Proverbes dramatiques/La Rose rouge

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Proverbes dramatiquesLejaytome III (p. 211-241).


LA
ROSE ROUGE,

QUARANTE-TROISIEME PROVERBE.


PERSONNAGES.


M. BROSSART, Maître Peintre. Veste noire, redingotte, jarretières noires, col noir, mauvaise perruque, mauvais chapeau, une pipe.
Mad. BROSSART. En casaquin d’indienne, bonnet rond, avec un tablier à carreaux.
M. VINOT, Cabaretier. Habit, veste brune, à boutons plats, perruque blonde, courte, grand chapeau uni.
BERTRAND, Garçon Cabaretier. Veste grise, bonnet de laine rouge & noir, avec un tablier de grosse toile.


La Scène est chez M. Brossart, dans la Chambre où il travaille.

Scène premiere.

M. BROSSART, Mad. BROSSART.
M. BROSSART, tenant une pipe de tabac.

Pourquoi ne veux-tu pas mettre des carottes dans notre soupe ? Toujours des navets, des navets ! Dis-moi donc une raison ?

Mad. BROSSART.

Parce que la fruitière ne veut pas m’en donner.

M. BROSSART.

Pourquoi cela ?

Mad. BROSSART.

Parce qu’elle n’en a pas.

M. BROSSART.

Elle n’en a pas ?

Mad. BROSSART.

Non, & elle dit qu’elle ne veut point s’en charger, parce que les pratiques ne les aiment pas.

M. BROSSART.

Je les aime moi. Il faut aller ailleurs.

Mad. BROSSART.

Mais, je n’ai pas d’argent, & elle me fait crédit.

M. BROSSART.

Ah ! de l’argent, de l’argent ! la voilà, toujours de l’argent ! ce n’est pas de l’argent qu’il faut demander, c’est des carottes.

Mad. BROSSART.

Tu ne veux pas me donner d’argent, parce que tu ne sais pas en gagner.

M. BROSSART.

Je ne sais pas en gagner ? Je ne suis pas Maître Peintre ? Dis donc le contraire.

Mad. BROSSART.

Pardi ! je le sais bien que tu l’es, puisque c’est avec ma dot que tu as été reçu. Mais qu’est-ce que tu sais faire ?

M. BROSSART.

Tout ce qu’on me demande.

Mad. BROSSART.

Oui, tu n’as pas toujours des disputes avec les gens pour qui tu travailles ?

M. BROSSART.

Parce qu’ils changent d’avis ; est-ce ma faute à moi ? Les plus habiles gens sont exposés à cela.

Mad. BROSSART.

Mais, du moins, ils ont de l’ouvrage, & toi tu n’en as pas ; je suis bien malheureuse de t’avoir épousé.

M. BROSSART.

Sais-tu que c’est bien de l’honneur que je t’ai fait ; sans moi, tu n’aurois jamais été la femme d’un homme d’épée.

Mad. BROSSART.

Ah ! oui, voilà un bel homme ! où est le profit ?

M. BROSSART.

Ne t’embarrasse pas, j’aurai bientôt de l’ouvrage.

Mad. BROSSART.

Et comment cela ?

M. BROSSART.

Tu sais bien ce Cabaretier qui vient de s’établir à côté de chez nous ?

Mad. BROSSART.

Qui, Monsieur Vinot ?

M. BROSSART.

Oui, il m’a dit ce matin, Monsieur Brossart, j’irai vous voir tantôt, j’aurai affaire à vous ; je parie que c’est pour avoir une enseigne.

Mad. BROSSART.

Saurais-tu lui en faire une ?

M. BROSSART.

Si je le saurai ?… Assurément, j’y ai déjà pensé, & je veux en faire une belle, qui me donnera bien des pratiques, quand on la verra.

Mad. BROSSART.

Je le souhaite ; mais s’il vient, il faut qu’il te trouve à travailler, du moins.

Mad. BROSSART.

Oui, tu as raison, je m’en vais délayer du rouge que j’ai là.

Mad. BROSSART.

Et en as-tu, une enseigne ?

M. BROSSART.

Oui, j’ai celle que j’avois faite pour ce Limonadier, qui n’en a pas voulu & que j’ai effacée.

Mad. BROSSART.

A la bonne-heure. Je crois voir M. Vinot qui vient.

M. BROSSART.

Allons, donne-moi le pot au rouge.

Mad. BROSSART.

Tiens, le voilà.

M. BROSSART.

De l’eau, de l’eau.

Mad. BROSSART.

Elle est à côté de toi.

M. BROSSART.

C’est bon, va-t-en ; il ne faut pas que les femmes soient témoins, quand les hommes parlent d’affaires.

Mad. BROSSART.

Je m’en vais au-devant de M. Vinot, pour le faire entrer.

M. BROSSART.

Oui, dis lui que je suis très-occupé.

Mad. BROSSART.

Ne t’embarrasse pas.

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Scène II.

M. BROSSART, délayant du rouge.

On ne paye plus les talens à présent : cependant il ne faut pas avoir l’air chagrin. Chantons un peu pour nous égayer.

Il chante.

[1] Vaste mer, dont le calme perfide
Séduit les Mortels ambitieux,
Crois-tu, sur la plaine liquide,
Que j’affronte mille périls affreux ?

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Scène III.

M. BROSSART, M. VINOT.
M. VINOT.

Mon voisin, vous voulez bien que je vienne vous voir ?

M. BROSSART, chantant.

Non, non, non, non, charmé…

M. VINOT.

Comment ! non, non ; pourquoi donc ?

M. BROSSART.

Ah ! c’est vous, mon voisin ?

M. VINOT.

Oui vraiment, vous disiez non, non.

M. BROSSART.

C’est que je chantois ; parce que, quand on est appliqué comme cela quelquefois… enfin, vous vous portez bien ?

M. VINOT.

A vous servir de tout mon cœur ; & vous ?

M. BROSSART.

Vous voyez, comme cela, à travailler.

M. VINOT.

On dit que vous êtes fort occupé ; cependant je viens vous demander de me faire un plaisir.

M. BROSSART.

Vous n’avez qu’à dire, mon voisin ; pour vous, je quitterai tout.

M. VINOT.

C’est bien honnête à vous ; mais c’est que je vous dirai une chose ; je n’ai point encore d’enseigne, & cela est nécessaire ; quoiqu’on dise qu’à bon vin, il ne faut point de bouchon.

M. BROSSART.

Non ; mais tout le monde ne sait pas cela. Hé bien ! je vous ferai une enseigne. Voyons un peu : qu’est-ce que vous voudriez, vous n’avez qu’à dire ?

M. VINOT.

Je ne sais si vous approuverez mon idée ; mais je voudrois mettre au Lion d’or.

M. BROSSART.

Si vous me demandez mon avis, franchement, là, je dirai ce que je pense.

M. VINOT.

Hé bien ! voyons.

M. BROSSART.

J’aimerois mieux mettre, à la Rose rouge.

M. VINOT.

Tout ce que vous voudrez ; mais pour la Rose rouge, je n’en veux point.

M. BROSSART.

Que voulez-vous donc ?

M. VINOT.

Je veux absolument un Lion d’or ; parce qu’on dit, où vas-tu ? au Lion d’or. D’où viens-tu ? du Lion d’or. Où irons-nous ? au Lion d’or. Où y a-t-il de bon vin ? au Lion d’or. Où…

M. BROSSART.

Voilà bien de l’or dans tout cela. Est-ce qu’on ne diroit pas tout de même, à la Rose rouge, de la Rose rouge ?…

M. VINOT.

Enfin c’est mon idée, que voulez-vous ?

M. BROSSART.

C’est juste, il faut vous contenter. Cela sera plus cher ; mais c’est égal.

M. VINOT.

Plus cher ?

M. BROSSART.

Sans doute.

M. VINOT.

Mais, combien encore ?

M. BROSSART.

Un Lion d’or ? Voyons… Cela ne peut pas vous venir à plus ni moins, que dix-huit francs.

M. VINOT.

Dix-huit francs ? c’est bien cher.

M. BROSSART.

Oui ; voilà pourquoi je vous proposois la Rose rouge, qui est une affaire de douze francs : c’est pour votre bien ; car, moi, vous sentez…

M. VINOT.

Oui, cela fait une différence de six francs, est-ce que vous ne pourriez pas faire quelque chose pour moi, là, diminuer un peu ?

M. BROSSART.

Si vous voulez faire un marché avec moi, par lequel vous me donnerez votre vin à douze sols, pour dix sols, je ne vous ferai payer que quinze francs.

M. VINOT.

Mais mon vin à douze sols est d’une meilleure qualité, que celui à dix ; & celui à dix est très-bon. Je vous en donnerai trente bouteilles excellentes.

M. BROSSART.

Non, je veux de celui à douze sols.

M. VINOT.

Mais trente bouteilles à douze, cela fera toujours dix-huit francs.

M. BROSSART.

Cela ne fera que quinze francs, si je ne les prend que pour dix sols la bouteille.

M. VINOT.

Allons, allons, nous nous accommoderons, ne vous embarrassez pas ; puisque vous le voulez, je vous donnerai du vin à douze.

M. BROSSART.

Je compte bien sur cela, mais quand aurai-je mon vin ?

M. VINOT.

Tout-à-l’heure, si vous voulez ; mais quand aurai-je mon enseigne ?

M. BROSSART.

Je vais y travailler dans l’instant ; envoyez-moi le vin ; mais du vin à douze.

M. VINOT.

Vous allez l’avoir. Adieu, mon voisin.

M. BROSSART.

Adieu, mon voisin. Je ne vous reconduis pas, pour perdre moins de temps.

M. VINOT.

Point de cérémonie entre voisins, sans cela, je ne viendrois pas vous voir ; & j’aime beaucoup à voir peindre : ainsi vous voyez bien que…

M. BROSSART.

Allons, allons ; je m’en vais donc travailler.

M. VINOT.

C’est bon ; je m’en vais vous envoyer votre vin. Adieu.

M. BROSSART.

Adieu, adieu. A douze toujours.

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Scène IV.

M. BROSSART, se mettant à travailler.
(Il peint une Rose rouge.)

Quelle diable de fantaisie de vouloir un Lion d’or. Ah ! je t’en réponds ; tu auras… tu auras… un Lion d’or ! pourvu qu’il m’envoye du vin toujours. Allons, allons ; qu’importe, quand le vin sera une fois ici, je ne le rendrai pas.

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Scène V.

M. BROSSART, Mad. BROSSART, sans voir ce que peint M. Brossard.
Mad. BROSSART.

Eh bien ! vas-tu lui faire une enseigne ?

M. BROSSART.

Oui, j’y travaille.

Mad. BROSSART.

Et combien te donnera-t-il ?

M. BROSSART.

Quinze francs.

Mad. BROSSART.

Tant-mieux ; car j’attends après cet argent-là, pour acheter bien des choses.

M. BROSSART.

Ah ! tu attendras long-temps.

Mad. BROSSART.

Comment ! est-ce qu’il ne te payera pas tout de suite ?

M. BROSSART.

Si fait, mais il nous donnera du vin, au lieu d’argent.

Mad. BROSSART.

Du vin, du vin ! tu ne penses qu’à boire.

M. BROSSART.

Et toi, tu n’aimes que l’argent.

Mad. BROSSART.

C’est qu’avec de l’argent, on achete ce que l’on veut.

M. BROSSART.

Oui, mais c’est que j’aurai trente bouteilles de vin à douze sols, cela fait dix-huit francs, au lieu de quinze.

Mad. BROSSART.

J’aimerois mieux de l’argent.

M. BROSSART.

Il ne nous en auroit pas donné, tout-à-l’heure, peut-être, au lieu que nous serons payés tout de suite : quitte à revendre du vin.

Mad. BROSSART.

Ah ! tu y mettras bon ordre ; tu le boiras ?

M. BROSSART.

Peut-être. Tiens ; il y a là quelqu’un à la porte.

Mad. BROSSART.

Qu’est-ce qui est là ?

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Scène VI.

M. BROSSART, Mad. BROSSART, BERTRAND, avec un panier rempli de bouteilles de vin.
BERTRAND.

N’est-ce pas ici où demeure M. Brossart ?

Mad. BROSSART.

Oui, mon ami.

BERTRAND.

C’est que voilà vingt bouteilles de vin que M. Vinot lui envoye.

M. BROSSART.

Ah ! c’est bon : mais il en faut trente.

BERTRAND.

Je vais en rapporter encore dix.

M. BROSSART.

Tiens, prends le panier, & porte le vin à la cave.

Mad. BROSSART.

Oui, oui, vous n’avez qu’à m’attendre ici, mon Garçon, je vais vous rendre le panier.

BERTRAND.

C’est bon, Madame.

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Scène VII.

M. BROSSART, BERTRAND, regardant peindre.
M. BROSSART.

Est-il bon, ce vin-là ?

BERTRAND.

Oui, Monsieur, c’est tout ce que nous avons de meilleur. D’abord, Monsieur, nous ne pourrions pas vous en donner d’autre, parce que nous n’en avons que d’une sorte.

M. BROSSART.

Oui, mais il est bien cher ?

BERTRAND.

Non, Monsieur, on ne vous le fera pas payer plus cher qu’à un autre.

M. BROSSART.

Mais, au contraire, je veux bien l’avoir à meilleur marché.

BERTRAND.

Monsieur, tout le monde le paye dix sols.

M. BROSSART.

Dix sols !… & vous n’en avez pas de plus cher ?

BERTRAND.

Non, Monsieur, il est tout du même prix.

M. BROSSART.

Ah ! ah ! c’est bon à savoir.

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Scène VIII.

M. BROSSART, Mad. BROSSART, BERTRAND.
Mad. BROSSART, rapportant le panier.

Tenez, Garçon, voilà votre panier.

BERTRAND.

C’est bon.

M. BROSSART.

Vous allez rapporter le reste ?

BERTRAND.

Oui, Monsieur, tout-à-l’heure.

Mad. BROSSART.

Faites bien nos complimens à M. Vinot.

BERTRAND.

Je n’y manquerai pas, Madame.

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Scène IX.

M. BROSSART, Mad. BROSSART.
Mad. BROSSART, regardant peindre.

Eh bien ! tu fais encore une Rose rouge ?

M. BROSSART.

Oui, je voudrois bien savoir ce que cela te fait.

Mad. BROSSART.

Moi, rien ; mais c’est que je ne t’ai jamais vu faire autre chose ; & puis ce sont des disputes, & l’ouvrage te reste.

M. BROSSART.

Celui-ci ne me restera pas, je t’en réponds.

Mad. BROSSART.

Est-ce que M. Vinot t’a demandé une Rose rouge ?

M. BROSSART.

Non, il vouloit un Lion d’or.

Mad. BROSSART.

Et pourquoi donc faire une Rose rouge ?

M. BROSSART.

C’est que je n’ai que du rouge.

Mad. BROSSART.

Il falloit lui faire un Lion rouge, du moins.

M. BROSSART.

Je n’en sais pas faire.

Mad. BROSSART.

Ah ! cela est différent. Je crois que tu ne sais faire que des Roses. Et comment feras-tu ?

M. BROSSART.

Je m’en vais écrire en bas, au Lion d’or.

(Il écrit au Lion d’or.)
Mad. BROSSART, levant les épaules.

C’est bien imaginé !

M. BROSSART.

Sans doute.

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Scène X.

M. BROSSART, Mad. BROSSART, M. VINOT, apportant le reste du vin.
M. VINOT.

Peut-on entrer ?

Mad. BROSSART.

Ah ! c’est Monsieur Vinot.

M. VINOT.

Oui, j’apporte le reste de votre vin.

Mad. BROSSART.

Quoi ! vous-même ?

M. VINOT.

Parbleu ! me voilà bien malade !

Mad. BROSSART.

Donnez-moi, je m’en vais le serrer.

M. VINOT.

Je le porterai avec vous, si vous voulez, ma voisine.

Mad. BROSSART.

Non, non ; ne vous donnez pas cette peine-là. Je vais revenir.

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Scène XI.

M. BROSSART, M. VINOT.
M. VINOT.

Elle est jolie la voisine.

M. BROSSART.

Ah ! comme cela. Vous avez bien de la bonté.

M. VINOT.

Et notre ouvrage, cela avance-t-il ?

M. BROSSART.

Oui, cela ne sera pas long à présent.

M. VINOT.

Ah ! voyons, voyons. (Il s’avance & regarde.) Comment ! c’est une Rose rouge ?

M. BROSSART.

Oui.

M. VINOT.

Mais nous sommes convenus que vous me feriez un Lion d’or.

M. BROSSART.

Oui, vous ; aussi ai-je mis au bas au Lion d’or.

M. VINOT.

Mais il y a une Rose rouge.

M. BROSSART.

Qu’est-ce que cela fait ? on lira toujours au Lion d’or.

M. VINOT.

Et ceux qui ne savent pas lire ?

M. BROSSART.

Tant-pis pour eux.

M. VINOT.

Ma foi, je ne prendrai pas cette enseigne-là.

M. BROSSART.

Vous la prendrez.

M. VINOT.

Vous voyez bien que vous vous condamnez vous-même, en mettant au Lion d’or au-dessous d’une Rose rouge.

M. BROSSART.

Oui, mais vous voyez je suis honnête homme du moins, je ne vous fais pas accroire une chose pour une autre, je ne me cache pas moi, & je vous donne deux choses pour une, le Lion & la Rose, je ne suis pas comme vous.

M. VINOT.

Comme moi ? Qu’est-ce que vous voulez dire ?

M. BROSSART.

Que vous me donnez du vin à dix, pour du vin à douze.

M. VINOT.

Cela n’est pas vrai.

M. BROSSART.

C’est très-vrai, mais je ne me fâche pas ; parce que vous n’en avez pas d’autre.

M. VINOT.

Je n’en ai pas d’autre ?

M. BROSSART.

Sûrement ; car votre Garçon me l’a dit.

M. VINOT.

Il vous l’a dit ? Il a tort.

M. BROSSART.

Non ; il a dit ce qu’il savoit.

M. VINOT.

Eh bien ! si vous n’en voulez pas, vous n’avez qu’à le rendre.

M. BROSSART.

Non, je ne vous fais pas de chicanne. Je le prendrai ; si vous en aviez d’autre, cela seroit différent.

M. VINOT.

Je garderai mon vin, & vous garderez votre enseigne.

M. BROSSART.

Au contraire, je prendrai votre vin, & vous prendrez mon enseigne.

M. VINOT.

Cela ne sera pas.

M. BROSSART.

Cela sera.

M. VINOT.

Je m’en vais le reprendre.

M. BROSSART.

Je vous en empêcherai bien.

M. VINOT.

Nous verrons.

M. BROSSART.

Oui, nous verrons. (Ils veulent se battre.)

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Scène XII.

M. BROSSART, Mad. BROSSART, M. VINOT.
Mad. BROSSART, se mettant entre deux.

Eh bien ! eh bien ! donc ? qu’est-ce que vous avez donc ?

M. VINOT.

Ah ! je m’en rapporte à Madame Brossart.

M. BROSSART.

Je le veux bien.

Mad. BROSSART.

Voyons ; de quoi vous plaignez-vous ?

M. VINOT.

Je lui ai demandé un Lion d’or, & il me fait une Rose au lieu d’un Lion.

Mad. BROSSART.

Mais ce n’est pas sa faute.

M. VINOT.

Comment ? Il l’a fait exprès, il pouvoit bien faire un Lion.

Mad. BROSSART.

Non.

M. VINOT.

Pourquoi ?

Mad. BROSSART.

C’est qu’il n’en sait pas faire, il ne sait faire que des Roses, & il n’avoit que du rouge.

M. BROSSART.

Pourquoi dire cela ?

Mad. BROSSART.

C’est que c’est vrai ; ainsi, mon voisin, vous voyez bien qu’il ne pouvoit pas mieux faire.

M. VINOT.

En ce cas-là, il faut qu’il me rende mon vin.

M. BROSSART.

Je suis plus raisonnable que lui, car je veux bien de son vin.

M. VINOT.

Parbleu, je le crois bien.

M. BROSSART.

Vous le croyez bien ?

M. VINOT.

Sans doute.

M. BROSSART.

Mais, si je voulois, je vous obligerois à me donner du vin à douze, puisque nous en sommes convenus.

M. VINOT.

Convenus ?

Mad. BROSSART.

C’est-il vrai ?

M. VINOT.

Mais, comme cela.

M. BROSSART.

Vous n’en avez qu’à dix, vous ne pouvez pas faire mieux, je m’en contente.

Mad. BROSSART.

C’est bien raisonnable, soyez de même.

M. VINOT, à Mad. Brossart.

Je ne demande pas mieux. Ce sera à cause de vous toujours.

M. BROSSART.

Comme vous voudrez.

Mad. BROSSART.

Mais, mon mari, c’est fort honnête.

M. BROSSART.

Oui, pour toi.

M. VINOT.

C’est à une condition.

M. BROSSART.

Voyons.

M. VINOT.

C’est, puisque vous avez fait une Rose, que vous effacerez l’écriture du Lion d’or.

M. BROSSART.

Mais c’est un changement qui me donnera de la peine.

Mad. BROSSART.

Ah ! mon ami, il faut faire cela.

M. BROSSART.

Je le voudrois de tout mon cœur, mais…

Mad. BROSSART.

Pourquoi ne le feriez-vous pas ?

M. BROSSART.

C’est qu’il ne me reste pas de couleur du tout, j’ai employé tout ce que j’avois.

M. VINOT.

Vous n’avez qu’à en acheter.

M. BROSSART.

Ah ! si vous voulez me donner de l’argent pour cela, à la bonne-heure.

Mad. BROSSART.

C’est juste.

M. VINOT.

Non parbleu ; c’est bien assez de vous avoir donné mon vin. Je vais emporter mon enseigne, & je la ferai corriger par un autre. (Il prend l’enseigne.)

M. BROSSART.

Comme vous voudrez.

M. VINOT.

Adieu, ma voisine.

Mad. BROSSART.

Adieu, mon voisin.

M. VINOT.

Vous êtes une honnête femme vous, mais pour votre mari…

M. BROSSART.

Allons, allons, je crois que nous n’avons rien à nous reprocher, Monsieur Vinot. (Ils s’en vont.)


Fin du quarante-troisième Proverbe.
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Explication du Proverbe :

43. Qui dit ce qu’il fait, qui donne ce qu’il a, qui fait ce qu’il peut, n’est pas obligé à davantage.



  1. Vieille Chanson.