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Prose et Vers/Le beau royaume

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Prose et VersAlbert Messein (p. 104-105).

LE BEAU ROYAUME

Mon royaume est plein de tourelles
D’où s’essaiment des carillons
Et s’essorent des tourterelles
Vers le soleil ou les sillons.

Les primevères et les roses,
Au bord des golfes violets,
Mêlent leurs corolles écloses
Dans les parterres étoilés.

Par couples enlacés les filles
Dont le corps est pur comme un fruit
Se promènent par les charmilles
Où bleuira bientôt la nuit.

Agenouillés comme des faunes
Derrière le rideau mouvant
Des chèvrefeuilles blancs et jaunes,
Les garçons guettent le moment


De se jeter soudain sur elles
Pour mordre à baisers pleins et sains
Leurs bouches qui sont des airelles
Et les framboises de leurs seins.

Ce ne sont que molles paroles
Et des soupirs et des désirs
Et le rire enflammé des folles
Et des fous de tous ces plaisirs.

Ailes et parfums dans la brise !
Le printemps épars sur la mer !
Le cri de l’oiseau qui se grise
De chanter la mort de l’hiver !

Ah ! n’est-il pas beau, le royaume
Dont je suis roi quand je le veux ?
Mais à mon mal il n’est nul baume,
Et je m’en vais, sans pleurs ni vœux,

Vers un pays de sources mortes
Où se dresse, parmi les bois,
Le palais désert dont les portes
Ne s’ouvriront plus à ma voix.