Psyché/Première Partie/Chapitre V.

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V

LA CONFESSION DE PSYCHÉ


Quand Psyché, introduite par une vieille servante, se fut assise dans le salon de l’abbé Tholozan, si différent de la chambre monacale où jadis le Père Pasquier la recevait sur une chaise de paille entre quatre murs nus, elle s’intimida comme une petite fille qui va se confesser pour la première fois.

À ce prêtre qui la connaissait mal et qui sans doute n’avait pas encore conçu pour elle toute l’affection spirituelle qu’une femme attend de son confesseur, elle allait faire l’aveu le plus humiliant qui fût encore sorti de sa bouche : l’aveu d’un péché futur.

Elle ne dirait pas : « Mon père, j’ai eu un instant d’égarement, on m’a surprise et j’ai péché. » Elle dirait : « Je suis prévenue. Je vois clairement où est le mal et je n’ai plus assez de volonté pour ne pas aller droit à lui si vous ne me retenez. » Ce qu’elle allait avouer, c’était pis qu’une faute : une lâcheté.

L’abbé parut à la porte et s’avança vers elle en ouvrant les mains.

« Vous venez me consulter ?

— Et me confesser.

— Vous confesser ! Mais je vous ai entendue avant-hier !… Alors, qu’avez-vous à me dire de si grave ? Un petit péché auquel vous attribuez une grande importance, et plus qu’il n’en mérite, j’en suis certain… »

Il encourageait.

— Vous voilà tout émue… Eh ! vous ne réussirez pas à m’inquiéter moi-même ! Vous êtes, Madame, une pénitente à laquelle j’oserais, comme on dit au village, donner le Bon Dieu sans confession. Certains soirs vous péchez un peu verbalement, mais bah ! il faut prendre son temps comme il est et ne pas demander aux mondaines ce qu’on exige des ursulines. Le flirt est juste à mi-chemin entre le vice et la vertu : le purgatoire est fait pour lui. »

Disant cela sur un geste de juge qui dispose à son gré des peines éternelles, il se redressa dans son fauteuil.

L’abbé Tholozan venait de dépasser la quarantaine. Il n’était ni grand ni petit, mais assez gras, et il portait beau son visage romain.

« J’ai peur de pécher en action, dit Psyché.

— Dans l’avenir ?

— Dans l’avenir.

— Je vous disais bien que c’était peu de chose. Un scrupule ! Peut-être une rêverie ! Un péril que vous éviterez et qui sera un bien pour votre salut. Tentationem du mihi, Domine ! Donne-moi la tentation, Seigneur ! criait saint Jérôme, puisque tu m’as donné la force de la repousser. Voyons, parlez à cœur ouvert. »

Elle parla. Ce fut très long. Elle voulut conter toute la scène du pare, prétendant que si l’abbé n’en connaissait pas les détails il n’en pourrait estimer les conséquences. Puis elle décrivit la suite de ses sentiments, revint en arrière sur son passé, exprima ses craintes pour l’avenir, parla de sa faiblesse et de son isolement…

L’abbé l’écoutait d’une oreille parfois distraite, en homme pour qui ces aventures ne sont pas aussi imprévues qu’on voudrait l’en persuader. Il hocha la tête régulièrement, pour signifier qu’il avait compris, même lorsqu’il oubliait d’entendre. Il écoutait l’essentiel.

« Oui, » fit-il d’un ton perplexe.

Puis, levant les yeux vers sa pénitente :

« Eh bien ! je ne vous dirai plus ce que je vous disais tout à l’heure. Je suis plus frappé de votre émotion, ma fille, que de votre récit. Dans ces sortes de crises, somme toute, le péril est toujours tel qu’on l’imagine, puis l’âme obéit à ses illusions plutôt qu’aux réalités. Jusqu’ici vous avez très bien refréné toutes les tentations charnelles, mais, cette fois, je vous conseille de ne pas engager la lutte.

— Et comment cela ?

— Allez-vous-en. »

Psyché le regardait avec une certaine surprise. Il s’expliqua aussitôt.

« Je crois que votre seule énergie suffirait à vous défendre, et si je pouvais vous communiquer toute la confiance que j’ai en votre fermeté, je vous dirais simplement : Soyez forte. Mais vous doutez de vous-même, et qui peut prévoir les embûches que l’ennemi va semer sous vos pas ? Assurément, vous n’irez pas cette nuit au rendez-vous qu’il a eu l’impudence de vous proposer ; mais vous le verrez cent fois revenir à la charge, il emploiera tous les moyens pour vous perdre et je ne me crois pas le droit d’exposer votre chasteté à des périls si pressants. L’automne dernier, je confessais une jeune fille qui se trouvait dans une situation beaucoup plus alarmante que la vôtre puisqu’elle était, si j’ose le dire, en état de péché habituel. Sa propre servante, chargée de sortir avec elle, consentait à la mener trois fois par semaine dans un rez-de-chaussée clandestin où la malheureuse enfant commettait les actes les plus graves tant par leur caractère que par leur fréquence. J’essayai en vain de lui représenter l’opprobre de sa conduite ; elle promettait chaque fois de n’y plus retomber, mais le lendemain une impulsion irrésistible la ramenait chez le jeune libertin qui abusait de sa faiblesse et, après douze semaines d’efforts, je n’avais pas même obtenu qu’elle espaçât les rendez-vous. Il fallut recourir aux grands moyens. Dînant un soir chez son père, je pris à part le médecin de la famille et je lui dis tout bas en le regardant ainsi… « Docteur, envoyez-la aux eaux. — À quelles eaux ? — Peu importe. — Ah ! ah !… Loin de Paris ? — Le plus loin possible. — Trois semaines ? — Trois mois. » Ce médecin était un chrétien, et sans autre explication (que d’ailleurs je n’aurais pu donner), il fit ce que j’attendais de lui. Et si jamais saison thermale guérit un cas désespéré, ce fut bien, par la force des choses, celle dont je vous conte ici l’histoire. Pendant l’absence, le tentateur avait enlevé ses filets pour les poser un peu plus loin. Un jour, ma jeune pécheresse revint sur le lieu de ses fautes passées ; mais nul n’était plus là pour les lui faire commettre. »

L’abbé Tholozan prit un temps qui termina l’anecdote ; puis il poursuivit :

« C’est ainsi qu’il faut protéger dans le secret une âme de seize ans qui ne se connaît point. Mais vous êtes vaillante, ma chère fille, vous aiderez à votre salut. Je vous expose le remède au grand jour : guérissez-vous librement.

— Mon père…, hasarda Psyché, je me sens… plus vaillante en effet, depuis… que je vous ai parlé… Je ne veux pas céder, mais j’ai honte de fuir… Si je m’en vais, c’est une déroute, c’est avouer que j’ai peur de lui…

— Il n’y a pas de honte à craindre Satan. Un homme se défend contre un homme, il ne se bat pas contre un fléau. Ce n’est pas montrer une âme faible que de s’enfuir devant l’orage, ma fille, ou devant l’amour, car nos bras humains ne sont pas assez forts pour lutter contre le feu du ciel, ni contre celui de l’abîme.

— Si je n’essaie même pas de lutter, mon père, qu’arrivera-t-il de moi quand je reviendrai d’exil ? Je le rencontrerai fatalement. Il m’aimera peut-être encore… Si longue que soit mon absence, j’ai vu des passions durer plus longtemps que tous les voyages…

— Partez ce soir. Il n’est que temps. Je vous suggère ce départ à titre de conseil et, s’il le faut, je vous l’impose affectueusement à titre de pénitence. Vous allez rentrer, faire vos malles ; cinq heures sont à vous, cela suffit. On vous attend à la gare d’Orsay, allez à la gare de Lyon. On part pour la Bretagne, partez pour l’Italie. Allez prier à Saint-Jean de Latran, et veuille l’apôtre bien-aimé vous arracher à l’amour coupable par la grâce de l’amour divin ! Élevez votre cœur vers Dieu ! toute passion n’est due qu’à lui. Partez ce soir et quand vous sentirez fermement que vous pouvez revenir sans danger, venez à moi dès votre retour. Je veux apprendre par vous-même que vous êtes sauvée du mal…

— Vous l’exigez, mon père ? Je me soumets, » dit Psyché.