Proverbes dramatiques/La Perruque
LA PERRUQUE.
PERSONNAGES.
Scène premiere.
Ah, Monsieur Le Blond, je suis bien votre serviteur.
Pas moins, le vôtre, Monsieur Des Ciseaux ; comment va la santé aujourd’hui ? Ils s’assoient.
Ah, un peu enrhumé, de ce tems-là, cela ne peut pas être autrement ; j’ai pourtant des galoches.
Et moi donc, vous verrez que je n’en ai pas aussi. Eh-bien, vous allez donc aux Italiens, voir Arlequin enfant, statue & perroquet aujourd’hui ?
Oui, vraiment, il faut bien se dissiper. Ma femme est allée chez sa mere ; ma foi, j’ai dit comme cela, qu’est ce que je ferai là ? Un wisth, je perdrai mon argent & je m’ennuierai ; j’aime mieux aller rire à la Comédie, j’irai les retrouver à l’heure du souper. Vous devriez y venir, nous nous divertirions un peu.
J’irai à la Comédie ; mais je ne peux aller souper avec vous ; nous entamons aujourd’hui un pâté chez ma tante.
Elle vit donc toujours la bonne femme ?
Ah, je vous en réponds, & elle est plus gaie qu’elle n’a jamais été ; enfin, comme dit l’autre, on voit bien qu’elle est du bon tems. Savez-vous quelque nouvelle ?
Oui, on dit qu’il y a un homme qui s’est pendu dans la rue Trousse-Vache.
Ah, ah ! Et qu’est-ce qu’il avoit donc mangé ?
Il faisoit de la fausse monnoie ; il a cru qu’on alloit l’arrêter, il a gagné au pied.
Cela n’est pas étonnant ; je ne sai pas ce qu’on deviendra ; car personne ne paye & l’on ne vend rien.
C’est le deuil qui est cause de cela.
Ah, je le sai bien. Tenez, voyez un peu qu’est-ce qui est arrêté-là en carrosse, connoissez-vous cela ? N’est-ce pas Madame le Roux ?
Eh, vraiment, oui ; je crois qu’elle est avec Madame Dumont la marchande de fer d’à côté de chez elle. Cela fait deux commeres qui se donnent du bon tems. (Il tire sa montre.) Mais quelle heure est-il ?
Quelle heure il est ? il doit être quatre heures à Saint-Eustache.
Je parie que vous allez à la Comédie, pour voir danser le menuet à Argentine ?
Ma foi, écoutez donc, j’aimerois mieux la trouver dans mon lit qu’une puce.
Vous êtes donc encore galant, Monsieur le Blond ? Et Madame le Blond, qu’est-ce qu’elle diroit si elle savoit cela ? J’ai envie de le lui dire la premiere fois que je la verrai.
Ah, elle le sait bien.
Monsieur le Blond, voulez-vous une prise ?
Oui-da, je ne refuse jamais ce qu’on me donne. (Il prend du tabac.) Il est bien fort votre tabac ?
C’est qu’il est un peu sec, mais il est bon.
Ah, tenez, tenez, voilà le Commissaire du quartier.
Où donc ?
Eh, qui parle à un Monsieur habillé de rouge.
Ah, oui, par ma foi, vous avez raison ; il faut qu’il ne me voye pas, car il me salue toujours.
Eh moi donc ?
Monsieur le Blond, voulez-vous boire un verre de biere ? J’ai mangé des harangs qui m’ont altéré comme tous les diables.
Et moi aussi. Il n’y a qu’à en demander. Louis ?
Monsieur, qu’est-ce qu’il y a pour votre service ?
Donnez-nous une bouteille de biere.
Qui soit bonne.
Vous serez contents, Messieurs. Voulez-vous des échaudés ?
Non, non, ce n’est pas la peine.
Parbleu, je crois que vous avez une perruque neuve ?
Oui, du jour, comment la trouvez-vous ?
Fort bien. Moi, je suis malheureux en perruques, on me les fait toujours trop courtes. Aussi quand je vas chez mes pratiques, leurs gens, sans me parler seulement, leur disent : Monsieur, votre Tailleur est là-dedans ; ceux qui me voyent passer dans la rue, disent voilà un Tailleur, & si je me trouve en compagnie, on me dit à moi-même, Monsieur est sans doute Tailleur ? Cela me fait enrager.
Il est vrai qu’on ne peut pas s’y tromper.
Ma femme me gronde toujours pour cela, quand je vais avec elle quelque part ; je ne sai comment faire.
Et prenez mon Perruquier.
Pardi vous avez raison. Comment s’appelle-t-il ?
Monsieur Cheveux.
Monsieur Cheveux ? où demeure-t-il ?
Je ne sais pas bien, parce qu’il a déménagé ; mais il vient ici tous les jours.
Je voudrois bien qu’il y vînt aujourd’hui.
Il ne tardera surement pas, attendez-le.
Messieurs, voilà votre bouteille de biere. Voulez-vous que je la verse ?
Oui, à Monsieur.
Allons, à vous.
Ne voulez-vous pas faire des façons entre hommes.
Comme vous voudrez.
Buvez donc.
Je vous attends, allons, à votre santé.
Et moi de même. Ils boivent.
Ces Messieurs ne veulent plus rien ?
Non, laissez-nous.
Et parbleu, vous ères trop heureux, le voilà Monsieur Cheveux.
Vient-il ici ?
Oui vraiment.
Allons, tant mieux, tant mieux ! c’est bon.
Scène II.
Arrivez, arrivez, Monsieur Cheveux. Comment vous va ?
Pas trop bien aujourd’hui, j’ai mon ancien mal d’oreille.
Il faut vivre avec ses ennemis, comme on dit ; tenez, voilà une pratique que je veux vous donner.
Monsieur ?
Oui Monsieur.
Monsieur, est tailleur sans doute ?
Eh oui, Monsieur. Vous voyez bien, Monsieur le Blond, voilà ce que je vous disois. Je parie que c’est à la perruque que vous avez reconnu cela ?
Sûrement, ce n’est pas là comme il faut qu’elle soit faite.
Je vous dis, je n’en ai jamais eu une à ma fantaisie.
Ah, je le crois ! ce n’est point là du tout ce qu’il vous faut ; je vous coëfferai bien, moi, ne vous embarrassez pas.
Pardi, je vous serai bien obligé. Quand me prendrez-vous la mesure ?
Cela n’est pas nécessaire.
Comment ?
Bon, il ne s’amuse pas à cela.
Le coup d’œil suffit, je vous vois déjà avec ma perruque sur la tête, vous êtes à merveille.
C’est étonnant cela !
Point du tout, chacun a sa phisionomie, & chacun doit avoir sa perruque, il n’y en a pas une qui doive se ressembler ; cependant ce qui me consterne souvent, c’est que je vois presque tous les gens que je rencontre, coëffés comme si en s’éveillant ils avoient pris la perruque de leur voisin.
Mais je le croirois bien.
Je ne fais jamais une perruque qui puisse servir à un autre.
C’est un très-grand talent ! & quand aurai-je ma perruque, moi ?
Mais, Dimanche.
Vous ne me manquerez pas ?
Soyez-en sûr, c’est comme si vous l’aviez.
Je me fais un grand plaisir de surprendre ma femme, avec cette perruque-là !
Eh, pardi, si vous êtes pressé, je pense une chose.
Qu’est-ce que c’est ?
J’ai une de nos pratiques qui est un Conseiller au Parlement, qui vous ressemble.
Qui me ressemble ?
Comme deux gouttes d’eau.
Vous voyez bien, Messieurs, que je n’ai pas l’air d’un Tailleur.
Vous ?
Oui, tout le monde le trouve.
Et c’est votre perruque qui fait cela.
Je vous le disois bien, Monsieur le Blond.
Oui.
Ecoutez, ce Conseiller est en campagne pour un mois, je lui ai fait une perruque qui sera faite comme pour vous.
Cela est bien heureux !
Elle est justement accommodée, & je vais la chercher.
Quoi, je pourrois l’avoir dans le moment ?
Tout-à-l’heure, je vous dis, je demeure à deux pas, je reviens.
Scène III.
Il est expéditif, cela sera fait tout de suite.
Il ne vous prend donc jamais la mesure, à vous ?
Jamais. Je lui dis : Monsieur Cheveux, j’ai besoin d’une perruque neuve, cela suffit.
Il doit avoir bien des pratiques.
Oh, beaucoup ; mais pas tant qu’il en auroit s’il étoit moins cher.
Il faut bien payer le talent.
Tenez, le voilà qui revient.
Avec ma perruque ?
Sûrement.
C’est un homme comme il n’y en a point !
Scène IV.
Allons Monsieur, essayez cela, vous allez avoir ce qui s’appelle une collure.
Voyons, attendez que je défasse ma boucle, pour ôter celle-ci. Il ôte sa perruque.
Il n’y a point de boucle avec moi ; c’est un ressort, il lui met la perruque neuve. Tenez regardez-vous, avez-vous jamais eu une perruque comme celle-là ?
Non, vraiment.
Avez-vous l’air d’un tailleur à présent ?
Je ne me reconnois pas du tout.
Mes perruques sont admirables pour cela, tous ceux à qui j’en fournis sont de même.
Ma femme s’y trompera sûrement.
Quand je vous le dis.
J’ai presque envie de retourner chez ma belle-mère, avant d’aller à la Comédie.
Scène V.
Messieurs ayez pitié d’un pauvre estropié, qui n’a jamais connu son pere, ni sa mere, depuis qu’il est au monde, & qui ne peut pas gagner sa vie.
Nous n’avons rien à vous donner.
Eh, Messieurs, je vous demande bien pardon ; mais Monsieur, je n’ai ni femme ni enfans qui puissent demander pour moi, sans cela…
Allons, laissez-nous donc.
Si je pouvois gagner ma pauvre vie, mais je ne sai ni lire ni écrire, je n’ai ni encre ni papier, ni plumes, je ne saurois me faire écrivain, Messieurs.
Quand on vous dit de vous en aller.
Eh, Monsieur le Président, si vous vouliez dire à vos gens de me donner quelque chose ?
Président ?
Oui, Monsieur le Président.
C’est bien plus que Conseiller ?
Sans doute.
Attendez. Il fouille dans sa poche.
Oui, Monsieur, vous ne pouvez pas faire une plus grande charité ; car il y a si long-tems que je n’ai mangé, que je l’ai presque oublié.
Vous n’avez pas oublié de boire ?
Non, Monsieur, Dieu merci, c’est une grâce qu’il m’a faite, cela est cause que je n’ai jamais été enragé.
Je n’ai pas de monnoie, j’ai envie de lui donner ma vielle perruque aussi bien je ne veux plus la revoir.
Eh-bien oui, il la vendra.
Tenez, mon ami, voilà une perruque que Monsieur le Président vous donne.
Et la tête ?
Comment la tête ?
Oui, Monsieur, c’est que je la brûlerois pour me chauffer.
Quoi ma tête ?
Je dis, Monsieur, la tête à perruque.
C’est qu’il a cru que c’étoit une tête de bois.
Oui, Monsieur, est-ce qu’elle est de pierre ?
Non, non ; allons, vous devez être content.
Oui, Messieurs, je m’en vais prier Dieu que…
Allez-vous en donc.
Où cela ?
Où vous voudrez.
Oh oui, Messieurs, c’est que ces Messieurs ne m’ont rien donné.
C’est pour tous.
Oui, Monsieur le Président, je m’en vais, je m’en vais. Il sort.
Scène VI.
Vous voyez bien qu’on ne vous prend plus pour un Tailleur.
C’est vrai, c’est étonnant cela !
Je suis sûr qu’avec mes perruques, c’est toujours comme cela.
J’en suis très content. Ah ça, je veux vous payer, combien vous faut-il ?
Vous vous moquez de moi, vous me la pairez avec la premiere que je vous ferai.
Non, non, je veux payer tout de suite.
Bon ! vous me ferez un habit, & nous nous accommoderons toujours bien.
Je vous ferai un habit ?
Oui.
Moi ?
Sûrement, pourquoi pas ?
Parce que je ne vous en ferai pas.
Mais je crois que vous badinez.
Je ne badine point du tout.
N’êtes-vous pas Tailleur ?
Oui, mais je ne travaille que pour des Princes, des Ambassadeurs, & jamais pour des Bourgeois.
Bourgeois ! celui-là est bon, & qu’est-ce que vous êtes donc vous, si vous n’êtes pas Bourgeois ?
Je suis ce que je suis, mais je ne serai pas votre Tailleur.
Vous ne serez pas mon Tailleur ?
Non sûrement.
Eh-bien, je ne suis pas fait pour être le Perruquier d’un bourgeois comme vous, & je reprends ma perruque. Il lui ôte la perruque de dessus la tête.
Comment, mais…
Allez, allez, vous faire faire des perruques, par des Princes, par des Ambassadeurs.
Mais quand je vous dis…
Non, vous ne l’aurez pas. Adieu, Monsieur le Président des Ciseaux. Il rit en emportant sa perruque.
Mais, Monsieur Cheveux, écoutez donc.
Non, non. Il sort.
Scène VII.
Me voilà bien avancé à présent ! je ne pourrai pas aller à la Comédie.
Pourquoi aussi ne pas vouloir lui faire des habits ? il a raison.
Il a raison, raison. Il rêve. Si j’envoie chercher une perruque chez moi, tout le monde sera sorti.
Comment allez-vous donc faire ?
Je suis bien fâché d’avoir donné ma perruque à ce pauvre.
Le voilà qui passe.
Je m’en vais la reprendre.
Vous porterez une perruque qui aura appartenu à un pauvre, un homme comme vous ?
Je m’en vais courir après le Pauvre. Il sort.
Il mérite bien ce qui lui arrive. Il sort.
Explication du Proverbe :
78. Il faut ménager la Chèvre & le Choux.