Proverbes dramatiques/Le Chasseur et les Joueurs
LE CHASSEUR
ET
LES JOUEURS.
PERSONNAGES.
DURAND, Chasseur. En veste, chapeau rabatu, avec un fusil, une carnaciere, & l’on peut ne pas avoir le chien.
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CLÉRAC | Officiers d’infanterie, joueurs. En uniformes. | |
SAINT-ROMAIN | ||
La RENTRÉE, Garde-de-Chasse. En veste, bandouliere de livrée, fusil, &c.
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Scène premiere.
DURAND, marchant tout doucement, le fusil prêt à tirer, parlant à son chien, qui chasse dans le taillis.
Hé, Patineau, tout beau. — Attends moi. — Veux-tu venir ici. — Hola, là. — Hé bien ? la vilaine bête — Ha voyons. Il s’arrête & écoute. Il faut qu’il n’y ait rien ici. — Où est allé… Patineau, Patineau : ah je vas te tirer les oreilles — Derriere. — Il n’y a point de sanglier ici, ils ne savent ce qu’ils disent. Hé, derrière donc. — Allons de l’autre côté, je reviendrai toujours bien ici. Il s’en va.
Scène II.
Saint-Romain, tu te moques quand tu prétends que je t’ai gagné hier, soixante-treize louis ; sur mon honneur, je veux mourir si j’en ai eu plus de quarante-sept.
Que ce soit toi ou un autre, cela m’est égal, je n’en ai pas moins perdu soixante & quinze ; & il est dûr, quand on perd autant, de ne pouvoir pas avoir sa revanche. Le diable emporte le Lieutenant de Roi, & tout l’Etat-Major.
Il semble que ces gens-là n’ayent d’autre plaisir que de nous poursuivre. Ils découvrent toujours où nous nous rassemblons.
Et dans quel moment encore ? Presque toujours quand la chance tourne.
Pour cela oui ; car j’allois avoir la main. Je suis presque sûr que j’aurois rattrapé tout ce que j’avois perdu.
Viendroient-ils nous chercher hors de la Ville, ici par exemple ?
Mais si l’on découvroit que nous y eussions joué, nous irions en prison.
Hé bien, nous y jouerions à notre aise.
C’est selon. Je sais bien qu’à Besançon, où j’ai été six mois en prison, le Geôlier nous fournissoit des cartes tant que nous voulions, la nuit sur-tout. Je n’ai jamais si bien passé mon temps.
Ici, ce ne seroit pas de même, je t’en réponds.
Cependant, si nous avions des cartes…
J’en ai sur moi.
Que risquons-nous ? Asseyons-nous-là.
Je le veux bien, qui diable nous découvrira ?
Ce bois-ci est très-fourré.
Il ne peut nous arriver que d’aller en prison si on le découvre ; mais les Officiers-Majors ne viendront pas nous troubler du moins. Ils s’asseyent.
On n’est pas trop mal. Nous jouyons quelquefois à l’armée, bien plus mal à notre aise. Voyons, voyons tes cartes.
Les voici.
Mêlons. Ils mêlent tous deux les cartes.
Veux-tu voir à qui aura la main ?
Sans doute. Ils tirent. Allons, c’est à toi.
Combien joue-tu ?
Un louis pour commencer. Il coupe.
Dix, neuf, figure, sept. Trente-six c’est beau jeu.
Oui, oui, beau jeu, trente-six.
Cinq, quatre, dix, huit, dame. Je l’avois dit. Jettant les cartes. Allons, deux louis.
Comme tu voudras. Coupes. Cinq, quatre, huit, sept, neuf, trente-trois. Roi, neuf, as, quatre, six, deux. Trente-deux.
A moi. Il mêle.
Va, trois louis. Il coupe.
Trente-trois — trente-deux.
Encore trois louis.
Trente-cinq — trente-deux.
Toujours trente-deux ! Quatre louis.
Trente-deux. Te plains-tu des trente-deux ?
Allons voyons.
Trente-un.
Quatre louis.
Trente-six — trente-sept.
J’entends quelqu’un ; c’est quelque Garde peut-être ; qu’est-ce que cela fait. Il mêle.
Scène III.
On approche.
Il n’y a que faire de parler. Ils continuent de jouer sans rien dire.
Patineau, derrière. — Il vient surement par ici. Avançons. — Tout beau. Il est-là, tirons. Il tire & il blesse Saint-Romain.
Ah !
As-tu été touché ?
Oui, au bras.
C’est un homme ! Fuyons. Il s’en va.
Scène IV.
Qu’est-ce qui a tiré ici ?
Nous n’en savons rien ; mais mon ami est blessé.
Oui, j’ai peut-être le bras cassé.
Aidez-moi à le relever.
Je le veux bien. Ils le relevent.
Soutenez-le un peu, que je ramasse tout cela. Il ramasse l’argent & les cartes.
Ne craignez rien.
Je n’ai pas besoin qu’on me soutienne : je marcherai bien.
Cela ne fait rien ; il faut toujours qu’il vienne avec nous, de crainte d’accident.
Je ne demande pas mieux.
Allons nous-en. Ils aident Saint-Romain.
Ne dites pas que vous nous avez trouvé ici à jouer.
Explication du Proverbe :
23. La balle va au Joueur.