Proverbes dramatiques/L’Important

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Proverbes dramatiquesLejaytome I (p. 243-260).
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L’IMPORTANT.

QUINZIEME PROVERBE.


PERSONNAGES


Le MARÉCHAL DE FRANCE. Bien mis, cordon bleu, une perruque à nœuds, & une canne.
Le CHEVALIER de COURE-PLAINE. Aide-Maréchal de Logis de l’Armée. Habit brodé à parement, comme la veste.
SAINT-GRATIEN, Aide-Major. même uniforme, d’infanterie.
D’AUVERSAC, Capit. d’infanterie.
GERVAULT, Capit. de cavalerie. Bien mis.
DERINCOUT, Capit. de dragons.
Un GARÇON de Théâtre. Habit blanc & mauvaise perruque.


La Scène est dans le Foyer de la Comédie Françoise.

Scène premiere.

SAINT-GRATIEN, D’AUVERSAC.
SAINT-GRATIEN.

Hé bien, d’Auversac, que ferons-nous ?

D’AUVERSAC.

Ma foi, je n’en sais rien. Quelle diable de fantaisie, de venir ici un jour de pièce nouvelle ; je savois bien que nous n’y trouverions pas de place !

SAINT-GRATIEN.

C’est qu’on m’a dit que ce seroit la plus belle chose du monde, que depuis long-tems on n’a rien vu de pareil.

D’AUVERSAC.

Mais si elle est bonne, nous la verrons toujours bien. Au lieu de rester à la Comédie Italienne…

SAINT-GRATIEN.

Mais il n’y avoit personne. Et puis je n’entends pas l’Italien.

D’AUVERSAC.

Ni moi non plus ; mais Arlequin me fait rire.

SAINT-GRATIEN.

Oui, avec les cabinets de Tourlourette, la laitière pour dire une lettre, mariner pour marier, Monsieur Bataillon, Pataflon ; c’est toujours la même chose.

D’AUVERSAC.

Cela ne fait rien, j’aime mieux cela qu’une Tragédie, ou de la musique où je ne connois rien.

SAINT-GRATIEN.

Chacun a son goût.

D’AUVERSAC.

Tu aurois besoin de rire un peu, au moins, car tu travaille trop.

SAINT-GRATIEN.

Cela te paroît comme cela ; parce que tu ne fais rien, toi.

D’AUVERSAC.

Ne veux-tu pas que j’aille me casser la tête sur des cartes de Géographie, ou à faire des calculs ? c’est à vous autres Messieurs de l’Etat-Major, à vous donner cette peine-là. À propos, est-ce une affaire finie ? entres-tu dans l’Etat-Major de l’armée ?

SAINT-GRATIEN.

Oui, c’est décidé. Je voudrois seulement savoir du Chevalier de Coure-Plaine, quand je pourrai voir Monsieur le Maréchal.

D’AUVERSAC.

Que ne vas-tu chez lui ?

SAINT-GRATIEN.

On ne le trouve jamais, le Chevalier, & c’est pour cela principalement que je suis venu ici, espérant de l’y rencontrer.

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Scène II.

LE CHEVALIER, D’AUVERSAC, SAINT-GRATIEN.
Le CHEVALIER entre d’un air effaré.

Il n’y a personne ici. Il veut sortir.

SAINT-GRATIEN.

Monsieur le Chevalier, Monsieur le Chevalier ;

Le CHEVALIER.

Qu’est-ce qui m’appelle là ; Ah, c’est vous Monsieur de Saint-Gratien. N’avez-vous pas vu le petit Duc, votre Colonel ?

SAINT-GRATIEN.

Non, personne n’est venu ici depuis que nous y sommes.

Le CHEVALIER.

C’est inconcevable ! il me donne rendez-vous ici, pour que nous parlions de ses affaires, & je ne le trouve pas.

SAINT-GRATIEN.

Il va peut être y venir.

Le CHEVALIER.

Ma foi, je ne peux pas deviner ce qu’il veut ; il a à me parler pour faire changer de quartier à son Régiment, il faut que je sache du moins où il veut aller, pendant que nous faisons le nouvel arrangement.

SAINT-GRATIEN.

Je ne sais pas, il ne m’en a rien dit : mais Monsieur le Chevalier, j’ai été chez vous ce matin, pour avoir l’honneur de vous voir, vous veniez de sortir.

Le CHEVALIER.

Oui, le Maréchal m’a envoyé chercher & nous n’avons rien fait, notre travail est remis à ce soir à neuf heures.

SAINT-GRATIEN.

On ne pourra donc pas le voir d’aujourd’hui ?

Le CHEVALIER.

Non ; nous serons renfermés toute la soirée.

SAINT-GRATIEN.

J’aurois pourtant besoin de lui parler, & cela me dérange beaucoup.

Le CHEVALIER.

Je conçois cela. Avez-vous une place ici ?

SAINT-GRATIEN.

Non, vraiment ; & vous ?

Le CHEVALIER.

Oh, moi, j’ai la loge de la Maréchale, & puis celles de toutes les femmes de ma connoissance ; mais on ne peut pas se partager.

SAINT-GRATIEN.

Vous êtes bien heureux ! Savez-vous quand Monsieur le Maréchal partira ?

Le CHEVALIER.

Oui ; mais je ne veux pas le dire.

SAINT-GRATIEN.

Et notre département ?

Le CHEVALIER.

Il est fait.

SAINT-GRATIEN.

De quel côté à-peu-près ?

Le CHEVALIER.

C’est un secret ; mais vous allez avoir vos ordres tout-à-l’heure.

SAINT-GRATIEN.

J’aurois bien voulu rester ici encore quelques jours.

Le CHEVALIER.

Cela sera difficile ; si vous voulez, j’en parlerai au Maréchal, & j’obtiendrai surement qu’on retarde votre départ.

SAINT-GRATIEN.

Tout de bon ? vous me feriez plaisir.

Le CHEVALIER.

Je vous dis que j’en fais mon affaire.

SAINT-GRATIEN.

Je vous en serai très-obligé, je n’ai besoin que de huit jours, pour avoir seulement le temps d’acheter des chevaux.

Le CHEVALIER.

Je ne conçois pas cela. Il tire sa montre. Il est près de cinq heures & demie, la Maréchale doit être arrivée ; elle va bien me gronder, je m’en fuis.

SAINT-GRATIEN.

Monsieur le Chevalier, quand pourrai-je avoir l’honneur de vous voir ?

Le CHEVALIER en s’en allant.

Mais, quand vous voudrez ; demain, après demain, ou à Versailles, où nous serons toute la semaine prochaine.

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Scène III.

SAINT-GRATIEN, D’AUVERSAC.
D’AUVERSAC.

N’est-ce pas là cet Important qui égara notre Colonne la campagne derniere, qui nous fit faire six lieues, au lieu de deux, sans pouvoir trouver notre camp, & puis qui nous laissa-là ?

SAINT-GRATIEN.

C’est lui-même.

D’AUVERSAC.

Que le diable l’emporte ! C’est aussi lui qui vouloit battre les Paysans Hanovriens ; parce qu’ils n’entendoient pas le François, & qui ne savoit pas leur répondre quand ils lui parloient latin.

SAINT-GRATIEN.

C’est vrai

D’AUVERSAC.

Hé-bien, ce sont pourtant ces gens-là qui ont toutes les grâces. Cela me met toujours en colere, de voir que sans autre talent que de la fatuité, on parvienne ainsi, pendant que nous…

SAINT-GRATIEN.

Paix donc, si on t’entendoit.

D’AUVERSAC.

Cela est-il faux ? je sais bien que tu ne seras pas comme cela, toi.

SAINT-GRATIEN.

Je crois que voilà Monsieur le Maréchal ; oui, c’est lui-même.

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Scène IV.

LE MARÉCHAL, SAINT-GRATIEN, D’AUVERSAC, Un GARÇON.
Le MARÉCHAL, au Garçon de Théâtre.

Va-t-on bientôt commencer ?

Le GARÇON.

Oui, Monseigneur.

Le MARÉCHAL.

Hé ! vous voilà, mon cher Saint-Gratien ! je suis bien-aise de vous voir. Vous viendrez ce soir chez moi, n’est-ce pas ?

SAINT-GRATIEN.

Monsieur le Maréchal, je le desirois fort, mais…

Le MARÉCHAL.

Hé-bien, qui vous en empêchera ?

SAINT-GRATIEN.

C’est qu’on m’a dit que vous seriez renfermé toute la soirée, avec Monsieur le Chevalier de Coure-Plaine.

Le MARÉCHAL.

Avec le Chevalier de Coure-Plaine ! & qui vous a dit cela ?

SAINT-GRATIEN.

C’est lui-même, Monsieur le Maréchal ; je viens de le voir dans l’instant.

Le MARÉCHAL.

Ah, celui-là n’est pas mauvais ; moi renfermé avec lui ! & pourquoi faire ?

SAINT-GRATIEN.

Pour travailler, à ce qu’il dit.

Le MARÉCHAL.

Mais la tête lui a donc tourné ?

SAINT-GRATIEN.

Il s’est même chargé de parler à Monsieur le Maréchal, pour me donner quelques jours à rester ici.

Le MARÉCHAL.

Quelques jours ? vous ne vous en-irez qu’avec moi.

SAINT-GRATIEN.

Sûrement, je suis à vos ordres ; mais c’est qu’il prétend que Monsieur le Maréchal partira dans peu peut-être.

Le MARÉCHAL.

Moi ? dans deux mois au plutôt. Ah ! je suis bien aise de savoir tout cela, c’est encore un joli travailleur !

SAINT-GRATIEN.

Monsieur le Maréchal, ne lui dites que c’est moi qui ai dit…

Le MARÉCHAL.

Pourquoi ? laissez, laissez-moi faire. Le voici justement.

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Scène V.

Le MARÉCHAL, SAINT-GRATIEN, D’AUVERSAC, Le CHEVALIER.
Le CHEVALIER.

Monsieur le Maréchal, je venois savoir si vous arriviez, pour…

Le MARÉCHAL.

Où avez-vous donc pris, Monsieur le Chevalier, que nous devions être renfermés ensemble toute la soirée ?

Le CHEVALIER.

Mais, Monsieur le Maréchal, c’est que j’ai cru…

Le MARÉCHAL.

Et pour travailler avec vous, encore.

Le CHEVALIER.

C’est que j’ai pensé que vous aimeriez mieux voir Monsieur de Saint-Gratien, le matin.

Le MARÉCHAL.

Vous avez fort mal pensé ; je veux le voir toujours, à toute heure. Et vous vous mêlez de vouloir protéger ? cela vous va bien, vis-à-vis de lui sur-tout.

Le CHEVALIER.

Moi ?

Le MARÉCHAL.

Oui, vous. Vous me faites partir bientôt, à vous entendre ; je suis à vos ordres apparemment ?

Le CHEVALIER.

En vérité, je n’ai jamais pensé…

Le MARÉCHAL.

Allons, allons. Madame la Maréchale est-elle arrivée ?

Le CHEVALIER.

Oui, Monsieur le Maréchal, je venois au-devant de vous pour vous le dire.

Le MARÉCHAL.

Venez, Saint-Gratien, je veux vous présenter à Madame la Maréchale, il faut, pour faire connoissance avec elle, que vous veniez souper avec nous. Y a-t-il une place dans sa loge, pour Saint-Gratien ?

Le CHEVALIER.

Non, Monsieur le Maréchal.

Le MARÉCHAL.

Et où étiez-vous, vous ?

Le CHEVALIER.

Dans sa loge.

Le MARÉCHAL.

Hé bien, vous trouverez une autre place ; un agréable comme vous, ne sauroit jamais manquer.

SAINT-GRATIEN.

Mais, Monsieur le Maréchal, je ne veux pas prendre la place de Monsieur le Chevalier.

Le MARÉCHAL.

Pourquoi donc cela ? allons, je vous dis que je le veux. Venez.

SAINT-GRATIEN.

Bon soir d’Auversac, à demain.

D’AUVERSAC.

Je suis charmé de ce qui vient d’arriver. Adieu.

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Scène VI.

LE CHEVALIER, GERVAULT.
Le CHEVALIER.

Me voilà bien avancé ! que devenir à présent ?

GERVAULT.

Hé bien, Chevalier, que fais-tu donc ici ? la piece va commencer.

Le CHEVALIER.

Je le sais bien.

GERVAULT.

Tu es bien heureux toi, je ne sais pas comme tu fais, tu es toujours le mieux placé du monde : je suis venu trop tard & je ne peux pas trouver un coin, tout est plein.

Le CHEVALIER.

Je voudrois pouvoir ce donner ma place ; car j’ai envie de m’en aller.

GERVAULT.

Bon, quelle folie !

Le CHEVALIER.

Je ne te ments pas ; j’ai promis à la Duchesse, qui est malade, d’aller lui tenir compagnie pendant la Comédie ; parce qu’elle n’aura personne.

GERVAULT.

Tu iras après la grande piece, & tu lui en diras des nouvelles ; cela te servira d’excuse.

Le CHEVALIER.

Non, je t’en prie, jette-moi à sa porte, tu me feras plaisir ; car je ne pourrai jamais trouver mes gens.

GERVAULT.

Quoi, tu laisserois comme cela la Maréchale, fi donc ! je ne le souffrirai jamais, je suis trop de tes amis pour cela, & je ne te quitterai point que je ne t’aye vu entrer dans sa loge.

Le CHEVALIER.

Je te dis que je ne le peux pas, en honneur, j’ai affaire.

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Scène VII.

LE CHEVALIER, DÉRINCOURT, GERVAULT.
DÉRINCOURT.

Hé bien, mon pauvre Chevalier, te voilà donc débusqué ; la loge de la Maréchale est remplie, & tu n’y es pas ! tu dois être bien humilié, de te voir, comme cela, préférer un nouveau venu.

GERVAULT.

Quoi, tu me trompois ?

Le CHEVALIER.

Non, je t’assure que je n’ai pas voulu y rester & que j’ai même cédé ma place.

DÉRINCOURT.

Oui, cédé sa place, il y a bien été forcé par le Maréchal ; je sais ton histoire, je viens de rencontrer d’Auversac, qui m’a tout conté.

GERVAULT.

Tu me la diras.

DÉRINCOURT.

Je t’en réponds bien.

GERVAULT.

Eh bien, je vais te mener chez la Duchesse, où tu veux aller, Dérincourt y viendra aussi.

DÉRINCOURT.

Je ne demande pas mieux.

GERVAULT.

Et tu lui diras ce qui vient de lui arriver.

DÉRINCOURT.

Cela sera délicieux. Oh, parbleu, tu viendras, allons, allons. Ils s’en vont & emmenent le Chevalier.


Fin du quinzieme Proverbe.
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Explication du Proverbe :

15. Belle montre, & peu de rapport.