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Promenades Littéraires (Gourmont)/Les miracles de Sainte Foy

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Promenades LittérairesMercure de FranceTroisième série (p. 331-335).


LES MIRACLES DE SAINTE FOY


La légende attribue à cette sainte problématique un précoce martyre. Elle aurait été condamnée à mort l’an 303, en la ville d’Agen, où elle était née quelque douze ans auparavant. On suppose encore que le corps de la pieuse enfant fut transporté au ve siècle dans une basilique construite en son honneur, par l’évêque d’Agen, Dulcidius. De nombreux miracles s’opérèrent sur son tombeau, la sainte acquit une grande réputation et des pays les plus lointains on accourut en pèlerinage. Or, le monastère de Conques, en Rouergue, commençait à être important et célèbre. « Les moines, désireux d’y attirer des fidèles, cherchèrent à se procurer quelque corps saint » ; ayant échoué à dérober les reliques de saint Vincent de Saragosse, orgueil et richesse de Cahors, ils songèrent à sainte Foy. Après dix ans de ruse, un moine de Conques réussit dans son entreprise ; chargé de garder les reliques, il les vola et les emporta à Conques, « où elles furent reçues avec allégresse ». Une telle histoire ne se différencie en rien de centaines de récits ; les reliques, tant vénérées pendant tout le moyen âge, attiraient les malades, comme aujourd’hui les sources ; les malades et les pèlerins enrichissaient l’église et le pays qu’ils venaient visiter ; d’où, l’importance matérielle des reliques ; d’où encore, les vols des reliques si fréquents et si curieux. Avec les sources miraculeuses, le sanctuaire est à l’abri de ce genre de déprédation ; d’ailleurs le culte des ossements, sans avoir disparu, est en déclin, hors des pays purement latins, grecs ou slaves. Cette translation hardie eut lieu vers l’an 880 ; l’histoire en a été conservée dans un poèm « Jes premières années du xie siècle et dans une narration en prose que les Bollandistes jugent antérieure à 1060 ; si donc rien n’en certifie l’authenticité, rien ne la contredit absolument, car elle est bien en accord avec les mœurs religieuses de cette époque. Installée à Conques, sainte Foy redoubla de miracles ; sa renommée s’étendit ; de France et de l’Europe entière les pèlerins accoururent et le monastère acquit une grande prospérité et beaucoup de richesses : on en a une idée précise par le trésor de Conques, aujourd’hui encore « un des plus riches de France en pièces de premier ordre » ; on y garde la fameuse statue d’or, la « Majesté de sainte Foy », toujours vêtue et diadémée d’émaux, de pierreries, de cabochons, d’intailles, de bijoux de toute sorte et de toute époque, — véritable résumé de l’histoire de l’orfèvrerie. Or, un jeune clerc nommé Bernard, venu d’Angers à Chartres pour jouir des leçons de Fulbert, entendit son maître conter et vanter les extraordinaires miracles de sainte Foy. Il fut troublé et résolut d’aller voir de ses yeux de telles merveilles. Il accomplit son pèlerinage vers 1013, accompagné d’un écolâtre nommé Bernier, et rédigea le premier livre du Liber miraculorum ; un second, puis un troisième voyage (1020) lui fournirent la matière de deux autres livres (fondus depuis en un seul) ; les deux derniers sont de la main d’un moine de Conques qui, un peu plus tard, copiant le travail de Bernard d’Angers, voulut le compléter. Il le déclare loyalement dans un prologue où sa modestie apparaît touchante et un peu singulière : « Nous n’y apposons pas notre nom, par respect pour la sainte. » C’est cet ouvrage, bientôt répandu dans l’Europe entière, que publie M. l’abbé A. Bouillet, d’après le manuscrit le plus complet[1]. Les miracles rapportés sont au nombre d’une centaine ; ils sont, en même temps qu’un document d’hagiog-raphie, une source historique importante, puisque nul chroniqueur ne fait connaître à cette époque l’histoire du Rouergue, du Quercy, de l’Auvergne ou du Languedoc, pays d’origine de la plupart des personnages mentionnés par Bernard ou par le moine de Conques. Quant aux miracles, ils ressemblent à tous les miracles de ces siècles heureux ; ils ne sont pas plus audacieux que ceux que Grégoire de Tours nous a contés avec une certitude si déconcertante — et dont nous avons peut-être tort d’être déconcertés, car tout est possible. En voici un où se trouve, par surcroît, la description de la « Majesté » ; il est ingénu :

« Du miracle des Colombes d’or. — Si donc vous avez le loisir de m’écouter et si vous voulez ouvrir à ia vérité le sanctuaire d’un cœur doux, je vous parlerai de l’ordonnance de la mémorable image que les habitants du pays appellent la Majesté de sainte Foy. Elle est faite d’un or très pur et ses vêtements sont tout décorés de gemmes, très habilement serties le long des bords par l’art diligent des artisans. Elle porte également autour de la tête un bandeau en or, magnifique et orné de pierreries. Elle a des bracelets d’or à ses bras d’or, un escabeau d’or sous ses pieds d’or ; et elle est assise dans une chaire dont l’or disparaît sous les pierres précieuses et dont les colonnes sont surmontées de deux colombes d’or et de gemmes qui en augmentent singulièrement la beauté. C’est à ce propos que je veux vous conter une chose merveilleuse. Bernard, alors allé de Beaulieu et depuis évêque de Cahors, possédait autrefois ces colombes. Sainte Foy vint les lui demander pendant son sommeil. Bernard différa d’obéir ; encore et encore la sainte les demanda et Bernard différait toujours. Enfin, ayant connu l’origine divine de ces avertissements, il prit avec lui un poids d’or égal au poids des colombes d’or et se mit en route pour Conques. Ayant fait pour l’amour de Dieu cette offrande à la sainte, il revint, persuadé d’avoir apaisé son désir, puisqu’il donnait, poids pour poids, la même quantité d’or. Mais il arriva qu’une nuit, pendant qu’il dormait, la vision lui apparut encore, réclamant les colombes, disant que tout l’or du monde ne pouvait remplacer les colombes. Alors il obéit et alla lui-même déposer sur les colonnes de la chaire, ornement mémorable, les deux colombes d’or. »

  1. Liber miraculorum sanctæ Fidis (1898).