Réflexions sur l’usage présent de la langue française/D

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D

Davantage que, plus que.


Davantage ne veut point que aprés soy. Il ne faut pas dire, il a davantage de Livres que moy. Ce ne seroit pas parler poliment ; mais il faut dire, il a plus de Livres que moy. Plusieurs Ecrivains habiles ont fait des fautes contre cette regle. Témoin cét exemple de la morale du Sage, « Celuy qui se confie davantage à ses lumieres qu’à celles de la grace commet une ingratitude envers Dieu. » Et cét autre de l’art de parler. Il s’abbaisse davantage que son ennemy ne l’a élevé ; ce davantage que blesse l’oreille, il falloit dire. Celuy qui se confie plus à ses lumieres qu’à celles de la grace, &c. il s’abbaisse plus que son ennemy ne l’a élevé. Il y a des phrases ou le davantage que blesse bien plus que dans d’autres, c’est lors que le que finit presque la période, & qu’il n’est suivy que d’un ou de deux mots. Comme en cét exemple de l’Auteur des Réflexions sur l’Eloquence. « La force de son discours, dit-il, en parlant d’un certain Prédicateur, alloit toûjours en augmentant comme par degrez pour frapper encore davantage les esprits à la fin qu’au commencement ». Il falloit : pour frapper encore plus les esprits à la fin qu’au commencement. Lorsque la phrase est périodique, & que le que suit immédiatement aprés davantage, on ne s’apperçoit pas tout-à-fait tant de cette faute. La cadence de la période empeschant l’oreille d’y prendre garde, comme on le peut voir en cét exemple du dernier Traducteur de l’Imitation. « L’humble contrition des pécheurs, vous est, Seigneur, un agréable sacrifice, dont l’odeur vous plaist sans comparaison davantage que celle de tout l’encens du monde ». Ce qui fait encore que ce davantage ne blesse point l’oreille en cet endroit, c’est qu’il se trouve par hazard qu’il est mis dans un lieu où il faut un grand mot ; & où une monosyllabe comme, plus, n’iroit pas si bien. Mais cela n’empesche pas que ce ne soit une faute ; car si la monosyllable, plus, ne venoit pas bien en cét endroit, il la falloit placer ailleurs. Et dire, « l’humble contrition des pécheurs vous est, Seigneur, un agréable sacrifice, dont l’odeur vous plaist plus sans comparaison que tout l’encens du monde » ; ou bien en ajoûtant un petit mot, dont l’odeur vous plaist beaucoup plus, ou infiniment plus que tout l’encens du monde.


De, des.

Lorsque l’adjectif suit le substantif on met, des, auparavant, & non, de ; des hommes sçavans, lorsqu’il précéde, on met, de, & non, des ; de sçavans hommes. Mais voicy une remarque qu’il est utile de faire, c’est que si ma proposition est générale, & que je parle, par exemple, de tous les sçavans hommes ; alors je dois mettre, des, quoyque l’adjectif soit auparavant, comme : nous apprenons des sçavans hommes que &c. C’est le sentiment des sçavans hommes : Mais si ma proposition n’est pas universelle, & que je parle seulement de quelques-uns, & non pas de tous ; alors je dois mettre, de, suivant la régle que nous avons donnée : J’ay appris de sçavans hommes que, &c. ce qui est le mesme que si je disois, j’ay appris de quelques sçavans hommes.

Il faut encore remarquer que si dans ces sortes de propositions particulieres, le nom n’est pas au nominatif ou à l’accusatif, il faut toûjours mettre, de, quoyque l’adjectif soit aprés le substantif, comme : je l’ay appris de personnes tres-sages qui me l’ont dit. Cela s’entend, pourveu que le verbe ne demande point d’article ny de préposition ; car on dit fort bien, j’ay oüy dire cela à des personnes tres-sages.


De, aprés les noms de nombre.

Il y a des occasions où aprés les noms de nombre il faut ajoûter, de. Par exemple, qui diroit, il y en eust cent tuez, ne parleroit pas exactement ; il faut dire, il y en eust cent de tuez. Cét exemple en peut faire entendre plusieurs autres.


De, aprés tascher.

De se met plus ordinairement que à, aprés ce verbe ; je tascheray d’entrer, mieux que à entrer.


De, aprés obliger.

Quand obliger signifie contraindre, on met à ; on l’a obligé à signer. Quand il signifie faire plaisir, on met, de, comme chacun sçait. Ainsi si je disois, on l’a obligé de signer, il sembleroit que je voudrois dire, qu’on luy auroit fait plaisir de signer, ce qui fait un sens tout opposé.

Néanmoins quand il n’y a point d’équivoque à craindre on peut mettre, à, ou, de, selon que l’occasion le permet ; je dis selon que l’occasion le permet, car souvent la rencontre de deux, à, oblige de mettre, de, aprés obliger. Ainsi M. d’Ablancourt qui a dit dans les Commentaires de César, cela les obligea à camper à quatre lieuës, auroit, je crois, mieux parlé, s’il eust dit, cela les obligea de camper à quatre lieuës.


De, aprés esperer.

Souvent on supprime de aprés ce verbe, aussi bien qu’aprés le verbe croire & plusieurs autres de la sorte, comme : j’espere vous aller voir. Je crois estre obligé à cela. Nos meilleurs Auteurs parlent ainsi. « Justine fut d’avis que Auxence provoquast S. Ambroise à une dispute, esperant le décréditer, s’il refusoit ; ou s’il l’acceptoit, le faire déclarer vaincu par des Commissaires gagnez[1]. » On retranche encore le, de, aprés le verbe imaginer, & le verbe croire, comme : il y a bien des gens qui en lisant ces histoires, s’imaginent estre à la Cour.

« Un valet hypocondriaque s’entretenoit un jour avec un tableau où estoit réprésenté le Collége des Cardinaux, croyant converser effectivement avec ces Princes de l’Eglise[2]. »

Il est bon néanmoins d’observer que si le verbe aprés lequel on retranche le, de, n’estoit suivi que d’un seul mot qui n’eust qu’une syllabe ou deux syllabes bréves, alors il faudroit mettre de, comme : s’il vous plaist de m’oüir, & non, s’il vous plaist m’ouïr.


Faire de difficulté, faire difficulté.

Si la proposition est affirmative, il est hors de doute qu’il faut dire, faire difficulté ; il fait difficulté de dire son sentiment ; mais si elle est négative, plusieurs croyent qu’on doit mettre, de ; il ne fait pas de difficulté de dire son sentiment. C’est ainsi que parlent presque tous nos bons Auteurs ; mais comme ils n’observent pas cette régle fort exactement, & que quelquefois ils retranchent le, de, je ne crois pas que ce fust une grande faute de l’omettre ; il semble même que ces deux, de, qui se suivent : faire de difficulté de, ayent quelque chose de rude à l’oreille. M. Fléchier dit dans la vie du Cardinal Commendon : Ils ne firent pas difficulté de dire que l’Empereur avoit esté abusé. M. de Vaugelas retranche aussi quelquefois le, de. Alexandre ne fit pas difficulté de luy donner sa parole à la façon des Perses[3].

Quand le, de, qui suit se mange avec le mot suivant, alors on peut mettre faire de difficulté sans craindre la répétition des, de, parce que l’élision empesche qu’ils ne choquent l’oreille. Comme on ne fera point de difficulté d’attaquer, mais ; je ne sçay si, si, demeurera en seureté, dit M. de Voiture au sujet du mot de car qu’on vouloit bannir de la Langue. Hors ces occasions, bien des gens croyent qu’il est mieux de retrancher le de. Il n’en est pas tout-à-fait de mesme de faire scrupule, car l’usage veut qu’on dise, ne pas faire de scrupule, il ne fait point de scrupule de, &c. Et nous n’avons point de bons Auteurs qui ne mettent le de dans cette maniére de parler. Il faut remarquer néanmoins que l’on dit, cela ne souffre pas de difficulté, & non cela, ne souffre pas difficulté.


Déchirement.

Ce mot est fort bon au figuré, un déchirement de conscience, un déchirement de cœur. Je sçay bien que le Pere Bouhours ne l’aime pas ; mais cela n’empesche pas qu’il ne soit en usage. Il se dit mesme quelquefois dans le propre, comme : « n’avoit-on pas raison de reprocher au grand Prestre son animosité & son emportement qu’il avoit suffisamment fait paroistre par le déchirement de ses habits, quoy qu’il fust defendu ».


Décadence.

Décadence ne se dit qu’au figuré ; on ne dit point la décadence d’un bâtiment ; & si l’on dit, la décadence d’une maison, ce mot se prend alors pour famille. Mais on ne doit point dire décadence, pour signifier une ruine entiere & une destruction totale, parce que ce mot exprime seulement une diminution de grandeur qui conduit insensiblement à la ruine, & non, une ruine subite & entiere ; c’est pourquoy je m’étonne que l’Auteur de la Maniere de bien penser dans les ouvrages d’esprit, ait appelé, la ruine de Troyes, la décadence de Troye[4]. C’est un langage qu’on ne peut excuser de faute.


Déconfire, mettre en déroute.

Ce verbe est tout-à-fait hors d’usage, quoyque M. d’Ablancourt s’en serve dans la retraite des dix mille. On leur dit que les femmes alloient à la guerre, & qu’elles avoient déconfit le Roy de Perse.


Défection.

Défection est fort en usage, & nos meilleurs Auteurs s’en servent. Il fut sur le point de perdre les Provinces obeissantes, par la défection de la haute Noblesse[5].


De la en avant, d’oresnavant.

De là en avant est un mot favory du Traducteur des Lettres de Saint Augustin. Il l’asseura que la Ville seroit delà en avant hors d’atteinte. Mais ce mot est fort Provincial, aussi bien que d’aujourd huy en avant, que le mesme Auteur dit presque toûjours. D’aujourd’huy en avant il faut d’autres mœurs, & une autre maniere de vie[6].


Déferrer.

Ce mot se dit quelquefois au sens de démonter, déconcerter, & c’est en ce sens que s’en est servy M. d’Ablancourt, quand il a dit : « Un Avocat interrogeant un témoin, luy disoit : il se peut faire que celuy qui a dit ce que vous rapportez, l’ait dit en colere, il en tomba d’accord ; il se peut faire que vous n’ayez pas bien oüy, il fit signe que cela pouvoit estre aussi ; il se peut faire, ajouta-t’il, que vous ne l’ayiez point oüy du tout. Alors, il se fit une huée qui déferra le témoin[7]. »


Déloyal.

Déloyal est meilleur en Poësie qu’en Prose, aussi bien que déloyauté ; & M. Perraut s’en est servy à propos dans son excellent Poëme de Saint Paulin.

Parmy ces Nations fiéres & déloyales
Nulle en lâches forfaits n’égala les Vandales.


Demander excuse.

Cette phrase en terme de compliment & de civilité n’est guéres bonne, il faut dire, demander pardon. Demander excuse, n’est pas du bel usage, & c’est là tout le vice de cette expression ; car qu’elle soit contre la raison, comme le prétend le Pere Bouhours, c’est ce qu’il est difficile de montrer : aussi la preuve qu’il en apporte n’est qu’apparente ; afin, dit-il, que cette phrase fust bonne, il faudroit que celuy à qui on dit, je vous demande excuse, pût répondre, je vous accorde l’excuse que vous me demandez ; ce qui ne se peut raisonnablement, puis que c’est à luy au contraire de recevoir l’excuse, & à celuy qui s’excuse de la donner. Je dis que cette raison n’est qu’apparente ; car on persuaderoit par là qu’excusez moy. Je vous prie de m’excuser, seroient aussi de mauvaises phrases : afin qu’excusez-moy fust bon (peut-on dire) il faudroit de mesme que celuy à qui je le dis pust répondre raisonnablement : je vous excuse ; or cela ne se peut, puis que ce n’est pas à luy de m’excuser, mais à moy : de mesme que ce n’est pas à luy de me donner excuse, mais à moy de la luy donner. Ce qu’il y a donc à remarquer là-dessus, est qu’il n’est point vray que celuy à qui je dis, je vous demande excuse, ne puisse pas répondre raisonnablement, je vous accorde l’excuse que vous me demandez ; car s’il peut dire, je vous excuse, sans choquer la raison par cette phrase, pourquoy ne pourra-t’il pas dire aussi je vous accorde l’excuse que vous me demandez ? toute la différence de ces réponses n’est donc que dans l’usage qui favorise l’une, & qui rejette l’autre, quoy qu’elles soient toutes deux aussi raisonnables ; en effét quand je dis je vous demande excuse, c’est comme si je disois : je vous prie d’avoir la bonté par l’interprétation favorable que vous donnerez à mes paroles, de me trouver une excuse qui me puisse justifier auprés de vous : d’ailleurs qu’est-ce qu’excuser, si ce n’est donner excuse ? & pourquoy ne dira-t’on pas bien, il y a des gens qui interpretent tout en bien, & qui donnent plus volontiers leurs excuses aux fautes d’autruy, qu’aux leurs propres. Si donc on peut donner des excuses aux fautes d’autruy, pourquoy ceux qui ont manqué, ne les pourront-ils pas demander ? & pourquoy ne pourray-je pas dire, je vous prie M. de me traiter toûjours avec vostre bonté ordinaire, & de ne pas me refuser de ces excuses charitables que vous accordez si obligeamment aux fautes d’autruy ; C’est donc une fausse raison pour condamner la phrase de je vous demande excuse, que de dire que l’excuse ne se demande pas, mais se donne par celuy qui veut estre excusé.

On peut voir cependant par ces exemples que demander excuse a quelque chose de moins fort, que demander pardon, car quand on demande excuse, on demande de n’estre pas regardé comme coupable ; au lieu que demander pardon, c’est en avoüant qu’on est coupable demander qu’on ne soit pas traité comme la faute le merite, ce qui est beaucoup plus fort : Ainsi quoy que la phrase de demander excuse ne soit pas du bel usage en terme d’honnesteté, & qu’il soit plus civil de demander pardon, il y a des occasions où les circonstances n’estant pas de mesme, on peut se servir de demander excuse ; comme lors qu’on a à ménager l’honneur & le rang des personnes dans les termes de réparations d’injures & de quelque accommodement, car alors demander pardon qui est un terme d’honnesteté, devient un terme humiliant ; au lieu que demander excuse, n’ayant pas un sens si fort, semble satisfaire au devoir de la réparation, sans interesser l’honneur de celuy qui la fait : Et cette expression dans une telle occasion n’est nullement à reprendre.


Demi, demie.

Demi estant devant le nom est indeclinable, demi-heure : mais estant aprés, il est déclinable Une heure & demie.


Ni raison, ni demi.

Cette façon de parler est d’usage dans le discours familier, & on dit tous les jours, il n’y a ni raison, ni demi dans tout ce qu’il dit. Et l’Auteur qui a traduit les trois premiéres Comédies de Térence se sert dans sa traduction de cette maniére de parler, je n’y ay veu ni boutique ni demi.


Demipélagien, sémipélagien.

Plusieurs aiment mieux dire demipélagien, comme plus conforme à nostre Langue. Et c’est comme parle le Traducteur des Lettres de Saint Augustin. Mais l’usage ne favorise guéres ce mot, on dit néanmoins demi-Arrien. Tous les autres conciliabules qui furent tenus par les Arriens ou demi Arriens firent un grand mal à l’Eglise[8].


Demonstration d’amitié.

Cette maniere de parler est du bel usage. Ceux qui craignent l’apparence de l’affectation, aiment mieux témoignage d’amitié ; mais les personnes un peu galantes dans leur stile preferent demonstration d’amitié ; c’est ce qui a fait dire à l’Auteur des nouveaux Dialogues d’Eudoxe & de Philante, il craignoit de donner de vaines espérances sur des démonstrations d’amitié, qui parmi les Grands d’ordinaire ne signifient rien.


Démordre.

Quelques-uns prétendent que ce verbe ne se dit qu’au figuré, quand il a pris un dessein, il n’en démord point. Mais ils se trompent, on dit fort bien le lezard est un animal qui ne démord point, il laisse plustost ses dents que de démordre.


Dépiquer, pour consoler.

Ce verbe se met quelquefois au lieu de consoler ; & M. de Voiture s’en est servy en ce sens, quand écrivant à M. de Lyonne, il dit, si j’ay esté si heureux que de trouver quelque place dans vostre amitié, ce gain là me dépique de toutes mes pertes.


Depuis devant un infinitif.

Depuis ne se doit point mettre devant un infinitif ; & le Traducteur des Lettres de Saint Augustin, n’a point parlé correctement d’avoir dit : apres le Baptesme, la Penitence est utile pour effacer les pechez qu’on a commis depuis l’avoir receu. Mais comme ces deux, apres, dans une même phrase sont vicieux, il falloit dire, apres le Baptesme la Pénitence est utile pour effacer les pechez qu’on a commis depuis qu’on l’a receuë.


Déprendre.

M. l’Abbé Danet a écrit dans un certain Dictionnaire François Latin, que ce terme avoit vieilly dans nostre Langue, mais il s’est trompé ; & ceux qui sçavent ce que c’est que de bien parler ne reprendront jamais le Traducteur des Lettres de Saint Augustin d’avoir dit ; « prenez garde qu’il ne vous arrive de demeurer attaché au mal, comme si vous estiez assuré que la grace viendra tout d’un coup en déprendre vostre volonté pour la porter au bien. Jesus-Christ nous a dépris & détachez du commerce des choses de la terre ». Ce mot a quelque chose d’agréable, & je crois qu’on peut dire aujourd’huy, avec la mesme grace que l’a dit autrefois M. de Balzac, les mélancholiques ne se déprennent pas si aisément de leurs passions[9].


Desapropriation.

Ce mot a quelque chose de fort & d’élegant. Exemple, « Dieu ne demande pas de nous un renoncement qui soit egal ; il y en a qu’il éleve à une condition plus parfaite, qu’il distingue & qu’il engage par une desapropriation exterieure des biens, des honneurs, des plaisirs, &c. » Eclaircis. sur la vie Monast. c. 5.


Désavant.

Désavant a quelquefois plus de force que avant ; « vous voulez que je prie pour vous ; je le faisois desavant, que vous me l’eussiez demandé[10] ». « Ils ont bien veu que l’acte de nullité qu’on avoit fait de cette censure, désavant qu’elle fut concluë, seroit un mauvais préambule pour la faire recevoir[11]. »


Désasseurer.

C’est un vieux mot qu’il seroit à souhaiter qu’on fist revivre ; car outre qu’il exprime bien, il paroist nécessaire : nous n’avons point de terme qui signifie, rendre un homme incertain d’asseuré qu’il est, le mettre dans le doute touchant une chose dont il ne doute pas ; & c’est ce qu’exprime le verbe désasseurer, comme : il croit cela fermement, mais il l’en faut desasseurer. J’ay eu beaucoup de peine à le desasseurer de ce qu’on luy a dit. Il y a des gens qu’on ne sçauroit desasseurer de rien. Il faut sçavoir se desasseurer des choses qu’on a crû trop légérement. Desabuser & dissuader, ont une signification plus étenduë ; quand on dit, je l’ay desabusé de cela, je l’en ay dissuadé : c’est comme si l’on disoit, j’ay fait qu’il ne le croit plus ; Or il y a des occasions où il ne s’agit pas toûjours d’ôter tout-à-fait aux gens la croyance qu’ils ont, mais où l’on se propose seulement de leur ôter la certitude où ils sont, pour les faire douter de ce dont ils ne doutoient point ; c’est ce que le mot de desasseurer exprime tout-à-fait bien.


Desenchanter.

Ce mot a quelque chose d’agreable ; & M. de Balzac, ce me semble, s’en est servy assez à propos quand il a dit, on l’a asseuré qu’il avoit guéri un grand nombre de malades, qu’il avoit desenchanté la Cour, & desabusé les Provinces. Lettr. de Balzac.


Descrire.

Plusieurs personnes pour dire copier, transcrire, disent décrire ; mais c’est un terme qui n’est point François en ce sens : décrire, signifie faire la peinture, & la description d’une chose, comme : je vais vous décrire la situation de cette ville, les mœurs de ses habitans. Il signifie aussi tracer, soit sur le sable, sur le papier, sur la toile, &c, décrire un cercle, décrire une ligne, &c.


Desesperer une chose, ou d’une chose.

On dit, desesperer de quelque chose, desesperer de son salut, & non, desesperer quelque chose, desesperer son salut. Ce verbe ne regissant l’accusatif que lors qu’il signifie causer du desespoir, comme : desesperer quelqu’un, le jetter dans le desespoir. ainsi je ne sçay si le Pere Bouhours a esté assez correct quand il a dit, il les assura que malgré tous les obstacles qui faisoient desesperer leur reception en France, la Compagnie s’y establiroit[12]. Ne falloit-il point, qui faisoient desesperer de leur reception ?


Desireux.

Desireux n’est pas du bel usage, quoyque quelques personnes s’en servent dans les Livres de dévotion. Desireux de son salut, & je ne crois pas que le Traducteur des Lettres de S. Augustin ait parlé fort poliment, quand il a dit : C’estoit une jeune personne fort desireuse d’apprendre.


Desolateur.

Ce mot paroist beau, mais un peu hardy. M. Sarrasin s’en sert avec beaucoup de grace. « Tyridate tombe de cette felicité que l’injustice de sa fortune luy avoit donnée, il se réconnoit ennemy, & persecuteur de son beau-pere, desolateur de tout son Royaume, mari perfide, &c[13]. »


Detailler,
Faire le détail de quelque chose.

Le Traducteur des Lettres de Saint Augustin dit, il seroit inutile de vous détailler tout le reste. Il faudroit trop de discours pour vous détailler tout le reste : Ce mot est bon dans les Lettres, les conversations, & les discours familiers.


Detail, details.

On se trompe de croire, comme font quelques personnes, que ce mot n’ait point de plurier, aussi M. Racine n’a pas fait de scrupule de dire dans son remerciment à Mrs Corneille, & de Bergeret, vous n’avez point à craindre tous ces longs détails de chicannes ennuyeuses qui séchent l’esprit de l’Ecrivain.


Detracter, medire.

Détraction, détracteur, se disent encore ; mais détracter, commence à se passer.


Dexterité.

Dextérité est du bel usage, & M. Racine s’en sert avec beaucoup de politesse. Comment, dit-il, s’est fait ce changement, est-ce par la dextérité de nos Ministres dans les Pays Etrangers[14] ? Et M. Mascaron : On ne pouvoit assez loüer son incroyable dextérité à traiter les affaires les plus délicates[15]. Saint Evremont, dont la diction est si pure & si élégante dit encore : En condamnant Tacite de ses Réflexions guindées : « le crime trouve moins d’aversion dans les esprits, lors qu’on met tant d’adresse & de dexterité à le conduire ». Observ. sur Sallute & Tacite.


Dextrement.

C’est un mot qui a un peu vieilly, & je ne crois pas qu’on doive s’en servir ; quoyque M. d’Ablancourt dise dans les Apophtégmes des anciens. « Un Peintre ayant peint si bien un raisin que les oyseaux le venoient béqueter, son camarade s’avisa de peindre un rideau si dextrement, que l’autre ordonna de le tirer pour voir ce qu’il cachoit. »


Devotion.
Estre à la devotion de quelqu’un.

Cette façon de parler est en usage. Ils arresterent qu’on se saisiroit du Roy, par le moyen des Bactriens qui estoient à leur devotion. Vaug. Quint. C.


Dévoyé, égaré.

Autrefois on disoit les devoyez, nos freres devoyez, en parlant des Héretiques ; & le Pere Cotton n’a-t’il pas dit dans une Epistre au Roy, en parlant de sa Compagnie : « Le restablissement des Peres Jesuites vous a redoublé la bienveillance des bons, l’estime des Nations Etrangeres, & vous a acquis le cœur & le corps d’un Ordre Religieux qui semble avoir esté suscité par la providence Divine en ces derniers temps pour la conversion des Infidelles, pour la réduction des devoyez, pour l’instruction des Catholiques, pour le secours de l’Eglise, & pour vôtre particulier service. » Mais il n’y a plus aujourd’huy que les bonnes gens qui parlent ce langage. Dévoyé est un vieux mot au lieu duquel il faut dire, égaré.


Dieumercy.

Ce terme n’est que du discours familier, & se dit quelquefois avec assez de grace, personne Dieumercy ne prend interest à l’universel à parte rei, à l’estre de raison, ny aux secondes intentions[16].


Je dise, die.

Il faut que je vous die, il faut que je vous dise ; Je die paroist à quelques-uns plus soûtenu pour un discours public ; « Vous sçavez de qui je parle, Messieurs, vous sçavez le détail de ce qu’il fit sans que je le die[17]. » Mais néanmoins je dise est plus usité. Il faut remarquer cependant que die & dise sont également bons dans la Poësie, à cause de la sertitude de la rime ; & il n’y a personne qui puisse trouver à redire à ces plaisans Vers.

Colas est mort de maladie,
Tu veux que j’en pleure le sort,
Que Diable veux tu que j’en die,
Colas vivoit, Colas est mort.


Diriger, directeur.

Diriger ne se dit d’ordinaire qu’en terme de direction spirituelle, non plus que Directeur ; pour ce qui est de direction, il n’est pas uniquement attaché au spirituel, car on dit fort bien, je vous laisse la direction de mes affaires.


Diseteux, pauvre.

L’Abbé Furetiere s’est servy de ce mot dans son premier Factum, ils travaillent à rendre la langue pauvre & diseteuse. Mais cependant diseteux n’est pas un mot qui soit fort d’usage, & je ne le crois pas encore assez estably pour pouvoir s’en servir sur l’autorité de M. Furetiere.


Distribution.

Ce mot a deux sens, il signifie quelquefois le partage qu’on fait d’une chose à plusieurs personnes, comme : la distribution du bled, la distribution du vin, &c. Il signifie outre cela une figure de Rhétorique, laquelle partage & distribuë par ordre de distinction les principales qualitez d’un sujét. Cette figure orne beaucoup le discours ; & l’exemple fera mieux entendre ce que c’est.

« Ils jugerent bien qu’il se faudroit conduire sagement avec un tel maistre, qui avoit tout ensemble la lumiere pour voir leurs fautes, la justice pour les reprendre, & l’autorité pour les punir[18]. »

« Les richesses sont de grands obstacles au salut ; il est bien difficile de les acquerir sans injustice, de les posseder sans orgueil, d’en user sans dissolution. » Il est facile de voir par ces deux exemples que cette figure est d’un grand ornement, mais il faut éviter l’affectation.

Il y a une autre maniere de distribution où l’on joint le qui rélatif, laquelle n’a pas moins de grace que la premiére ; en voicy un exemple de M. Fléchier dans son Oraison Funébre pour M. le Chancelier. « Lors que le feu de la rébellion s’alluma dans la Capitale d’une Province, & qu’un illustre Chancelier alloit ou l’arrester par l’autorité des Loix, ou la punir par la puissance des armes ; M. le Tellier fut choisi pour l’assister de ses conseils, & pour chercher avec luy ces difficiles temperamens de menace qui étonne, de rémontrance qui corrige, de douceur qui appaise, de severité qui chastie. »

Ces sortes d’expressions donnent un grand éclat à un discours, mais elles veulent estre touchées délicatement : il ne faut pas quand on s’en sert, qu’il paroisse qu’on cherche à plaire.


Dissoudre.

Ce verbe est difficile dans la formation de ses temps ; on ne sçait bien souvent s’il faut dire, les vapeurs se dissoudent, ou se dissolvent, pour moy je crois qu’on doit dire dissoudent, les vapeurs se dissoudent en pluye : Et ce qui fait bien voir que c’est la véritable prononciation, c’est qu’on ne dira pas que la vapeur est dissoluë. D’ailleurs tous nos bons Auteurs disent dissout, & non dissolu : Et entr’autres M. d’Ablancourt qui dans la traduction de Minutius Felix dit, qu’est-ce que les animaux, qu’un mélange d’élemens qui se dissoudent apres ? Il en est de mesme du verbe résoudre. Quand il signifie la dissolution d’une chose, on dit résout. Les vapeurs forment des nuages qui se résoudent à la fin en pluye[19].


Dits, mots, sentences.

Autrefois on disoit des dits, de beaux dits, pour de belles paroles, de belles sentences. Des dits spirituels ; des dits agreables ; mais je ne sçay si aujourd’huy on pourroit se servir de ce mot. Un Auteur cependant fort poly & fort élégant, dit dans le jugement qu’il fait de Sénéque. « Il ne nous reste rien qu’on puisse dire seulement estre d’Alexandre, que certains dits spirituels d’un tour admirable, qui nous laissent une impression égale de la grandeur de son ame, & de la vivacité de son esprit. » S. Evremont.


Divertir, detourner.

Ce verbe est d’usage en ce sens, il n’y a rien qui divertisse tant l’esprit de l’estude. Il est si fort attaché à cela, qu’on ne l’en sçauroit divertir. Divertir signifie quelquefois enlever, comme : divertir l’argent du public.


Docte, docteur.

Estre Docte, c’est estre véritablement sçavant & habile ; estre Docteur, c’est non seulement estre habile homme, mais avoir donné certaines preuves de sa science, par lesquelles on ait obtenu ce titre. Il faut néanmoins avoüer que depuis quelques années on a mis une autre différence entre ces deux mots, & qu’aujourd’huy le mot de Docteur est fort au dessous de celuy de docte ; ce qui est venu de ce que dans un grand nombre d’habiles gens qui avoient ce degré, quelques-uns ne soûtenant pas leur nom par leur science, se sont trouvez Docteurs sans estre Doctes : & cela a suffit pour ravaler un titre si beau ; car c’est un vice qu’on ne guérira jamais, de juger du particulier au gênéral dans les choses desavantageuses. Delà sont venuës ces railleries si injustes, mais si ordinaires ; Ce n’est qu’un Docteur, il ne prêche pas mal pour un Docteur ; quoy qu’il soit Docteur, il est habile homme. C’est ce qui donna lieu à la raillerie que l’on fit il y a quelques années du Docteur M*** lors qu’aprés l’avoir cité dans un Livre, en l’appelant le Docte M*** on eut soin de mettre dans l’errata : lisez Docteur.


Dont, d’où.

La maison dont il est sorty, d’où il est sorty ; s’il s’agit de l’extraction, il faut dire la maison dont il est sorty. Mais si j’entens seulement qu’un homme vient de sortir d’une maison où il estoit entré, alors il faudra dire, la maison d’où il est sorty.


Doute.

Doute est masculin, quoy qu’autrefois il fust féminin. « Il renonça à l’Empire, à l’honneur & à la vie, pour ne pouvoir plus supporter la doute, & l’incertitude de l’avenir », dit M. de Balzac dans son Prince. Et M. de Voiture : « si j’avois la moindre doute d’avoir failly, je n’aurois pas ces bons intervales dont je joüis quelquefois[20]. » Mais l’usage présent de ce mot est contraire à ces autoritez, & le fait masculin.


Douteusement.

Ce terme est au goust de plusieurs personnes tres-délicates dans la Langue, & entr’autres de Mademoiselle de Scudery qui s’en sert souvent, on sçait cela si douteusement que j’aime presque autant n’en rien sçavoir[21].

« A quoy sert donc la raison humaine & le sçavoir, à faire connoistre qu’on sçait tout ce qu’on sçait fort douteusement. »


Le Drave, la Drave,
le Save, la Save.

Plusieurs personnes disent la Drave, la Save. M. Fléchier dit toûjours, le Drave, le Save dans l’Histoire de Théodose ; c’est ce qui a porté le Traducteur du Panégyrique du mesme Theodose à le dire aussi. Témoin la Ville de Siscia, témoin ce fameux Combat qui se donna aupres du Save. Et dans la Préface de la Traduction : Il vint camper vers Petovium petite Ville sur le Drave.


Droiture.

Droiture ne se dit point au sens naturel ; on ne dit pas d’un bâton bien droit, qu’il a de la droiture ; mais on dira bien d’un homme qui aura de l’équité & de la prudence, que c’est un homme d’une grande droiture.


Du depuis, depuis.

Du depuis ne se dit plus. M. l’Abbé de la Chambre a dit néanmoins : Satan s’est servy du depuis de la beauté, des délices, & de la curiosité pour perdre les hommes[22]. Mais il n’est pas à suivre en cela ; D’ailleurs on voit bien par les ouvrages de cét Auteur, qu’il ne se met pas beaucoup en peine des mots, & qu’il s’attache plus aux choses qu’aux paroles.


  1. Histoire de Theodose.
  2. Réflexion sur la Poëtique.
  3. Traduction de Quinte-Curse.
  4. p. 125.
  5. Pratique de l’éducation des Princes.
  6. Lettres de S. Augustin.
  7. d’Ablancourt. Apophtegm. des Anciens.
  8. Mémoire sur la Religion.
  9. Lettres de Balzac liv. 18. lett. 7.
  10. Lettres de S. Augustin.
  11. Lettres de Paschal.
  12. Vie de S. Ignace.
  13. Discours sur la Tragedie.
  14. Remerciment à M. Corneille.
  15. Oraison Funébre de M. la Duchesse d’Orleans.
  16. Art de penser, premier discours.
  17. M. Flechier, Oraison Funébre de M. de Turenne.
  18. Vie de Dom Barth. des Martyrs.
  19. Tradu. de Minut. Felix.
  20. Lettre à Mademoiselle de Ramboüillet.
  21. Conversation de l’envie.
  22. Panegyr. de Saint Charles Borromée