Quand chantait la cigale/L’art en exil

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Édition Privée (p. 46).


L’ART EN EXIL


J’ai apporté à Chateauguay une étude que j’ai achetée du peintre-poète Charles de Belle.

C’est une délicieuse figure d’enfant, celle de la petite Nora, l’une des fillettes de l’artiste. Réellement, ce tableau est la chose la plus exquise, la plus charmante, la plus séduisante que j’ai jamais vue. Les tons sont d’une délicatesse infinie. C’est une création de tendresse et d’amour. L’on peut dire que toute la grâce de l’enfance est dans cette toile.

Depuis deux mois, je rêvais de cette peinture. Je tremblais que quelqu’un l’achetât avant moi. Pour rien au monde, je n’aurais voulu la voir aller à un étranger. Maintenant, elle est à moi.

Je l’ai accrochée dans l’étroite salle à dîner.

La petite Nora, la délicieuse petite Nora à figure de rêve, a pour voisine Theda Bara, la femme-vampire, et toute une galerie de photographies d’actrices.

Au milieu de ces portraits sur papier rose, épinglés au mur, de ces célébrités du cinéma, de ces héroïnes de la scène, de ces gloires de la « Police Gazette », la petite Nora paraît en pénitence.

C’est l’Art en Exil comme dit le mélancolique poète Rodenbach.