Rédemption (Girard)/02/07

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Imprimerie Guertin (p. 173-186).


UN HOMME.


Cinq heures du soir à Paspébiac. Il ne pleut pas, mais le ciel a cette teinte monotone de plomb qui pèse sur la terre et semble si bas que l’on croirait qu’il va crouler sur nos têtes. À la fin de ce mois d’avril, il reste encore ça et là sur la côte, quelques vestiges de neige.

À cause de la grosse mer, l’ « Admirail » a jeté l’ancre loin du quai. Une goélette, partie du rivage est allée prendre le fret et les passagers à bord du navire.

Les passagers, ils ne sont pas nombreux : un jeune homme et une femme. Cette dernière revient de la Contrée avec un marmot dans les bras. Comme l’enfant ne cesse de criailler, la maman toute ballottée qu’elle est par les vagues, lui tend sans façon le sein gonflé.

Le jeune homme, vêtu de noir, accoudé sur le bord de l’embarcation, a les yeux fixés sur un point de la falaise, où cependant on ne voit que la mer qui déferle en bouillons d’écume contre le roc rougeâtre.

— Quelle âpre joie de revoir ces lieux ! murmure t-il.

À peine débarqué, il fait mettre en sûreté deux fortes malles en cuir, une caisse énorme et une large boîte plate aux planches solidement clouées. Les quelques gens réunis sur le quai regardent avec curiosité. Mais lui s’éloigne rapidement. La grève, non, il ne veut pas la regarder. Plus tard quand il se sera un peu remis des premières émotions du retour. Mais aujourd’hui, cela lui ferait trop de mal. Le pont, combien de fois ne l’a t’il pas traversé avec elle ce grand pont rouge, au retour de la pêche avec les vieux ?


Le bocage Robin.

Maintenant, il franchit la barrière du bocage Robin. C’est à cet endroit, près de cet osier, oh ! il se le rappelle bien, que Romaine l’a rejoint, lui a répété l’aveu de l’immensité de son amour, et l’a empêché de partir. Hélas ! pourquoi a-t-il cédé à sa prière, pourquoi n’a t-il pas fui alors ? Fatalité. Mais il est trop tard aujourd’hui pour revenir sur ce qui est irrémédiablement fait. Dans quel état affreux doit-elle être à présent dans ce cimetière ?


La grande route de Paspébiac.

À cette pensée du cimetière, Réginald Olivier hâta le pas. Il allait sur la grande route de Paspébiac, marchant dans la boue et le crottin détrempé.

Les gens qui le reconnaissaient, étonnés de le voir revenir à Paspébiac, à cette époque de l’année, le saluaient, puis se retournaient plusieurs fois.

Arrivé à quelques pieds du cimetière, où il allait s’agenouiller sur ce qui restait de la beauté de Romaine Castillonx, il s’arrêta. Tout près de la clôture, un homme creusait une fosse.

Quelque désir qu’il eût d’aller prier sur la tombe de Romaine, la crainte de porter ombrage à sa mémoire l’en détourna.

Que dirait-on, en effet, si l’on apprenait que lui, un étranger, allait prier sur la tombe de la petite-fille de Johnny Castilloux. Pour nous ramener sur les restes de quelqu’un, il faut que des liens étroits nous aient rattachés à lui durant la vie. Et quelles relations pouvait-il y avoir eu entre Romaine Castilloux et lui ? Il est vrai qu’on les avait vus souvent ensemble ; il est encore vrai que de mauvaises langues avaient insinué ceci et cela, mais en somme, ces quelques commérages n’avaient pas été pris au sérieux. Et lorsque Romaine était descendue dans la tombe, tous l’avaient pleurée comme une bonne et vertueuse enfant.

Alors que dirait-on, si on le voyait verser des larmes sur la dépouille de Romaine ? Pleurer, oui, il en était sûr. Il ne pourrait certainement pas revoir cette inscription cruel le : « Ci-gît Romaine Castilloux » sans se trahir. Mieux valait donc 11e pas y aller maintenant, et même ne jamais y retourner.

Le fossoyeur, relevant la tête, épongea son front avec sa manche de laine grise.

— Bonjour le monsieu, dit il en portant la main à son chapeau.

— Bonjour, vous travaillez dur.

— Oué, la sacrée vieille ! a nous a donné d’la misère tout l’hiver. Pourquoi qu’a mourait pas l’automne passé. Ça fait deux haches que j’casse.

— De quelle vieille parlez-vous donc ?

— D’la mère qu’a défuntisé hier, et qu’on va enterrer demain.

En entendant ce blasphème, le jeune homme poursuivit sa route sans répondre.

À quelques arpents plus loin, il voyait la maisonnette du pêcheur, et la barrière entre les deux cormiers où Romaine l’avait si souvent attendu.

Qui pourra jamais décrire convenablement cette impression empoignante que ressent l’homme lorsqu’il revoit des lieux chers quittés dans des circonstances heureuses ou malheureuses ?

Oh ! cette émotion qui fait que tout prend vie, que jusqu’à la pierre la plus vile du chemin s’anime de toutes les souffrances de l’absence et de toutes les joies du retour !

C’est là qu’elle se tenait, pensait-il, la première fois que je suis passé sur cette route ; là dans sa robe blanche, plus blanche encore sous la rayonnement de ses tresses d’or rouge. C’est sur cette galerie qu’elle m’a bercé de la mélodie de sa voix en m’ouvrant ce cœur si généreux, si grand. C’est là qu’elle m’a fait le plus heureux des hommes, en me répétant chaque fois, sous une forme nouvelle, avec toute l’extase du premier aveu, qu’elle m’aimait, qu’elle m’adorait, que j’étais tout pour elle.

C’est à cette barrière qu’elle m’a accueilli si souvent de son sourire troublant, que chaque fois que je la quittais, ne fut ce que pour une heure, elle me disait avec cet accent enivrant qui me rendait fou : « Au revoir, ami, que les heures sont longues lorsque vous êtes loin de moi ! »

Hélas ! quelle désolation, quel vide, quel désert que ce jardin ! Que signifie cette demeure aux jalousies closes ?

On dirait un charnier au milieu d’un cimetière ? Se peut-il que la disparition d’un être aimé bouleverse à ce point ce qui était si joyeux, il n’y a pas un an ?

Il mit la main sur le poucier du loquet pour ouvrir la barrière, mais le levier en fonctionnant fit entendre un grincement triste comme une plainte. Traversant le jardin il monta les trois marches de la galerie. Il frappa. Personne n’ouvrit. Il frappa plus fort. Seul répondit le son mat du bois qui retentit dans son cœur comme un sanglot.


Église de Paspébiac.

Je reviendrai, se dit-il, en regagnant la route. Le vieux pêcheur doit être allé tendre ses rets.

Comme il passait devant le presbytère, il pensa :

— Si j’entrais.

Il sonna. L’abbé Doucet lui même vint ouvrir. Le bon vieux prêtre poussa un cri de joie, et tendit ses deux mains à Réginald. Celui-ci les pressa et les retint dans les siennes avec une affection sincère.

D’un seul regard et sans avoir prononcé une parole, ces deux hommes s’étaient compris. Tous deux avaient aimé, mais différemment, la même jeune fille : l’un avec le chaste dévouement d’un père, l’autre avec la fougue d’un amant. De se revoir après cette longue absence, ils en éprouvaient une grande joie, comme si l’ombre de la morte surgissant entre eux prenait vie.

Le curé de Paspébiac était surtout remarquable par l’air de mansuétude attirante et le sourire bon qui accompagnait si souvent ses paroles. Il était réellement le bon Pasteur qui ouvre les bras, absout et oublie et non le juge inexorable qui repousse, condamne et n’oublie pas.

À la tête d’une paroisse pauvre, il se souciait peu de son dénuement personnel, se rappelant que le Christ n’avait pas de quoi où reposer sa tête, et que ses disciples ne savaient où ils coucheraient le soir, ni s’ils mangeraient le lendemain.

Il n’avait qu’une soutane ; elle était râpée et brûlée par le soleil. Les manches de la chemise de laine grise débordaient. À sa ceinture pendait une chaînette en acier.

Comme un vin riche dans une bouteille poussiéreuse, plusieurs volumes étaient constamment enfouis dans cette soutane et en faisaient une bibliothèque roulante.

Le vieillard fit entrer Réginald dans son cabinet de travail. Rien n’avait été changé dans cette chambre que Réginald connaissait bien. Le bon vieux était toujours enseveli sous une montagne de journaux, livres, paperasses. Sa bibliothèque dont il n’y avait pas un livre qu’il n’eût lu et relu, était toujours là, en face de sa table de travail. Tout près, le sofa en tapisserie ; dans un coin, à gauche de la porte, le grand fauteuil en cretonne où s’asseyaient les visiteurs.

— D’abord, commençons par le commencement, dit l’abbé Doucet, en passant ses doigts dans ses cheveux blancs, raides, en brosse. Avez-vous soupé ?

— Non, monsieur le curé.

— Alors, vous tombez bien, mon ami, j’allais me mettre à table. Je soupe d’ordinaire plus de bonne heure, mais j’ai été appelé auprès d’une malade, dans le fin fond du quatrième rang. Je suis bien content d’y être allé, car la pauvre femme est morte dix minutes après mon arrivée. Tout de même que j’ai les côtes sur le long de m’être fait cahoter. Je fais mettre un couvert de plus ; vous soupez et couchez au presbytère. Accepté, n’est-ce pas ?

— C’est trop de bonté de votre part, monsieur le curé, mais franchement, je ne sais si je dois accepter, je n’ose… je ne voudrais pas abuser…

— Ta, ta, ta, ne faites pas de cérémonies, s’il vous plaît.

Et tout en parlant, le curé s’était emparé du chapeau, du pardessus et de la valise du jeune voyageur.

— Suivez-moi, je vais vous conduire à votre chambre, puis prévenir ma ménagère. Excusez-moi si je passe devant vous. Quel temps sale ! Nous allons certainement avoir de la pluie avant la nuit. Les printemps sont si longs à Paspébiac. L’été tarde tant. Mais une fois arrivé, il est si beau, qu’il nous dédommage bien de nous avoir fait attendre.

Et l’abbé Doucet, faisant les demandes et les réponses, parlait, parlait, véritablement heureux de revoir le jeune homme.

Sur la fin du souper, le curé, qui avait débouché une bouteille devin blanc en l’honneur de son hôte, lui demanda, les deux coudes sur la nappe et le menton dans les mains :


Le curé, les deux coudes sur la nappe et le menton dans les mains.

— Maintenant, mon cher ami, dites-moi en toute franchise pourquoi vous êtes revenu à Paspébiac ?

Il y avait plus de sympathie que de curiosité dans son ton ému. Sous l’abat jour en carton vert de la lampe suspendue au plafond, la lumière tombait en lui mettant sur la tête des reflets d’argent.

Réginald ne dit mot. Sans doute, il se demandait s’il allait parler, trahir ce secret que seul il connaissait. Il regarda le prêtre. Sur sa figure ridée il ne surprit qu’une bienveillante affection.

Alors il dit :

— Parce que j’ai follement aimé une humble mais incomparable jeune fille, et que je suis malheureux.

— Romaine Castilloux, ajouta simplement le curé, sans détourner les yeux du jeune homme.

— Vous savez donc ? reprit celui-ci.

— Je le savais. Et si vous l’avez aimée autant qu’on peut aimer à votre âge, je comprends votre douleur, puisque moi, pauvre vieillard qui m’étais attaché à cette enfant que j’ai tenue sur les fonts baptismaux et que j’ai protégée durant sa vie, trop courte, hélas ! avec la sollicitude d’un père, j’en ai eu tant de chagrin. Pas un jour ne se passe sans que j’y pense. Le dimanche surtout, lorsque l’orgue, qu’elle faisait chanter et pleurer, restait fermé, nos messes et nos vêpres ressemblaient plutôt à des funérailles.

— Personne n’a pris la place de Romaine ?

— Si, la femme d’un de mes paroissiens, depuis un mois, touche l’orgue, par oreille, tant bien que mal. Elle fait son possible, la chère femme, mais ce n’est pas Romaine, ce n’est pas Romaine Castilloux, répéta-t-il, en branlant la tête avec tristesse.

— Tenez ! ajouta le curé, dans toute la durée de mon ministère à Paspébiac, je n’ai pas rencontré de jeune fille d’un aussi bon naturel, aussi douce, aussi tendre, aussi affectueuse, aussi intelligente, aussi laborieuse et aussi belle, oui, aussi belle, car moi, un vieux bonhomme, je m’eu suis aperçu.

Encore un verre de vin, monsieur Olivier ?

— Non, merci.

— Vous ne désirez plus rien ?

— Merci.

— Alors, passons dans mon cabinet, fit-il en se levant de table.

Et lorsqu’ils furent assis, le curé devant sa table de travail, Réginald dans le grand fauteuil de cretonne fleurie :

— Fumez-vous ? demanda l’abbé Doucet.

— Cela m’arrive, oui.

— Alors ne vous gênez pas ; je vous prie de m’excuser, je ne fume pas.

— Monsieur le curé, dit Réginald en bourrant sa pipe, je désirerais parler affaires avec vous.

— Comment cela, mon ami ?

— Je viens demeurer définitivement à Paspébiac.

— Vous dites ? — Je viens demeurer définitivement à Paspébiac. Ne pourriez-vous pas m’enseigner où trouver une maison et une vieille servante.

Le curé n’en croyait pas ses oreilles.

— Mais, mon cher ami, objecta-t-il, comment se fait-il qu’un jeune homme de votre condition, qui a un bel avenir devant lui, vienne ainsi de gaieté de cœur s’ensevelir à Paspébiac ?

— Ce n’est pas de gaieté de cœur, monsieur le curé. J’ai aimé Romaine Castilloux, votre filleule, je l’ai aimée plus que jamais homme n’a aimé une femme. Son souvenir me poursuit sans cesse. La vie des villes n’a plus aucun attrait pour moi. Le monde me fait horreur. Puisque je ne puis plus vivre avec Romaine, je veux passer le reste de mes jours là où elle a vécu.

— Vous êtes jeune, mon cher ami. À cet âge les impressions sont vives, d’autant plus qu’elles ne durent pas.

— Non, monsieur le curé. Encore une fois il n’y a pas que le souvenir de Romaine qui me ramène dans ces lieux, mais l’éloignement que je me sens pour le monde.

— Mais vous avez des parents, des amis qui vous réclament.

— Mes parents, je les ai perdus, malheureusement. Quand aux amis, et les meilleurs, j’entends, ce n’est pas là vous le savez aussi bien que moi, une force suffisante pour retenir un homme loin de l’endroit où il a connu le bonheur.


Douane de Paspébiac.

Et je m’efforcerai, ajouta-t-il avec un sourire, de n’être pas le plus mauvais de vos paroissiens.

— C’est les bras grand ouverts que je vous reçois à Paspébiac. Seulement, vous êtes si jeune et si malheureux que je crains que vous n’agissiez sous le coup des premières impressions.

— Je suis irrévocablement décidé.

— Pour ce qui est d’une servante, vous en aurez une excellente dans la personne de la vieille Rebecca Horth, dont le mari vient de mourir d’ataxie locomotrice. Elle n’a pas d’enfants. Bien qu’âgée de soixante ans, elle est encore active et robuste. Je ne doute pas qu’elle soit contente de trouver un refuge.

— Voilà pour la servante, mais la maison ?

— Ah oui ! attendez-donc un peu… Mais pourquoi pas ? c’est cela… Comment aimeriez-vous à demeurer dans la maison de Johnny Castilloux ?… Il est vrai qu’elle est un peu, comment dirai-je, modeste pour vous.

— La maisonnette du grand-père de Romaine ?

— Tout juste.

— Et lui, où demeure-t-il donc ? Avant de venir ici, je suis allé frapper à cette maison. Comme je n’ai pas reçu de réponse, j’ai cru que le pêcheur était allé tendre ses rets.

— Le pauvre vieux, ses rets il a fini de les tendre !

— Que voulez-vous dire ? s’écria Réginald, portant tout son corps en avant, le grand-père de Romaine serait-il ?…

Il n’osa pas achever.

— Hélas oui, mon cher ami.

Il y a de cela un mois environ. C’est la mort de sa pauvre petite qui l’a tué. Il est tombé tout d’un coup, comme ces grands pins qui résistent à bien des tempêtes, mais qu’un coup de vent plus fort que tous les autres finit par renverser. Depuis ce matin fatal de septembre, il a vécu comme ci comme ça, battant de l’aile, quand un soir, je fus appelé en toute hâte à son chevet. Il avait été frappé d’une syncope de cœur. Je n’eus que le temps de le confesser. Avant de rendre le dernier soupir, il me pria de vendre sa maison, et de faire servir l’argent que j’en retirerais à dire des messes pour le repos de son âme ainsi que de celle de Romaine. Vous comprenez bien que je n’ai pas attendu de faire cette vente pour dire des messes à leur intention. Je compte sur l’avenir, crédit que le bon Dieu voudra bien accepter.

— Combien vaut la maison ?

— Quatre cents dollars seraient, je crois, un prix raisonnable.

— Avec le jardin ?

— Naturellement.

Réginald s’était levé et approché de la table de travail de l’abbé Doucet.

— Alors monsieur le curé, si vous voulez me céder la maison, voici vingt billets de vingt dollars.

En voici vingt autres pour vous, monsieur le curé. Mon église, mon presbytère ont besoin de réparations, m’avez-vous déjà dit. De plus, vous avez beaucoup de pauvres à soulager. Au nom de la charité, vous n’avez pas le droit de refuser.

De curé se leva. Sans prononcer un mot, il secoua à les broyer les mains de Réginald.

— Je ne vous demande qu’une chose en retour, monsieur le curé, mais c’est beaucoup : votre amitié.

— Elle vous est acquise depuis longtemps.

— De plus, voulez-vous charger quelqu’un d’entretenir la tombe de Romaine et celle de son grand-père. Je serais heureux de le faire moi-même, mais comme vous seul connaissez mon secret, cela serait imprudent.

— C’est déjà fait.

— Alors, à l’avenir, je veux défrayer ces dépenses.

— Mais, objecta encore le curé, ne craignez-vous pas de trouver la vie bien monotone à Paspébiac, en vivant ainsi seul avec vos souvenirs dans cette maison, où, à chaque pas, à chaque minute, vous vous la rappellerez, elle.

- Ma vie ne sera pas aussi oisive que vous semblez le croire. J’ai emporté ma bibliothèque avec moi. Nous échangerons nos livres, si vous le voulez bien. Voilà pour détourner l’esprit de la pensée trop obsédante de Romaine.

Quand au corps, oh lui ! il n’aura pas le temps de se rouiller, puisque je veux mener ici la vie du pêcheur.

— Vous !

— Oui, moi. Je ne suis peut-être pas aussi novice au métier que vous pourriez le penser. Pendant les quatre ou cinq mois que j’ai passés à Paspébiac, j’ai eu le temps et l’occasion de m’initier à la manœuvre. Même que j’en avais reçu les félicitations du grand-père de Romaine. Oh ! à propos, comment est l’oncle Jérôme ?

— Il se porte comme un charme. Il a justement besoin d’un compagnon de pêche, d’un parchenier, comme il dit.

— À la bonne heure ! je monte en grade. De pocheur, je deviens arrière-barge.

Maintenant que j’ai dit adieu à la vie des villes, cette nouvelle existence m’attire et me plait. J’aime cette vie mâle, pénible, périlleuse, dans laquelle l’homme durcit son corps, tandis que sous la voûte du ciel et sur la majesté tantôt calme, tantôt courroucée de la mer, il contemple la grandeur de Dieu.

— Monsieur Olivier, dit l’abbé Doucet, en le regardant avec admiration, vous êtes un homme.