Promenade d’un Français en Suède et en Norvège/02

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Gottenbourg. Les Anglais. La cascade et le Canal de Trolhätta.


Le calme me donna le loisir d’examiner à mon aise, les jolies côtes de rochers nuds et les îles de même espèce, qui cernent la baye et l’embouchure de la Götha. Il fallut passer vingt-quatre heures sans bouger, a une demi-lieue du fort Elfsborg, bâti sur un rocher au milieu de l’embouchure de la rivière. Ces petites contrariétés, qui pour un homme affairé sont fort désagréables, me sont au fait d’une indifférence singulière : on peut passer un jour d’émigration tout aussi bien sur l’eau que sur la terre. Il y avait cependant un inconvénient, c’est que le vaisseau flottait sur quatre-vingt toises d’eau, et que sa charge de plomb ayant fait travailler les jointures dans la traversée, menaçaient de nous envoyer visiter les Homars qui en habitent le fonds ; mais enfin un vent frais poussa le vaisseau dans la rivière et tout fut pour le mieux.

Dès-lors qu’on a passé le fort Elsborg, rien ne surprend comme la vue des bords de la rivière : ces maisons de bois, peintes en rouge, semées çà et là sur des rochers de granit, annoncent beaucoup d’industrie. L’effet que produit l’entrée de la rivière Götha, rappelle parfaitement ces peintures chinoises, où l’on voit des maisons situées sur de grosses pierres ou sur des arbres, des bateaux qui flottent et de gros papas fumans leurs pipes avec toute la tranquillité et tout le phlegme imaginables.

La ville est fort bien bâtie, et se ressent du goût de ses premiers fondateurs, les Hollandais, qui l’ont coupée de canaux dans tous les sens : excepté le quartier neuf et quelques bâtimens sur les quais, tout le reste est en bois. Mais ces maisons de bois dont nous nous faisons communément une si pauvre idée, parce que nous ne nous les figurons que comme des maisons de planche, sont fort commodes et plus chaudes en hyver que celles de pierres. Il est singulier que les Anglais sur-tout, qui sont accoutumés à vivre dans des maisons de bois flottantes, se fassent une idée si terrible d’une maison de bois sur la terre. Est-ce que leurs vaisseaux sont froids, quoiqu’au milieu de l’eau ? Pourquoi des maisons, construites d’une manière encore plus solide, le seraient-elles ? La construction en est fort simple : on place des arbres de sapin taillés quarrément, les uns dessus les autres, et on les attache ensemble avec des chevilles. Les intervalles entre les pièces de bois, sont remplis de mousse ; sur la muraille extérieure dans les villes on applique des planches, que l’on peint en rouge ou en blanc : l’intérieur est communément platré. Les paysans couvrent le toit d’une écorce de bouleau, sur laquelle ils mettent un gazon : les gens riches se servent de tuiles et quelques-uns de tôle ; c’est la même chose par toute la Suède et la Norvège. Il m’a semblé que ces maisons étaient infiniment plus commodes pour les paysans, que celles de pierre, de briques ou de terre ; elles sont beaucoup plutôt bâties, sont plus chaudes, et en outre peuvent être transportées d’un endroit à l’autre, sans beaucoup de difficulté.

Parmi les négocians de Gottenbourg, il y en a plusieurs de très-respectables ; le principal est M. Hall. Les étrangers lui sont généralement tous recommandés et ont à se louer de sa politesse et de son hospitalité. Le commerce de Gottenbourg est très-étendu ; il y a plusieurs maisons Écossaises très-florissantes. Les manufactures du pays sont en petit nombre, mais ce qu’elles fabriquent est bien fait ; le sucre par exemple, est généralement mieux rafiné en Suède, que dans aucun pays, mais il y est cher. Près de la mer il y a une verrerie, dont le cristal est très-beau. Ce qui occupe principalement les négocians à Gottenbourg, c’est comme ailleurs en Suède, l’exportation des métaux, du fer particulièrement qui est d’un très-grand produit.

Les harengs viennent aussi faire une visite amicale sur ces côtes, vers le mois de novembre. Ils y viennent en assez grand grand nombre pour que les bateaux ayent de la peine a passer au milieu. Ils sont si pressés les uns contre les autres, que plus d’une fois en plantant la rame au milieu de la mer, il est arrivé qu’elle se tenait aussi droite que si elle eût été dans du sable. Les négocians qui font ce trafic, qui est communément très-lucratif, préparent le sel et les chaudières dès l’été. Aussitôt que le banc de hareng paraît, on fait de l’huile des plus gras, on sale les autres, et les débris servent à engraisser les terres.

On regarde ce commerce comme si profitable et si important, que l’on prend toute espèce de précaution, pour ne pas troubler les harengs et leur faire fuir la côte ; ainsi dès qu’ils paraissent, il est expressément défendu de tirer le canon, même pour les saluts ordinaires.

Dans les bonnes années, on vend, jusqu’à 600,000 barils de harengs salés, et 30,000 d’huile Il faut pour un baril d’huile, 10 à 12 barils de harengs frais. Quand la pêche est abondante, le baril dé harengs salés, en contenant entre 1000 et 1200 se vend de deux à trois Rixdalers (15 liv. tournois). Celui d’huile contenant environ 180 bouteilles de pinte, se vend de 10 à 12 Rixdallers ; dans les mauvaises années l’un et l’autre triple quelquefois de prix : la pêche commence ordinairement en octobre et dure jusqu’à ce que la mer soit fermée par les glaces. La gelée venue, plutôt qu’à l’ordinaire dans ces deux dernières années 1798 et 1799, a empêché de faire une pêche aussi profitable que les années précédentes, et cela a occasionné dans le pays une disette cruelle.

Les objets d’importation viennent presque tous de l’Angleterre et ils s’y vendent fort bien. La communication entre les deux pays est telle, qu’il y a fort peu de gens aisés à Gothenbourg qui ne fassent venir jusqu’à leurs souliers de Londres, ou de quelque autre ville de la Grande Bretagne. Les étoffes et les cuirs qui en viennent, sont non-seulement d’une qualité supérieure, mais encore ils sont moins chers que ceux fabriqués dans le pays. Dans des cas pareils la prohibition ne sert à rien. Pour prévenir efficacement l’entrée de Les denrées il faudrait les avoir aussi bonnes et pas plus chères que chez l’étranger : en excitant l’émulation des artisans et des manufacturiers par quelque récompense, ce serait sans doute très-possible. Le port de Gothenbourg est parfaitement situé pour le commerce, à l’entrée de la Baltique, quoique sur l’Océan, et à l’embouchure d’une rivière domnt la navigation se proonge (depuis la confection du canal de Trolhätta) à une distance de près de quarante milles dans l’intérieur de la Suède. Il est aussi très-sûr et très-profond. Il a encore l’avantage d’être rarement fermé par les glaces, quoiqu’il l’ait été complètement pendant plus de quatre mois, les deux années 1799 et 1800.

Marstrand est une petite ville située sur les rochers qui bordent les côtes, à deux milles en mer ; son port qui n’est presque jamais fermé par les glaces, avait autrefois été déclaré franc, dans le dessein d’en faire comme une espèce d’entrepôt pour les marchandises de la Baltique et du reste de l’Europe. Les vaisseaux Russes auraient pu pendant l’été faire douze à quinze fois le voyage de Pétersbourg à cette ville, pendant que c’est beaucoup, s’ils peuvent aller et revenir trois fois à la Grande Bretagne. L’échange serait par conséquent devenu beaucoup plus facile et plus fréquent. Mais il est fort difficile de faire changer au commerce ses anciennes routes. Le succès n’a pas répondu à l’attente et l’on a supprimé la franchise.

Comme la Suède et la Norvège se trouvent séparées du reste du monde et pour ainsi dire isolées, il arrive souvent pendant l’hiver, que plusieurs semaines, et même quelquefois des mois se passent, sans avoir des nouvelles du reste de l’Europe. Ce retard est fort gênant et peut, dans bien des cas, être très-préjudiciable : dans le courant des hivers de 1798 et 1799, dans un temps, où les événemens marquans du Sud de l’Europe, donnaient pour ainsi dire la soif des nouvelles, on a été plusieurs fois cinq à six semaines sans en avoir aucunes.

C’est sur-tout, pour les nouvelles de la Grande Bretagne que le retard est plus long, parce que le paquebot anglais ne peut pas débarquer à Cuxhaven à cause des glaces. Du premier décembre au premier avril, c’est beaucoup si un ou deux peuvent passer. N’est-il pas inconcevable qu’un pays aussi commerçant que la Grande Bretagne, n’ait pas établi en temps de guerre un paquebot pour Marstrand ou pour Christiansand, le premier port de la Norvège, qui n’est jamais gelé. Les lettres pourraient se répandre de-là dans tout le reste de l’Europe ; car le passage des Belts et du Sund ne causent jamais un retard si considérable, que l’entrée de l’Elbe ; d’ailleurs la Suède, la Norvège, le Dannemarck et la Russie, auraient dès-lors leur correspondance surement établie.

La communication fréquente qui existe entre la Grande Bretagne et les pays du Nord, rendrait l’établissement fixe d’un paquebot extrêmement peu coûteux. Il est même plus que probable, que les sommes résultantes du passage des voyageurs et des lettres, payeraient entièrement les frais, et pourraient même donner encore du gain. Quand le paquebot ne partirait que deux fois par mois d’Édimbourg, ou de Newcastel, les lettres arriveraient plus promptement que par la voie ordinaire. Trois, quatre, au plus cinq jours suffiraient pour la traversée, et la poste n’est guères moins d’un mois à se rendre.

J’ai eu le plaisir de retrouver en Suède, the Land of Cakes. On y fait communément usage d’une galette fort sèche, qui est cependant meilleure que celle d’Écosse, parce qu’elle est faite de froment mêlé de seigle ; mais dans plusieurs autres provinces on les fait aussi d’avoine. Il est assez simple de retrouver en Suède les usages de l’Écosse. Ce sont évidemment les mêmes peuples qui habitent les deux pays. L’analogie des deux langues découvre les traces de leur origine. Le suédois a beaucoup de rapport à l’anglais dans la tournure des phrases, mais il en a beaucoup plus avec l’écossais ; il est un grand nombre de mots entièrement semblables et en général tous les verbes actifs sont les mêmes : il n’est pourtant pas moins vrai, qu’il est fort difficile d’apprendre le suédois, même quand on connaît l’écossais.

Les environs de Gothenbourg semblent bien arides ; ce ne sont que des rochers de granit nuds et ronds au sommet : les arbres dont ils étaient couverts ont été coupés, il y a déjà longtemps ; cela donne au pays un air de stérilité qu’il n’a vraiment pas, car dans les intervalles entre les pierres, il pousse d’assez bonne herbe : de temps à autre aussi, on trouve des enclos parfaitement cultivés. Les paysans paraissent être aisés, leurs cabanes sont propres dans l’intérieur, et ils sont assez bien vêtus : il en est de même par toute la Suède : les environs de Gothenbourg ne sont pas à beaucoup près, le pays où ils soient le mieux.

Les rues sont ici, comme à Stockholm, pavées de mauvais cailloux de toute figure, sans doute arrangés de la sorte par les cordonniers[1], pour augmenter leur besogne.

La chanson des Brand-vagt[2] (gardes-feu) de Suède est bien autre chose que celle des Watchmen de Londres ; ils s’arrêtent à chaque carrefour toutes les demi-heures, et entonnent sur le ton le plus mélancolique, la plus mélancolique des chansons. Ils sont armés d’une hache, d’une crécelle et d’un croc ingénieux, avec lequel ils pourraient arrêter un homme sans être exposés aux coups. C’est une espèce de traquenard, au bout d’un bâton de sept a huit pieds : on peut le passer au cou ou à la jambe d’un homme, et il est impossible de s’en débarrasser, sans qu’un tiers l’ouvre : malgré tout cela, ces gens vont toujours deux au moins, quoiqu’il y ait peu de pays, où ils ayent moins à faire, et moins à craindre. Un instrument pareil serait de la plus grande utilité dans toutes les grandes villes, à Londres surtout, où il arrive souvent que des gens sont tués ou blessés, en se défendant contre les watchmen, qui les assomment à coups de bâton. Avec ce traquenard, le watchmen n’aurait rien à craindre et tiendrait son homme à une distance convenable, jusqu’à ce que le secours vint.

Lorsqu’il arrive un étranger à Gothenbourg, les musiciens du régiment sont aux aguets : ils viennent dès le lendemain matin vers les six heures, lui donner une sérénade, pour laquelle il doit leur faire un petit cadeau.

Le dimanche on ferme les portes de la ville, depuis neuf heures jusqu’à onze, pendant le temps du service : c’est une ancienne coutume. Je n’ai appris cet usage qu’à mes dépens, étant sorti un matin de bonne heure pour gagner de l’appétit ; pour y satisfaire, il m’a fallu promener un peu plus que je ne le voulais.

En 1788, pendant que Gustave III était occupé contre les Russes en Finlande, les Danois firent une invasion dans la Suède par la Norwège. Sans la vigilance, l’activité et aussi le bonheur du roi, ils devaient certainement s’emparer de Gothenbourg. Les ministres Prussiens et Anglais près le roi de Dannemarck, sans l’aveu de leurs cours, à ce qu’on prétend, vinrent sommer le prince de Hesse qui commandait les troupes, de se retirer, et en cas de refus ils le menacèrent de déclarer-la guerre au Dannemarck. Le roi lui-même arriva tout-à-coup, rassura les habitans, et les Danois, dont le gouvernement n’avait fait cette démarche, que d’après les traités existans avec la Russie et malgré lui, pour obliger le roi à faire la paix, se retirèrent. On peut dire avec vérité que cette invasion inattendue, qui semblait devoir accabler Gustave III, fut précisément ce qui le sauva. Elle lui ramena une grande partie de ses sujets, qui avant cette époque murmuraient et s’étaient éloignés de lui.

Dans la crainte de répéter ce que beaucoup d’autres ont déjà dit, j’ose a peine entrer dans quelques détails sur les établissemens publics de Gothenbourg : ils sont peu nombreux, mais assez bien tenus : la compagnie des Indes expédie un ou deux vaisseaux par an à la Chine, et les profits des actionnaires sont, dit on, considérables.

Les francs-maçons, dont on s’est beaucoup occupé dans ces derniers temps, et que l’on a accusés de bien des choses, dont le grand nombre sont sûrement peu fondées, forment en Suède un établissement respectable ; ceux de Gothenbourg entretiennent à leurs frais soixante orphelins, et ceux de Stockholm trois cents. Le roi lui-même est franc-maçon, les princes et les ministres le sont aussi.

La circonstance fâcheuse, qui m’avait causé quelques tracasseries à Dublin, se présenta encore à mon grand regret à Gothenbourg. Une Anglaise dédaigneuse m’avait précédé, et avait fait part au public de sa mauvaise humeur. La personne qui avait passé deux ans avant à Gothenbourg, est très-connue dans le monde littéraire par ses opinions singulières et par quelques ouvrages, qui ne sont pas sans mérite. Mde Woolstoncraft n’a pas publié un ouvrage, dans lequel elle ne se soit laissée entraîner par l’idée favorite qui l’occupait, et sur laquelle elle a publié un gros livre intitulé (the rights of woman) (les droits de la femme), dont les droits de l'homme républicain, lui ont sans doute donné la première idée.

Les jérémiades perpétuelles, qu’elle fait sur les droits violés des femmes, et sur l’état malheureux qu’elles ont dans la société, me semblent bien peu fondées. Je ne vois pas que les dames ayent tant de raison de se plaindre ; le métier d’une femme jolie et aimable, tel qu’il est établi, me semble aussi agréable qu’aucun que je connaisse. Une femme mariée, une mère de famille, qui a soin de son ménage et de ses enfans, quelle que soit sa fortune et même son esprit, me semble toujours à sa place ; elle ne saurait, a mon avis, se trouver dans une situation, qui la rendît plus respectable.

Après avoir fait mon examen de conscience bien scrupuleusement, j’avoue que je n’ai pu de ma vie, concevoir aucun charme, à supposer qu’en rentrant chez moi fatigué du train des affaires, je trouverais ma femme la lunette en main, examinant les astres, donnant audience, examinant les pièces d’un procès ou bien se préparant à aller monter la garde, pendant que les soins importans du ménage seraient regardés comme frivoles et indignes de son attention. Mû par les préjugés du bon vieux temps, qu’il m’arrive souvent de regretter : je pense que dans ce cas il serait infiniment préférable de ne se point marier du tout. Mde Woolstoncraft aura beau prêcher sa doctrine, j'ose espérer qu'on ne jouera pas aux dames, le vilain tour de mettre ses idées à exécution.

Mais pour revenir à son voyage qui a si fort scandalisé les belles dames de Gothenbourg, quoique assurément cela n’en valût pas trop la peine. Quelques affaires litigieuses l’appelaient en Norvège ; elle débarqua à Gothenbourg et se rendit presque tout de suite à Arendal en Norvège, où elle resta un mois, et fut obligée d’en partir sans avoir réussi. À son retour à Londres, elle publia un livre de remarque, During a short résidence in Sweden and Norway (durant une courte résidence en Suède et en Norvège). Elle y fait souvent usage de ces termes nouveaux qu’on appelle sentimentaux, grotesquement habillés à la Sterne[3] et à la nouvelle mode des revenans, et du clair de lune ; ainsi, c’est la cloche de la vache qui tinte — la musique mortelle du murmure des eaux — les esprits de paix qui vont se promener — l’éternité qui est dans ces momens des sylphes au pied léger qui auraient volontiers dansé leurs danses aériennes — qui est-ce qui craint la rosée tombante ? — bon soir au croissant qui pend dehors dans la voûte éthérée, et qui m’invite à m’égarer au loin etc. — c’est là le style à la mode, et dont généralement les dames auteurs de la Grande Bretagne, font un usage un peu trop fréquent. On y mêle des sentimens superbes à brûle-pourpoint, sur l’objet le plus simple, et le premier qui se présente. Ainsi Mde Woolstoncraft s’attendrit et pense à sa fille, en voyant un veau sauter dans la prairie.

Pauvre femme, chagrine avec tout le monde, avec elle-même : elle portait son humeur noire dans tout ce qu’elle faisait : elle était sans doute malheureuse, cela ne se voit que trop. Mais quand on écrit, est-ce qu’on doit être heureux ou malheureux ? n’est-il pas cruel de faire partager aux hommes les chagrins qui nous dévorent ? — Eh mon dieu ! n’ont-ils pas les leurs aussi ? et quand pour se distraire, on prend un livre de fantaisie et que loin de produire ce bon effet, il augmente encore le malaise, que faire du livre ?

Ce n’est pas que plusieurs des faits qu’elle rapporte, ne s’accordent avec la vérité, mais ils sont exagérés et quelques-uns sont copiés d’auteurs qui en avaient copié d’autres : par exemple les reproches souvent répétés d’ivrognerie appliqués généralement sont en vérité bien gratuits. Si on excepte quelques maisons à Gothenbourg, qui suivent l’usage de l'Écosse, (qui après tout vaut bien celui de la Suède)on ne boit guères que de l’eau dans ce pays[4]. Combien de fois n’ai-je pas, à mon grand regret ; vu des tables de vingt couverts ne pas même achever quatre bouteilles. les seules qui fussent présentées ; si l’une d’elles l’était par hasard, c’est que ma bonne fortune m'avait placé de manière à pouvoir mettre la main dessus.

Il est certain qu’on mange trop ; les plats que l’on fait passer un à un, obligent les convives de prendre de tous, pour ne pas avoir l’air de les trouver mauvais. Comme pour se servir d’un mets, il faut attendre qu’il soit présenté, cela devient réellement fatigant dans le commencement, d’autant qu’il arrive par-là, que le rôti est froid, ce qui est fâcheux.

Avant de se mettre à table, pour suivre l’usage, on doit prendre un verre d’eau de vie, qu’on appelle Sup, pour exciter Yappétit ; c’est une coutume qui peut paraître singuliere d’abord, mais que par la suite on trouve fort bien imaginée. Après la Sup, tout le monde reste debout, un moment en silence ; ce moment est celui de la prière, à ce qu’on prétend. Fort peu de convives, j’imagine, pensent à autre chose qu’au dîner qui est devant eux, mais c’est égal, c’est toujours un simulacre de religion. Souvent dans les campagnes on fait dire une prière à l’enfant le plus jeune de la famille. Les paysans attachent une très-grande importance à ce moment de silence avant et après le repas, et ils le font durer plus que le repas lui-même.

C’est à Marstrand, que se rassemblent communément les flottes marchandes, qui doivent être escortées. Pendant mon séjour à Gothenbourg, il en sortit deux, une de dix-huit vaisseaux, et l’autre de quarante ; elles furent toutes les deux saisies par les Anglais et emmenées dans leurs ports, quoi qu’elles fussent escortées par des frégates. Il est aisé de se faire une idée de l’animosité que cette violation du droit des gens avait excitée contre les Anglais. Si on eût cru les négocians, la guerre eût été bientôt déclarée, mais le gouvernement plus sage prit le parti de dissimuler. La France, il est vrai, n’était pas beaucoup plus scrupuleuse, mais elle était agitée par des troubles violens et le désordre y était à son comble ; peut-être eût il été digne de la nation Brittannique de ne pas imiter le cruel exemple que la France, en proie à l’anarchie la plus violente, avait donné.

Dans le temps où la capture de ces flottes, causait le dépit le plus vif et le mieux fondé, il y eut une scène à la comédie qui sans doute eût été sans suite, si le principal personnage n’ût été Anglais. Le capitaine d’un Sloop (petit vaisseau de guerre) étant aux premières loges, (suivant la coutume de plusieurs villes en Angleterre, mais particulièrement de Dublin), avait son chapeau sur la tête. On lui cria : à bas le chapeau. Mais s’imaginant que c’était le caprice de quelques individus, il n’en tint compte : les cris redoublèrent : comme il avait d’abord refusé, il crut devoir soutenir la gageure : on lui jeta des pommes, on l’insulta, il fut enfin obligé de sortir, après avoir donné un défi général et avoir lancé aux spectateurs mille g..d d..n et autres complimens d’usage. Mais comme c’était en anglais, on y fit peu attention[5] ; de petits polissons le suivirent dans la rue, avec des huées : il se rendit au corps de garde l’épée à la main, demanda à parler à l’officier, non pour en avoir protection, mais pour lui faire voir qu’il n’était ni sou, ni fou, et que si on l’insultait, il était résolu à se défendre : il poursuivit ensuite son chemin sans autre malencontre.

Suivant encore l’usage de l’Angleterre et même de la France, où quand les bateliers se rencontrent en sens contraire sur une riviere, ils s’accablent de sottises en riant ; les gens de son équipage dans le même moment, passant dans leur chaloupe, près d’une autre, qui était conduite par des Suédois, commencèrent à leur en débiter. Ceux-ci, nullement accoutumés à cet usage y répondirent sérieusement ; comme les Anglais passaient près d’eux, faisant mine d’aborder, il y eut quelques coups de rames distribués, qui leur firent prendre le large.

Quelques momens après, les matelots anglais craignant d’avoir poussé le jeu trop loin, vinrent à bord du vaisseau suédois, touchèrent la main avec les gens de l’équipage, dirent qu’ils étaient de braves gens et enfin offrirent de changer leurs chapeaux neufs, contre ceux des Suédois, qui les refusèrent.

Ces histoires, qui après tout n’ëtaient quelque chose que par la circonstance, furent envenimées ä un point incroyable ; deux mois après, lorsque je me rendis à Stockholm, on en parlait encore avec aigreur.

La supériorité marquée de la marine anglaise doit nécessairement la faire regarder d’un œil jaloux par les autres nations. Si pour se la faire pardonner, les Anglais jouissaient de leurs avantages avec modération, mais non, la modération n’est pas une vertu très à la mode chez eux ; ils humilient souvent leurs amis ou leurs ennemis sans beaucoup de distinction.[6] Il n’est donc pas étonnant, que quelquefois les autres peuples montrent quelque ressentiment, lorsque des individus de cette nation semblent narguer leurs coutumes chez eux. Si un étranger ne se soumettait pas aveuglément à toutes les idées bizarres du peuple de Londres, est-ce que la boue, les pierres, les bâtons, ne voleraient pas ? est-ce que la police elle-même serait capable de le soustraire à la peine de la pompe ? si surtout il était faible et petit, car la force et des coups de poings vigoureux, inspirent un respect singulier à la populace de Londres ; si le même homme qu’on s’apprêtait à bafouer, assommait deux ou trois de ses chiens de meute, elle s’écrierait sur-le-champ, G.. d D... n ! a clever fellow, on my soul[7], et on serait capable de le porter en triomphe. Sur le continent, cela ne réussirait pas du tout, et pourrait être suivi de fâcheuses conséquences.

M. Carnegie avec la famille et les amis de qui, j’avais été lié en Écosse, eut la complaisance de me mener avec lui à Trolhäta, un des endroits les plus remarquables de l’Europe. On y voit les plus grands efforts de l’homme à côté des jeux les plus extraordinaires de la nature. Chacuns dans leur genre, sont faits pour exciter l’admiration. Nous remontâmes donc les bords du fleuve Götha, jusqu’à l’endroit où il se partage, pour former l’île qui est vis-a-vis de Gothenbourg ; il paraît n’être pas très-considérable, mais avant de diviser ses eaux il est réellement majestueux.

Le château de Bohus ou Konghell ; situé sur un roc au milieu de la rivière près de la ville de même nom, est le point où les deux branches se séparent. Ce château a été bâti par les Norvégiens, dans le dixième siècle. Plusieurs rois y ont fait leur résidence : c’était ordinairement dans cet endroit que les rois de Dannemark, de Suède et Norvège, tenaient leurs conférences. On rapporte qu’il y avait un point doù chacun d’eux était assis dans ses états et pouvait dîner avec les autres à la même table. Ce château a souvent aussi soutenu des sièges contre les unes ou les autres de ces nations, aussi contre les pirates vandales qui l’ont saccagé dans le treizième siècle. Le Dannemarck possédait alors les Scanies et tout le pays, jusqu’au fleuve Götha. La Norvège, avait toute la province de Bohus-lane jusqu’à la même rivière.

Dans ces derniers temps on a totalement négligé le château de Konghell, et il n’y demeure personne. Quelques gens prétendent, que l’on devrait faire sauter les vieilles murailles dans le bras de la rivière du côté de la ville de ce nom, afin d’augmenter le volume d’eau de celui qui se rend à Gothenbourg. On pourrait ainsi se défaire des pierres inutiles à la manière moderne de fortifier les places et conserver les autres, car un jour peut venir où l’on serait bien aise de les trouver.

Avant la séparation de la rivière le pays s’embellit et dans quelques endroits, il est vraiment intéressant. Ce sont toujours cependant les rochers ronds de granit, qui forment les hauteurs ; il faut bien s’y accoutumer ; car toute la Suède, la Finlande et la Norvège reposent sur les mêmes solides fondemens. La vallée paraît très-fertile et elle le serait sans doute davantage, s’il y avait plus d’habitans.

La rivière tombe à Edet, de dix à douze pieds avec une rapidité singulière : on a profité du courant pour y établir un assez bon nombre de moulins à scie : sous la reine Christine, pour faciliter la navigation, on a pratiqué dans le roc vif une très-belle écluse.

Nous joignîmes bientôt Lindösen chez M. Göthen où nous fumes reçus avec l’hospitalité la plus aimable. Nous fimes une course parmi les rochers de Haileberg et de Hünnaberg. Ces montagnes sont fort extraordinaires, tant par leur conformation, que par les matières qui les composent ; leur hauteur commune est d’environ deux cents pieds, mais on ne peut parvenir au sommet qu’avec beaucoup de peine, parce que les côtés sont taillés à pic de toutes parts. On trouve au sommet une plaine boisée qui peut avoir trois quarts de milles de long sur un demi de large.

Ces montagnes sont entièrement séparées du reste des collines du pays. La pierre en est aussi entièrement différentes je la crois de basalte, ou du moins d’une pierre qui y ressemble beaucoup. Dans quelques endroits, on observe que cette pierre a des dispositions à devenir colonne, et l’espèce d’escalier par lequel on y monte. semble tenir des piliers du Causway en Irlande. On y trouve aussi de la pierre a chaux, dont le reste du pays manque. Plusieurs ruisseaux tombent en cascade le long des rochers ; ils prennent leurs sources de deux petits lacs qui sont sur le sommet ; une partie du terrain est cultivée, et l’autre est couverte de bois. Les paysans qui y demeurent ne peuvent y faire monter des chevaux, que lorsque la gelée et la neige ont un peu aplani les approches de leur roc, dont ils ne descendent guères eux-mêmes que par des échelles situées dans différens endroits.

Il y a dans ce voisinage plusieurs rochers pareils ; celui de Kinekulle est le plus renommé ; son élévation est près du double de celle de Hunnaberg, ses flancs ne sont pas perpendiculaires, ils sont très-cultivés et couverts de maisons : la matière qui le compose est d’ailleurs de la même espèce.

Du sommet de Hunnaberg, la vue domine sur un pays considérable, et sur une partie du grand lac Venern dont l’étendue est de plus de treize milles de long sur neuf de large. On distingue la ville de Venersbourg, qui est située comme Ge. nêve au débouché d’un lac qui, quoique plus grand, a beaucoup de rapport à celui de ce nom. La rivière qui en sort a bien aussi quelque rapport au Rhône, dont la perte souterraine interrompt la navigation, ainsi que la Cascade de Trolhäta. Les Suédois pus entreprenons, que ceux qui habitent sur les bords du Rhône, travaillaient alors (1798), à faire un canal pour joindre les parties navigables de la rivière. Quand la France, la Suisse et la Savoie en feront-elles autant ?

Il y a trois montagnes, situées dans la même direction et séparées par des vallées étroites et profondes. A l’ouest de celle de Hallberg, et sur la vallée qui la sépare de Hunaberg, il y a un rocher d’une hauteur perpendiculaire, d’à-peu-près trois cents pieds, et du sommet duquel les vieillards et les gens infirmes se précipitaient avant l'établissemént de la religion Chrétienne. C'était l'usage de ces peuples, qui regardaient comme infâme de mourir dans son lit, et croyaient que l’on ne pouvait être admis au festin d’Odin qu'après une mort violente. Ce capitole des Goths est bien autre chose que celui des Romains, qui cep enflant pourrait fort bien avoir été imaginé d’après une idée pareille ; lorsque presque toute l’Europe était habitée par un même peuple, ces Celtes si peu connus, nos très-honorés grands-pères, qui ont laissé de leurs traces dans presque tous les royaumes de l’Europe, et dont la langue plus ou moins corrompue, est encore parlée par nombre de peuplades dispersées çà et là dans les montagnes et dans les îles.

Au pied de ce rocher est un antique monument ; il est composé de huit pierres de neuf à dix pieds de haut, placées en cercle et au milieu une plus élevée. La tradition rapporte que c’était un des parlemens des Goths, où l’on rendait la justice : les juges étaient assis sur ces pierres, et le président sur la plus haute. En son lieu et place je parlerai de ces tribunaux singuliers et de l’histoire ancienne de ces peuples, à qui l’Europe moderne semble devoir la plupart de ses institutions.

On a gravé une inscription sur une de ces pierres pour apprendre au curieux qu’un roi et une reine de Suède les avaient vues. Il y a plus d’un prince Goth qui les a vues, j’imagine… si tous avaient écrit leurs noms dessus ?… On voit à côté plusieurs petits monts funéraires, apparemment appartenans aux bonnes gens qui sur leurs vieux jours, s’amusaient à sauter dans l’autre monde.

Après avoir bien examiné tous ces monumens, et m’être bien assuré que la pierre de ces montagnes n’est pas la même que celle du reste du Pays, (c’est-à-dire du granit), et a beaucoup de rapport à la basalte[8], je me rendis au chapeau des sorciers, à Trolhätta. Je ne saurais trop dire, pourquoi c’est le chapeau, plutôt que l’œuvre, ou le saut et le bain des sorciers ; mais quelle que soit l'origine du nom, c’est, sans contredit, un des lieux les plus remarquables que j’aye vus, tant pour les prodiges de l’industrie des hommes, que pour la scène magnifique que la nature y a déployée.

La rivière qui sert de dégorgement à ce grand lac Venern, après un cours d’environ deux mille suédois, se précipite tout-à-coup, à travers les rochers, d’une hauteur d’environ cent trente pieds. Si cette masse d’eau tombait a une seule chute, elle entraînerait la montagne au pied de laquelle elle se précipite, ou plutôt elle ferait ce qu’elle a déjà fait ; elle détacherait d’énormes masses de pierres, qui arrêtant son cours, lui feraient faire plusieurs cascades. On a placé un banc dans l’endroit le plus commode pour la voir. Le bruit des vagues, les bois coupés que le torrent entraîne et qui se heurtent avec violence les uns contre les autres, et le tremblement bien distinct du rocher sur lequel on se tient, forcent à admirer en silence.

Les travaux pour vaincre le torrent ne sont pas moins remarquables, Pourrait-on croire que c'est dans le courant même de la cascade, qu’un artiste audacieux, sous la protection de Charles XII, Polheim) avait prétendu creuser dans le granit un canal pour la navigation. Il ne voulait se servir que de trois écluses : elles sont toutes faites ; l’une d’elles a cinquante pieds de hauteur, et comme aucune porte n’eût été capable de soutenir une masse d’eau aussi considérable avec un courant aussi rapide, il avait laissé à chaque écluse et surtout à celle-ci une voûte épaisse de rochers, et creusé le canal dessous, afin que les deux bouts de la porte de l’écluse s'appuyassent également sur le rocher. Pour empêcher les bateaux d’être submergés par le courant, il devait renfermer le courant avec des planches, dans une espèce de boëte, placées à quelque distance du roc dont il se précipite.

Ce travail gigantesque n’était encore rien ; le succès de l'entreprise dépendait d’une chaussée que l'on devait jeter à travers la rivière : elle devait s’élever à soixante pieds au dessus du niveau de l’eau, afin de cacher dessous les cascades partielles et de diviser toutes les chutes d’eau en trois principales. L’endroit où cette chaussée devait être jetée à Cinquante et quelques pieds de profondeur, et un courant si rapide qu’a peine on voit passer les blocs de bois qui le descendent.

À trois différentes reprises, il a osé jeter les premières fondations de sa chaussée ; et chaque fois à la distance de quelques pieds du rivage, le torrent a tout emporté. On fut enfin obligé d’y renoncer tout-à-fait et les travaux immenses des différentes écluses devinrent inutiles. Il semblerait qu’avant de les commencer, on aurait dû s’assurer du succès de la chaussée.

L'ingénieur qui avait la complaisance de nous faire voir ces travaux, le directeur Nordwall, croyait que le plan n’était pas impraticable, quoique très-difficile. Le premier objet devait être de jeter dans le torrent une masse assez lourde et assez grosse, pour qu’il ne pût pas l’emporter ; en conséquence, il croyait qu’on aurait pu faire une chambre dans l’intérieur de la montagne, qui est presque perpendiculaire au-dessus, la remplir d’une vingtaine de tonneaux de poudre et la faire sauter en l’air ; les plus gros morceaux ne se seraient pas éloignés et seraient vraisemblablement tombes dans la rivière ; sur les roches qui s’y seraient arrêtées, on aurait alors commencé à bâtir la chaussée.

Quoi qu’il en soit de ces idées, qui semblent appartenir à une race de géans, l’association qui succéda aux entrepreneurs royaux crut devoir laisser entièrement l’ancien plan de côté, et en suivre un que la raison indiquait et qui après tout ne demande que de la patience, du temps et de l'argent. on a cette fois sagement abandonné le cours de la rivière et creusé dans le roc vif, un canal qui peut avoir un demi mille de long sur un terrain de niveau. Après lui avoir fait traverser un petit lac, il arrive enfin près de la rivière, à un endroit, où la descente assez rapide, est de 122 pieds dans l’espace de quatre cents pas : on y a creusé dans le roc, cinq belles écluses et trois autres plus bas, mais dans la terre. Comme ici il n’ y a point de courant à vaincre, et qu’il ne s’agit que du plus ou du moins d’écluses, on peut être assuré de la réussite. Le canal enfin vient rejoindre la rivière au-dessus de la cascade dans un endroit où le courant n’est pas très-rapide.

Il y a tout lieu de croire que le succès de cet entreprise sera complet, et que ce sera un monument durable, qui dans les temps les plus reculés fera honneur à la nation que des difficultés aussi grandes n’auront pas rebutée, et qui aura su les surmonter[9].

Il semblerait qu’un bras de la rivière ait passé autrefois par le petit lac dont j’ai fait mention ; après en avoir fait couler les eaux par l’ouverture des écluses, on a trouvé dans son fonds plusieurs ancres, et même quelques bijoux.

Les droits que l'on doit percevoir sur les bateaux, pour le passage des écluses seront du même tarif que ceux qui sont perçus pour le portage des marchandises au-dessus de la Cascade, mais l’avantage de ne pas les changer de bateau est d’un bien plus grand prix. Le contrat passé, entre l’association de négocians et de propriétaires, qui ont entrepris ce canal à leurs frais et le gouvernement, leur en donne la propriété perpétuelle, à la charge des frais d’entretien et de réparation.

Lorsque le canal sera achevé, l’émulation s’accroîtra sans doute, et il est à croire que l’on trouvera enfin des moyens de joindre l’autre bout du Venern avec le lac Hielmarn. Ce dernier lac communiquant, depuis Charles XI, par le canal d’Arboga, à celui de Mälarn, on pourrait alors se rendre en bateau de Gothenbourg à Stockholm, par une navigation intérieure d’à-peu-près soixante milles.

La vue de la première écluse du plan de Polheim, a vraiment quelque chose d’imposant : on peut à peine concevoir comment l’idée a pu venir de faire passer les bateaux dans un courant aussi considérable : l’eau tombe perpendiculairement de cinquante pieds, et la masse est d’à peu près six pieds de haut, sur quarante de large.

Au-dessus de cette cascade il y a un creux probablement fait par les eaux, et qui ressemble assez à un trône : quand le roi y vint, il y écrivit son nom ; on l’y a gravé dans le granit avec celui de toutes les personnes de sa suite.

Le canal de Trolhätta a dans toute sa longueur 2700 aunes. Les écluses ont 120 p. sur 22 de large ; la fouille la plus profonde dans le roc est de 72 pieds.

Les écluses de Brinkeberg Skulle près Venersborg, sont plus belles que celles de Trolhäta ; mais la difficulté de les faire, n’était pas aussi considérable, elles sont placées sur un terrain aisé. Leur longueur est de 200 pieds sur 54 de large et 13 p. de haut.

On a profité du courant de la grande cascade pour y établir des moulins a scie ; ils y sont très-nombreux. La force de l’eau étant très-grande, ils meuvent des pièces énormes et les scient en quatre ou cinq planches dans le même moment. Les principales denrées qui passent par cet endroit, consistent dans les métaux, le fer sur-tout forgé dans la Vârmelande, le bois, le sel, les harengs et quelques marchandises étrangères.

Près de l’auberge, je vis un phénomène assez extraordinaire : plusieurs pommiers plantés dans un mauvais terrain et à l’ombre avaient à-la-fois des fleurs et des fruits mûrs ; c’était alors le 7 août, et il faisait très-chaud. On engage communément le voyageur à écrire son nom et ses remarques sur un livre destiné à cet usage. C’est une coutume assez générale par toute le Suède, dans les endroits où il y a quelque chose de curieux à voir.

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  1. Expression de Shakespear, dans la mort de César.
  2. Ces Brand-vagt ou gardes-feu, n’avaient d’abord été institués que contre l’incendie.
  3. Pauvre Sterne ! il ne s'imaginait pas, en écrivant son voyage sentimental, qui est si joli et si intéressant, que son style aimable allait être prophané par tous les gens qui s’imaginent lui ressembler, En s’adressant dans la même ligne à leur chien et à leur maîtresse.
  4. Les gens du commun ont donné en décembre 1799, un exemple mémorable de sobriété, dans cette ville : ils se sont révoltés pour empêcher de distiller de l'eau de vie, ce qui est très-méritoire. J'en parlerai en son lieu.
  5. Le mot Raska en Suèdois veut dire brave courageux, intrépide. Le capitaine anglais ne s’imaginait guère ; faire un grand compliment aux gens, en les appelant Rascals.
  6. Voyez la note en bas de la page 143 vol. sur l'Irlande ; elle irait également bien ici.
  7. Dieu me damne ! un (habile compagnon) sur mon âme.
  8. Je me serais exprimé avec plus de certitude, si les minéralogistes n’appelaient trapp une pierre qui ressemble à la basalte et qu’on trouve, dit-on, dans la Vestrogothie où ces montagnes sont situées. Je ne saurais trop dire, si c’est d’elles que l’on veut parler. Dans ce cas il serait désagréable de se chicaner pour des mots : j’aime autant le Trapp que la basalte. J’observerai seulement que Trapp veut dire en suédois Marche, degrés, escalier et qu’il se pourrait que ce nom lui fût venu de sa forme. Voyez le rapport des observations faites par le chevalier Bergmann, sur les pierres qui lui furent envoyées d’Islande par M. Uno de Troïl.
  9. Ce canal été ouvert dans le mois d’août 1800, et il a parfaitement réussi.