourde machine. » — Toutefois, si on observe que les ambassadeurs n’étaient pas plénipotentiaires, mais devaient en référer à chaque instant à leurs Gouvernements, qui eux-mêmes ne se décidaient pas sans avoir l’avis de leurs représentants dans toutes les grandes capitales, on conviendra que la simplification était plus apparente que réelle. Il faut retenir, cependant, le fait d’une organisation commune ayant fonctionné sans discontinuer pendant plusieurs mois et avec ce résultat appréciable que la conflagration européenne n’a pas éclaté à ce moment.

3. La Conférence des ambassadeurs aurait pu avoir un lendemain. Sir Edward Grey, pendant les journées qui précédèrent la guerre, proposa que l’Allemagne, la France, l’Italie et la Grande-Bretagne, qui n’avaient aucun intérêt direct en Serbie, agissent ensemble simultanément à Vienne et à Saint-Pétersbourg, si les relations entre l’Autriche et la Russie devenaient menaçantes. La France et l’Italie acceptèrent cette proposition et la Russie était disposée à se mettre à l’écart et à laisser la question entre les mains des quatre puissances désintéressées. Sir Edward Grey tâcha donc de réunir à Londres sous sa présidence une conférence des ambassadeurs de France, d’Italie et d’Allemagne. Les deux premières acceptèrent l’offre, mais l’Allemagne ne voulut pas y consentir. Ceci avait lieu le 27 juillet et le 28 du même mois l’Autriche déclarait la guerre à la Serbie. L’Allemagne s’est défendue d’avoir refusé la conférence, preuve qu’elle se rend compte que l’opinion du monde n’est pas favorable à celui qui refuse de discuter. Mais ses explications sont peu claires. « L’attitude de la France, dit le chancelier, est exposée avec précision dans le Livre jaune. Elle ne se fia pas aux assurances allemandes. Toutes les démarches de notre ambassadeur à Paris, baron de Schœn, furent accueillies avec méfiance. Quelle fut l’attitude de l’Angleterre ? Dans les entretiens diplomatiques, elle fit semblant jusqu’à la dernière heure de participer au travail de médiation, mais en réalité ses actions avaient en vue une humiliation des deux nations tripliciennes[40]. » Cette possibilité de régler le conflit par voie de conférence a suscité de violentes polémiques depuis la guerre. Malgré celles-ci la question reste confuse et on garde l’impression que les choses furent tellement précipitées, les communications tellement chaotiques, un si grand rôle accordé au téléphone et au télégraphe, qu’elles n’auraient pu aboutir que difficilement. Si à ce moment l’on avait eu à sa disposition une Institution tout organisée, c’est vers elle qu’on aurait naturellement fait dériver les négociations. Mais il fallait à ce moment à la fois créer l’organe et se préoccuper de sa fonction spéciale. Et l’on était à la onzième heure !

354. Diplomatie.


Jusqu’ici c’est à la diplomatie qu’a été confiée la direction des relations internationales. Elle porte une large part de la responsabilité des événements, et toute réforme aura à compter avec elle, car elle est en possession d’état.

1. La diplomatie n’existait guère dans l’antiquité, au sens que nous lui reconnaissons aujourd’hui. La première ébauche d’un Jus gentium n’apparaît qu’à l’époque romaine : César fut un grand diplomate. Pendant les invasions des Barbares et durant la féodalité, la diplomatie ne joue encore qu’un rôle secondaire. Son importance augmente à mesure que grandit le rôle de la Papauté dans les rapports des peuples. En France la diplomatie naquit avec Louis XI : ce roi fut l’un des premiers qui entretinrent partout des agents à poste fixe. Henri IV l’imita. Le XVIIe siècle fut l’époque de la diplomatie française : c’est le règne des Richelieu, des Mazarin, des Lionne, des Torcy. Au siècle suivant, la diplomatie dégénère trop souvent en basses intrigues. Sous la Révolution, la diplomatie ne rentre en scène qu’à l’occasion des traités de Bâle ; elle est plutôt brutale. Sous Napoléon elle garde ce caractère, tout en prenant parfois des allures astucieuses. La diplomatie traditionnelle renaît en 1815 avec les Talleyrand et les Metternich notamment au Congrès de Vienne ; de nos jours, elle a perdu son caractère un peu mystérieux et ses allures classiques. Par suite de la facilité des communications, la responsabilité des agents diplomatiques est devenue beaucoup moins considérable : les ordres télégraphiques du ministre ont remplacé les anciennes Instructions. Les préliminaires diplomatiques de la présente guerre, par exemple, se sont passés en partie à coups de téléphone, ne donnant même pas aux agents le temps de réflexion que donne l’obligation de coucher sa pensée en un texte de note, voire en un télégramme.

2. L’action diplomatique a conduit à une procédure spéciale. Il y a d’abord la note verbale, dont on se borne à laisser copie : elle fixe un point de discussion. Vient ensuite le mémorandum, mémoire motivé analogue à une consultation de jurisconsulte. Le mémorandum est dit manifeste lorsqu’il contient une proclamation solennelle de principes. L’instance engagée, les parties déposent et communiquent leurs conclusions et, si l’on ne parvient pas à s’entendre, les gouvernements signifient un ultimatum, dernier mot à défaut d’acceptation duquel la guerre est déclarée. Les propositions peuvent être acceptées, mais ad referendum, quand l’agent, muni d’instructions insuffisantes, croit, pour dégager sa responsabilité, devoir consulter son gouvernement. Pour les affaires graves et d’intérêt général ou procède ordinairement par voie de Conférences ou de Congrès ; il est tenu procès-verbal des séances, et des protocoles résument impartialement les opinions émises, sans préjuger les solutions.

3. Il règne dans la diplomatie mondiale un esprit de cynisme, une absence de préoccupations morales qui heurtent et révoltent l’honnêteté populaire. Les déclarations diplomatiques sont généralement faites à grand effort de sous-entendus, de malentendus et d’équivoques de chancelleries. Cet esprit ne date ni d’aujourd’hui ni d’hier. À travers l’histoire on relève des formules célèbres, derrière lesquelles peuvent s’abriter les plus louches et les plus perfides tractations. Louis XIV disait à la Hollande : « Nous ferons la paix chez vous, sur vous et sans vous. » Frédéric II aimait à dire : « Un souverain n’est tenu à être honnête que lorsqu’il le peut sans se nuire. Dès que son intérêt l’oblige, la fourberie devient son devoir. » Il ajoutait : « Je prends d’abord : je sais bien qu’il se trouvera toujours des pédants pour démontrer que j’étais dans mon droit. » Talleyrand affirmait que la parole a été donnée à l’homme pour dissimuler sa pensée. Les mots « diplomatiques » de Bismarck ne se comptent pas. Il avait coutume de déclarer : « Là où la puissance de la Prusse est en jeu, je ne connais plus de loi. » Ou encore : « On ne peut pas en vouloir à un État s’il intervient pour des intérêts qu’on peut prouver. On ne pourrait en vouloir qu’à celui qui, insidieusement, se mêle à une affaire sans intérêt qui puisse être prouvé. » Le prince de Bülow, dès 1915, déclarait au Reichstag, à propos des affaires du Maroc : « Le langage et l’attitude des diplomates et des politiciens se règlent d’après les circonstances. » Il préludait ainsi à la triste formule par laquelle la diplomatie allemande a inauguré la guerre : « Les traités sont des chiffons de papier ! »

4. Mais il y a aussi dans la diplomatie une impuissance réelle à résoudre les vraies difficultés. Tandis que le développement des affaires internationales s’est précipité, la manière de gouverner des ambassadeurs est restée à peu près la même et l’organisation diplomatique ne répond absolument plus aux besoins actuels. La faiblesse est apparue aux yeux de tous lors de la dernière crise balkanique. Celle-ci stupéfia littéralement les diplomates, qui n’avaient osé résoudre un problème, ni grand, ni petit. La solution prise en mains par les petits États eux-mêmes, eut lieu en dehors du reste de l’Europe et tout autrement qu’on ne l’avait prévu. Le bon Oxenstierna, voulant rassurer son fils qui ne se sentait pas digne du poste d’ambassadeur suédois, lui disait : « An, nescis, mi fili, quantilla prudentia mundus regatur ? » Le prince de Bismarck qui connaissait bien les diplomates disait d’eux : « Personne, pas même les plus malveillants des démocrates, ne peut se faire une idée de ce qu’il y a de nullité et de charlatanisme dans la diplomatie[41] ». « Les diplomates, dit Novicow, habitués pendant leur vie entière à traiter sérieusement des choses futiles, décorations et autres bagatelles, contractent ensuite la malencontreuse habitude de traiter légèrement les choses les plus graves. Ils déchaînent parfois les guerres les plus épouvantables d’un cœur léger et même inconsciemment. Ils s’habituent à sacrifier des milliers d’existences humaines avec un abandon plein de désinvolture ». L’auteur ajoute : « Nous parlons surtout des diplomates de l’ancienne école dont le type tend à disparaître fort heureusement, bien que les traditions anciennes ne soient, hélas ! que trop vivaces encore[42]. »

L’opinion n’est pas accoutumée au voisinage des mots de diplomate et de travail. Elle se représente un ambassadeur sous la forme d’un haut personnage un peu fatigué et très solennel, presque entièrement absorbé par des soucis volontiers considérés comme puérils et de cérémonieuses obligations. Elle ne voit dans les sociétaires d’ambassade que des hommes élégants et frivoles, dédaigneux et présomptueux, n’interrompant guère leurs doux loisirs et leurs calculs d’ambition et de vanité que pour participer dans les salons officiels et mondains à des « papotages » sans nul enseignement[43].

Chez beaucoup de diplomates qui montrent science et travail, il y a absence de contact direct avec les réalités de la vie. La raideur hiératique des diplomates allemands à l’étranger est proverbiale. Enfermés dans la tour d’ivoire de leur dignité ils ne paraissent se douter aucunement qu’à notre époque, où l’opinion publique et non le gouvernement fait la loi, un journaliste disposant de quelques milliers de lecteurs peut peser davantage sur la marche des événements que le diplomate le plus chamarré.

5. Une tâche fondamentale s’impose : le mécanisme diplomatique doit être profondément modifié et démocratisé. Sélection dans le recrutement du personnel, placé sous contrôle d’une délégation parlementaire ; meilleure rémunération permettant l’accession des peu fortunés ; extension du programme des connaissances imposées et mesures assurant la continuation de l’étude au cours de la carrière ; la « carrière diplomatique » remplacée par le « service diplomatique », recrutant son personnel, comme la politique elle-même, parmi les hommes de savoir, de pratique, de sagesse, d’influence et d’énergie, quelles que soient leur origine et leur condition.

L’organisation même des légations et des ambassades est surannée. Elles se composent en général d’un personnel de un à six membres, suivant les villes et les pays. Le plus souvent il n’existe qu’un ministre et son secrétaire. Rien d’étonnant que les risques soient grands d’une information incomplète et trop lente sur les manifestations de la vie d’un peuple qu’ils sont chargés de faire connaître. Il faut ajouter que les diplomates bénéficient de congés, que transférés de Tokio à Madrid, ou de Téhéran à Washington, pour un poste devenu vacant, leur voyage comporte quelque durée, leur installation aussi, ainsi que l’agrément de l’État étranger à leur désignation, tout ce par quoi est limité encore le rendement utile des diplomates. Ils ont d’ailleurs tout à apprendre dans le pays où ils viennent nouvellement d’arriver et il faut du temps pour s’y orienter. Et pourtant, les informations que l’on demande à la diplomatie sur chaque pays augmentent tous les jours. Pour les uns, ce qu’il importe surtout de connaître d’une grande puissance c’est l’évolution de sa politique intérieure et extérieure, ses sympathies et ses antipathies internationales ; pour les autres, ce sont ses armements avoués et secrets ; pour d’autres encore, et les plus nombreux, c’est son développement commercial, industriel ou agricole, ce sont les marchés qu’elle se prépare à disputer et les marchés qui, sur son territoire, s’offrent à l’activité étrangère. Il suit de là que le champ d’études des diplomates est très vaste. Dans les dernières années on a créé des postes d’attachés commerciaux, complétant ceux d’attachés militaires et d’attachés navals (exemple : quant à la France, attachés commerciaux à Londres, auprès des États germaniques, pour la Russie, pour le Levant, pour l’Amérique). Il sera nécessaire d’augmenter encore le nombre de ces spécialistes et d’organiser systématiquement l’étude et l’information. Il faut remarquer cependant que les plus précieuses indications ne sont pas toujours recueillies dans les veillées studieuses ; le prestige personnel de l’homme est aussi nécessaire à l’information qu’à l’action. D’autre part la diffusion et l’utilisation des informations recueillies ont besoin d’être améliorées. Les rapports des agents à l’étranger ne sont pas faits en général pour être lus seulement de quelques fonctionnaires de ministères. Le Parlement, la Presse, les études en général en devraient pouvoir largement bénéficier.

6. Ce ne sont pas les diplomates seulement, mais les méthodes qu’il faut réformer. Il est malheureusement possible encore que l’arrogante impatience d’un souverain ou les intrigues persistantes et les fausses idées d’un ambassadeur embrouillent la situation européenne. On a dénoncé à diverses reprises l’indiscipline et la politique personnelle brouillonne de certains agents à l’étranger. Quand l’opinion publique soufflera dans le monde jusqu’ici fermé où vivent les diplomates, elle dissipera l’esprit de Machiavel et de Bismarck, l’esprit de ruse et de violence. Si l’on veut sincèrement la paix il faut en prendre les moyens. L’un de ces moyens consiste à parler librement et non en « diplomates ». Loyauté complète, franchise entière, répudiation de tout artifice, voilà ce qui devrait être le fond de la politique et la raison profonde de ses succès[44].

355. L’Administration internationale.


Chez les modernes l’idée du pouvoir dans l’État est inséparablement unie à celle des services publics. Il n’en peut être autrement dans le domaine international. La grande force qu’il s’agit de créer ne doit pas servir seulement à assurer la sécurité, à dire la loi qui doit présider aux relations internationales. Elle doit servir aussi à créer du bien-être général, à améliorer les conditions de la vie, de la civilisation. De là l’importance de l’administration internationale, exécutrice des décisions du parlement.

355.1. UNIONS UNIVERSELLES. — 1. Au cours des soixante-quinze dernières années, et surtout pendant une période récente, beaucoup plus courte, les gouvernements du monde se sont groupés en une cinquantaine d’Unions internationales publiques. Elles ont pour objet d’organiser d’importants services internationaux et sont comme autant de branches de l’administration internationale. Liés entre eux à cet effet par des traités auxquels l’adhésion île tous les États est possible en tout temps, les gouvernements ont fait des Unions ouvertes de véritables associations officielles. Tous les bureaux de ces Unions, à l’exception de ceux de la télégraphie et de la radiotélégraphie, ainsi que ceux de la propriété littéraire et artistique, et de la propriété industrielle, sont consacrés chacun à un travail spécifique indépendant, et chacun d’eux est maintenu grâce aux subsides payés par les gouvernements adhérents, aux termes d’un traité ou de tout arrangement similaire. Quelques-uns ont été formés pour répondre à des besoins d’échanges entre les gouvernements, d’autres à l’initiative d’une propagande privée, d’autres encore par le développement logique donné à des coopérations au début moins bien organisées[45]. Des Unions internationales et des Bureaux internationaux existant notamment pour les postes, les télégraphes, les poids et mesures, la protection de la propriété industrielle et des œuvres littéraires et artistiques, la répression de la traite des esclaves africains, la publication des tarifs douaniers, l’hygiène publique, l’agriculture, le transport des marchandises par chemin de fer, le régime des sucres. L’Union postale a un territoire d’environ 116 millions de kilomètres carrés ; elle embrasse une population totale de 1228 millions d’habitants. De l’Institut international d’agriculture, quarante-huit États font partie, représentant les 99 centièmes de la population du globe et les 97 centièmes des terres émergées.

2. Le budget total des Unions administratives officielles, formé par contributions de tous les États, ne dépasse pas actuellement deux millions de francs. Ce n’est même pas le quart de centième (ou 2 ½ millièmes) des budgets de la guerre additionnés de tous les États, lesquels s’élèvent à 12 milliards !

3. Les Unions offrent des lacunes, elles manquent de concentration, de coordination ; certaines sont mal surveillées et demeurent dans un statu quo regrettable. Deux voies sont ouvertes : a) faire des Unions des sections d’une administration internationale concentrée, et les rattacher comme sections à l’un des départements ministériels dont il a été question plus haut. Par là s’effectuerait non seulement une extension de leur action, mais une véritable économie dans leur gestion et une concentration du personnel[46]. À côté des Unions continueraient à fonctionner les grandes associations internationales libres qui ont à jouer le même rôle d’initiative, de propagande, de contrôle[47] ; b) ou bien maintenir le principe précieux de décentralisation et d’autonomie dans l’administration internationale que réalisent les Unions et le concilier avec la coordination nécessaire. Les Unions seraient appelées à se transformer, conclusion à laquelle nous sommes arrivé précédemment. Que leur objet soit l’économie, la culture ou l’administration générale, elles deviendraient dans chaque domaine l’expression la plus élevée d’une organisation mondiale spécialisée et fédéralisée à tous les degrés. Elles auraient une composition mixte : d’une part elles seraient, par délégation, l’émanation et le prolongement des administrations officielles, nationales ou locales ; d’autre part la représentation ultime de l’activité libre groupée en associations et fédérations internationales, celles-ci déléguant par élection ses propres représentants. Avec autonomie et décentralisation les Unions régleraient ainsi en dernier ressort toutes les fonctions sociales déjà universalisées. Parties de la puissance publique internationale, comme font partie des pouvoirs les communes dans un État, les cantons dans une confédération, elles n’auraient au-dessus d’elles que parlement international ; et encore, une des deux Chambres, celle représentant les fonctions et les intérêts, serait-elle formée de l’ensemble de leurs délégations.

355.2. BUDGET INTERNATIONAL. — Il faut fournir à l’exécutif international des moyens d’action financiers. Nous avons constaté qu’à côté de leurs 12 milliards annuels de dépenses militaires ordinaires les États avaient contribué jusqu’ici pour moins de 2 millions aux dépenses des Unions universelles ! Quelle administration efficace, préparatoire ou conservatrice de la paix et du bien humain pouvait sortir d’un tel état de choses ? C’est tout simplement ridicule. Deux méthodes peuvent pourvoir à un budget international rationnel : ou bien chaque État paierait du budget international annuel une part proportionnelle à la puissance de vote qui lui est attribuée dans le Parlement mondial et qui serait elle-même fondée sur l’ensemble de ses forces ; ou bien la contribution serait d’un pourcentage des budgets nationaux, quels qu’ils soient. Serait-ce trop d’y faire contribuer, a raison de 2 % de ceux-ci ? Le total des budgets nationaux étant d’environ 56 milliards pour le monde entier, l’Union des États disposerait ainsi annuellement d’environ un milliard de francs pour ses services.


36. LA FORCE ARMÉE INTERNATIONALE


À première vue il semble que pour mettre fin aux guerres il suffirait simplement de désarmer. Mais les armements sont un résultat et non une cause. Ils ont trois objectifs : 1° la volonté de tous les peuples de se défendre contre le danger des agressions ; 2° la volonté de beaucoup de peuples d’obtenir, par la force ou par la menace de la force, des droits qu’ils croient impossible d’obtenir autrement ; 3° la volonté criminelle de quelques peuples de recourir à la guerre et à la conquête comme à un mode d’enrichissement, à une sorte de brigandage collectif, décoré du nom d’« extension de puissance ».

Il ne peut être mis fin aux armements provoqués par le premier de ces objectifs qu’en y substituant un moyen de sécurité plus efficace et plus avantageux ; à ceux provoqués par le deuxième objectif, qu’en assurant aux peuples le moyen de grandir et de se développer normalement sans recourir à la violence ; quant au brigandage international, il ne peut cesser qu’en le détruisant par des mesures de force. Ces observations dictent les solutions. Il ne faut pas supprimer les armées, qui ont leur fonction à remplir, mais il faut les transformer en subordonnant leur but et leur organisation à ceux de la Société des nations. Une fois proclamé un ordre international, c’est-à-dire un plan de vie internationale, un idéal de relations entre peuples, les conditions de vie et les moyens normaux de les acquérir, cet ordre devient la base du Droit et les armées doivent être placées à son service. De là une organisation basée sur les deux principes suivants : 1° des armées nationales de pure défense, imposées à tous les pays et aussi fortes que l’exigeront les circonstances, avec réduction de cette force à mesure que diminueront les dangers de l’attaque ; 2° une armée internationale formée de contingents fournis par les armées nationales et servant à maintenir dans leur véritable fonction les armées nationales, c’est-à-dire appuyant les forces de tous pays qui seraient attaqués, ou contraignant à une vie désormais honnête « les États malfaiteurs ».

L’Union mondiale doit, avoir pour premier objectif la sécurité des peuples et la délivrance du régime de terreur dans lequel ils vivent constamment à l’égard des agressions. Des mesures coordonnées peuvent seules atteindre un tel résultat Elles doivent porter sur l’ensemble de questions qu’on désigne par Paix armée, militarisme, nation armée, armée internationale. Envisager un de ces termes séparément des autres, c’est faire fausse route, et parler de tous en omettant l’ordre juridique international qui est à la base de toute réforme, c’est également faire dévier les questions.

361. Paix armée et Désarmement.


1. Avant la guerre, l’Europe était sous le régime de Paix armée que l’on a pu définir : « la paix, avec les charges de la guerre et sans la sécurité ». Le total des dépenses militaires était d’environ 12 milliards par an, charge de 25 francs par habitant pour les grandes puissances. Ce régime que les hommes d’État, imbus des idées anciennes, croyaient suffisant, à l’exclusion de toutes institutions internationales régulières, a eu comme résultat une banqueroute retentissante. Les armements n’ont pas su éviter la guerre et ils l’ont rendue épouvantable. S’ils devaient perdurer après la guerre voici quelle deviendrait la situation. Les États doubleraient ou tripleraient leurs dépenses, les élevant à 20 ou 25 milliards. La présente guerre, après trois années prévues par certains, aura coûté 300 milliards, soit une rente de 15 milliards. Une prochaine guerre, rendue inévitable par la continuation d’une même faute, coûtera ou moins autant. C’est donc vers une charge annuelle totale d’une cinquantaine de milliards (l’intérêt d’un capital de mille milliards) que nous achemine la politique insensée de la « vis sans fin » des armements. À ce fardeau financier viendrait s’ajouter l’altération de toutes nos institutions économiques, intellectuelles et politiques, qui seraient dominées dans tous les pays cette fois, par le pire esprit militariste[48].

2. Dès lors, faut-il désarmer ? La proposition en a été faite souvent : en 1831, en 1863, à la première Conférence de La Haye en 1899. Des moyens divers ont été proposés pour en atteindre au moins une réduction et une limitation[49].

3. À la vérité, la question de la limitation des armements soulève des difficultés considérables. La question des effectifs ne peut être envisagée toute seule en elle-même, car elle est subordonnée à d’autres questions, comme le degré d’instruction publique, la durée du service actif, les obligations militaires des anciens soldats, l’emplacement des corps de troupes, le réseau des chemins de fer, le nombre et la situation des places fortes. Il faut envisager non seulement les troupes entretenues dans la métropole, mais aussi les armées coloniales qui peuvent participer à une guerre continentale. Il faut enfin que la question soit envisagée à la fois au point de vue de la guerre continentale et de sa guerre maritime. À toutes ces difficultés pourrait répondre un Règlement sur le désarmement dont les articles seraient établis après études et conformément à des données techniques. Aujourd’hui toute convention militaire entre alliés donne lieu à des calculs aussi compliqués. Il est des conventions qu’on ne peut libeller en trois articles.

La quotité des forces des armées de terre peut être fixée : 1° d’après l’étendue et la vulnérabilité des frontières (situation géographique) ; 2° d’après le chiffre de la population de la nation ; 3° d’après la richesse économique et financière des puissances ; 4° d’après l’état antérieur de préparation militaire déjà acquise.

La limitation des armements peut donc porter sur un double accord : limitation en hommes, qui peut être établie en pourcentage de la population, avec éventuellement des maxima, ou en rapports respectifs d’une armée à l’autre, et limitation en argent, c’est-à-dire importance des budgets des armées proportionnelle soit à des chiffres donnés, soit au budget total. Défense pourrait être faite aux années de sortir des frontières. Une institution internationale serait chargée du contrôle de la convention des armements. Celle-ci porterait aussi sur la fabrication et l’exportation des armes de guerre, ayant été démontré par des scandales récents (Krupp, usines Poutiloff, etc.) que les industries privées agissent en cette matière comme agents provocateurs de guerre[50].

3. Cependant les objections sont pressantes, les points de vue contradictoires et la guerre actuelle a posé en termes nouveaux la question du désarmement.

a) Ne faut-il pas reconnaître franchement la nécessité actuelle de maintenir dans tous les pays les forces armées pour se protéger contre l’agression du dehors et contre la désintégration à l’intérieur ? Aussi longtemps qu’il existera dans le monde, une seule puissance de proie, les nations qui désarmeraient, s’exposeraient aux pires surprises. La paix doit être dans les esprits avant d’être dans les institutions. Après la paix, dit-on, il faut le craindre, l’Allemagne, victorieuse ou vaincue, armera à nouveau, mais plus colossalement. Son gouvernement dira au peuple que la guerre actuelle a démontré que les Allemands n’étaient pas encore suffisamment armés !

C’est pourquoi les mots doivent changer de signification avec les temps. Maintenant, au lieu de désarmement on doit dire : « la ruine définitive du militarisme prussien ». Cela signifie que l’on voit dans les armements le système et non la quantité de troupes : le système du militarisme ; que l’on reconnaît que c’est la conduite de l’Allemagne qui a été le point de départ de la situation actuelle. Mais le problème a deux faces, et ce serait s’illusionner que de ne pas les reconnaître toutes deux. En face du militarisme s’est dressé le marinisme. Les Allemands disent : « Il faut empêcher l’Angleterre, le plus grand ennemi de la paix en Europe, de nuire, et cela de façon durable en mettant fin une bonne fois à sa suprématie sur les mers, jusqu’ici incontestée ». Le fondement de sa puissance, savoir sa flotte militaire, devra être supprimé ou réduit à un minimum futur[51].

b) Une réduction imposée et unilatérale des armements créerait la rancune et la haine, préparerait de nouvelles guerres ; elle ne serait pas observée ; elle déplacerait le militarisme, le transférant du vaincu au vainqueur avec tous les dangers de n’avoir même plus alors de contrepoids. Le désarmement partiel toujours difficile à apprécier ou à préciser serait par nature une source de récriminations, et de conflits. On doit lui préférer des remèdes allant au cœur des maux qui entraînent les guerres et désarmer totalement. Les limitations unilatérales impliquent de la part des États étrangers qui les imposent un droit de contrôle et de police sur les États qui y sont soumis, incompatible avec leur indépendance, et de ces États vassaux elles font des révoltés.

c) Les remèdes sont tous sujets à objection. — La nation armée est en conflit avec les nécessités dictées par la science des armes, et auxquelles il peut être satisfait que par l’exercice continuel, qu’une armée permanente seule peut assurer. — Les armements limités à la défense : ils ne peuvent satisfaire attendu que seuls peuvent prévaloir dans les conflits ceux qui sont les plus forts et que la défensive, « pour ne pas être réduite à un intrépide accueil aux coups de bâton », doit se transformer de suite en offensive. — La trêve d’armements : c’est le pieux désir de ceux qui sont aujourd’hui les mieux armés et les plus forts et désirent rester éternellement ce qu’ils sont[52].

d) On doit aussi se demander si la question des armements n’a pas perdu son caractère depuis l’expérience de la présente guerre. « Quelle importance a la limitation des armements quand l’invention d’un nouvel engin, comme le sous-marin, peut compenser la limitation de la construction de gros vaisseaux ? Que signifie la destruction des forteresses quand des ouvrages en terre, mobiles, couverts par des fils barbelés, peuvent présenter une résistance plus efficace que les défenses fixes ? » (Yves Guyot). — Aujourd’hui on fait un bon soldat en un mois, un très bon en trois mois. On fait une tranchée en quelques heures et un sous-marin en quelques mois. C’est devenu une guerre de machines et de munitions.

e) Il faut conclure que la Société internationale doit être organisée avant qu’on puisse procéder à n’importe quelle diminution ou même arrêt des armements. En réalité, une fois réalisée l’Union des États la question tout entière des armements prend un autre aspect. Ce qu’elle peut présenter d’utopique prise isolément disparaît quand on la considère comme élément d’un ensemble de mesures destinées à organiser la Société des nations. D’autre part, si l’on attendait une première période où les bienfaits d’une organisation internationale auraient eu le temps de se produire, peu à peu les nations prendraient confiance les unes dans les autres et, éprouvant les avantages de l’ordre nouveau, une détente se produirait d’elle-même. N’ayant plus l’occasion de s’exercer, l’organe militaire s’atrophierait peu à peu, comme il est devenu énorme alors qu’avant la guerre croissaient les dangers internationaux. On a pu observer cela aux États-Unis. Les États qui composent l’Union n’ont pas été obligés de désarmer du jour où s’est formée la constitution, mais c’est plus tard qu’ils ont commencé à trouver plus utile de dépenser leur argent en améliorations intérieures, plutôt qu’à développer leurs petites armées et ils ont d’eux-mêmes volontairement commencé à désarmer. L’Association suisse pour le traité de paix durable (A. S. T. P. D.) exprime ainsi cette idée : « à l’entrée en vigueur du droit international ainsi développé correspondra une limitation progressive des armements. »

362. L’Armée internationale.


Comment établir une force armée internationale ? Trois systèmes peuvent être imaginés :

a) Une seule force internationale avec défense aux États d’avoir des armées. Aucun État n’y consentirait.
xxxxb) Chaque État a son armée et en outre il existe une armée internationale. Le coût serait énorme.
xxxxc) Chaque État a une armée qui peut être requise. Ce système est pratique. Le pouvoir international organiserait un État-major et des services centraux tenus à sa disposition, prêts à assurer en tout temps le contrôle des affaires internationales, et une flotte internationale sur des bases analogues serait le complément des mesures relatives à l’armée[53]. Il pourrait requérir, jusqu’à concurrence d’une certaine quotité, l’effectif de l’armée nationale réduite et s’en servir lui-même comme force de police internationale, tant pour assurer la sécurité et la tranquillité mondiale que pour obtenir l’exécution des décisions de la Cour suprême internationale et du Conseil international.

L’institution d’une armée internationale n’est pas en tous points une nouveauté. Il y a eu armée internationale chaque fois que des États alliés ont uni leurs forces militaires. Ce qui serait nouveau ce serait une armée « mondiale », faite de troupes de tous pays et agissant pour exécuter une mission « mondiale », prescrite par des institutions dûment qualifiées à cette fin. Dans les cas d’intervention que nous avons rappelés plus haut il y avait quelque chose d’approchant (armée internationale en Chine, démonstration concertée dans les Balkans, etc.). Quant à l’objection tirée des difficultés pratiques de mise en mouvement d’une armée composée de forces diverses, il suffit de considérer la cohésion d’armées distinctes qu’a su opérer l’unité de commandement dans la guerre actuelle. Les alliés ont aujourd’hui un véritable État-major international et les empires centraux aussi.


37. LES TERRITOIRES


L’organisation internationale doit régler plusieurs ordres de questions relatives au territoire : le régime des territoires appartenant à chaque État, la situation des parties de terre, d’eau et d’air déclarées domaine international, l’exterritorialité internationale des services de l’Union des États.

371. Garantie du territoire des États.


Il y a lieu de proclamer la garantie internationale à l’inviolabilité et à l’intégrité du territoire de tous les États, chacun d’eux devant être assuré de pouvoir exercer paisiblement sa juridiction sur lui, sous réserve des servitudes internationales et des limitations imposées par les lois mondiales. Une telle garantie générale, avec une organisation prévue d’avance pour la faire fonctionner automatiquement, peut seule désormais refréner les guerres de conquête. Elle seule aussi peut donner une sécurité effective aux États, fussent-ils déclarés neutres perpétuellement ou déclarés neutres pendant la guerre. La garantie donnée aux neutres perpétuels, par quelques États seulement, est reconnue notoirement insuffisante, car ces États pouvant être impliqués dans le conflit, comme il est advenu pendant la guerre actuelle, la violation de la neutralité par certains d’entre eux ne peut leur attirer aucun adversaire de plus, ni constituer dès lors une aggravation de leur situation militaire. La seule évolution logique de la neutralité est d’en faire le régime international normal pour tous les États.

Si les États se garantissaient mutuellement et solidairement leur territoire et si cette garantie était réelle et solide, la situation internationale offrirait La même sécurité que la situation nationale. Là les particuliers se garantissent mutuellement leurs propriétés à l’intermédiaire de leur État national et par le moyen du système juridique des droits privés. Dans l’État national aussi, les villes, les unités régionales sont garanties territorialement contre tons empiétements des villes, des cantons, des États confédérés voisins. Y a-t-il une impossibilité à ce qu’il en soit ainsi dans un « État international » ?

Déjà de nombreuses garanties d’intégrités de territoires ont été données par les États les uns aux autres, mais il n’y a pas de principe général de garantie et pas d’organisation du jeu effectif des garanties. On peut citer la garantie par quelques grandes puissances des territoires déclarés neutres de la Suisse, de la Belgique, du Luxembourg. Une convention de 1815 a créé une zone neutre en Savoie. En 1856, la France, l’Angleterre et l’Autriche garantissent le territoire de la Turquie contre la Russie. Le traité du 18 novembre 1903 stipule : « Les États-Unis garantissent et veulent maintenir l’indépendance de la République de Panama. » En 1905, l’intégrité de la Norvège a été reconnue par les gouvernements allemand, français, britannique et russe. En 1907, l’Angleterre et la Russie garantissent l’intégrité du territoire de la Perse. La même année quatre États garantissent l’intégrité de la Norvège. L’intégrité de la Turquie, de la Chine, du Maroc ont été garanties (pour la première, il en aurait été question dans 47 traités différents !) Les grandes puissances ont garanti le statu quo territorial établi par le traité de Bucarest qui a rais fin à la deuxième guerre des Balkans.

L’article 2 de l’accord russo-japonais de 1907 est ainsi rédigé : « Les hautes parties contractantes reconnaissent l’indépendance et l’intégrité territoriale de la Chine et le principe de l’opportunité égale pour ce qui concerne le commerce et l’industrie de toutes les nations dans cet empire et s’engagent à soutenir et à défendre le maintien du statu quo et le respect de ce principe par tous les moyens pacifiques à leur portée. » Dans les derniers temps sont intervenues des déclarations de statu quo, dans la Méditerranée en 1907 (France et Espagne, Angleterre et Espagne), en 1908 dans la Baltique (Allemagne, Russie, Suède, Danemark), et dans la mer du Nord (Allemagne, Danemark, France, Grande-Bretagne, Pays-Bas, Suède). Les textes disent : « Pour consolider les liens de bon voisinage et d’autres entre les États respectifs, convaincus que le maintien du statu quo et du droit peut contribuer à la paix générale… déclarent, qu’ils sont fermement résolus à conserver intact et à respecter réciproquement le droit souverain que possèdent actuellement leurs pays sur leurs territoires respectifs, dans cette région. » Ce sont précisément les territoires en guerre ! Dans les Amériques la doctrine de Monroe est l’équivalent pratique d’une garantie de territoires[54].

Certes, la possibilité d’une garantie mutuelle de leurs territoires pour tous les États soulève des difficultés. Une telle garantie peut-elle être effective et réelle ? À qui devrait s’étendre la garantie ? (La Hollande, par exemple, peut-elle garantir à Haïti l’intégrité de son territoire contre des entreprises des États-Unis ? Quel intérêt y a-t-elle ? À quoi devra s’étendre la garantie ? (Par exemple, à la révolution intérieure ? au soulèvement des nationalités dont est formé un empire ?) — Mais tous ces points sont susceptibles de détermination satisfaisante.

372. Domaine international.


Aujourd’hui, le globe tout entier est susceptible d’être traversé, habité ou utilisé par les hommes (terres proprement dites, mers, atmosphère, centre de la terre). Les circonstances ont conduit à en nationaliser une partie, à en internationaliser une autre, à en « a-nationaliser » une troisième, sous le régime de la res nullius. Un progrès réel serait accompli si cette dernière notion, mieux approfondie et mieux définie, conduisait à présent à une déclaration par laquelle tout ce qui a été considéré jusqu’ici comme res nullius, ou peut l’être à l’avenir, soit incorporé dans le domaine international et placé sous la juridiction directe de l’autorité internationale. Les territoires internationaux appartiendraient à la communauté des nations, à l’Union, de la même manière que dans un empire ou un État fédéral il existe des terres impériales ou districts fédéraux (exemple : Reichsland ou Alsace-Lorraine ; le district fédéral de Colombie avec Washington).

Il faut distinguer avec soin de l’internationalisation cinq régimes qui en diffèrent, ou bien qui ont avec elle certaines ressemblances et peuvent y conduire : a) La liberté internationale d’une partie du globe (la mer libre) ; b) La neutralisation. Ce qui est neutre relève de la souveraineté particulière d’un État, mais est frappé de servitude internationale. Ainsi un État perpétuellement neutre ne peut faire de guerre offensive. Un territoire neutralisé ne peut devenir le théâtre d’opérations de guerre, de blocus par exemple ; c) Le Coudominium : le territoire est la possession d’un ou de plusieurs États. C’est le cas des Nouvelles-Hébrides (1904) et du Spitzberg. Une Conférence s’est réunie à Christiania, pour la propriété des terres polaires. d) L’administration internationale (exemple : le phare du cap Spartel, sur le terrain duquel le souverain du Maroc conserve sa souveraineté (Convention de Tanger 1865) ; e) Le protectorat collectif (exemple : vœu des Arméniens de voir l’Arménie turque constituer un pays autonome sous le protectorat collectif de la Russie, de la France et de l’Angleterre).

Dans le régime de l’internationalisation qui est proposé, certaines parties du globe feraient partie du domaine international et seraient propriété de l’Union (possessions mondiales. « omnies », territoires ou biens internationaux). L’Union aurait à leur égard le droit et l’obligation de prendre des mesures de gouvernement et d’appropriation. Internationalisation implique notamment droit de police et de juridiction, droit de faire des travaux neufs et d’entretien, droit de concéder. Il est préposé d’internationaliser les mers, les airs, les profondeurs de la terre, certains territoires terrestres.

373. Internationalisation des terres.


Un régime de possession et d’administration internationales devrait être fixé par réglementation générale et s’appliquer partout où il serait jugé utile. Seraient indiqués pour un tel régime : 1° Les rives de certains détroits mettant en communication les mers ;  2° Certaines villes, certains ports dont la population ne peut être rattachée à l’État qui possède l’hinterland (exemple : Constantinople, Trieste) ; 3° Certains territoires coloniaux. — Comme précédents on peut rappeler que Tanger et Shangaï sont des villes internationales avec statuts existants ou à l’étude avant la guerre. L’Égypte et le Maroc ont failli être internationalisés[55].

374. Internationalisation des Eaux.


374.1. RÉGIME DES MERS. — Il y aurait lieu d’internationaliser la mer à une distance des côtes de 3 milles ou 5 k. 400 m. La mer, par sa nature, échappe à toute appropriation. Elle est au plus haut point une res nullius qui n’appartient à personne et qui est à l’usage de tous. La mer est ouverte à tous ; aucune nation ne peut exercer sur elle le droit de souveraineté. Le droit des gens d’aujourd’hui admet seulement que toute puissance qui touche à la mer étend son empire jusque la plus grande portée de canon au delà de la terre. C’est la mer territoriale. Au de là commence la haute mer. — La surface des mers est de 365 millions de kilomètres carrés ou 71.8 p. c. de la surface du globe, tandis que la terre ferme en occupe 144 millions ou 28.2 p. c.

Doivent aussi être du domaine international, les mers intérieures et les lacs internationaux, c’est-à-dire les lacs que traversent les fleuves internationaux ou que ces fleuves font communiquer directement avec l’Océan. Les lacs internationaux sont, en Europe, les lacs de Constance, Léman, Majeur et de Lugano ; en Amérique les grands lacs Supérieurs Huron, Érié et Ontario.

Un grand nombre de conventions internationales ont déjà réglé certaines questions relatives à la mer, et intéressant tous les peuples. Par exemple, le traité du 16 novembre 1889, destiné à restreindre le commerce en mer des boissons alcooliques ; les conventions relatives à l’assimilation aux eaux maritimes des détroits et canaux interocéaniques ; celles relatives à la pêche[56].

La liberté des mers est un point remis en discussion par cette guerre ; cette question est ancienne. L’Empire romain encadrait la Méditerranée « mare nostrum ». L’Angleterre doit à la mer sa prodigieuse fortune et son impérialisme. Le Japon tend à bénéficier des mêmes destinées. Au XVme siècle, les Portugais et les Espagnols acceptèrent que le Pape Alexandre VI partageât, par une ligne fictive allant de l’un à l’autre pôle, les îles et territoires litigieux entre eux, attribuant portion égale à chacun des continents. La sentence papale du 4 mai 1493, établissant la célèbre ligne alexandrine, devint la « grande Charte » sur laquelle les plus grandes puissances coloniales de l’époque fondèrent désormais leurs droits. Elle donna une force nouvelle à l’idée que les successeurs de saint-Pierre disposaient à leur gré de toutes les terres découvertes et à découvrir[57].

Dès l’année suivante cependant le traité de Tordesillas modifiait la ligne de partage et bientôt furent affirmées les prétentions exclusives des parties à l’usage des routes maritimes conduisant à leurs possessions. Antérieurement, Venise et Gènes avaient affirmé leurs droits exclusifs sur l’Adriatique et sur la mer ligurienne. Ces prétentions absolues étaient en contradiction avec les principes de la liberté des mers auxquels les autres peuples lancés dans les entreprises coloniales avaient besoin de tendre. Les Hollandais les premiers firent valoir leurs droits et Grotius écrivit pour eux, en 1609, son magistral Mare liberum. Ils rencontrèrent l’opposition des Anglais et Cromwell promulgua en 1651 l’Acte de navigation, qui fut cause d’une guerre où les Hollandais durent se soumettre. À la demande des Anglais, Seldon réfuta en 1635 l’ouvrage de Grotius et édita son Mare clausum. De leur côté les Danois essayèrent de s’approprier la maîtrise des détroits qui donnent accès à la mer Baltique (Grand Belt, Petit Belt, Sund) et parvinrent, après bien des guerres, à se faire payer par les Hollandais et les Suédois une redevance pour le passage de ces détroits. Louis XIV, après la paix de Nimègue, qui lui avait donné la suprématie sur terre, sentit le besoin de développer les forces maritimes du royaume. Il fit codifier les coutumes de la mer sous le titre de Consulat de la mer (1681), qui acquit une grande autorité dans toute l’Europe, même en Angleterre. Contre ce pays Louis XIV soutint le principe de la liberté des mers en refusant de laisser donner à la Manche le nom de Canal britannique. Ainsi l’Angleterre lutte depuis des siècles pour la maîtrise de la mer. Elle a d’abord vaincu sa rivale la Hollande ; puis elle s’est attaquée à la France. De 1638 à 1815 il y eut 7 grandes guerres qui furent pour l’Angleterre des guerres d’affaires, visant à la destruction des forces navales et coloniales de la France. Après Trafalgar, l’Angleterre devint la maîtresse des mers, se contentant toutefois de ce titre honorifique et partageant sa domination avec tous les autres pays. Au XXme siècle, l’Allemagne déclara subitement que le titre de « maîtresse des mers » doit être à elle et elle formula des prétentions exorbitantes dont les bases sont bien connues, notamment : 1. La Baltique doit être une mer allemande. 2. La Méditerranée doit passer sous le contrôle exclusif de l’Allemagne. 3. La mer du Nord, avec l’embouchure des grands fleuves allemands, l’Elbe et le Rhin, doit servir de base à la puissance navale allemande. Pour développer ce programme, l’Allemagne devait consolider sa domination dans la mer Baltique et la mer du Nord, s’emparer de la Hollande, de la Belgique, du littoral français, de l’Artois et de la Picardie ; se répandre ensuite par l’Adriatique dans la Méditerranée orientale, l’Archipel et en Asie Mineure jusqu’au golfe Persique. La réalisation de ce plan grandiose commença en 1890 par la construction de deux cuirassés ne jaugeant que quatre mille tonnes, mais déjà en 1913, le tonnage militaire allemand s’élevait à 624 mille tonnes, représenté par 30 cuirassés, 12 croiseurs-cuirassés. En 23 ans, l’Allemagne avait multiplié son tonnage militaire par 80. Parallèlement, les diplomates allemands ne cessaient de proclamer que l’Allemagne ne devait reculer devant aucun sacrifice pour créer les forces navales nécessaires pour dominer le monde[58]. Si elle y était parvenue, on peut s’imaginer ce qu’eut été la plus grande puissance navale entre les mains de la plus grande puissance militaire !

Les grandes puissances navales et coloniales tendent à établir à travers les océans chacune leur route à elles, avec étapes, stations de charbon et bases d’opérations navales. Ce sont de véritables chemins encerclant le globe, répondant à un besoin d’expansion mondiale des nations, tout opposé à l’ancienne conception de leur limitation dans des zones maritimes exclusives et limitées. L’Angleterre a établi des avant-postes impériaux qui gardent les sept mers, elle a sa « all Red Route » (la route toute rouge). La France possède à peu près la sienne (la route toute bleue ?) L’Allemagne a tenté d’en établir une.

La liberté des mers était une réalité avant la guerre. En fait elles étaient contrôlées par l’Angleterre qui les considérait comme routes conduisant vers ses colonies et avait créé une flotte considérable. La guerre déclarée, le blocus fut organisé par l’Angleterre contre l’Allemagne, en vertu des anciens principes de capture maritime ag raves. L’Allemagne riposta par la guerre sous-marine, réclamant la « liberté des mers[59] ».

Une solution devra intervenir à la fin des hostilités et tous les États ont des intérêts en jeu dans cette question. Par la mer toutes les nations sont voisines, et le sort d’un peuple, comme celui des individus, dépend pour une large part à l’heure actuelle du trafic mondial, lequel est aux trois quarts maritime. L’effort de tous les États pour avoir des ports eu mer libre, l’effort séculaire de la Russie dans ce sens est tout à fait caractéristique[60]. Mais en outre la mer doit être réellement libre, c’est-à-dire délivrée de la menace de ne plus l’être à certains moments. En interceptant les communications transatlantiques l’Angleterre reste maîtresse d’arrêter à sa guise et selon ses intérêts les rouages extrêmement délicats de l’économie mondiale. Elle n’a pas abusé de cette possibilité, mais il suffit qu’elle existe pour montrer ce que ce pouvoir a d’exorbitant et de troublant dans une organisation rationnelle des relations internationales. Il n’y a qu’une solution radicale : la mer doit être déclarée domaine international ; comme telle elle doit être confiée à une autorité supernationale chargée d’y faire régner la liberté effective à l’aide des forces associées et coordonnées de toutes les puissances intéressées.

374.2. RÉGIME DES DÉTROITS. — Les détroits étant des passages pour communiquer d’une mer à une autre, la liberté et l’internationalisation de la mer entraîne celle des détroits : le Sund et les deux Belts, les Dardanelles et le Bosphore, le détroit de Magellan.

Aujourd’hui la situation de certains détroits est mal précisée, on ne sait exactement s’ils sont neutres en tout ou en partie. Des travaux ont été préparés sur cette question par l’Institut de droit international et l’Union interparlementaire. La liberté des détroits, comme celle de certaines rivières, a donné lieu à certains rachats : ainsi le rachat de la liberté de l’Escaut à la Hollande. Le traité de 1857, relatif à la liberté du Sund et des Belts, qui relient la Baltique et la mer du Nord, a donné lieu à la compensation payée par les États au Danemark. Le Bosphore et les Dardanelles sont placés sous le régime de la convention de 1856. En 1904 l’Angleterre et l’Espagne ont fait une convention relative au détroit de Gibraltar (fortification de la côte marocaine)[61].

374.3. RÉGIME DES CANAUX MARITIMES. — Les canaux maritimes doivent aussi être internationalisés, car ils sont comme des détroits établis par la main de l’homme pour donner communication entre les mers et les océans : Suez, Panama, Corinthe, Kiel. Déjà l’article 1er  du traité de 1888 stipule : « Le canal maritime de Suez sera toujours libre et ouvert en temps de guerre comme en temps de paix à tout navire de commerce ou de guerre, sans distinction de pavillon. Le canal ne sera jamais assujetti à l’exercice du droit de blocus. » L’art. 3 du traité de 1901, relatif au canal de Panama, stipule « que le canal sera libre et ouvert aux vaisseaux de commerce et de guerre de toutes les nations ». En 1912 les États-Unis soulevaient les protestations de l’Angleterre en votant le Panama Tolls Act qui accordait des droits préférentiels de péage à la marine américaine. En 1914 le président Wilson faisait rapporter cet act. Le régime de la navigation dans le canal se trouve ainsi assimilé à ce qui existe déjà pour le canal de Suez.

L’importance des canaux interocéaniques est immense et leur portée est vraiment mondiale. — Le canal de Suez ouvrit à l’Europe l’orient légendaire, dirigea le flot de l’émigration européenne vers l’Australie et favorisa la formation, dans l’Afrique australe, d’une Confédération anglo-saxonne. Suez sert de route à l’Asie centrale, à l’Afrique orientale et à l’Océanie. — Le canal de Panama va servir de route civilisatrice à l’Asie orientale et à l’occident d’Amérique. La distance entre les ports d’Europe et ceux du Pacifique est réduite de 2600 à 6000 milles ; de New-York à ces mêmes ports de 1000 à 8400 milles. Le Pacifique, océan séparé des courants civilisateurs d’Europe, va recevoir directement du monde ancien ses richesses, ses produits, ses émigrants.

374.4. RÉGIME DES FLEUVES. — Il y a lieu d’étendre le régime d’internationalisation des fleuves traversant plusieurs pays et de leur donner un régime autonome.

Le Congrès de Vienne de 1815 confirma et étendit les dispositions relatives à la liberté de navigation des fleuves internationaux, c’est-à-dire des fleuves baignant ou traversant le territoire de plus d’un État. Il se fonda sur deux principes ; solidarité existant entre les états riverains et formation pour chaque cours d’eau d’une association riveraine appelée à traiter les eaux communes comme un domaine indivis soumis sur toute son étendue navigable à un système administratif uniforme. Il existe des commissions internationales du Rhin et du Danube,

375. Internationalisation des airs.


Les airs actuellement, sont dans la même situation que la mer. Leur domaine est res nullius. Ils devraient devenir domaine international. La navigation aérienne et l’utilisation de l’atmosphère pour l’envoi des ondes hertziennes, appelées à un immense développement, rendent désirable une réglementation de l’atmosphère d’après des principes nettement internationaux et avant qu’il ne soit trop tard. En 1906, l’Institut de droit international votait la disposition préliminaire suivante, à propos d’un projet de convention radiotélégraphique international ; « L’air est libre. Les États n’ont sur lui, en temps de paix et en temps de guerre, que les droits nécessaires à leur conservation ». Le projet de convention internationale, voté en 1911, par l’Institut de droit international, porte en son article 3 : « La circulation aérienne internationale est libre, sauf le droit pour les États sousjacents de prendre certaines mesures à déterminer, en vue de leur propre sécurité et celle des personnes et des biens de leurs habitants[62].

376. Internationalisation de l’intérieur de la terre.


De même que les eaux et les airs, l’intérieur de la terre doit aussi être internationalisé. Aucune nécessité pratique n’a dû faire envisager plus tôt la question d’appropriation territoriale de l’intérieur de la terre. Cependant, cette question ne tardera pas à se poser. En droit civil primitif, le propriétaire du fonds était le propriétaire du tréfonds et ce jusqu’à une profondeur illimitée. Avec le développement des mines, il a fallu introduire une distinction et séparer le droit an tréfonds du droit au fonds, soumis civilement à un régime distinct. La législation minière a été le résultat de cette séparation. Comme il est question de faire passer les ondes radiographiques par l’intérieur de la terre, la forme sphérique de celle-ci rend insuffisant le seul principe en vertu duquel la souveraineté sur tout le tréfonds appartiendrait à la nation qui a approprié la surface. Il y a donc lieu, ou bien de proclamer l’appropriation nationale de sections coniques allant de la surface, telle qu’elle est délimitée par les lignes frontières, jusqu’au centre du globe, ou bien d’étendre par analogie, à l’intérieur même de la terre, le principe de la res nullius, qui régit la haute mer en limitant dès lors l’appropriation nationale à quelques kilomètres, ou bien, enfin, d’internationaliser l’intérieur de la terre. C’est ce dernier régime qui est le plus rationnel et ici également il faudrait, par des décisions immédiates, prévenir les difficultés futures.

377. L’exterritorialité internationale.


Outre les cas d’internationalisation qui viennent d’être examinés, un régime d’exterritorialité internationale s’appliquera avantageusement lorsqu’il s’agira de services, d’installations et de personnes dépendant de l’Union mondiale. C’est, transporté dans ce domaine, l’analogue de l’exterritorialité diplomatique établie actuellement. Il s’agit pour l’Union de pouvoir exercer en toute facilité son action super nationale pour les États.

378. Siège de l’Union. Capitale internationale.


Il sera désirable de prévoir la concentration des services internationaux dans une capitale internationale, dont le territoire serait internationalisé. C’est la conséquence naturelle des autres dispositions organisant une Société des nations. L’action internationale ne peut recevoir sa pleine expansion que si elle est centralisée au lieu d’être éparse et diffuse comme elle l’a été jusqu’à ce jour. Elle a besoin d’une ambiance essentiellement neutre, d’un lieu où les représentants des diverses nations soient chez eux et non plus les hôtes d’une autre nation. Des garanties d’impartialité sont nécessaires aussi à l’éclosion et au développement des idées et des initiatives de portée mondiale, à la discussion des grands intérêts internationaux.

Comme faits, il y a lieu de constater qu’aujourd’hui trois villes, dont deux placées en pays conventionnellement neutres, se partagent le siège de la plus grande partie des institutions internationales existantes : Berne (Suisse), Bruxelles (Belgique), La Haye (Pays-Bas). Des projets ont proposé la création d’une cité internationale nouvelle distincte de toute ville existante. Des projets ont décrit aussi la conception et le fonctionnement d’un centre mondial[63].

L’histoire nous offre des solutions variées au problème des capitales, mais toutes sont une confirmation de l’importance même et du rôle des villes capitales. Le siège des institutions nationales est tantôt concentré, tantôt divisé. En Suisse, Berne est le siège des autorités fédérales et Lausanne le siège du Tribunal fédéra). En Allemagne, le Reichstag siège à Berlin et le Tribunal impérial a Leipzig.

Le gouvernement de certains pays siège alternativement dans les grandes villes. Ainsi les délégations de la monarchie austro-hongroise siègent successivement à Vienne et à Budapest. Quelques pays ont créé spécialement des villes comme capitales gouvernementales et les ont situées dans des zones soumises à un régime particulier. Ainsi le district de Colombie avec Washington aux États-Unis. Les républiques sud-américaines offrent des exemples analogues.

Dans le passé Rome a été une ville internationale. Les pèlerinages y étaient devenus très fréquents dès la fin du XIIIme siècle. Boniface VII fit alors annoncer une indulgence plénière pour tous les pèlerins qui se rendaient à Rome, mais aux conditions ordinaires de repentir et de confession. (Peut-être cette indulgence jubilaire date-t-elle déjà de l’an 1000, moment ou la fin du monde était généralement attendue.) Des multitudes immenses se pressèrent alors dans les murs de la ville. Les papes Clément VI, Urbain VI et Paul II (1468) réduisirent successivement à 50, 30 et 25 ans au lieu de 100 l’intervalle des jubilés. Les pèlerins étaient obligés de séjourner quinze jours à Rome, cause d’une dépense qui n’était pas médiocre. Les offrandes étaient si abondantes qu’on les tirait des troncs au moyen de râteaux et qu’on put comparer les jubilés aux pèlerinages des juifs à Jérusalem. Rome était alors dans sa plus haute splendeur ; ou s’estimait heureux d’entreprendre ce voyage et de voir de ses propres yeux le centre qui reliait toutes les nations de la terre[64]. Elle offre un exemple de ce que pourrait devenir avec le temps une grande capitale internationale, siège des grandes institutions politiques, intellectuelles et économiques.


38. LE PROCHAIN CONGRES. LA CONSTITUANTE INTERNATIONALE


1. À la fin des hostilités, on peut imaginer diverses hypothèses pour le règlement des conséquences de la guerre actuelle : a) La guerre se termine sans congrès. C’est-à-dire que les vainqueurs imposent leurs conditions aux vaincus, sans discussions, et règlent entre eux diplomatiquement les points qui les intéressent. b) Il se réunit un Congrès des puissances belligérantes, qui règle la question née de la guerre, mais à l’exclusion des neutres. c) Le Congrès ne réunit que les belligérants, mais décide la convocation d’une troisième Conférence de La Haye pour statuer sur toutes les questions qui intéressent l’ensemble des nations, après que le sort des belligérants aura été fixé. d) Le Congrès réunit belligérants et neutres et fait acte de Constituante internationale ; il donne une organisation rationnelle à la Société des nations en promulguant une Charte mondiale.

2. De toutes ces hypothèses, la plus rationnelle est le Congrès-Constituante. En voici les raisons :

a) Il est nécessaire, en effet, que tous les États participent à des assises qui vont régler le sort de l’Europe et du monde, et avisent aux moyens d’éviter le retour du cataclysme. Les neutres sont intéressés comme les belligérants à la solution des nombreuses questions économiques, ethniques, juridiques et politiques qui doivent être décidées. N’ayant pas été soumis à toutes les passions de la guerre, surtout les neutres éloignés du théâtre des opérations, ils ont sur beaucoup de questions des idées moins préconçues et sont plus portés à tenir compte de l’intérêt général de l’Humanité.

b) On objecte : « Les neutres ont prouvé leur impuissance ou leur indifférence en ne prenant pas part à la lutte. Ils ont continué, après la violation de la neutralité de la Belgique, après la constatation des violations des conventions de 1907, à entretenir des relations avec l’Allemagne et l’Autriche-Hongrie. Ils ne présenteraient donc aucune autorité pour faire exécuter les clauses du traité qu’ils élaboreraient. » Cette objection perd sa portée en regard des arguments énoncés plus haut. La composition du Congrès dépend évidemment de ce qui doit s’y faire. On ne saurait créer un ordre juridique international sans le concours de tous les États et leur acceptation des décisions y relatives. Au demeurant, les neutres ont souffert des dommages considérables de la guerre et sont eux aussi placés dans l’état d’esprit nécessaire pour la réalisation de réformes profondes.

c) À toutes les grandes époques de l’histoire moderne de grands congrès généraux se sont assemblés. C’est le Congrès de Westphalie en 1648, celui de Vienne en 1815 (où il y eut jusqu’à 216 chefs de mission), ceux de Paris 1856, Berlin 1878, Berlin encore on 1884 (à propos de l’Afrique), Algésiras en 1905 (à propos des affaires du Maroc), sans parler des Conférences de La Haye (1899 et 1907).

d) Il faudra d’ailleurs, lors de la paix, régler avec les neutres bien des questions particulières. Avec la Grèce les suites de son occupation ; avec la Hollande la situation du régime de l’Escaut ; avec la Suisse, l’abolition de la zone neutre de Savoie et l’accès libre à la mer ; avec la Chine la convention récente que lui a imposée le Japon ; avec les États-Unis, solidarisés avec les républiques du sud dans une union panaméricaine, le régime de la mer et de la guerre maritime.

e) Si l’on objectait qu’on n’aura pas le temps d’envisager les problèmes d’une Charte mondiale au moment de la paix, nous répondrions qu’il faut distinguer les préliminaires de la paix du traité de paix lui-même, l’œuvre des belligérants de celle du Congrès général. Les délibérations de la Paix de Westphalie, de la Paix de Vienne, de la Paix de Paris ont duré des mois. La Paix de Francfort n’a été conclue que plus de 120 jours après l’armistice.

f) Les accords des belligérants, à défaut même de traité, devront de toute manière contenir des bases fondamentales. Serait-ce beaucoup demander qu’ils soient exprimés explicitement et complètement ? On ne peut dire d’ailleurs qu’il sera plus aisé de régler par voie de dispositions particulières que par voie de dispositions générales la paix entre huit belligérants d’un côté et quatre de l’autre, qui à raison de leurs possessions et influences, forment presque tous les grands peuples de l’ancien continent. Dès lors, n’en arrive-t-on pas à une véritable charte ? Et s’il faut, en outre, négocier certains points avec des neutres, n’en arrivera-t-on pas forcément à un ensemble aussi compliqué mais moins clair qu’une charte mondiale ?

g) Un grand Congrès pourrait fort bien agir en sections ou ternir des assemblées particulières concurremment avec des assemblées générales. Ainsi eut lieu à Munster et Osnabruck (traité de Westphalie). Ainsi encore en 1815. Des distinctions pourraient être faites entre les questions militaires et territoriales particulières concernant les belligérants, les questions particulières concernant certains neutres et certains belligérants, les questions concernant les neutres entre eux, les grandes questions d’organisation générale.

3. Le congrès général s’imposera donc. Les considérations émises au cours de cet ouvrage indiquent toute l’importance qu’il y aura à bien composer dès le début ses délégations. Le système préconisé, les suggestions faites pour la composition du Parlement international pourraient avec certaines modifications, être appliqués à la composition de la Constituante. Mais ce qui importe surtout c’est que l’esprit de la diplomatie n’y règne pas en souverain. Des hommes politiques, des jurisconsultes, des hommes de science, des hommes d’affaires, doivent y introduire aussi leur esprit à eux. Les nationalités dont le sort sera décidé devront pouvoir faire entendre leur voix. Les grandes associations internationales devront être représentées au moins ad audendum.

Les Parlements nationaux devront, pendant toute la durée des sessions, contrôler, appuyer, diriger les travaux de leurs délégués nationaux. Dans la ville même où auront lieu les assises, les forces organisées de l’opinion internationale devront avoir leurs représentants permanents et organiser des réunions et des discussions. Car le congrès, loin de travailler dans une atmosphère d’isolement, devra, au contraire, sentir s’agiter autour de lui toutes les grandes passions, toutes les grandes idées suscitées par la guerre. Quelque chose de l’âme des peuples devra l’animer lui-même pour qu’il puisse enfanter vraiment l’œuvre grande attendue de lui

4. L’œuvre du Congrès, répétons-le, devra consister avant tout à donner une organisation rationnelle et stable aux relations internationales, à fonder la société des nations à la doter des institutions nécessaires à son fonctionnement normal, sur les hases possibles et pratiques que nous avons examinées dans cet ouvrage. Toute son œuvre, pour s’imposer aux esprits autant qu’aux volontés, doit tendre à prendre la forme d’une Charte mondiale

5. Mais semblable congrès ne peut s’improviser. Il doit être préparé dès à présent. a) Il est un travail officiel. Les chancelleries des belligérants bien qu’occupées du travail régulier des incidents quotidiens s’en sont préoccupées déjà. Dès à présent dans tous les pays, les gouvernements devraient charger des commissions officielles de rechercher les bases du futur traité et en même temps de préciser les objectifs de la guerre. b) Un rôle de préparation est aussi imparti aux États neutres, qui devraient s’entendre entre eux à cet effet. c) Il est en dehors de l’action officielle, tout un travail d’études, un véritable travail scientifique qui doit être entrepris avec le but de constituer les dossiers du Congrès. Ce travail incombe aux spécialistes et les associations internationales ont ici un rôle éminent à remplir car ces questions ont pour la plupart été étudiées par elles avant la guerre. Il leur incombe de reviser leurs travaux antérieurs et de les mettre au point de faits nouveaux. Parmi les associations il en est de plus directement intéressées que d’autres aux solutions futures : celles des juristes, des économistes, des socialistes, des ouvriers, des hommes d’affaires, des églises. d) L’opinion publique doit être préparée. Il ne s’agit de la saisir ni du moment, ni du comment de la paix, mais bien de son contenu. Au fond, les peuples savent à peine comment ils ont été amenés à se battre et quels sont les objectifs de la victoire. Il y a toute une formation des mentalités à faire, une conscience à rendre claire, chez les masses, du processus dans lequel elle se trouve engagée, du mécanisme dont ses membres sont des rouages. On ne peut espérer du mieux qu’à la condition de pouvoir compter sur une opinion prête à accepter les grandes transformations nécessaires[65].





  1. L’expression a été consacrée par la Conférence de la Haye de 1907, en son vœu final.
  2. Comme tout projet ne peut se définir avec la précision nécessaire qu’en s’incorporant dans des textes concrets, susceptible d’être transformés en résolutions, lois et traités, nous avons présenté dans notre ouvrage, la Fin de la guerre, un projet de charte mondiale destiné à provoquer des premières discussions et contre-propositions. — Depuis la guerre, avec la coopération entre autres de l’Union des Associations internationales, a été constitué à La Haye-Berne l’Organisation centrale pour une paie durable. Se plaçant sur le terrain exclusif des études, mais dirigeant celles-ci vers des fins immédiatement pratiques, elle a confié à des commissions « nationales-générales » et « internationales-spéciales » le soin de préparer des rapports, accompagnés d’avant-projets de conventions mondiales, sur neuf points d’un programme minimum, qui touche en fait aux fondements de la « Société des Nations ». Les travaux de cette organisation, à laquelle nous avons cru devoir apporter notre collaboration personnelle, sont poussés très activement.
  3. J. Lawrence, The peaceful settlement of international disputes. — Il ne faut jamais perdre de vue qu’à l’origine et chez tous les gouvernements absolus il n’existe qu’un pouvoir exécutif absorbant en lui tout le législatif et tout le judiciaire. Ceux-ci ne se sont détachés de lui que lentement et plus ou moins complètement. L’exécutif reste donc dans tous les pays le centre des mœurs et des traditions de l’ancien régime, avec tendance naturelle à défendre ses prérogatives absolutistes. Laisser au pouvoir exécutif la direction des affaires internationales, c’est fatalement s’exposer à les lui voir conduire dans le sens de l’absolutisme des États.
  4. Certains ont préconisé une confédération immédiate des alliés, faisant place aux neutres et réservant place à leurs ennemis pour le jour où ils en accepteront les principes.
  5. Bibliographie relative à l’Union des États. — Umano, Essai de constitution internationale. Traduction du manuscrit édité par L. Pichot, 1907. — W. Taft, Experiments in Federation ; ch. IV, of the United States and Peace, 1914. — Paul Cohn et Alfred Weiss, Das Neue Europa, Zürich. — Fr. Maniecke, Weltbürgertum u. Nationalstaat, III Ed., München, Oldenbourg. — Ponti, La guetta dei populi et la futura confederazione Europea. — Anarcharsïs Clootz, Projet de république universelle, organisation politique unitaire de toute la planète. — H.-J. de Tange, Theorie en praktijk der internationale organisation ; uitgave van het Comite « De Europeesche Statenbond ». — Rodrigo Octavio, L’Union juridique des nations-confédérations. — Lorimer, Sur la Communauté internationale. — Mérignac, Le problème final du droit international. (L’État international, n° 164. Communauté internationale). — Ettore Ponti, La guerra dei popoli e la futura Confederazione europea, secondo un metodo analogico storico, 1915. — Hamilton, Plan for a League of Peace put for war holt in the « Independant ». — Boyle, L. Hommer. History of Peace (compiled from governemental record official report, treaties, convention, peace conferences and arbitration). — International Federation for the maintenance of Peace. House Commitee on Foreign affaires of U. S. Congres, David.-J. Foster-Chairman (Hearing of May 7, 1910). On joint résolution to autorise the appointement of a commission to draft article of international federation and for other purpose. — D. Mead-Edvin, Organize the World. — Mead-Edvin, The great design of Henry IV. — Léon Bourgeois, Pour la société des traditions, 1910. — E. Bajer, Pacigérance, 1908. — Von Stengel, Weltstaat und Friedensproblem, 1909. — Walter Schücking, Der Staatenverband der Haager Konferenzen. — A. Fried, Europaïsche Wiederherstellung, 1915. — Se sont en outre prononcés pour la fédération dans le passé Bakounine, Drysdale, Westerkamp, Fiore, Barthold, Calden, Arnaud, Duplessis, Deloncler, etc. = M. C. Butler a présenté un « Projekt for United States of Europe ». — Mr. Lepert, a présenté, en 1907, un projet nouveau en 48 articles de justice internationale, avec pouvoir législatif et transformation des forces militaires. — À Lugano, en Suisse, projet « Ligue des neutres » ( Bignami). — Le président Roosevelt a proposé une force internationale de police dans « The Independant ». — Mr. Hyndman, le leader du British socialist Party, a proposé la fédération. — La « Woman’s Movement for constructive Peace » (Londres) a soutenu la même idée, proposée par MM. Pethwick, Lawrence. — Williams Aneurin, Une Ligue des États pour la paix. Contemporary review. — Schücking, The work of the Haage Conference. — B.-F Trueblood, A Periodic congress of the Nations (with a list of congress held), — B.-F Trueblood, The federation of the world, p. 100. — Broda, Besitzt die Menscheit hinreichende Organe für Erforschung und Wahrung ihrer Gemeinschafts-interessen ? Ein Versuch zur Erklärutng der Gegenwartswirren und ein Weg zu ihrer Lösung, 1915. — Bridgman, First Book of world Law (Boston World Peace Foundation). — Keen (Frank Noel), The World in alliance, a plan for preventing future wars, 1915. — José Weiss, L’alternative. Paix armée ou fédération. — J. Novicow. Fédération européenne, 1902. — Schuecking, L’organisation du monde. — Graham Wallas, The great society. — Nico van Suchtelen, The only solution : An european federation, Europa eendrachtig. — La solidarité internationale (Congrès international de sociologie, 1909) ; — William Stead, The United States of Europe. — N.-A. Nilsson, Federation internationale. — The supreme issue ; law versus anarchy in international affairs by International Union of Ethical societies. — de Molinari, Le Congrès Européen. — Victor Hugo, Les États-Unis d’Europe. — Un Européen, Les États-Unis d’Europe et la question d’Alsace-Lorraine. — Le périodique « Les États-Unis d’Europe » publié par la Ligne internationale de la Paix et de la Liberté. — F. Wrangel, Internationale Anarchie oder Verfassung. — Parliament of Man, Federation of the World. — Wells, La guerre qui mettra fin aux guerres ; La Paix du monde ; Demain. — Wolff, An international Authority and the Preventiont of War. « The new Stateman », London, july, 10 and 17, 1915. — P. Bonfarte, Vers la Confédération européenne. « Scientia », I, XI, 1915. — Ramsay Muir, The probleme of the future Peace, Scientia, I, XIII, 1915. — Projets anciens d’organisation des pacifistes : Pierre Dubois, 1321 ; Podiebrad, 1462 ; Erasme, 1514 ; Henri IV, 1533 ; Emeric Crucé, 1623 ; Grotius, 1648 ; Puffendorf, 1671 ; William Penn, 1693 ; Abbé de St Pierre, 1712 ; Gondart, 1751 ; Gaillard, 1777 ; Bentham, 1788 ; Condorcet, 1790 ; A. Clootz, 1793 ; Kant,1795 ; Zacharie, 1802 ; Jean Paul, 1809. — Parmi les projets anciens il faut donner une mention spéciale aux suivants : a) Plan d’Henry IV exposé dans les mémoires de Sully pour l’établissement d’une fédération européenne. Coalition contre la maison d’Autriche, établissement de quinze États ou dominations presque égales, partageant la République chrétienne, un Conseil général ou sénat, fonds commun, formation ultérieure d’une armée commune contre les Turcs. b) Projet de Leibnitz qui rêve l’établissement d’une fédération européenne à laquelle il donne à la fois pour chef le Pape et l’Empereur. c) Projet de Paix perpétuelle de l’abbé St-Pierre, à la suite des difficultés qu’il avait observées au Congrès d’Utrecht, 1712. d) Projet de Kant (Paix perpétuelle). e) Projet de Bentham (essai sur le droit international) proposant la réunion d’une Diète générale. — Résolutions des Congrès de la Paix : Paris, 1849 ; Londres 1890 ; Hambourg, 1897 ; Munich, 1907 ; Londres, 1908.
  6. Les questions de la nationalité et de la naturalisation ont fait l’objet de mesures dans presque tous les pays au cours de la guerre. Il est à croire qu’une théorie nouvelle devra être élaborée pour mettre les faits en concordance avec un système général.
  7. Voir la formule de ces droits au n° 243.
  8. Autorités et sources : Conférences de droit international privé ; Institut de droit international ; Congrès universel des races ; Congrès des associations internationales.
  9. La Révolution a eu en vue « l’homme », et non seulement le Français ; c’est par là que son œuvre a eu son immense retentissement dans le monde.
  10. Le rôle et les fonctions d’un parlement international ont été mis en lumière notamment par les travaux de l’Union interparlementaire, qui a réclamé à diverses reprises l’établissement d’une telle institution. On peut renvoyer à ses travaux. Bluntchli, dans son ouvrage fondamental : Le droit international codifié, admettait déjà l’institution d’un corps législatif pour le monde entier. Il préconisait l’idée d’un « Weltreich » d’un empire universel, dans lequel les États contribueraient à réaliser leur mission dans toute son étendue. Les ouvrages sur une Union des États traitent pour la plupart la question d’un parlement international. Voir la bibliographie sous n° 31, in fine.
  11. J.-V. Stuart Mill, Le Régime représentatif.
  12. Babson, The future of world peace.
  13. L’Homme, En 1916.
  14. Le mécanisme de la détermination des coefficients est connu. C’est celui des indices ou « index number » en général. Les chiffres placés en regard de chaque coefficient sont des maxima. Les données numériques réelles sont obtenues par des échelles de proportion. Ainsi, pour le coefficient de la population brute, par exemple (population en quantité, 11), on attribue le chiffre 33 à l’État qui a la population la plus élevée, et, aux autres, des fractions de 33 proportionnelles à leur propre population. Ainsi des autres coefficients.
  15. Autre méthode, en partant de l’idée qu’un corps simple est caractérisé par un nombre proportionnel, son équivalent chimique, on peut attribuer à un État un équivalent international, variable avec le temps exprimé en lustres, Si l’on admet que ce nombre est proportionnel : 1° à la population recensée exprimé en dizaine de millions (pour la France environ) ; 2° qu’il est proportionnel au commerce international, exprimé en milliards de dollars (pour la France environ) ; 3° que ce nombre est inversement proportionnel à la superficie utilisable de l’État, (en prenant pour unité linéaire le mégamètre ou million de mètres on aurait pour la France mégamètre carré.) On peut donc poser : Supposons Pour la France on obtient environ. On déterminerait K par la condition que la somme des équivalents internationaux obtenus pour chaque pays, serait égale au nombre total des délégués ou des voix au Parlement international — La formule ci-dessus est une application au problème de la représentation mondiale de la formule générale dans laquelle entrent tant de lois physiques importantes (lois de la pesanteur, de Mariotte, de l’élasticité, des cordes sonores, de Ohm, de Képler, de Newton, de Laplace, etc.) (J. Voisin).
  16. La République américaine, trad. Leslang, Paris, Giard, 1901, t. iii, p. 449.
  17. A. Prins, Esprit du gouvernement démocratique, chap. ii. La démocratie et le principe majoritaire.
  18. Voir le projet de représentation des intérêts pour la Belgique présenté par A. Prins, et résumé dans son Esprit du gouvernement démocratique, page 286 — A. d’Hoffschmidt, Organisation du Sénat, Représentation des intérêts, Bruxelles, 1892, — A. Prins, L’organisation de la liberté et le devoir social, 1895.
  19. Chr. L. Lange, La Conférence de la Paix : son organisation permanente. — Avant-projet de règlement en 16 articles préparé pour l’Organisation centrale pour une paix durable (1916).
  20. Nous avons indiqué plus haut de quelle manière (voir n° 243).
  21. A. Mérignhac, Traité de l’arbitrage international, Paris, Larose, 1895.
  22. A. Ræder, L’arbitrage international chez les Hellènes. Publication de l’Institut Nobel norvégien, 1912.
  23. Ettore de Ruggiero, L’arbitrato pubblico, in relazione coi privati presso i Romani.
  24. Voir l’histoire de l’arbitrage dans Scoot, The Hague Peace Conference, VI. pp. 190-212.
  25. Sur l’hostilité de l’Allemagne à la Conférence de La Haye voir les mémoires de M. Andrew D. White, premier délégué des États-Unis à la Conférence (reproduit dans « Espero Pacifista », n° 6 de 1905 et « La Paix par le droit », 1905, p. 211.
  26. Sur les conventions d’arbitrage présentée par M. Bryan en suite de son « Peace plan », voir notamment Grotius, 1914, p. 85. — Voir aussi W. Evans Darby, International Tribunal, a collection of the scheme which have been proposed (American Peace Society.)
  27. Ch. L. Lange, L’Arbitrage obligatoire. Relevé des stipulations conventionnelles en vigueur, en 1913 instituant le recours obligatoire à l’arbitrage international. — Denys P. Myers, Arbitration engagements now existing in treaties treaty provisions and national constitution. World Peace Foundation Pamphlets series. — Recueil international des traités du XXme siècle.
  28. Dr  C.-A.-J. Harzfeld, Salomonische uitspraken van het Haagsche permanente Hof van Arbitrage.
  29. J. de Louter, Évolution de l’arbitrage en juridiction internationale, Grotius, p. 10.
  30. H. Lafontaine, Voix de l’Humanité, 12 décembre 1914. — Voir aussi Nippold, Das Problem der obligatorischen Schiedsgerichtsbarkeit, Jahrbuch des öffentlichen Rechts. I, VIII, p. 1. — Gaston Moch, Histoire sommaire de l’arbitrage permanent. — William Blymyer, Mémoires sur la sanction de l’arbitrage. (Protocole du Congrès universel de la paix, Berne 1903.)
  31. Voir le projet du Conseil de conciliation élaboré par une commission de juristes et de politiques sous la présidence de Viscount Bryce. Son commentaire a été donné par Low Dickinson After the War. — Déjà Asser disait à la deuxième conférence de La Haye qu’il y a une préparation politique des conventions qui doit précéder leur préparation juridique. On s’est demandé aussi s’il ne fallait pas que les traités d’arbitrage s’étendent aux sujets politiques aussi bien qu’aux sujets juridiques. (De Jong van Beck en Donk, die Fortbildung drr Schiedsgerichts-Projekte im Berichtsjahre. Jahrbuch des Völkerrechts 1913.)
  32. Proposition Grace Wales, reprise et amendée par l’Organisation centrale pour une paix durable. La section néerlandaise de cette organisation (Nederlandsche Anti-Oorlog Raad) a demandé au gouvernement hollandais de prendre l’initiative de réunir immédiatement une conférence permanente de neutres pour remplir de telles fonctions. L’idée a été reprise par la Conférence de Stockholm.
  33. The whole matter is one of mutual confidence and good faith. There is no other sanction for the execution of treaties. If we have not confidence one with another why are we here ? There is no other rule among us than that of mutual good faith. That is the only compelling power, which can restrain or enforce our conduct as nation. (Discours du délégué américain Choate à La deuxième conférence de La Haye.)
  34. Voir le rapport publié par « Vrede door Recht » sur le plan van Vollenhoven d’une police internationale. (Extra-blad) beboorernde by het Mei-Juni nummer (5-6 van jaargang 1915 van Maandschrift Vrede door Recht) avec indication des publications qui ont discuté ce plan. — Voir aussi les moyens recommandés par les congrès de la Paix de 1906 et 1907.
  35. Henri Lammasch, Die Rechtskraft ; Internationale Schiedsprüche (Publications de l’Institut norvégien Nobel, 1913). — Jacques Dumas, Les sanctions de l’arbitrage international, 1905. — E. Root, The sanction of international Law. — Kebedgy, Contribution à l’étude de la sanction du droit international. Revue du droit international et de législation comp., 1897, LXXIX, pp, 113 et suivantes.
  36. Paul Otlet, Les mesures concertées à prendre entre les États : Rapport présenté à l’Organisation centrale pour une paix durable.
  37. Voir n° 294.23. Alliances.
  38. Le cas de la Suisse doit être rappelé. Dans ce paya, les constitutions de canton sont approuvées par la Confédération et par là elles sont placées sous sa garantie. Chaque révision de constitution donne lieu à approbation nouvelle. L’effet de la garantie, c’est que toute atteinte à la constitution cantonale donne lieu à intervention fédérale, par exemple : pour rétablir l’ordre après une révolution, pour donner justice au membre d’un canton qui serait victime d’une injustice dans ses rapports avec un autre canton (exemple, intervention dans le Tessin).
  39. De Kiderlen-Waechter s’était plaint à diverses reprises de perdre un temps précieux et de n’aboutir à aucun résultat par des échanges de vues de cabinet à cabinet. En les concentrant dans une seule capitale, et en les confiant à des diplomates expérimentés, il avait dit qu’on arriverait sans doute à un accord.
  40. Circulaire du Chancelier adressée le 21 décembre 1914 aux ambassadeurs et consuls d’Allemagne.
  41. Émile Olivier, L’Empire libéral, III, p 118.
  42. J. Novicow, La fédération de l’Europe, 2e édition, 1901, p. 451.
  43. Notre organisation diplomatique, par *** dans l’Information, Paris, 16 et 19 novembre 1915.
  44. Ribot, à la Chambre française, parlant des finances de la France, 1915-03-20. — Freiherr Mackay, Die moderne Diplomatie, Frankfurt, Rütten et Loening. — Krichkof, War and Labor {chapitre sur la démocratisation de la diplomatie). — de Oliveira Lima, Cosas diplomaticas (1908). Impressions d’un diplomate. Ce livre contient les résultats d’une longue expérience et d’une étude approfondie.
  45. Léon Poinsard, Les Unions et ententes internationales, Berne, 1901. — Jean Claveirolle, L’internationalisation et l’organisation internationale administrative, Saint-Étienne. — Paul Reinasch, Public international Unions. — Fr. Roussel-Despierres, Les Unions internationales, Revue internationale de sociologie, janv. 1916 (proposition de nouvelles Unions inter-alliées).
  46. Voir monographies des Unions universelle dans l’ « Annuaire de la Vie internationale ». — Denys-P. Myers, La concentration des organismes internationaux publics, « la Vie internationale », p. 141. — Voir aussi les études sur le Bureau panaméricain et sur un bureau mondial établi à son instar, demandé par l’assemblée générale du Bureau de la paix. Bruxelles, 1909, et par le Congrès mondial des associations internationales 1913.
  47. Ainsi il existe une association internationale libre qui fonctionne aux côtés de chacune des deux Unions pour la protection de la propriété littéraire et artistique et de la propriété industrielle.
  48. Bourdin, Le militarisme allemand. — F. Lynch, Militarism, The eternal foe of Democracy, — Laurent, Noran et Merceras, La Paix armée.
  49. Rapport de Hans Wehberg pour l’Union interparlementaire : exposé systématique des propositions, accompagné de la reproduction des documents.
  50. Sur la question du commerce des armes consulter Perris (Geo) Herbert, The War Traders. — Hugo Brentano, dans « Berliner Tageblatt », 12 novembre 1913, édition du matin, reproduit dans « La limitation des armements », publication de l’Union interparlementaire, p. 52. — Adolphe Richter, Le Palais de la Paix, 1913, p. 86 — E.-W. Hirst (rédacteur en chef de « l’Economist », de Londres : The six pannics (Exposé magistral).
  51. Ostwald, Monistische Sonntagspredigten.
  52. Umano, Constitution internationale, p. 70.
  53. Sur l’organisation d’une police internationale voir les études du Prof. C. van Vollenhoven intitulées De Eendrache van hec Recht, et dans le compte rendu du Congrès de la Paix. 1913. — Grotius, 1914, p. 144, mentionne les diverses études des pro et contra auxquelles cette proposition a donné lieu. La thèse et les opinions favorables ont été reproduites dans War obviated by an international police. A serie of essays written in various countries : The Hague, Nyhof (1915).
  54. Cette doctrine est contenue dans un message adressé le 2 décembre 1823 par James Monroe, président de la République des États-Unis, aux deux Chambres du congrès américain. Le président, après avoir traité plusieurs questions d’ordre intérieur aborde les affaires de l’Amérique du Sud, alors en révolte contre l’Espagne, et, à propos de l’intervention de l’Europe, formule la doctrine célèbre à laquelle il a attaché son nom. : On en a tiré la formule : L’Amérique aux Américains. « Les citoyens des États-Unis sont animés des sentiments les plus tendres pour la liberté et le bonheur de leurs frères de l’autre côté de l’Atlantique. Nous ne nous sommes jamais mêlés dans les guerres qu’ont entreprises les puissances européennes pour des débats particuliers ; telle est notre politique… Nous considérerons toute tentative des alliés d’étendre leur système à quelque partie de cet hémisphère comme dangereuse pour notre tranquillité et notre sûreté. Quant aux colonies existantes ou aux dépendances des puissances européennes nous ne sommes pas intervenus et nous n’interviendrons pas dans leurs affaires. Mais quant aux gouvernements qui ont déclaré leur indépendance, qui l’ont maintenue, et dont nous avons reconnu l’indépendance, nous ne pourrions voir l’intervention d’un pouvoir européen quelconque dans le but de les opprimer ou de contrarier en aucune manière leur destinée, que comme une manifestation d’une disposition inamicale (unfriendly) envers les États-Unis. »
  55. Nous avons examiné les avantages et les possibilités d’une internationalisation de toute l’Afrique, ou du moins de l’Afrique centrale, dans notre ouvrage : La fin de la guerre, p. 133.
  56. Certaines mers possèdent en permanence une population mobile aussi dense que celle de quelques régions continentales. Le Dogger Bank et le grand banc de Terre-Neuve sont de véritables prolongements de la terre habitable. L’Océan Atlantique entre le Cap Lizzard et l’Amérique du Nord est aussi peuplé que la côte Sibérienne. La Manche est plus peuplée que la province d’Iakoutsk. (L. Raveneau, Annales de géographie, 1891-1892, page 336).
  57. V. Montesquieu, L’Esprit des lois, L 2. chapitre 21. — Vattel, Le droit des gens. — Mesa et Leompart, Précis de l’histoire de l’Amérique, 1870, I, page 52. — Fiore, Nouveau droit international, LL. 23, IX.
  58. Schultze-Gaevernitz, La mer libre, (1915).
  59. Sir Edward Grey, « Lettre à la Presse », du 28 août 1915 : « La liberté des mers peut être après la guerre un sujet très raisonnable de discussions, de définitions et d’accords entre les nations, mais pas toute seule, parce qu’il n’y a ni liberté, ni sécurité contre la guerre et les procédés de la guerre de l’Allemagne sur terre. » Le président Wilson dans ses observations relatives au Lusitania, a admis qu’il y avait à organiser la liberté des mers. D’autre part on a dit que les hommes politiques français et anglais seraient d’accord que la Méditerranée, la mer Rouge et la mer Noire doivent être neutralisées (déclaration de Garibaldi rapportant des entretiens avec Poincaré et Grey).
  60. La Russie ne pourrait avoir de port en mer libre que sur la mer Noire, — si les Dardanelles étaient à elle ou, internationalisées, — sur la Méditerranée orientale, par exemple Alexandrette, sur la mer de Chine ou sur le golfe Persique.
  61. Goriainow, Le Bosphore et les Dardanelles (1900). — René Pinon, La mer Noire et la question des détroits, Revue des Deux Mondes, 15 octobre 1915, page 823. — Dascovici, La question du Bosphore.
  62. Annuaire de l’Institut de droit international, t. XXIV. Session de Madrid, Année 1911, p. 346. — Travaux préparatoires de la Conférence radiotélégraphique internationale de 1906 et de la Conférence internationale de navigation aérienne de 1910.
  63. Voir le projet de l’Union des Associations internationales dans les actes du Congrès mondial, 1913, page 1.
  64. Moehler, Histoire de l’Église, II, p. 575. — À la question de la capitale se rattache celle d’un drapeau international ; plusieurs propositions ont été faites.
  65. Ernest Fayle, The great settlement. Préface by lord Esher. 1915. — Martin, Problème de la Paix. — Ch. Dumas, La Paix que nous voulons, 1915. — D. Triesch, Die Welt nach dem Kriege, Berlin, Puttkammer. — Moneta, Les pacifistes dans le mouvement historique actuel. Comment rendre durable la paix prochaine, « La vita Internazionale », Milan. 5 et 20 avril, 5 mai, 1915. — E. Soulier, Pas de paix hors de la justice. — H.-G. Wells, La guerre qui tuera la guerre ; Demain ? (tentative de prophétie). — Dr  Ch. Eliot, Le chemin qui mène à la paix. — Colonel Biollot, L’Europe qu’il nous faut faire. — Eugenio Rignano (directeur de « Scientia »), Les facteurs de la guerre et le problème de la paix (conclusions d’une enquête internationale). — « Demain », direct. H. Guibeaux, World Peace Foundation, serie pamphlets, avril 1915 : article de lord Dickinson : Sur les bases à adopter pour la création d’une ligue pour la paix, avec des annexes concernant le projet de congrès des neutres, proposé par l’Union panaméricaine ; celui de l’organisation d’une Commission internationale d’enquête. — International Law Association (rapport sur le futur de la guerre). — Raymond Unwin, The War and What after ? — V. aussi les publications de l’Organisation centrale pour la paix durable, et les travaux des groupement pacifistes pendant la guerre, que l’on trouvera indiqués en français dans La Paix par le Droit. — Henry Lyonnel, Quelle sera la durée de la guerre ? Comment la guerre doit-elle finir ?xxx, Ce que sera la paix de demain. — Ponteville, Après la guerre : l’Allemagne, la France, la Belgique et la Hollande. — Abbé Wetterlé : Si nous voulons une paix durable. Étude documentée dans « J’ai vu ». — A. Aulard, La paix future d’après la Révolution française et Kant. — xxx, La paix que nous devons faire, Le remaniement de l’Europe. — Commandant Espérandieu, Le Rhin français, 1915. — Onésime Reclus, L’Allemagne en morceaux (paix draconienne). Annexion de la rive gauche. Sa moralité, sa nécessité, ses avantages. Le partage de l’Allemagne, 1915. — Camille Jullian, Le Rhin gaulois, 1915. — Lieutenant-colonel R. de D., Le partage de l’Allemagne, l’échéance de demain. — Probus, La plus grande France, les clauses de la paix, les fruits de la victoire. — Frank Chauveau, La paix et la frontière du Rhin. — A. Sommerfeld, Le partage de la France.