Récit véritable de l’attentat fait sur le précieux corps de Nôtre Seigneur Jésus-Christ entre les mains du prêtre disant la messe

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Recit veritable de l’attentat fait sur le precieux corps de Nostre Seigneur Jesus-Christ, entre les mains du Prestre disant la messe.

1649



Recit veritable de l’attentat fait sur le precieux corps de Nostre Seigneur Jesus-Christ, entre les mains du Prestre disant la messe, le lendemain de la Pentecoste, 24e may de cette presente année 1649, commis en l’eglise du village de Sannois, à une petite demy-lieüe d’Argenteuil, par un grand laquais agé de 26 à 27 ans.
À Paris.
M.DC.XLIX. In-4º de 7 pages1.

Entre les passions qui agitent nos esprits et transportent nos ames, il semble que la curiosité et la religion en soient les fleaux plus poignants et plus violents, dont l’un nous esmeut et conduit autant ardamment à nous porter aux recherches et connoissances des choses incomprehensibles que l’autre nous defend de presomptueusement vouloir penetrer ce dont la clarté nous peut esbloüir, d’autant que la première, par la science, ne veut autre guide que la raison et l’experience pour se rendre du tout sensible, et l’autre nous sousmet à la foy, laquelle que plus nous voulons examiner et penetrer, il semble que nous interpellons l’obscurité pour les tenèbres, et que nous entreprenons sur la Divinité, et qu’avec les aisles de cette folle de temerité et ambition nous nous elevons avec Lucifer pour nous abismer et precipiter dans les peines éternelles.

C’est ce qui a donné sujet d’un scandale public au jour second ou lendemain de la Pentecoste, vingt-quatriesme may de cette presente année mil six cens quarante-neuf, au village de Sanois2, distant d’une demye-lieüe d’Argenteüil, commis et perpetré par un grand laquais d’un bourgeois de Paris3, agé de 26 à 27 ans, et qui a demeuré quatorze ou quinze ans au service de son maistre sans qu’il ait jamais donné soubçon d’heresie ou impieté aucune. Lorsqu’il assistoit à la messe (son maistre ayant une maison proche de là) vers les sept heures du matin, et que le prestre qui celebroit, après la consecration, vint à elever le très sainct et très auguste corps de Nostre Seigneur Jesus-Christ, ce laquais, qui estoit à genoux, se leva, et, avec une main sacrilége, vint au point de l’elevation à arracher la saincte hostie des mains du prestre qui celebroit, et les assistants, y accourans, l’ont retirée de ses mains sans qu’elle soit rompuë ny pliée ; et, pour si horrible et detestable action, fust aussitost apprehendé. Pendant ce temps, le prestre, qui estoit ravy d’un estonnement qui le rendoit insensible, comme en extase pour un si abominable attentat, revenant à soy, reprit le precieux Corps de Nostre Seigneur, en fit sa communion et acheva sa messe. Le sainct sacrifice parachevé, l’on mit ordre à faire conduire cet abominable à Paris, dans un carrosse, accompagné du curé et de son vicaire et d’autres paroissiens, et est en coffre dans les prisons avant qu’il y ait esté consigné. Lorsque, comme par compassion, il fut interrogé de quelques uns de sa connoissance comment, de qui et pourquoy il avoit esté induit et poussé à commettre cest autant horrible qu’abominable crime, il a respondu que c’estoit la curiosité de sçavoir et de reconnoistre si celuy que monstroit le prestre en l’autel estoit le Roy des rois ; et, par tel attentat, il le tentoit à ce qu’il se fist paroistre.

Ce qui a frappé d’un second estonnement ceux qui ont connu ledit laquais est qu’ils l’avoient tousjours cy-devant reconnu pour bon et devot catholique en apparence, et l’avoient vu frequenter la sainte communion, et regulierement les premiers dimanches des mois.

Les plus judicieux, qui fondent toutes les considerations qui peuvent eschoir sur ce sujet avec le dioptre de la raison et perspicacité de leur jugement, avoüent qu’il faudroit avoir fait vœu d’ignorance pour ne connoistre cette verité, que la raison fait evidemment juger aux capables qu’il n’y a pas de plus notable folie au monde que de ramener les choses de la foy à la mesure de nostre capacité.

Puis que ce sont des abismes que nos esprits ne sçauroient sonder, mais demeurent si fort estonnez dès l’entrée, qu’ils chancellent et s’esgarent ainsi que les yeux de ceux qui sont sur le bord d’un precipice ou abisme effroyable, dont nous devons estimer le presomptueux qui croira penetrer ces hauts mystères estre enveloppé dans une ignorance invincible plustost qu’esclairé du flambeau d’une deuë connoissance, puis qu’il croit reduire cette infinie grandeur à sa petite portée. Que si quelqu’un, après avoir admiré la toute-puissance de l’autheur des choses admirables, sent des rayons esclatter dessus ses esprits pour y penetrer plus avant que le commun, il faut croire que c’est un pur effet de la grace de celuy qui est le père de lumière, dont on ne peut rien voir qu’en luy et par luy.

Quel effort donc d’imagination vaine, penetrant dans les folies humaines, peut-on appercevoir plus grand que celuy de ce laquais et de ses semblables qui cherchent quelque chose de grossier et de palpable en cest haut et incomprehensible mystère du très auguste sacrement de l’autel, par une temeraire presomption de vouloir sçavoir jusques où s’estend la Puissance divine, puis qu’au bout de la speculation qu’il poursuit, la pointe de sa curiosité s’esmousse dans les merveilles et demeure esbloüy dans l’esclat de sa majesté !

Pour arriver aux raisons accomodantes et necessaires à nostre salut, mettons-nous à l’abry des preceptes de l’apostre, de nous rendre sçavans jusques à la sobriété, et de nous sousmettre au joug de la foy pour elever nos pensées et considerer à travers de quels nuages et dans quelles obscuritez de l’ignorance humaine nous croyons acquerir l’avantage d’avoir dans la teste les bornes et les limites de la volonté et de la puissance de Dieu.

C’est une pierre d’achoppement et une taye et glaucome d’aveuglement, voire une grande stupidité, de chercher des raisons et experiences ès choses de la foy, d’autant que les lumières qu’ils y cherchent sont des estincelles d’un grand embrasement.

Ce qui nous oblige de juger avec plus de reverence des saincts Sacremens ou mystères admirables, et d’avoir proportionnement plus d’aprehension d’y estre trompez pour ne connoistre les embuscades que nous y dressent nostre ignorance et nostre foiblesse, et nous sousmettons aux saincts decrets et volonté de la saincte Eglise, puisque ce n’est pas à nous d’establir la part que nous luy devons d’obeissance et d’admiration aux œuvres de son espoux.

Ce qui fait voir et reconnoistre avec admiration que, comme catholiques et apostoliques romains, nos affections et pensées nous unissent en union de sentimens, qu’aussi nos intentions et desseins nous transportent avec devotion à la vraye science et connoissance de la foy qui nous unit à Dieu, à l’honneur et gloire duquel tout se rapporte.



1. Cette pièce, fort rare, nous a été communiquée par notre ami P. Chéron, de la Bibliothèque impériale, qui l’avoit acquise à la vente Coste.

2. Gui Patin parle de ce sacrilége dans sa lettre à Spon du 11 juin 1649 : « Un jeune père de l’Oratoire, qui est de la maison depuis huit jours, s’est aujourd’hui jetté sur celui qui disoit la messe, et lui a voulu arracher l’hostie. Le prestre s’est deffendu, mais l’autre a été le plus fort, l’a fait choir et lui a cassé les dents. L’hostie cheute, grand désordre dans l’église, etc. On dit que ce jeune homme est fol : je le crois ainsi. Un laquais fit autant, il y a quinze jours, au curé de Sannois, village près de Saint-Denis, le jour de la Pentecoste. Il a été condamné à avoir le poing coupé, être pendu, etranglé et brûlé, par le bailli de Montmorency. Il est encore à la Conciergerie par appel. » Gui Patin devoit être bien renseigné. Il avoit à Cormeille, près de Sannois, une maison qu’il tenoit de sa mère, et dont il ne reste plus qu’une allée de tilleuls.

3. Ce bourgeois avoit une maison de campagne à Cormeille. Nous tenons ce fait de M. Chéron, qui prépare une histoire de la commune de Sannois.