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Prose et Vers/L’amante des roses

La bibliothèque libre.
Prose et VersAlbert Messein (p. 106-108).

L’AMANTE DES ROSES

Elle chantait comme un oiseau dans le jardin
Dont chaque fleur était la coupe d’une abeille.
Le soleil mûrissait l’espalier et la treille.
Elle chantait comme un oiseau dans le matin :

Donnez-moi des roses et des roses,
Toutes les roses des plus beaux mois,
Afin qu’à leurs corolles écloses
Je dise mes plus secrets émois.

Je n’irai pas en faire l’offrande
Au roi joli dans son palais d’or ;
Ah non, à moins qu’il ne me les rende
En ducats sonnants de son trésor.

Point n’en aura le galant qui m’aime :
Va, mendiant, en cueillir ailleurs !
Celles-ci, je les veux pour moi-même
Qui suis la sœur humaine des fleurs.


Je les emporte, tumulte en tête,
Dans le silence de ma maison,
Pour célébrer la secrète fête
Du désir et de la déraison.

Ô roses de sang, de neige et d’ambre,
Je vous effeuillerai sur mes seins
Quand je serai seule dans ma chambre,
Nue et lasse parmi les coussins.

Et sous votre odorante jonchée
Je me verrai dans les bleus miroirs
Mourir, et ma volupté cachée
Sera celle de la fin des soirs.

Lorsque, de vos parfums assouvie
Et de vos irréelles amours,
Je renaîtrai plus tard à la vie,
Je me parerai de mes atours,

Puis, les bras pleins de vos gerbes mortes,
Je redescendrai dans le jardin
Dont grinceront les anciennes portes,
Et de la brune jusqu’au matin


J’exhalerai ma plainte importune
Près de la vasque où tinte un jet d’eau,
Avant de répandre sous la lune
Mon léger et lumineux fardeau.

Donnez-moi des roses et des roses,
Toutes les roses des plus beaux mois,
Afin qu’à leurs corolles écloses
Je dise mes plus secrets émois.

Elle chantait comme un oiseau dans le feuillage
Où la brise plus froide éveillait un frisson.
Le ciel s’obscurcissait à l’extrême horizon.
Elle chantait comme un oiseau devant l’orage.