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Qu’est-ce que l’Évangile ?/8

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VIII

JÉSUS ET LA PÉCHERESSE


Jean, VIII, 3, 11. — Un jour les Pharisiens (c’est-à-dire maîtres orthodoxes) amenèrent une femme a Jésus et dirent : « Vois, cette femme a été surprise commettant adultère ; et d’après la loi elle doit être lapidée. Qu’en dis-tu ? »

D’abord Jésus ne répondit rien, les laissant réfléchir. Mais ils le pressèrent de dire comment on doit punir cette femme. Alors il dit : « Que celui d’entre vous qui est sans péché lui jette la première pierre. » Et il se tut. Alors les Pharisiens se regardèrent et, se sentant repris par leur conscience, ils s’en allèrent, se cachant les uns derrière les autres.

Et Jésus demeura seul avec la femme. Il regarda autour de lui et, ne voyant plus qu’elle, lui demanda :

« Eh bien, personne ne t’a trouvée coupable ? »

Elle dit : « Personne. »

Il dit : « Moi non plus je ne puis te condamner. Va et ne pèche plus. »


Dans ce récit, les Pharisiens apparaissent comme tentant le Christ. Ils lui amènent une pécheresse et lui demandent : Qu’en dis-tu ? Mais il n’a rien à dire. Une pécheresse et qui a péché, voilà tout. Certes, c’est regrettable qu’elle ait péché, c’est tout ce qu’il peut dire. Aussi garde-t-il le silence. Tant qu’ils ne lui demandent pas franchement ce qu’ils doivent faire, il se tait ; mais lorsqu’ils demandent s’il la faut lapider ou non, il répond : « Que celui qui n’a pas péché lui jette la première pierre. » Et ils s’en vont.

Ils ont compris que celui seul qui n’a pas péché pourrait la châtier ; mais comme il n’existe pas et ne peut pas exister d’homme parfait, il n’y a personne qui puisse châtier.

Et lorsqu’après leur départ, il demande : « Alors personne ne t’a condamnée ? » et que la femme lui répond : « Personne », il ajoute : « Je ne saurais te condamner non plus, va et ne pèche plus. » Ainsi : ne pèche pas, toi, et ne péchez pas vous autres. C’est tout.

Surprenant est le sort qui a été fait à cette parabole !

Bien qu’à demi apocryphe, elle eut une fortune particulière : on la préfère aux autres, et l’on y découvre de l’émotion et de la poésie.

Le maître divin, la pécheresse… Songeur, il dessine des arabesques sur le sable… C’est ainsi qu’on le représente sur des tableaux, qu’on le chante en des poèmes ; c’est là toute l’impression que produit ce récit. Le simple bon sens qui perce dans chaque parole et qui condamne tous les codes, tous les tribunaux, passe inaperçu.

Ce phénomène n’est possible que par ce fait que les hommes ne possèdent plus même la conscience qu’avaient les Pharisiens. Aucun parmi ces derniers n’osa dire qu’il était sans péché et chacun comprit que seul celui qui l’aurait osé aurait pu châtier.

Surprenant est le sort qui a été fait a cette parabole !

Pouvait-on mieux montrer, et par le raisonnement et par l’image, l’inutilité des tribunaux que ne le fait cette parabole ? Eh bien, ce qui y plaît aux esthètes, c’est la sentimentalité, le beau geste mélancolique. Quant au sens même, à sa raison d’être, personne ne s’en aperçoit. C’est chose très agréable que d’éprouver une émotion poétique et ce n’est pas moins agréable que de toucher de bons appointements ; quant au sens, ce n’est rien ; cela veut dire tout au plus qu’il ne faut pas médire de son prochain, qu’il est mal de dire que madame une telle a des amants. Mais pendre, guillotiner, c’est permis, c’est tout autre chose.[1]

  1. En attendant de donner la traduction intégrale du volumineux ouvrage de Tolstoï, j’arrête ici la traduction des commentaires pour passer immédiatement à la conclusion ; jointe à l’introduction et les chapitres qu’on vient de lire, elle fait suffisamment connaître l’idée dominante de l’auteur, et la méthode qu’il a suivie dans sa traduction de l’Évangile. (Note du traducteur.)