Proverbes dramatiques/La Permission de chasse
LA
PERMISSION
DE CHASSE,
PERSONNAGES.
M. DUGRÉPONT, | En habit du matin. | |
M. DEVILLERVAL, | ||
M. DEBONNIERE, | ||
SAINT-ÉLOY, Piqueur, dressant des chevaux pour tout le monde. |
Scène premiere.
Eh bien ! S. Éloy, mon cheval, comment va-t-il ?
Pas mal, il commence à se bien mettre ; je crois que vous en serez content ; il aura une allure agréable.
Et je pourrai tirer dessus ?
Oui, il sera fort sage.
C’est bon ; mais quand ?
Avant un mois.
Il fait aujourd’hui un joli temps pour la chasse !
C’est vrai.
On parle des Terres loin de Paris, & voilà où l’on en est, on n’en peut pas profiter.
Comment, est-ce que la vôtre ?…
Elle est à vingt-cinq lieues ; il faut y aller la veille qu’on veut y tirer.
C’est loin.
Quand vous en avez une plus près, on dit que ce n’est qu’une maison de campagne, & qu’on n’y peut pas chasser.
Mais, celle de M. de Villerval est tout près d’ici, & l’on y chasse.
Oui, mais qui ?
Tout le monde.
Il n’aime pas cela.
Je vous assure qu’il donne même des permissions très-facilement.
Lui ?
Oui, j’y ai chassé, moi.
Parce que vous lui dressiez un cheval.
Il est vrai.
Pour moi, je ne lui en demanderai pas.
Pourquoi donc ? il seroit charmé de vous faire ce plaisir-là.
Oui, vous le connoissez bien. Il ne chasse jamais, lui ; mais je suis sûr qu’il me refuseroit.
Le voilà, parlez-lui ; je vais monter votre cheval.
Je ne lui en parlerai sûrement pas ; je le connois.
Scène II.
Ah ! bonjour, Dugrépont. Tu te promènes donc ce matin ?
Oui, bonjour.
Hé bien ! où vas-tu ? Il ne me répond pas seulement.
Scène III.
J’ai fermé la porte du jardin, voilà la clef. Qu’est-ce que tu as donc ? Qu’est-ce que c’est que cet air étonné ?
C’est Dugrépont que je viens de trouver ici.
Hé bien ?
Je l’aborde, je lui parle ; à peine me répond-il, & il s’en va.
Et qu’est-ce que tu lui as fait ?
Moi, rien du tout ; & je ne vois pas pourquoi il seroit fâché contre moi.
Il ne l’est sûrement pas.
Je n’en sais rien : il m’a regardé d’un air sombre, qui me fâche ; car je l’aime & je l’ai aimé de tout temps.
Que, diable ! peut-il avoir ? Éloigne-toi, il vient par-ici, en rêvant : je vais lui demander.
Je le veux bien.
Scène IV.
Qu’est-ce que tu fais donc là tout seul, Dugrépont ?
J’attends mon cheval que S. Éloy est allé monter.
Ah ! ah ! Mais tu as l’air de mauvaise humeur ?
Ce n’est rien : il faut s’attendre à tout dans la vie, & ne compter sur personne, pas même sur les gens que l’on croit ses meilleurs amis.
Cette maxime-là est un peu désobligeante pour moi.
Je ne dis pas cela pour toi.
Est-ce que tu serois fâché contre Villerval ?
Moi, point du tout. Chacun est maître de ce qu’il a.
Mais encore ? Il est inquiet de la maniere dont tu l’as reçu.
Je te dis que je ne lui en veux point du tout ; mais je n’aurai jamais affaire à lui.
Qu’est-ce qu’il t’a fait ?
Il le sait bien.
Non, d’honneur ! & il voudroit savoir s’il a quelque chose à se reprocher vis-à-vis de toi.
Hé ! parbleu ! sans doute, suis-je homme à me fâcher sur rien ? En un mot, c’est très-mal à lui, & je devois m’y attendre.
Mais, qu’est-ce que c’est ?
Puisque tu veux absolument le savoir, je vais te faire juge de ce procédé-là. Tu me diras si, entre amis, tu as jamais rien vu de pareil.
Voyons ?
Je le rencontre ici, tout-à-l’heure ; nous parlons du temps qu’il fait : je lui dis que c’est un joli temps pour chasser. Il me répond que oui ; je me plains de ce que ma Terre est trop loin, pour que je puisse y aller d’un moment à l’autre.
Fort bien.
Je lui dis qu’il est bienheureux de ce que la sienne n’est qu’à trois lieues de Paris ; que, si la mienne étoit aussi près, j’irois tout-à-l’heure pour y tirer quelques perdreaux.
Il ne t’a pas offert d’y aller ?
Bon, offert !…
Comment ?
Bien loin de cela, il m’en a refusé la permission.
C’est incroyable !
Cela est pourtant vrai : S. Éloy étoit avec moi, qui en a été confondu, & qui le dira.
Je ne reconnois pas là Villerval.
Oh ! je le reconnois bien, moi : il est jaloux de sa chasse ; il n’en fait pas toujours semblant.
Il y a, sûrement, dans tout cela, quelque chose que je n’entends pas, ni lui, non plus ; & je ne veux pas que vous restiez brouillés : laissez-moi un peu, je veux éclaircir tout ceci.
Moi, cela m’est bien indifférent ; & si je n’attendois pas mon cheval, je ne resterois pas ici, je vous assure. (Il s’éloigne.)
Villerval ?
Scène V.
Hé bien ! qu’est-ce qu’il dit ?
Ma foi, il dit… je trouve qu’il a raison.
Comment ! il a raison ?
Oui, rappelle-toi.
Mais, à propos de quoi, quand lui ai-je manqué en rien ?
Tout-à-l’heure, ici.
Mais, il n’a pas voulu me parler, ne te l’ai-je pas dit tantôt ?
C’est vrai ; cependant il se plaint de toi & très-sérieusement.
Je ne saurois deviner pourquoi.
C’est sur la chasse.
Sur la chasse ? Mais je ne l’aime point du tout, & j’y suis très indifférent.
Pourquoi donc lui as-tu refusé de le laisser chasser chez toi, à Villerval ?
Je lui ai refusé une permission de chasse ?
Oui, voilà dequoi il se plaint.
Et quand ?
Aujourd’hui.
Il faut qu’il soit fou, absolument. Il faudroit qu’il m’eût parlé pour cela, & je te le répéterai cent fois, si tu le veux, il m’a tourné le dos, dès qu’il m’a vu.
Je m’en vais lui dire que tu ne comprends rien à tout cela.
Dis-lui qu’il chassera chez moi tant qu’il voudra, qu’il ne sauroit me faire un plus grand plaisir.
Il vaut mieux que tu le lui dises, toi-même, il ne me croiroit pas. Je vais te l’amener. (Il va à M. Dugrépont.)
J’y consens.
Scène VI.
Hé bien ! Dugrépont, viens donc ici.
Je ne comprends pas ce qui est arrivé à mon cheval, & pourquoi S. Éloy ne revient point.
Je viens de parler à Villerval, il est fort étonné de tout cela : il dit que tu ne lui as seulement pas voulu parler.
Il dira tout ce qu’il voudra, il a tort.
J’ai tort, c’est bientôt dit ; pouvois-je te deviner ?
Comment deviner, quoi ?
Que tu avois envie de chasser ?
Je crois que cela n’étoit pas difficile.
Mais, quand je t’ai trouvé ici, m’as tu parlé seulement, ne t’es-tu pas en allé comme un fou ?
Je conviens que tu ne m’as pas entendu.
Il me feroit tourner la tête ! mais dis donc si tu m’as demandé d’aller chasser à Villerval.
Demandé ?… non.
Pourquoi dis-tu que je t’ai refusé ?
Parce que… Parce que je suis sûr que si je t’en avois parlé, tu ne l’aurois pas voulu ; voilà tout. (Il s’en va.)
On ne le tirera jamais de-là. Allons nous promener. (Ils s’en vont.)
Explication du Proverbe :
46. A laver la tête d’un mort, on perd sa lessive.