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Réflexions sur les pouvoirs et instructions à donner par les provinces à leurs députés aux États généraux

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Œuvres de Condorcet
Didot (Tome 9p. 261-267).

RÉFLEXIONS


SUR LES POUVOIRS


ET


INSTRUCTIONS


À DONNER PAR LES PROVINCES À LEURS DÉPUTES AUX ÉTATS GÉNÉRAUX


1789.

RÉFLEXIONS
SUR LES POUVOIRS
ET
INSTRUCTIONS
À DONNER PAR LES PROVINCES A LEURS DÉPUTES AUX ÉTATS GÉNÉRAUX.

Deux ministres ambitieux ont tenté d’établir leur puissance sur les ruines de la liberté française ; la force et la perfidie servaient tour à tour leurs coupables desseins.

Au même instant où ils prescrivaient aux troupes de marcher contre leurs concitoyens, ils promettaient la convocation prochaine des états généraux ; des subtilités de toute espèce étaient mises en usage pour éloigner l’époque de cette réunion ; on feignait de consulter les assemblées provinciales, de demander à la nation son vœu, lorsque le plus affreux despotisme la réduisait au silence.

Tandis qu’on proscrivait, avec une rigueur inouïe, les réclamations des corps ou des provinces, des écrivains stipendiés soulevaient la classe la plus indigente de la société contre ses défenseurs, multipliaient des questions interminables sur la forme, la composition, la compétence des états ; l’espoir de ces hommes artificieux était de régner par le trouble ; mais le patriotisme du militaire a trompé leur attente : de braves gentilshommes, dont le nom sera cher à la postérité, ont donné l’exemple mémorable de jeter leurs armes, plutôt que de répandre le sang de leurs frères.

Alors tous les yeux se sont ouverts, partout l’obéissance a été raisonnée, partout l’honneur a prescrit une résistance passive ; et les cris de la nation ont nécessité la chute de ses tyrans éphémères.

Un ministre, appelé par la voix publique, leur a succédé : après de longs délais, la nation est enfin convoquée : puissent ses députés se réunir bientôt, et la France obtenir dans peu la constitution après laquelle elle soupire depuis si longtemps ! Elle y parviendra, sans doute, si un levain d’influence secrète du dernier ministère ne fait pas germer des principes de division, que ses agents ont répandus avec des intentions criminelles.

C’est de l’union de tous les citoyens, du patriotisme de tous les ordres et de toutes les provinces, que dépend aujourd’hui le salut de l’État.

Un nombre immense d’écrits incendiaires répandus par les anciens suppôts de l’autorité ministérielle soulève le tiers état contre la noblesse.

On cherche à persuader au clergé qu’aucune de ses propriétés ne sera respectée par les états généraux.

Loin de nous ces pertinences de discorde !

L’universalité des citoyens a été la victime du pouvoir arbitraire.

Si, au lieu de nous réunir pour repousser ces attaques, nous pensons que des prééminences, des différences de rang ou des fonctions doivent établir entre nous des intérêts opposés, bientôt la France, anéantie par les convulsions les plus funestes, ira briguer elle-même les fers du despotisme, comme un forcené qui court au suicide ; ou bien rejetant avec fureur, même l’autorité légitime, l’effort de tous les citoyens les uns contre les autres dissoudra toutes les parties de la monarchie, déchirera le pacte social, renversera les soutiens de la fortune et de la liberté publique, et réduira vingt-quatre millions d’hommes au désespoir d’errer sans chef, sans lois, sans sûreté, sans propriété certaine, au milieu des débris de noire constitution. Perspective effrayante, mais non exagérée des dissensions intestines !

Détournons nos regards de ces images funestes, et, dirigés par un esprit véritablement national, souvenons-nous que ce n’est point des prétentions respectives de trois ordres, mais des droits de tous les citoyens que nous allons nous occuper.

Apportons à l’assemblée de la nation le vœu unanime d’abandonner tous ceux de nos privilèges dont la jouissance sera reconnue incompatible avec le bien général.

Alors nous n’aurons à redouter ni les malheurs du despotisme, ni les horreurs de l’anarchie, et nous concourrons tous également à cet accord universel de toutes les parties qui doivent composer un grand ensemble.

La France restera une monarchie, paice que celle forme de gouvernement est la seule peut-être qui convienne à sa richesse, à sa population, à son étendue et au système politique de l’Europe.

Celte monarchie, au lieu d’être élective connue sous les premiers rois delà troisième race, demeurera héréditaire, ainsi que l’ont décidé nos ancêtres, pour éviter les troubles sans cesse renaissants dans les pays électifs.

Les lois redeviendront l’expression de l’intérêt général, elles seront le principe du pouvoir du prince, comme de l’obéissance du peuple ; et tous les membres de la société se trouveront réunis par un contrat, dans lequel chaque citoyen s’engagera envers le peuple, le peuple envers le prince, et le prince envers le peuple comme envers chaque citoyen, de maintenir l’observation des règles qui seront établies pour le bien et par la volonté de tous.

Tels sont les avantages incalculables qui résulteront de l’union entre tous les corps de l’État, et du retour aux premières lois constitutives de cette monarchie, lorsqu’elles seront exemptes de quelques taches de l’ignorance des siècles anciens, et de tous les vices des modernes.

C’est pour parvenir à ce but désiré par tous les bons citoyens, que plusieurs d’entre eux se sont permis d’indiquer, dans la forme la plus sommaire, les bases principales sur lesquelles ils croient que les états généraux doivent fixer leurs premiers regards.

Ils ont cherché à n’être point entraînés par les exagérations de quelques écrivains qui compromettraient la liberté, en la faisant dégénérer en licence ; l’amour de cette liberté maintenue par les lois, l’attachement aux formes de la monarchie, le respect pour la personne et pour la prérogative royale, et la haine du pouvoir arbitraire ; tels sont les motifs qui ont dicté cet écrit.

QUESTIONS SUR LA CONDUITE A TENIR DANS LES ÉTATS GÉNÉRAUX PAR LES REPRÉSENTANTS DES PROVINCES.

Si, à l’ouverture des états généraux, le gouvernement commence par former des demandes d’urgent, soit par emprunt, soit par impôt, quelle doit être la réponse des états ?

Refuser tout secours pécuniaire, à quelque titre que ce soit, avant que les droits de la nation soient reconnus et constatés.

Le besoin d’argent seul a forcé le gouvernement d’abord à promettre, puis à indiquer, enfin à convoquer les états généraux ; ce besoin peut seul encore nous en assurer la tenue ; lui seul peut faire qu’ils soient utiles, si nous savons profiter de notre situation.

L’expérience nous a prouvé que les ministres n’assemblent les états généraux que pour leur demander les sommes qu’ils n’ont plus le pouvoir de prendre ; qu’ils leur promettent d’accéder à leurs justes demandes, pour les engager à consentir les subsides, et que lorsqu’ils les ont obtenus, ils les congédient avec de vaines promesses de faire droit sur leurs réquisitions.

Bientôt les nouveaux impôts sont perçus ; les an