Proverbes dramatiques/Le Chapon au gros sel

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Proverbes dramatiquesLejaytome II (p. 51-64).


LE CHAPON
AU GROS SEL.

VINGT-UNIEME PROVERBE.


PERSONNAGES.


Mad. MINOT, Maîtresse de l’Auberge du Panier-fleuri. Robe-de-chambre & tablier blanc, coëffée avec un bonnet.
M. DESPRÉS. Habit gris, galonné d’un petit galon d’argent, veste de même, avec une épée.
M. DUPONT. Habit du matin.
M. GUARINY, Chanteur Italien. Habit de velours de coton brun, avec une épée.
CLAUDE, Garçon du Panier-fleuri. Veste rouge, boutons de cuivre, tablier blanc, bonnet de toile brodée en couleurs.


La Scène est dans une salle de l’Auberge du Panier-fleuri.

Scène premiere.

Mad. MINOT, M. DESPRÉS.
M. DESPRÉS.

Bonjour, Madame Minot. Vous n’avez personne aujourd’hui ici ?

Mad. MINOT.

C’est que tout le monde a dîné de bonne heure, pour aller à la revue du Roi.

M. DESPRÉS.

Ah, c’est donc cela. Ils auront beau tems.

Mad. MINOT.

Vous n’y allez donc pas vous, Monsieur ?

M. DESPRÉS.

Ma foi, non. J’ai pourtant vu bien des gens de ma connoissance qui y alloient, & qui ont voulu m’y mener ; mais ils avoient tous dîné, ce n’étoit pas-là mon compte.

Mad. MINOT.

Et puis quand on a vu cela une fois, c’est comme cent.

M. DESPRÉS.

Vous l’avez vue vous, Madame Minot ?

Mad. MINOT.

Ah, pardi ! je m’en souviendrai long-tems ; on fit reculer si fort le fiacre où j’étois, qu’il culbuta ; j’étois grosse de cinq mois, je fis une fausse couche, qui m’a fait garder le lit plus d’un an ; & encore, j’en ai pensé mourir ; aussi, depuis ce temps-là, je n’ai pas eu envie de me fourrer dans les embarras.

M. DESPRÉS.

Je le crois.

Mad. MINOT.

Quand on parloit de la revue à Monsieur Minot, il falloit voir la grimace qu’il faisoit, le pauvre défunt.

M. DESPRÉS.

Quoi ! Monsieur Minot est mort ?

Mad. MINOT.

Hé, vraiment oui, il y a eu un an aux Rois, bon jour, bonne œuvre.

M. DESPRÉS.

Je ne savois pas cela.

Mad. MINOT.

Je le crois bien, vous êtes toujours par voie & par chemin ; c’est ce qui fait qu’on vous voit si rarement.

M. DESPRÉS.

Et vraiment oui ; autrefois ce n’étoit pas de même. Il est temps de songer à dîner, pourtant. Ah ! voilà Dupont.

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Scène II.

Mad. MINOT, M. DESPRÉS, M. DUPONT.
M. DUPONT.

Quoi ! tu n’es pas à la revue, toi, Després ?

M. DESPRÉS.

Ma foi, non.

M. DUPONT.

Bon jour, Madame Minot.

Mad. MINOT.

Monsieur, je suis bien votre servante.

M. DESPRÉS.

Et pourquoi n’y as-tu pas été avec ton cabriolet ?

M. DUPONT.

Parce que l’année passée, j’y ai perdu un cheval qui m’avoit coûté cinq cents francs ; je n’ai pas eu envie qu’il m’en arrivât autant aujourd’hui.

M. DESPRÉS.

Quoi ! ton cheval pie ?

M. DUPONT.

Justement.

M. DESPRÉS.

Diable ! cela n’est pas régalant.

M. DUPONT.

As tu dîné ?

M. DESPRÉS.

Non, vraiment.

M. DUPONT.

Hé bien, nous dînerons ensemble. Madame Minot, faites-nous donner un chapon au gros sel.

Mad. MINOT.

Vous en allez avoir un ; tenez, mettez-vous-là.

M. DUPONT.

C’est bien dit.

Mad. MINOT.

Claude.


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Scène III.

Mad. MINOT, M. DESPRÉS, M. DUPONT, CLAUDE.
CLAUDE.

Qu’est-ce qu’il y a, Madame ?

Mad. MINOT.

Apportez un chapon à ces Messieurs.

M. DUPONT.

Claude, songe un peu que c’est pour nous.

CLAUDE.

Ah, ne vous inquiétez pas, vous serez contents.

Mad. MINOT, apportant du pain.

Je m’en vais toujours vous donner du pain & du vin.

M. DESPRÉS.

Du meilleur au moins, Madame Minot.

Mad. MINOT.

C’est du Bourgogne excellent.

M. DUPONT.

Laissons-la faire. Tiens, mets-toi-là.

M. DESPRÉS.

Je suis bien ici. Ils se placent tous les deux.

M. DUPONT.

Sais-tu bien qu’elle n’est pas encore trop déchirée.

M. DESPRÉS.

Pardi ! je le crois bien. Combien y a-t-il qu’elle est mariée ? Tu dois te souvenir de cela, toi ?

M. DUPONT.

Oui, c’est la première année que j’ai été à Angers. Il y a huit ans ; & elle en avoit dix-sept ou dix-huit.

M. DESPRÉS.

Cela fait vingt-six.

M. DUPONT.

Je disois bien. A-t-elle quelqu’un ?

M. DESPRÉS.

Je crois que non : il y a un homme bien amoureux d’elle ; mais elle est sage.

M. DUPONT.

Oui, sage, je t’en réponds.

M. DESPRÉS.

Ma foi, je me le suis laissé dire.

Mad. MINOT.

Tenez, vous goûterez ce vin-là ; vous verrez si je vous trompe.

M. DUPONT.

Nous verrons si vous nous servez en amis.

Mad. MINOT.

Vous m’en direz votre avis. Hé bien, Claude ?

CLAUDE, apportant un chapon.

Me voilà, me voilà.

M. DESPRÉS.

Allons, cela sent bon.

M. DUPONT.

Ma foi, j’ai faim. Avez-vous dîné, vous, Madame Minot ?

Mad. MINOT.

Ah, Monsieur, je ne dîne pas de si bonne heure.

M. DESPRÉS.

Mais aujourd’hui, vous n’aurez plus personne.

M. DUPONT.

Allons, dînez avec nous.

Mad. MINOT.

Vous me faites bien de l’honneur ; mais je ne le peux pas.

M. DESPRÉS.

Quelles façons. Il se leve, l’amene & la fait asseoir. Allons, mettez-vous-là.

Mad. MINOT.

Mais je ne prendrai pas votre place, du moins.

M. DESPRÉS.

Pourquoi cela ? n’en voilà-t-il pas une autre ? Allons, sers Madame Minot, Dupont.

M. DUPONT.

Je ne demande pas mieux. Tenez, Madame ; un peu de sauce. Allons, Després, à toi. Ils boivent & mangent.

M. DESPRÉS.

Madame Minot, est-ce que vous n’avez pas encore pensé à vous remarier ?

Mad. MINOT.

Non, Monsieur ; je ne suis point lasse encore d’être veuve ; quand on est bien, il faut s’y tenir.

M. DUPONT.

Mais vous étiez bien aussi quand vous étiez mariée ?

Mad. MINOT.

Ah, comme-ça, tantôt haut, tantôt bas. Il n’est rien tel que d’être sa maîtresse.

M. DESPRÉS.

Ma foi, vous avez raison. Allons, buvons un coup ; car le chapon est un peu salé. Il verse à boire.

M. DUPONT.

Il faut qu’il soit comme cela.

M. DESPRÉS.

Je le sais bien ; il est fort bon.

M. DUPONT.

À votre santé, Madame Minot.

M. DESPRÉS.

Et moi aussi, de tout mon cœur.

Mad. MINOT.

Messieurs, je vous suis bien obligée. Ils boivent tous trois.

M. DUPONT.

Et je crois que voilà Guariny.

Mad. MINOT.

Oui, il a dîné ici.

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Scène IV.

Mad. MINOT, M. DESPRÉS, M. DUPONT, M. GUARINY.
GUARINY, entre en chantant d’une voix claire.

Sospiraté, sospiraté…

M. DUPONT.

D’où venez-vous donc comme cela, Monsieur Guariny ?

M. GUARINY.

Ah, Messieurs, je suis votre serviteur, je viens de Versailles, pour chanter ici au concert.

M. DESPRÉS.

Je ne vous ai pas vu la derniere fois que j’ai été à Versailles.

M. GUARINY.

C’est que j’ai passé huit jours à S.-Germain.

M. DUPONT.

Et où allez-vous à présent ?

M. GUARINY.

Au concert.

M. DESPRÉS.

Mais il est de trop bonne heure.

M. GUARINY.

C’est que nous avons répétition.

M. DUPONT.

Buvez un coup avec nous.

M. GUARINY.

Je vous suis bien obligé.

M. DESPRÉS.

Pourquoi ? nous nous en irons ensemble.

M. DUPONT.

Oui ; parce qu’en attendant l’heure du concert, nous nous promènerons sur la terrasse ; & nous verrons revenir tout le monde de la revue.

M. DESPRÉS.

C’est bien dit.

M. GUARINY.

Je vais vous attendre.

M. DUPONT.

Nous avons fini. Ils se lèvent de table.

Mad. MINOT.

Vous ne voulez pas de dessert, Messieurs ?

M. DESPRÉS.

Bon, dans ce temps-ci, il n’en vaut pas la peine.

M. DUPONT.

Oui, oui, il vaut mieux se promener pendant qu’il fait encore soleil. Allons nous-en.

M. DESPRÉS.

Nous vous payerons cela une autre fois, Madame Minot. Ils s’en vont.

Mad. MINOT.

Ah, que cela ne vous embarrasse pas plus que moi. Je suis bien votre servante.


Fin du vingt-unieme Proverbe.
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Explication du Proverbe :

21. Qui mange Chapon, Chapon lui vient.