Quand chantait la cigale/Sombre méditation

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Édition Privée (p. 95).


SOMBRE MÉDITATION


L’oncle Moïse écosse ses fèves.

Il les a arrachées la semaine dernière et les a mises à sécher dans des sacs, sur une pile de bois à côté du hangar. Maintenant qu’elles sont à point, il les égrène. Il verse l’une des poches dans un immense panier placé à côté de lui. Assis sur une vieille chaise, un plat en ferblanc sur les genoux, il prend les gousses sèches de ses gros doigts tremblants, les ouvre, jette les belles fèves blanches, luisantes, dans sa boîte, et laisse retomber la paille à ses pieds.

C’est une calme et claire journée d’automne. L’air est tiède, ensoleillé, et l’on se sent tout enveloppé de douceur. Au lieu de se mettre à la lumière, à la chaleur, l’oncle Moïse, sa casquette à visière sur la tête, écosse patiemment ses graines assis à l’entrée de la remise où flottent des relents de terreau et de vieux cuir.

Dans ses pauvres vêtements, il travaille en silence, ruminant on ne sait quoi…

Les jours passent. Pendant toute une semaine, lorsque je reviens de la ville, je trouve l’oncle Moïse ouvrant et écrasant de ses gros doigts tremblants les cosses de fèves dans le bâtiment humide et sombre où rôdent des odeurs de choses sures, moisies.

À quoi songe-t-il pendant ces heures silencieuses, pendant ces longues journées de monotone occupation ? À le voir fuir ainsi le bon soleil, il me semble qu’il pense à la mort et qu’il cherche à s’habituer à l’ombre éternelle où il descendra bientôt…