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Prose et Vers/Paul Verlaine (vers)

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Prose et VersAlbert Messein (p. 116-117).

PAUL VERLAINE

Quand la brise s’apaise au cœur chaud des moissons
Et ne s’entend pas plus que la légère haleine
D’une vierge qui meurt de ses secrets frissons,
Je rêve à tes vers, ô Verlaine.

Si douce est ta chanson, si douce, rire ou pleur,
Que son calme murmure, aux jours de somnolence
Où l’on se sent trop lourd d’amour ou de douleur,
Effleure à peine le silence.

Vieil homme aux yeux d’enfant, tu suivais, attendri,
Toute voix qui chantait pour ta peine ou ta fête,
Le cri d’un tendre oiseau dans le buisson fleuri
Ou la cloche dans la tempête.

Je sais bien que parfois tu fronçais les sourcils,
Et, devenu le roi de la plus folle troupe,
Tu cherchais à noyer tes mystiques soucis
Dans tous les poisons de la coupe.


Plein d’ivresse, d’horreur et de rêves malsains,
Tu hantais, quand tombaient les ténèbres, les bouges
Où luisent les couteaux pointus des assassins
Et les bijoux des filles rouges.

Mais qu’importe ? Le dieu qui mourut fou d’amour
Avait posé sa main sur ta tête de faune,
Et tu parlais comme un apôtre quand le jour
Montait sur Paris rose et jaune.

Et je voyais alors, malgré l’heure et le lieu,
Trembler dans ton regard une épouvante étrange :
Tu semblais demander : « Quel est cet astre, ô Dieu,
Où je me souille ainsi de fange ? »

Et, reprenant le lourd bâton de pèlerin
Dont tu frappais, boiteux, si durement la terre,
Tu partais pour dormir avec ton vieux chagrin
Dans quelque logis solitaire ;

Tu partais, appelant follement de la main
Je ne sais quelle ignoble ou sublime aventure,
Sans savoir qu’avançait sur ton triste chemin,
Vers toi, la Victoire future !