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Prose et Vers/Élégie

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Prose et VersAlbert Messein (p. 113-115).

ÉLÉGIE

La maison blanche où je te connus,
Ô toi qui devais être mienne,
Et qui dansais, le soir, bras nus,
En robe de dentelle ancienne.

Le jardin dont l’unique chemin
Fleurait si bon le chèvrefeuille,
L’églantine et le fin jasmin
Que l’été trop ardent effeuille,

L’escarpolette et le banc de bois
Sous le murmurant sycomore,
Le chant des tarins et ta voix,
Amour, je me les remémore

Comme les rêves d’un paradis
Dont j’entends se clore les portes
Quand je vous pleure et me maudis,
Ô les fleurs, ô les heures mortes !


Mais pouvons-nous empêcher les fleurs
De s’effeuiller au gré des brises
Et les heures — plaisirs, douleurs —
De choir, sonores, des tours grises ?

Reverrons-nous jamais la maison
Où nous fûmes, parmi les choses,
Heureux durant une saison
Dont moururent trop tôt les roses ?

Où sont les lunes et les soleils
Qui se miraient dans la fontaine,
Et les vents aux vagues éveils
Dont tremblait la vigne incertaine ?

Le mur de pierres s’est écroulé
Qui clôturait notre domaine,
Et d’autres que nous ont foulé
Cette terre dont tu fus reine.

Nous avons couru bien des chemins
Avant de trouver la demeure
Où jusqu’aux lointains lendemains,
Sonnera, plus belle, chaque heure.


Mais ce n’est pas, hélas ! la maison
Où tu devins à jamais mienne,
Un soir de la belle saison
Que tu dansais en robe ancienne.