Proverbes dramatiques/La Corbeille de mariage
LA CORBEILLE
DE
MARIAGE,
PERSONNAGES.
Scène premiere.
Eh bien ! Victoire, le Chevalier viendra-t-il ?
Oui, Mademoiselle, il étoit chez lui, & il me l’a promis.
Comment t’a-t-il reçu, quand tu lui as parlé de moi ?
D’abord il a souri, & puis il a pris un air très-sérieux ; il m’a demandé si je savois ce que vous aviez à lui dire ; je lui ai répondu que non : j’irai le savoir dans l’instant, tu peux lui assurer, a-t-il repris. Je lui ai remis la clef de la porte de la ruelle, & je suis revenue tout de suite.
Il avoit donc l’air tranquille ?
Oui, tantôt gai, tantôt sérieux.
L’ingrat ! il épouse Mlle de Charville.
Mademoiselle de Charville, avec qui vous avez été au Couvent ?
Elle-même.
Elle est bien jolie, au moins, je l’ai vu à Paris, il n’y a pas quinze jours. Et qui vous à mandé cela ?
C’est Mademoiselle Alari, qui l’a dit hier à quelqu’un, qui me l’a redit.
Il faut que cela soit vrai ; car Mademoiselle Alari, est sa Marchande de mode.
C’est une trahison affreuse ! je ne puis croire, après cela, qu’il ose se présenter devant moi.
Je vous assure qu’il viendra.
Mais que pourra-t-il me dire ?
Je n’en sais rien.
M’avoir juré qu’il m’aimeroit toujours, & en épouser une autre !
Mademoiselle, j’entends du bruit à la petite porte ; c’est peut-être lui.
Ne t’éloigne pas, & avertis-nous si ma mère venoit, afin qu’elle ne nous surprenne pas.
Scène II.
Comment, Mademoiselle, vous consentez enfin à me voir, à m’entendre ! Être dans le même lieu que vous depuis deux mois, ne pouvoir ni vous parler, ni vous écrire, & parce que vous ne le voulez pas.
Ne vous ai-je pas dit mes raisons ; si ma mere eût soupçonné la moindre intelligence entre nous, tout notre espoir n’étoit-il pas détruit ? Ne valoit-il pas mieux attendre avec prudence l’arrivée de mon Oncle ; puisqu’il est mon tuteur, qu’il consent à tout & qu’il y fera consentir ma mere ?
Mais pourquoi avez-vous pu croire que Madame votre mere, me connoissant, s’opposeroit à notre mariage ?
C’est une foiblesse qu’il étoit inutile de vous dire ; mais que je veux bien vous apprendre à présent, pour vous prouver à quel point vous avez tort. Vous savez combien ma mere aime à plaire ; mais vous ne savez pas quelle est la source de l’humeur qui s’est emparée d’elle depuis quelque temps ; c’est la crainte de vieillir qui la tourmente continuellement ; je lui ai entendu dire qu’elle ne concevoit pas comment une femme, encore jeune, pouvoit supporter le titre de grand’mere. Après cela, croyez-vous que l’idée de me voir vous épouser pourroit lui plaire ? non, elle n’y consentira jamais que lorsqu’elle y sera forcée, & brusquement, sans pouvoir espérer de l’empêcher.
Ah ! quand on aime bien, il est si doux de le prouver, qu’on est moins occupé que vous ne l’étiez de toutes ces craintes.
Et quand on aime bien, se rebute-t-on si facilement, & se determine-t-on à en épouser un autre ? Croyez-vous que j’en eusse été capable ? non, jamais, je me serois reprochée jusqu’à cette pensée.
Vous croyez donc ?… quoi, vous m’aimez toujours !
Moi qui faisois tout mon bonheur de l’espoir d’une union délicieuse, je ne m’occupois que d’un ingrat !
O Ciel ! que dites-vous ?…
Ce n’étoit donc qu’un goût foible, passager ; peut-être seulement le plaisir de vous voir aimer ? je frémis de le penser !
Mais, écoutez-moi…
Non, je ne veux plus rien entendre, & je n’ai voulu vous voir que pour vous dire, que je vais vous bannir entierement de mon cœur.
Ah ! vous me ravissez.
Quoi, vous insultez à ma douleur ! perfide !
Je ne me sens pas de joie. Arrêtez.
Non, laissez-moi vous fuir pour jamais.
Non, vous ne me fuirez point, apprenez…
Je n’en sais que trop ; ce n’étoit donc que pour jouir de mon désespoir, que vous avez pu consentir encore à me voir ? ce n’étoit que…
Ah ! je vous prie de m’écouter, vous ne me condamnerez point, j’en suis bien sûr.
Et comment voulez-vous que j’approuve ce mariage ? je le devrois ; je devrois sentir que je suis trop heureuse de n’être point engagée avec un homme qui ne vouloit que me tromper, qui ne m’a jamais aimée ; mais….
Vous m’offensez cruellement par cette pensée ! calmez-vous, ce mariage ne se fera point.
Il ne se fera point ?
Non, il n’a même jamais dû se faire.
Je ne vous comprends pas, se pourroit-il…
La contrainte où vous m’avez fait vivre depuis deux mois, l’excès de précaution & de prudence que vous avez exigée de moi, tout cela m’a tourné la tête ; je me suis cru à la veille de vous perdre.
Comment ?
J’ai vu tant de fois des Demoiselles, avec beaucoup d’amour, ne pouvoir pas résister à leurs parens, & prendre le parti d’éloigner d’elles, sous quelque prétexte, leur amant, pour éviter leurs reproches, & se rendre plus capables d’obéir à ce qu’on exigeoit d’elles, que j’ai craint que vous n’employassiez ce moyen pour consentir à me perdre.
Ah ! Chevalier ! vous m’avez cru capable de vous abandonner ?
Quand on aime vivement, on s’allarme de même ; j’ai voulu vous forcer de rompre ce silence qui me désespéroit, pour voir si je ne me trompois pas & calmer mes inquiétudes.
Et qu’avez-vous fait ? je crains que vous ne vous soyez trop engagé, pour pouvoir à présent…
Il n’y a pas même l’apparence d’engagement. Pour vous faire parvenir que j’allois me marier, je n’ai fait autre chose qu’envoyer un inconnu, avec un air de mystere, commander une Corbeille de Mariage chez Mademoiselle Alari, & il a nommé Mademoiselle de Charville, plutôt qu’un autre, voilà tout. Mais ce n’a pas été sans craindre que ce moyen ne fût inutile, si vous aviez consenti à en épouser un autre.
Ah ! Chevalier ! j’ai donc eu tort de vous soupçonner d’être infidèle ; & vous m’aimez toujours ?
Eh ! puis-je faire autrement ? J’aimerois mieux mourir que de cesser jamais….
Scène III.
Ah ! Mademoiselle. Voilà Madame votre mere, elle a sûrement vu Monsieur le Chevalier.
Laissez-moi faire, & ne démentez point tout ce que je lui dirai.
Que faites-vous donc ici, avec Monsieur, Mademoiselle ?
Tenez, Monsieur le Chevalier, dites vous-même à ma mere, ce que vous me disiez.
Moi, Mademoiselle, je n’oserois jamais.
De quoi s’agit-il donc, Monsieur ? Parlez, je vous prie !
Madame, je ne puis.
Et vous, Mademoiselle !
Vous paroissez fâchée, ce n’est pas ma faute.
Comment ! ce n’est pas votre faute ?
Non, ma mere, & c’est à vous-même qu’il faut s’en prendre, si cela peut vous déplaire.
Quoi ! expliquez-vous ?
Mais c’est qu’il me semble qu’il n’est pas décent, que ce soit moi qui vous l’apprenne.
Vous m’impatientez ! je veux absolument que vous parliez.
J’obéis. Monsieur le Chevalier m’avoit entendu dire quelquefois, la répugnance que j’aurois de vous voir remarier.
La répugnance ! votre répugnance ne me feroit rien, si j’en avois envie ; & je me remarierai quand il me plaira, entendez-vous, Mademoiselle ?
Je le sais bien, ma mere.
Qu’est-ce que fait ici votre répugnance ?
C’est qu’il dit qu’il y a quelqu’un qui voudroit bien avoir le bonheur de vous plaire, & qui craint de ne pas réussir ; parce que je pourrois lui nuire auprès de vous.
Il me connoît bien ; oui, je vous consulterai ; je ne crois pas un mot de cela, on ne songe guère à une veuve qui a une fille de treize ans ; car, Monsieur, il faut que vous sachiez que ma fille n’a que cela, quoiqu’elle paroisse davantage, & je ne conçois pas pourquoi elle est si formée : car j’ai été mariée bien jeune, au moins.
Vous n’avez pas besoin de le dire, Madame.
Si tout ce que je viens d’entendre est vrai, j’espère que je saurai quel est celui pour qui vous vous intéressez, Monsieur le Chevalier.
Quel qu’il soit, je jure bien qu’il ne sera jamais mon beau-pere.
Vous jurez bien, Mademoiselle, voyez un peu l’assurance : j’aurois presque envie de vous faire voir le contraire pour vous apprendre à parler : mais, hélas ! après la perte que j’ai faite de mon mari, il faudroit une ame bien sensible pour la réparer.
C’est ce que Monsieur le Chevalier dit aussi que vous trouveriez dans celui qui se propose ; c’est un homme qui veut être aimé avant que d’épouser, qui veut, pendant un an, éprouver celle qu’il aime, pour s’en assurer.
Mais vraiment ; c’est un homme très-délicat : c’est un trésor dans le siècle où nous sommes.
C’est un homme fort peu empressé de vous avoir ; moi, je n’y vois que cela.
Pour moi, je pense comme Mademoiselle.
Voilà, comme la jeunesse pense à présent. Monsieur, je veux absolument connoître cet homme-là.
Madame, il seroit trop heureux de pouvoir réussir à vous plaire.
Il faut absolument que vous me rameniez.
Madame… (Il regarde Mlle de Péraudiere.)
Vous avez beau chercher à lire dans les yeux de ma fille, si elle le trouve bon ; d’abord que je le desire, cela suffit.
Jeferai ce que vous m’ordonnez, Madame.
Mais, en attendant, Monsieur le Chevalier, ne puis-je pas toujours savoir qui c’est, savoir son nom, du moins ?
Pour moi, à votre place, il y a long-temps que je l’aurois demandé. Allons, Monsieur, dites donc ?
Mais…
Vous vous troublez.
Ma mère, j’ai deviné.
Comment ?
Je sais qui c’est.
Si c’est ce que j’imagine…
Eh oui, sûrement ; c’est lui-même.
Ah ! je suis perdu !
Eh bien ! Monsieur ?
Oui, Madame. (A part.) Je ne sais où j’en suis.
La modestie avec laquelle vous vous annoncez, est d’un heureux présage : je ne suis point coquette ; mais je jurerois presque que vous êtes incapable de jamais tromper.
Ah, Madame ! si vous saviez ce que cela me coûte !
Ce que cela vous coûteroit ! j’en suis persuadée ; tenez, Chevalier, votre trouble peint plus que tout ce que vous pourriez dire. Oui, Mademoiselle, voilà comme on aime, & comme on doit aimer ; mais vous n’êtes pas capable de concevoir toute cette délicatesse, vous.
Je n’ai pas autant d’expérience que vous, ma mere.
Pourquoi voulez-vous donc parler ? En vérité, Chevalier, je crois que, pour vous convaincre de ma sensibilité, vous n’aurez pas besoin d’attendre un an.
Madame, je ne suis pas accoutumé à me flatter de l’espoir d’être heureux, je l’ai dit à Mademoiselle ; & je n’ai pas l’honneur d’être assez connu de vous, Madame, pour espérer que vous puissiez penser long-temps aussi favorablement de moi.
Quand même vous auriez quelques défauts, je le suppose, chacun n’a-t-il pas les siens ? l’amour les fait disparoître ; & le desir de plaire corrige tout.
Il y a des choses dont on ne se corrige jamais.
Oui, vous, qui êtes opiniâtre, qui voudriez peut-être vous opposer aux desirs de Monsieur le Chevalier, & qui seriez trop heureuse de lui ressembler ; oui, Monsieur le Chevalier, je ne veux plus que nous nous quittions : vous êtes un exemple pour ma fille, dont je lui conseille de profiter : je veux qu’elle apprenne comme la douceur a seule le droit de charmer l’ame.
Madame, je ne croyois pas devoir être cité jamais comme un modèle.
Quand on est capable d’une vraie tendresse, il est rare qu’on ne mérite pas la plus parfaite estime, je dis, de tout le monde.
En ce cas-là, j’ai donc plus de mérite que je n’osois m’en croire.
Voulez-vous que je vous dise votre défaut ? C’est le manque de confiance, oui…
Scène IV.
Madame, il y a un Monsieur, qui vous demande.
Quel est ce Monsieur ?
C’est un Monsieur qui arrive de Paris ; j’ai oublié son nom, en venant vous chercher.
Dites-lui que je le prie de m’attendre. Chevalier, ne vous en allez pas, je viendrai bientôt vous rejoindre. Je ne crains pas, avec l’humeur de ma fille, que vous preniez pour elle d’autres sentimens, que ceux que vous avez.
Scène V.
Je ne puis m’empêcher de rire de l’embarras où je vous ai vû.
Je ne pouvois pas imaginer quel étoit votre projet.
Vous avez très-bien joué votre rôle ; & j’ai eu le plaisir de me venger de l’inquiétude que vous m’avez causée avec ce prétendu mariage.
Oui, vous m’avez engagé dans une aventure, dont je ne sais pas comment je me tirerai.
Mais, très-bien : par ce moyen, je m’assure le plaisir de vous voir tous les jours, & de n’avoir plus d’inquiétude de vous perdre.
Oui ; mais Madame votre mère sera, peut-être, pressée de conclure ?
Ne lui ai-je pas annoncé que vous ne vouliez pas vous marier avant un an ?
Il est vrai ; mais…
Mais, mon oncle peut arriver d’un moment à l’autre, & d’ici à ce moment-là, nous ne nous quitterons plus.
Et comment faire entendre à Madame votre mere que c’étoit vous que j’aimois, au lieu d’elle ? Elle ne me le pardonnera jamais.
Mon Oncle arrangera tout cela.
Ah ! Mademoiselle !
Qu’est-ce que c’est ?
Je crois voir Monsieur votre Oncle, avec Madame votre Mere.
Mon Oncle ? (Elle regarde.) C’est lui-même.
Mon impatience a tout perdu.
Scène VI.
Je sais bien que vous avez eu de mauvais chemins ; mais ils seront accommodés l’année prochaine.
J’ai cru périr vingt fois. Ah ! voilà ma nièce. (Il l’embrasse.)
Mon Oncle, je suis charmée de vous voir.
Et moi aussi, ma chère enfant. Eh ! voilà le Chevalier de Rouval. Vous savez donc ?… Vous ont-ils parlés ?
Mais oui, ce n’a pas été sans peine.
Je ne vois pas pourquoi. Le parti vous convient-il, enfin ?
On ne peut pas davantage.
C’est que nous avions peur… parce que quelquefois… les femmes… Vous savez bien ce que je veux dire… Je suis charmé de vous voir raisonnable.
Je suis bien-aise de vous voir approuver ce dessein.
Je crains l’explication.
Prolongeons l’erreur de ma mère.
Qu’est-ce que vous dites, vous autres ?… Enfin, pour vous montrer que j’approuve ce mariage, j’ai amené le Notaire avec moi, & le contrat est tout prêt, très-bien fait ; il n’y a plus qu’à le signer : j’ai tout examiné, & vous savez que je m’entends en affaire, moi ?
Sans doute ; mais je crains…
Que Monsieur le Chevalier, ne soit pas si pressé de conclure que nous.
Comment donc ?
Madame, vous vous trompez ; rien ne peut me faire autant de plaisir, que tout ce qui pourra hâter mon bonheur.
Vous l’entendez, ma fille ?
Oui, ma mère.
Tout cela, ce sont des propos qui ne sont bons à rien. Monsieur Bourdin, avez-vous là notre contrat ?
Oui, Monsieur.
Allons, faites-les signer, je signerai après.
Je vais lire. (Il lit.) Pardevant…
Eh ! non, Monsieur, à quoi bon, d’abord que mon beau-frere a tout réglé ? Je crois que Monsieur le Chevalier est comme moi, qu’il s’en rapportera bien à lui. (Elle signe.) Allons, signez, Chevalier, prenez que l’année soit finie.
Vous plaisantez ; mais je vous assure que je suis plus heureux que vous ne le serez. (Il signe.)
Allons, allons, à la bonne-heure. C’est à vous, ma fille.
Très-volontiers. (Elle signe.)
C’est bien fait de faire les choses de bonne grace.
Je veux signer aussi. (Il signe.) Monsieur Bourdin ira se reposer, en attendant le souper. (M. Bourdin s’en va.)
Scène derniere.
Vous voyez bien que je sais finir une affaire tout de suite, moi ?
Celle-là ne devoit rencontrer aucune difficulté, je pense.
Ma niece craignoit pourtant que vous ne vous opposassiez à leur mariage ; mais, moi, j’étois déterminé à tout ; & je crois que j’avois ce droit-là, puisque je donne à ma niece ma Terre de Boursaule.
Qu’est-ce que vous dites donc, mon beau-frere ?
Je dis, qu’en la mariant au Chevalier…
Qu’est-ce que vous parlez de la marier au Chevalier ?
Mais celui-là est fort bon ! Vous êtes excellente avec vos questions ! Quoi ! nous ne venons pas de la marier au Chevalier ?
Mais, non ; c’est moi…
Vous ?
Sans doute.
En vérité, ma chere sœur, la tête vous tourne.
Expliquez donc cela, Mademoiselle ?
Je suis au désespoir de vous avoir trompé, ma mere ; mais le hasard a encore plus fait que nous n’aurions pu l’esperer.
Je suis trahie ! Non, je ne veux jamais vous revoir ni l’un ni l’autre.
Ah ! Madame ! croyez…
Non, non, ne me parlez jamais. (Elle s’en va.)
Nous ne nous croyions pas si près d’être heureux, Chevalier.
Rien ne peut égaler mon bonheur ! (Il lui baise la main.)
Qu’est-ce que cela signifie ?
Nous vous expliquerons cela, mon oncle.
Oui, oui, allons-nous-en souper.
Monsieur, écrirai-je à Mademoiselle Alari d’envoyer ici la corbeille ?
Vous me ferez plaisir ; mandez-lui d’y joindre une montre pour vous, ma chere Victoire.
Monsieur, je vous remercie.
Explication du Proverbe :
56. Dame touchée, Dame jouée.