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Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations/Livre 4/5

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Traduction par Germain Garnier, Adolphe Blanqui.
Guillaumin (tome IIp. 101-149).


CHAPITRE V.

des primes.


Le parlement de la Grande-Bretagne reçoit de fréquentes pétitions tendant à obtenir des Primes à l’exportation, et ces primes s’accordent quelquefois au produit de certaines branches de l’industrie nationale.

Par ce moyen, dit-on, nos marchands et nos manufacturiers seront en état de vendre leurs marchandises, sur les marchés étrangers, à aussi bon ou à meilleur marché que leurs rivaux. Dès lors, il y en aura une plus grande quantité d’exportée et, par conséquent, la balance du commerce en sera d’autant plus en faveur de notre pays. Nous ne pouvons pas accorder à nos ouvriers un monopole sur le marché étranger, comme nous l’avons fait pour le nôtre. Nous ne pouvons pas forcer les étrangers à leur acheter leurs marchandises, comme nous y avons forcé nos concitoyens. Par conséquent, a-t-on dit, le meilleur expédient qui nous reste à employer, c’est de payer les étrangers pour les décider à acheter de nous. Telle est la manière dont le système mercantile se propose d’enrichir tout le pays et de nous remplir à tous les poches d’argent par le moyen de sa merveilleuse balance.

On convient, à la vérité, que les primes ne doivent s’accorder qu’à ces branches d’industrie qui ne sauraient se soutenir sans elles. Mais toute branche de commerce dans laquelle le marchand peut vendre ses marchandises à un prix qui lui remplace, avec le profit ordinaire, tout le capital employé à les préparer et à les mettre au marché, sera en état de se soutenir sans le secours d’une prime. Une telle branche de commerce se trouve évidemment au niveau de toutes les autres qui se soutiennent sans prime et, par conséquent, elle n’en a pas plus besoin qu’elles. Les seules branches de commerce qui aient besoin de gratification, ce sont celles où le marchand est obligé de vendre ses marchandises à un prix qui ne lui remplace pas son capital avec le profit ordinaire, ou bien de les vendre pour moins qu’il ne lui en coûte réellement pour les mettre au marché. La prime se donne en vue de compenser ce déficit, en vue d’encourager le marchand à continuer ou peut-être même à entreprendre un commerce dans lequel la dépense est censée plus forte que les retours, dont chaque opération absorbe une partie du capital qu’on y emploie ; un commerce, enfin de telle nature que, si tous les autres lui ressemblaient, il ne resterait bientôt plus de capital dans le pays.

Il est à observer que les industries qui se soutiennent à l’aide de primes sont les seules qui puissent se maintenir pendant un certain temps entre deux nations, avec cette circonstance que l’une d’elles soit constamment et régulièrement en perte, ou bien vende constamment ses marchandises pour moins qu’il ne lui en coûte réellement à les envoyer à ce marché ; car si la prime ne remboursait pas au marchand ce qu’il perdait sans cela sur le prix de ses marchandises, son intérêt l’obligerait bientôt à employer son capital d’une autre manière, et à chercher quelque autre industrie dans laquelle le prix de ses marchandises pût lui remplacer, avec le profit ordinaire, le capital employé à les mettre au marché. L’effet des primes, comme celui de tous les autres expédients imaginés par le système mercantile, ne peut donc être que de pousser par force l’industrie du pays dans un canal beaucoup moins avantageux que celui dans lequel elle serait entrée naturellement de son plein gré.

Un auteur habile et bien instruit, celui des Traités sur le commerce des blés, a fait voir clairement que, depuis le premier établissement de la prime sur l’exportation des blés, le prix du blé exporté, évalué à un prix assez modéré, a excédé celui du blé importé, évalué au plus haut, d’une somme beaucoup plus forte que le montant total des primes qui ont été payées pendant la même période de temps[1]. Il trouve, en raisonnant d’après les propres principes du système mercantile, que c’est une preuve évidente que ce commerce forcé est avantageux à la nation, la valeur de l’exportation excédant celle de l’importation d’une somme beaucoup plus forte que toute la dépense extraordinaire faite par l’État pour occasionner cette exportation. Il ne fait pas attention que cette dépense extraordinaire, c’est-à-dire la prime, est la moindre partie de la dépense que l’exportation du blé coûte réellement à la société. Il faut bien mettre aussi en ligne de compte le capital employé par le fermier pour faire croître ce blé. À moins que le prix du blé, quand il est vendu sur les marchés étrangers, en remplace non-seulement la prime, mais encore ce capital, en y joignant le profit ordinaire des capitaux, la société se trouvera en perte de toute la différence, ou bien la masse du capital national en sera d’autant diminuée. Mais c’est précisément parce qu’on suppose que le prix est insuffisant pour remplir cet objet, qu’on a jugé nécessaire d’accorder une prime.

Le prix moyen du blé, a-t-on dit, a baissé considérablement depuis l’établissement de la prime. Que le prix moyen du blé ait commencé à baisser quelque peu vers la fin du dernier siècle et ait toujours été en baissant pendant le cours des soixante-quatre premières années de celui-ci, c’est un fait que j’ai tâché d’établir[2]. Mais cet événement, en le supposant aussi vrai que je crois qu’il l’est, aura eu lieu malgré la prime, et il n’est pas possible qu’il en soit une conséquence.

Cet événement a eu lieu en France aussi bien qu’en Angleterre, quoique en France non-seulement il n’y ait pas eu de prime, mais que, même jusqu’en 1764, l’exportation eût été absolument prohibée. Cette baisse successive dans le prix moyen du blé ne doit donc vraisemblablement être attribuée, en dernier résultat, ni à l’un ni à l’autre de ces deux règlements opposés, mais à cette hausse graduelle et insensible de la valeur réelle de l’argent, qui s’est manifestée, pendant le cours de ce siècle, sur le marché général de l’Europe, ainsi que j’ai tâché de le démontrer dans le premier livre de cet ouvrage. Il paraît absolument impossible que la prime puisse jamais contribuer à faire baisser le prix des grains[3].

On a déjà observé que, dans les années d’abondance, la prime, en occasionnant une exportation extraordinaire, tient nécessairement le prix du blé, sur le marché intérieur, au-dessus du taux auquel il descendrait naturellement. C’était même là l’objet qu’on se proposait ouvertement par cette institution. Quoique la prime soit souvent suspendue pendant les années de cherté, cependant la grande exportation qu’elle occasionne dans les années d’abondance doit avoir souvent pour effet d’empêcher plus ou moins que l’abondance d’une année ne soulage la disette d’une autre.

Ainsi, dans les années de cherté, tout aussi bien que dans celles d’abondance, la prime tend de même nécessairement à faire monter le prix vénal du blé plus haut qu’il n’aurait été sans cela sur le marché intérieur.

Je pense bien qu’aucune personne raisonnable ne voudra contester que la prime doit nécessairement avoir cette tendance, l’état de la culture restant le même. Mais il y a beaucoup de gens qui pensent qu’elle tend à encourager la culture des grains, et cela de deux manières différentes : la première, en ouvrant au blé du fermier un marché plus étendu à l’étranger ; ce qui tend, selon eux, à augmenter la demande de blé et, par conséquent, la production de cette denrée ; et la seconde, en assurant au fermier un meil­leur prix que celui qu’il pourrait espérer sans cela, dans l’état actuel de la culture ; ce qui tend, à ce qu’ils supposent, à encourager cette culture. Suivant eux, ce double encou­ragement doit occasionner, dans une longue période d’années, un tel accrois­sement dans la production du blé, que son prix sur le marché intérieur en doit baisser plus que la prime ne pourra le hausser, dans l’état où se trouvera être parvenue la culture à la fin de cette période.

Je réponds à cette objection que, quelque extension que la prime puisse occasion­ner sur le marché étranger, dans une année quelconque, cette extension se fait tou­jours entièrement aux dépens du marché intérieur, attendu que chaque boisseau de blé que la prime fait exporter et qui ne l’aurait pas été sans elle, serait resté sur le marché intérieur, où il aurait augmenté d’autant la consommation et fait baisser le prix de la denrée. Il faut observer que la prime sur le blé, comme toute autre prime pour l’expor­tation, établit sur le peuple deux impôts différents : le premier est l’impôt auquel il faut qu’il contribue pour payer la prime, et le second est l’impôt qui résulte du renché­rissement de prix sur le marché intérieur, impôt qui, pour cette espèce parti­culière de marchandise, se paye par toute la masse du peuple, toute la masse étant nécessaire­ment acheteur de blé. Par conséquent, à l’égard de cette marchandise en particulier, le second impôt est de beaucoup le plus lourd des deux. Supposons en effet que, une année dans l’autre, la prime de 5 schellings à l’exportation du quarter de blé froment élève le prix de cette denrée, sur le marché intérieur, de 6 deniers seulement par bois­seau, ou de 4 schellings par quarter plus haut qu’il n’aurait été sans cela, vu l’état actuel de la récolte ; même dans cette supposition très-modérée, le corps entier du peuple, en outre de sa contribution à la dépense publique qu’entraîne le payement de 5 schellings de prime sur chaque quarter de froment exporté, doit encore payer un autre impôt de 4 schellings sur chaque quarter qu’il consomme lui-même. Or, selon l’auteur des Traités sur le commerce des blés, qui avait de bons renseignements, la proportion moyenne entre la quantité du blé exporté et celle du blé consommé au-dedans est seulement comme 1 est à 31. Par conséquent, par chaque 5 schellings que le peuple paye pour le premier de ces deux impôts, il faut qu’il contribue pour 6 livres 4 schellings au payement du second. Un impôt aussi lourd sur le premier besoin de la vie doit nécessairement, ou retrancher la subsistance même de l’ouvrier pauvre, ou occasionner quelque augmentation dans son salaire en argent, proportionnée à celle du prix en argent de sa subsistance[4]. En tant qu’il agit de la première manière, l’impôt doit diminuer, dans la classe des ouvriers pauvres, les moyens d’élever et de soigner leurs enfants, et il tend d’autant à réduire la population du pays. En tant qu’il agit de l’autre manière, il doit diminuer, dans la classe des maîtres qui font travailler les ouvriers pauvres, les moyens d’en employer un aussi grand nombre qu’ils l’auraient pu faire sans cela, et il tend à réduire d’autant l’industrie du pays. Par conséquent, l’exportation extraordinaire de blé occasionnée par la prime, non-seulement, dans chaque année en particulier, resserre le marché et la consommation intérieure de tout ce dont elle étend le marché et la consommation chez l’étranger, mais encore, par les entraves qu’elle oppose à la population et à l’industrie du pays, sa tendance, en dernier résultat, est de gêner et de comprimer l’extension graduelle du marché intérieur et, par ce moyen, de diminuer à la longue, bien loin de l’augmenter, la consommation totale et le débit de la denrée.

Cependant, on a encore imaginé que le renchérissement du prix du blé en argent, en rendant cette denrée d’un meilleur rapport pour le fermier, devait nécessairement en encourager la production.

Je réponds que cela pourrait arriver si l’effet de la gratification était de faire monter le prix réel du blé, ou de mettre le fermier en état d’entretenir, avec la même quantité de blé, un plus grand nombre d’ouvriers de la même manière que sont communément entretenus les autres ouvriers du voisinage, largement, médiocrement ou petitement. Mais il est évident que ni la prime, ni aucune autre institution humaine ne peut produire un pareil effet. Ce n’est pas sur le prix réel du blé, c’est seulement sur son prix nominal que porte tout l’effet de la prime ; et quoique l’impôt dont cette institution grève toute la masse du peuple soit très-onéreux pour ceux qui le payent, il n’est que d’un très-petit avantage pour ceux qui le reçoivent.

Le véritable effet de la prime est bien moins d’élever la valeur réelle du blé que de dégrader la valeur réelle de l’argent, et de faire en sorte qu’une même somme d’argent s’échange contre de moindres quantités, non-seulement de blé, mais encore de toute autre marchandise que le pays produit ; car le prix pécuniaire du blé règle celui de toutes les autres marchandises produites dans le pays[5].

Il détermine le prix en argent du travail, qui doit toujours nécessairement être tel qu’il mette l’ouvrier en état d’acheter une quantité de blé suffisante pour l’entretien de sa personne et de sa famille, selon que le maître qui le met en œuvre se trouve obligé, par l’état progressif, stationnaire ou décroissant de la société, de lui fournir cet entretien abondant, médiocre ou chétif[6].

Il détermine le prix en argent de toutes les autres parties du produit brut de la terre, lequel doit nécessairement, dans toutes les périodes d’avancement de la société, se proportionner avec le prix en argent du blé, quoique la proportion soit différente dans des périodes différentes. Il détermine, par exemple, le prix en argent du foin et du fourrage, de la viande de boucherie, des chevaux et de leur entretien, par conséquent, des charrois ou de la majeure partie des frais du commerce intérieur par terre[7].

En déterminant le prix en argent de toutes les autres parties du produit brut de la terre, il détermine celui des matières de toutes les manufactures. En déterminant le prix en argent du travail, il détermine celui de la main-d’œuvre et de toutes les applications de l’industrie ; et en déterminant l’un et l’autre de ces prix, il détermine le prix total de l’ouvrage manufacturé[8]. Il faut donc nécessairement que le prix en argent du travail et de toute autre chose qui est le produit de la terre ou du travail, monte ou baisse en proportion du prix en argent du blé.

Par conséquent, encore que la prime puisse avoir l’effet de mettre le fermier à même de vendre son blé 4 sch. le boisseau au lieu de 3 sch. 6 d., et de payer à son propriétaire une rente en argent proportionnée à cette hausse du prix en argent de sa récolte, néanmoins, si, par une suite de cette hausse du prix du blé, 4 sch. ne peuvent acheter plus de marchandises de toute autre espèce du produit du pays que n’en auraient acheté auparavant 3 sch. 6 d., un pareil changement n’aura pas le moins du monde amélioré le sort du fermier ni celui du propriétaire. Le fermier n’en sera pas pour cela en état de cultiver mieux, ni le propriétaire de vivre plus honorablement. Sur les marchandises qu’ils achèteront de l’étranger, ce renchérissement du prix du blé pourra leur donner quelque petit avantage ; sur celles achetées dans le pays, il ne leur en donnera absolument aucun. Or, c’est en marchandises du pays que se fait presque toute la dépense du fermier, et la très-majeure partie même de celle du propriétaire.

Une dégradation dans la valeur de l’argent, qui est l’effet de la fécondité des mines et qui se fait sentir également ou presque également dans la totalité, ou peu s’en faut, du monde commerçant, est de très-peu d’importance pour un pays en particulier. La hausse qui en résulte dans tous les prix en argent, ne rend pas plus riches ceux qui les reçoivent, mais du moins elle ne les rend pas plus pauvres. Un service en argenterie devient réellement à meilleur marché, mais toutes les autres choses restent exactement comme elles étaient auparavant, quant à leur valeur réelle.

Mais cette dégradation dans la valeur de l’argent, qui, étant le résultat ou de la situation particulière d’un pays, ou de ses institutions politiques, n’a lieu que pour ce pays seulement, entraîne des conséquences tout autres, et, bien loin qu’elle tende à rendre personne réellement plus riche, elle tend à rendre chacun réellement plus pauvre. La hausse du prix en argent de toutes les denrées et marchandises, qui, dans ce cas, est une circonstance particulière à ce pays, tend à y décourager plus ou moins toute espèce d’industrie au-dedans, et à mettre les nations étrangères à portée de fournir presque toutes les diverses sortes de marchandises pour moins d’argent que ne le pourraient faire les ouvriers du pays, et par là de les supplanter non-seulement sur les marchés étrangers, mais même sur leur propre marché intérieur.

Une circonstance qui est particulière à l’Espagne ou au Portugal, c’est d’être, comme propriétaires des mines, les distributeurs de l’or et de l’argent à toute l’Europe et, par conséquent, d’avoir ces métaux chez eux à un peu meilleur marché qu’en tout autre pays d’Europe. La différence cependant ne devrait être que du prix du fret et de l’assurance ; et, vu la haute valeur de ces métaux sous un petit volume, le fret n’est presque rien, et l’assurance pas plus chère que pour toute autre valeur égale. Ainsi, l’Espagne et le Portugal n’auraient que très-peu à souffrir de cette circonstance, si leurs institutions n’en aggravaient encore le désavantage.

L’Espagne, par ses taxes sur ces métaux, et le Portugal, par ses prohibitions sur leur exportation, ont surchargé cette exportation de tous les frais de la contrebande, et ont fait monter la valeur de l’or et de l’argent, dans les autres pays, au-dessus de ce qu’elle est chez eux, de toute la valeur de ces frais. Fermez un courant d’eau par une écluse ; celle-ci une fois remplie, il s’écoulera tout autant d’eau par-dessus les portes que s’il n’y avait point d’écluse. La prohibition d’exporter ne peut pas retenir en Espagne et en Portugal plus d’or et d’argent que ces deux pays ne sont en état d’en absorber, plus que ce que le produit de leurs terres et de leur travail leur permet d’en tenir employé en monnaie, en vaisselle, en dorures et en autres ornements d’or et d’argent. Quand ils ont atteint cette quantité, l’écluse est remplie, et tout ce que le courant apporte de plus par la suite doit s’écouler. Aussi, en dépit de toutes les entraves, l’exportation annuelle d’or et d’argent de l’Espagne et du Portugal est, d’après tous les rapports, à peu près équivalente à la totalité de ce qui s’y importe annuellement. Cependant, comme l’eau doit nécessairement avoir plus d’élévation en deçà qu’au-delà de l’écluse, de même la quantité d’or et d’argent que ces entraves retiennent en Espagne et en Portugal doit être plus grande, en proportion du produit annuel de leurs terres et de leur travail, qu’elle ne l’est dans les autres pays. Plus la digue sera forte et élevée, plus aussi il y aura de différence dans la hauteur de l’eau en deçà de la digue et au-delà. Plus les taxes seront fortes, plus les peines portées pour assurer la prohibition seront graves, plus la police qui veille à l’exécution de cette loi sera vigilante et rigoureuse, et plus aussi sera grande la différence entre la quantité relative d’or et d’argent par rapport au produit des terres et du travail en Espagne et en Portugal, et la quantité relative qu’en ont les autres pays. Aussi, dit-on que cette quantité relative y est extrêmement considérable, et qu’on y voit fréquemment de la vaisselle d’argent en profusion dans des maisons qui n’offrent d’ailleurs rien qui réponde ou qui soit assorti, suivant les usages de tous les autres pays, à ce genre de magnificence. Le bon marché de l’or et de l’argent, ou, ce qui est la même chose, la cherté de toutes les marchandises, qui est une suite nécessaire de cette surabondance des métaux précieux, décourage à la fois l’agriculture et les manufactures en Espagne et en Portugal, et met les nations étrangères à portée de fournir à ces pays beaucoup d’espèces de produits bruts et presque toutes les espèces de produits manufacturés, pour une quantité d’or et d’argent moindre que celle qu’ils dépenseraient pour les faire croître ou les fabriquer chez eux[9]. La taxe et la prohibition opèrent cet effet de deux manières : non-seulement elles abaissent extrêmement la valeur des métaux précieux en Espagne et en Portugal ; mais encore, en y retenant de force une certaine quantité de ces métaux, qui refluerait sans cela dans les autres pays, elles tiennent leur valeur, dans ces autres pays, à un taux un peu plus élevé qu’elle n’y serait sans cela, et leur donnent par là un double avantage dans leur commerce avec l’Espagne et le Portugal. Ouvrez les portes de l’écluse, et tout aussitôt il y aura moins d’eau au-dessus de ces portes ; il y en aura plus au-dessous, et le niveau s’établira bien vite entre ces deux parties du courant. Supprimez la taxe et la prohibition, alors la quantité d’or et d’argent diminuera considérablement en Espagne et en Portugal ; elle augmentera en même temps dans les autres pays, et alors la valeur de ces métaux, leur proportion avec le produit annuel des terres et du travail, prendront partout l’équilibre, ou à peu près. La perte que l’Espagne et le Portugal auraient à essuyer de cette exportation de leur or et de leur argent serait totalement nominale et purement imaginaire. La valeur nominale de leurs marchandises et du produit annuel de leurs terres et de leur travail viendrait à baisser ; elle serait exprimée et représentée par une moindre quantité d’argent qu’auparavant, mais leur valeur réelle serait toujours la même qu’auparavant ; elle suffirait pour entretenir, commander ou employer tout autant de travail qu’elle en employait. La valeur nominale de leurs marchandises venant à tomber, la valeur réelle de ce qui leur resterait de leur or et de leur argent s’en élèverait d’autant, et une moindre quantité de ces métaux remplirait, à l’égard du commerce et de la circulation, tous les services qui en exigeaient auparavant une plus grande quantité. L’or et l’argent qui iraient au-dehors n’iraient pas pour rien, mais rapporteraient, en retour, une valeur égale de marchandises d’une espèce ou d’une autre. Ces marchandises ne seraient pas non plus toutes en objets de luxe ou de pure dépense, destinés à être consommés par ces gens oisifs qui ne produisent rien en retour de leur consommation. Comme cette exportation extraordinaire d’or et d’argent ne saurait augmenter la richesse réelle ni le revenu réel de ces gens oisifs, elle ne saurait non plus apporter une grande augmentation dans leur consommation. Vraisemblablement la plus grande partie de ces marchandises, et pour sûr, au moins une partie, consisterait en matières, outils et vivres pour employer et faire subsister des gens laborieux qui reproduiraient avec profit la valeur entière de leur consommation. Une partie du capital improductif de la société se trouverait ainsi convertie en un capital actif, et on mettrait en activité une plus grande quantité d’industries qu’on n’en entretenait auparavant. Le produit annuel des terres et du travail de ces pays augmenterait sur-le-champ de quelque chose et, au bout de peu d’années, éprouverait vraisemblablement une grande augmentation, leur industrie se trouvant ainsi soulagée d’un des fardeaux les plus accablants sous lesquels elle ait à gémir actuellement[10].

La prime accordée à l’exportation du blé produit nécessairement un effet semblable à celui de cette politique absurde de l’Espagne et du Portugal. Quel que soit l’état actuel de la culture, la prime rend notre blé un peu plus cher sur le marché intérieur qu’il ne devrait l’être eu égard à cet état de culture, et elle le rend un peu meilleur marché sur les marchés étrangers ; et comme le prix moyen du blé en argent règle plus ou moins celui de toutes les autres marchandises, elle rabaisse considérablement la valeur de l’argent dans le premier de ces marchés, et tend à la faire monter un peu dans les autres. Elle met les étrangers, en particulier les Hollandais, à même non-seulement de consommer notre blé à meilleur marché qu’ils ne pourraient le faire sans elle, mais encore de le consommer quelquefois à meilleur marché que nous ne le consommons nous-mêmes dans les mêmes circonstances, comme nous en avons pour garant une excellente autorité, celle de sir Matthieu Decker. Elle empêche nos ouvriers de pouvoir livrer leurs produits pour une aussi petite quantité d’argent qu’ils eussent pu le faire sans cela, et elle met les Hollandais à même de livrer les leurs pour moins d’argent qu’ils n’eussent été en état de le faire. Elle tend à rendre les ouvrages de nos manufactures un peu plus chers sur l’un et l’autre marché, et à rendre les leurs moins chers qu’ils ne l’eussent été sans elle, et par conséquent elle tend doublement à donner à leur industrie de l’avantage sur la nôtre[11].

Comme la prime fait monter sur le marché intérieur, non pas le prix réel, mais simplement le prix nominal de notre blé ; comme elle augmente, non pas la quantité de travail qu’une certaine quantité de blé peut entretenir et mettre en activité, mais simplement la quantité d’argent que cette quantité de blé pourra obtenir en échange, elle décourage nos manufactures, sans rendre le moindre service réel à nos fermiers ni à nos propriétaires ruraux. Elle met bien, à la vérité, un peu plus d’argent dans la poche des uns et des autres, et ce ne serait peut-être pas chose facile à faire entendre à la majeure partie d’entre eux, que ce n’est pas là leur rendre un service très-réel. Mais cependant, si cet argent baisse dans sa valeur, s’il perd du côté de la quantité de travail, de vivres et d’autres marchandises nationales de toute espèce qu’il a la faculté d’acheter, autant qu’il augmente lui-même en quantité, alors le service ne sera guère que nominal et imaginaire.

Il n’y a peut-être dans l’État qu’une seule classe de gens pour qui la prime est ou serait réellement profitable. C’est celle des marchands de blé, de ceux qui exportent et importent les blés. Dans les années d’abondance, la prime a nécessairement occasion­né une plus forte exportation que celle qui aurait eu lieu sans cela ; et en empêchant que l’abondance d’une année ne servît à soulager la disette de l’autre, elle a occasion­né, dans les mauvaises années, une importation plus forte que celle qui eût été néces­saire sans cette institution. Dans les deux cas, la prime a donné plus d’occupa­tion aux marchands de blé, et dans les années de cherté, non-seulement elle les a mis dans le cas d’importer une plus grande quantité, mais encore de vendre à un meilleur prix et, par conséquent, avec de plus gros profits qu’ils n’eussent pu le faire si le pro­duit surabondant d’une année n’eût pas été plus ou moins détourné de venir suppléer au déficit d’une autre. Aussi est-ce dans cette classe de gens que j’ai remarqué la plus grande chaleur pour le renouvellement ou la continuation de la prime[12].

Il semble que nos propriétaires ruraux, en imposant à l’importation des blés étrangers de gros droits qui, dans les temps d’une abondance moyenne, équivalent à une prohibition, et en établissant la prime à l’exportation, aient pris exemple sur la conduite de nos manufacturiers. Par l’une de ces mesures, ils se sont assuré le monopole du marché intérieur, et par l’autre ils ont essayé d’empêcher que ce marché ne fût en aucun temps surchargé de la marchandise dont ils sont les vendeurs. Par l’une et par l’autre, ils ont cherché à faire hausser la valeur réelle de cette marchandise, de la même manière que nos manufacturiers, à l’aide de pareils moyens, avaient fait hausser la valeur réelle de plusieurs différentes sortes de marchandises manufacturées. Peut-être ils n’ont pas fait attention à la grande et essentielle différence établie par la nature entre le blé et presque toutes les autres sortes de marchandises. Lorsqu’au moyen d’un monopole sur le marché intérieur, ou d’une prime donnée à l’exportation, on met nos fabricants de toiles ou de laines à même de vendre leurs marchandises à un prix un peu meilleur que celui auquel ils les auraient données sans cela, on élève non-seulement le prix nominal, mais le prix réel de leurs marchandises. On les rend équivalentes à plus de travail et à plus de subsistances ; on augmente non-seulement le profit nominal de ces fabricants, mais leur profit réel, leur richesse et leur revenu réel ; on les met à même, ou de vivre plus à l’aise, ou d’employer plus de monde dans leur fabrique[13]. On encourage réellement ces manufactures, et on y pousse une plus grande quantité de l’industrie du pays que celle qui vraisemblablement s’y serait portée d’elle-même. Mais quand, à l’aide de mesures semblables, vous faites hausser le prix nominal du blé ou son prix en argent, vous n’élevez pas sa valeur réelle. Vous n’augmentez pas la richesse réelle, le revenu réel de nos fermiers et de nos propriétaires ruraux. Vous n’encouragez pas la production du blé, parce que vous ne les mettez pas à même de faire subsister plus de monde ou d’employer plus d’ouvriers à cette production. La nature des choses a imprimé au blé une valeur réelle, à laquelle ne peuvent rien changer les révolutions quelconques de son prix en argent. Il n’y a pas de monopole pour la vente au-dedans, pas de prime pour l’exportation, qui aient la puissance de faire hausser cette valeur. La concurrence la plus libre ne saurait non plus la faire baisser. Par tout le monde, en général, cette valeur est égale à la quantité de travail qu’elle peut faire subsister, et dans chaque lieu du monde en particulier elle est égale à la quantité de travail auquel elle peut fournir une subsistance aussi abondante, ou aussi médiocre, ou aussi chétive qu’il est d’usage de la fournir au travail dans cette localité particulière. La toile ni les lainages ne sont pas, parmi les marchandises, le régulateur universel qui mesure et qui détermine, en dernier résultat, la valeur réelle de toute autre marchandise ; c’est le blé qui est ce régulateur[14]. La valeur réelle de toute autre marchandise se règle et se mesure définitivement sur la proportion qui se trouve exister entre son prix moyen en argent et le prix moyen du blé en argent. Au milieu de ces variations, qui arrivent quelquefois d’un siècle à l’autre, dans le prix moyen du blé en argent, la valeur réelle du blé reste immuable ; c’est la valeur réelle de l’argent qui suit le cours de ces variations[15].

Les primes à l’exportation pour toute marchandise fabriquée chez nous peuvent être combattues, premièrement, par cette objection générale qu’on peut appliquer à tous les divers expédients du système mercantile, savoir, qu’elles poussent par force quelque partie de l’industrie nationale dans un canal moins avantageux que celui dans lequel elle se serait portée d’elle-même ; et secondement, par cette objection, particulière à la prime, qu’elle pousse par force cette portion d’industrie, non-seulement dans un canal qui est moins avantageux, mais même désavantageux pour le moment, puisqu’un commerce qui ne peut marcher qu’à l’aide d’une prime est nécessairement un commerce à perte. Mais la prime pour l’exportation du blé est susceptible encore d’une autre objection, c’est qu’elle ne peut augmenter en rien la production de la denrée dont elle s’est proposé d’encourager la culture. Ainsi, quand nos propriétaires ruraux demandèrent l’établissement de la prime, s’ils agirent à l’imitation de nos marchands et de nos manufacturiers, ils n’agirent pas cependant avec cette parfaite intelligence de leur propre intérêt qui dirige ordinairement la conduite de ces deux autres classes[16] ; ils grevèrent le revenu public d’une dépense énorme ; ils établirent un impôt très-onéreux sur la masse du peuple, mais ils ne parvinrent pas pour cela à augmenter, d’une manière tant soit peu sensible, la valeur réelle de leur marchandise : en rabaissant de quelque chose la valeur réelle de l’argent, ils découragèrent à un certain point l’industrie générale du pays et, au lieu d’avancer l’amélioration de leurs terres, qui dépend toujours nécessairement de l’état où se trouve l’industrie générale du pays, ils la retardèrent plus ou moins[17].

On pourrait penser que, pour encourager la production d’une marchandise quelconque, une prime accordée à la production aurait un effet plus direct qu’une prime accordée à l’exportation ; celle-là d’ailleurs n’établirait d’autre impôt sur le peuple que celui qu’il faudrait payer pour acquitter la dépense publique de la prime. Au lieu de faire monter le prix de la marchandise sur le marché intérieur, elle tendrait à le faire baisser et, par là, au lieu de grever le peuple d’un second impôt, elle pourrait au moins, en partie, offrir une sorte de dédommagement pour ce que lui aurait coûté le premier[18]. Cependant, ce genre de prime n’a été que très-rarement accordé ; les préjugés établis par la doctrine du système mercantile nous ont accoutumés à croire que la richesse nationale procède plus immédiatement de l’exportation que de la production ; celle-là, en conséquence a été bien plus favorisée, comme étant la source la plus immédiate de l’affluence de l’argent dans le pays. On a dit aussi que, d’après l’expérience, les primes sur la production avaient été reconnues plus sujettes à la fraude que celles à l’exportation. Je ne sais pas jusqu’à quel point cela peut être vrai ; ce qu’il y a de bien avéré, c’est que les primes à l’exportation ont donné lieu à une infinité de fraudes différentes. Mais les marchands et les manufacturiers, les grands inventeurs de tous ces expédients, ne trouveraient pas leur compte à ce que le marché intérieur vînt à être surchargé de l’espèce de marchandise dont ils font commerce, événement qui pourrait quelquefois être la suite d’une prime sur la production. Une prime à l’exportation, en les mettant à même de vendre au-dehors le superflu et de maintenir le prix du reste sur le marché intérieur, est un moyen efficace d’empêcher que cela n’arrive ; aussi, de tous les expédients du système mercantile, est-ce un de ceux qu’ils vantent le plus. J’ai vu les entrepreneurs de certaines manufactures convenir entre eux de donner de leur poche une prime à l’exportation d’une portion déterminée de la marchandise dont ils faisaient commerce ; l’expédient leur réussit si bien, qu’il fit plus que doubler le prix de leurs produits sur le marché intérieur, malgré une augmentation considérable dans la quantité fabriquée. Il faut que la prime à l’exportation du blé ait agi d’une manière prodigieusement différente, si elle a fait baisser le prix en argent de cette denrée[19].

Cependant, dans certaines occasions, on a accordé à la production quelque chose qui ressemblait à une prime. Les primes par tonneau[20], données à la pêche du hareng blanc[21] et à celle de la baleine, pourraient peut-être passer pour des primes de ce genre. On peut croire qu’elles tendent directement à rendre la marchandise moins chère sur le marché intérieur, qu’elle ne l’aurait été sans elles ; mais il faut convenir qu’à d’autres égards elles ont les mêmes effets que les primes à l’exportation ; elles font qu’une partie du capital du pays est employée à mettre au marché des marchandises dont le prix ne suffirait pas pour rendre ce qu’elles auraient coûté, plus les profits ordinaires des capitaux[22].

Mais si les primes par tonneau, accordées à ces pêches, ne contribuent pas à enrichir la nation, on pourrait penser peut-être qu’elles tendent à multiplier ses moyens de défense, en augmentant le nombre de ses vaisseaux et de ses matelots. On alléguera que ces sortes de primes atteignent ce but à beaucoup moins de frais que ne le ferait l’entretien, en temps de paix, d’une grande marine militaire toujours sur pied, si je puis me permettre cette expression, comme on fait à l’égard des troupes réglées de terre.

Néanmoins, malgré la faveur que méritent ces allégations, les considérations suivantes me disposent à croire qu’en accordant ces sortes de primes, il y en a une au moins sur laquelle la législature a été grandement induite en erreur.

Premièrement, la prime sur la pêche du hareng, faite par des buyses[23], paraît trop forte.

Depuis le commencement de la pêche de l’hiver de 1771 jusqu’à la fin de l’hiver de 1781, la prime sur la pêche du hareng, par buyses, s’est élevée à 30 sch. par tonneau ; pendant ces onze années, le nombre total des barils de harengs pêchés par les buyses écossaises faisant cette pêche a été à 378,347. Les harengs, tels qu’ils sont quand on les a pêchés et préparés[24] à la mer, se nomment bâtons de mer[25]. Pour en faire ce qu’on nomme des harengs marchands, il faut les regarnir avec une quantité additionnelle de sel en les encaquant une seconde fois, et dans ce cas on compte que trois barils de bâtons de mer font d’ordinaire deux barils de harengs marchands ; ainsi, d’après ce compte, le nombre de barils de harengs marchands pris pendant ces onze années, ne sera plus que de 252,231 1/2. À Pendant ces onze années, les primes par tonneau qui ont été payées pour cette pêche, se sont montées à 155,463 livres 11 sch., ou bien à 8 sch. 2 d. 1/2, par chaque baril de bâtons de mer, et à 12 sch. 3 d. 3/4 par chaque baril de harengs marchands.

Le sel avec lequel on prépare ces harengs est quelquefois du sel d’Écosse et quelquefois du sel étranger ; l’un et l’autre sont livrés aux saleurs du hareng, franc de tout droit d’accise ; ce droit sur le sel d’Écosse est à présent de 1 schelling 6 den. par boisseau, et celui sur le sel étranger de 10 schellings. On suppose qu’un baril de harengs emploie environ un boisseau et un quart de sel étranger, et qu’en sel d’Écosse, il en emploie environ deux boisseaux. Si les harengs sont entrés pour l’exportation, on ne paye aucune partie du droit ; s’ils sont entrés pour la consommation intérieure, qu’on ait employé du sel étranger ou du sel d’Écosse, on ne paye que 1 schelling par baril de harengs ; c’était l’ancien droit d’Écosse sur le boisseau de sel, quantité qu’on avait évaluée au plus bas comme la quantité du sel nécessaire pour la préparation d’un baril de harengs. En Écosse, on ne fait guère usage du sel étranger que pour les salaisons du poisson ; or, du 5 avril 1771 au 5 avril 1782, la quantité de sel étranger importée s’est élevée à 936,974 boisseaux, du poids de quatre-vingt-quatre livres chacun ; la quantité de sel d’Écosse livrée aux saleurs de poissons ne s’est pas élevée à plus de 168,226 boisseaux, du poids de cinquante-six livres seulement ; il semblerait donc que, dans les pêcheries, on fait principalement usage du sel étranger. Il y a, en outre, sur chaque baril de harengs exportés, une prime de 2 schellings 8 deniers ; et plus des deux tiers de harengs pris par les buyses sont pour l’exportation. Additionnez tout cela, et vous trouverez que, pendant ces onze années, chaque baril de harengs pêchés par les buyses et salés en sel d’Écosse, quand il a été exporté, a coûté au gouvernement 17 schellings Il deniers 3/4, et quand il est entré pour la consommation intérieure, lui a coûté 14 schellings 3 deniers 3/4 ; que, pour chaque baril salé avec du sel étranger, le gouvernement a payé, si le baril a été exporté, 1 livre 7 schellings 5 deniers 3/4, et s’il est entré pour la consommation intérieure, 1 livre 3 schellings 9 deniers 3/4 : or, le prix d’un baril de bons harengs marchands varie de 17 et 18 schellings à 24 et 25, environ une guinée le prix moyen[26].

Secondement, la prime pour la pêche du hareng étant une prime par tonneau, elle est proportionnée à la charge du bâtiment, et non pas à la promptitude ou au succès de la pêche ; et j’ai peur qu’il ne soit aussi arrivé souvent que des bâtiments aient mis en mer pour courir, non après le poisson, mais après la prime. En 1759, lorsque la prime était de 50 schellings par tonneau, toute la pêche des buyses d’Écosse n’a rapporté que quatre barils seulement de bâtons de mer ; cette année-là, chaque baril de bâtons de mer coûta au gouvernement, en primes seulement, 113 livres 15 schellings ; ce qui fit, pour chaque baril de harengs marchands, 159 livres 7 schellings 6 deniers.

Troisièmement, la méthode de pêcher, pour laquelle la prime par tonneau a été accordée à la pêche du hareng, c’est à-dire de pêcher par buyses (ou bâtiments pontés, de vingt à vingt-huit tonneaux de port), ne paraît pas aussi bien convenir à la situation de l’Écosse qu’elle convient à celle de la Hollande, dont on a emprunté, à ce qu’il paraît, cette pratique. La Hollande est située à une grande distance des mers où l’on sait que se trouve principalement le hareng et, par conséquent, elle ne peut établir cette pêche qu’à l’aide de bâtiments pontés qui puissent porter assez d’eau et de vivres pour un trajet à des parages assez éloignés. Mais les Hébrides ou îles de l’ouest, les îles de Shetland et les côtes du nord et nord-ouest de l’Écosse, pays dans le voisinage desquels se fait principalement la pêche du hareng, sont partout entrecoupées par des bras de mer qui s’enfoncent considérablement dans les terres, et que, dans le langage du pays, on nomme lacs de mer[27]. C’est dans ces lacs de mer que se rend principale­ment le hareng dans les temps de son passage dans ces mers ; car je crois que le passage de ce poisson, ainsi que de plusieurs autres espèces, n’est pas tout à fait cons­tant et régulier. Ainsi, la pêche par bateau paraît être la manière de pêcher la plus con­ve­nable à la situation particulière de l’Écosse, les pêcheurs portant alors les harengs sur le rivage aussitôt qu’ils sont pris, pour y être salés ou consommés frais. Mais le grand encouragement qu’une prime de 30 schellings par tonneau donne à la pêche par buyses, décourage nécessairement la pêche par bateau, qui, ne jouissant pas d’une pareille faveur, ne peut pas mettre au marché son poisson salé au même compte que le fait la pêche par les buyses. Aussi la pêche par bateau, qui, avant l’établissement de la prime sur la pêche par buyses, était très-considérable, et employait alors, dit-on, un nombre de gens de mer qui n’était pas inférieur à celui que la pêche par buyses emploie aujourd’hui, est à présent presque entièrement tombée. Je dois convenir cependant que je ne prétends pas pouvoir parler avec précision de l’ancienne étendue de cette pêche, aujourd’hui tombée et abandonnée ; comme on ne payait pas de prime sur les bateaux expédiés pour cette pêche, les officiers des douanes ou des droits sur le sel n’en ont tenu aucun état.

Quatrièmement, dans beaucoup d’endroits d’Écosse, pendant un certain temps de l’année, les harengs font une partie assez considérable de la nourriture des gens du peuple. Une prime qui tendrait à faire baisser leur prix sur le marché intérieur pourrait contribuer de beaucoup au soulagement d’un grand nombre de nos concitoyens les moins aisés. Mais la prime sur la pêche par les buyses ne tend pas à atteindre un but aussi utile ; elle a ruiné la pêche par bateau, qui est, sans comparaison, plus propre à fournir le marché intérieur ; et la prime additionnelle de 2 schellings 8 deniers par baril, lors de l’exportation, fait sortir la plus grande partie, plus des deux tiers, du produit de la pêche faite par les buyses. Il y a trente ou quarante ans, avant l’établissement de la prime donnée aux buyses, le prix ordinaire du baril de harengs, à ce qu’on m’a dit, était de 16 schellings. Il y a dix à quinze ans, avant que la pêche par bateau fût entièrement tombée, le prix était, dit-on, de 17 à 20 schellings le baril. Ces cinq dernières années, il a été, au prix moyen, à 25 schellings le baril ; cependant ce haut prix peut bien avoir été l’effet de la rareté qui s’est fait sentir dans le hareng, sur la côte d’Écosse. Je dois faire observer de plus que la caque ou baril qui se vend d’ordinaire avec les harengs, et dont le prix est compris dans tous les prix ci-dessus, est monté environ au double de son ancien prix, c’est-à-dire de 3 schellings à environ 6, depuis le commencement de la guerre d’Amérique. Je ferai observer aussi que les rapports que j’ai reçus des prix des anciens temps ne sont pas du tout uniformes ni d’accord entre eux, et un vieillard fort expérimenté et de la plus grande exactitude m’a assuré qu’il y a plus de cinquante ans, le prix ordinaire d’un baril de bons harengs marchands était d’une guinée, prix, qui, selon mon opinion, peut encore aujourd’hui être regardé comme le prix moyen. D’ailleurs, tous les rapports s’accordent, je crois, pour prouver que la prime donnée à la pêche du hareng par les buyses n’a pas fait baisser sur le marché intérieur le prix de cette denrée.

Quand on voit les entrepreneurs de pêcheries, après tant de primes qui leur ont été si libéralement accordées, continuer à vendre leur marchandise au même prix et même à un plus haut prix qu’ils n’avaient coutume de le faire auparavant, on devrait penser que leurs profits doivent être énormes, et il n’est pas sans vraisemblance que quelques particuliers n’en aient fait de tels. Cependant, en général, j’ai tout lieu de croire qu’il en a été tout autrement. L’effet ordinaire de pareilles gratifications est d’encourager des gens hasardeux et téméraires à s’aventurer dans des affaires auxquelles ils n’entendent rien, et ce qu’ils perdent par ignorance ou négligence fait plus que compenser ce que l’extrême libéralité du gouvernement peut leur faire gagner. En 1750, le même acte qui accorda le premier la prime de 30 schellings par tonneau pour l’encouragement de la pêche du hareng (celui de la vingt-troisième année de Georges II, ch. xxiv), érigea une compagnie par actions, avec un capital de 500,000 livres ; on accorda aux souscripteurs, outre tous les encouragements ci-dessus, c’est-à-dire la prime par tonneau dont nous parlons ici, celle de 2 schellings 8 deniers par baril à l’exportation, les livraisons de sel national et étranger franc de tous droits et, de plus encore, une prime de 3 livres par année, pendant un espace de quatorze ans, par chaque 100 livres de souscription versées dans les fonds de la société, laquelle annuité leur serait payée par moitié, de six en six mois, par le receveur général des douanes. Outre cette grande compagnie, dont le gouverneur et les directeurs devaient résider à Londres, il fut permis d’établir différentes chambres ou compagnies pour la pêche dans tous les différents ports de départ du royaume, pourvu que leurs souscriptions ne formassent pas au-dessous d’un capital de 10,000 livres pour chacune, qui serait régi à leurs risques et à leurs profits et pertes. La même annuité et les mêmes encouragements de toute espèce furent accordés au commerce de ces compagnies inférieures, comme à celui de la grande compagnie. La souscription de la grande compagnie fut bientôt remplie, et plusieurs différentes autres compagnies inférieures s’établirent dans les différents ports de départ du royaume. Malgré tous ces encouragements, presque toutes ces différentes compagnies, grandes ou petites, perdirent ou la totalité, ou la majeure partie de leurs capitaux ; à peine reste-t-il aujourd’hui quelque trace d’une seule d’entre elles, et maintenant la pêche du hareng est entièrement ou presque entièrement faite par des spéculateurs particuliers[28].

À la vérité, si quelque fabrique particulière était nécessaire à la défense nationale, il pourrait bien n’être pas très-sage de rester en tout temps dans la dépendance de ses voisins pour l’approvisionnement ; et si une fabrique de ce genre ne pouvait pas se soutenir chez nous sans protection, il serait assez raisonnable que toutes les autres branches d’industrie fussent imposées pour l’encourager. Peut-être pourrait-on justifier, d’après ce principe, les primes à l’exportation des voiles de marine et de la poudre de fabrique anglaise.

Mais quoiqu’il y ait très-peu de cas où il soit raisonnable de grever l’industrie générale pour encourager celle de quelque classe particulière de manufacturiers, cependant, dans l’ivresse d’une grande prospérité, quand l’État jouit d’un revenu si grand qu’il ne sait trop qu’en faire, de pareilles primes accordées à des genres de manufactures qui sont en faveur, sont des dépenses aussi excusables que toute autre dépense inutile à laquelle on pourrait se livrer. Dans les dépenses publiques, comme dans celles des particuliers, de grandes richesses peuvent quelquefois légitimer de grandes profusions. Mais assurément c’est quelque chose de plus qu’une folie ordinaire, que de continuer de pareilles dépenses dans des moments de détresse et d’embarras général.

Quelquefois ce qu’on nomme Prime n’est autre chose qu’une Restitution des droits et, par conséquent, n’est pas susceptible des mêmes objections que la prime proprement dite. Par exemple, la prime sur l’exportation du sucre raffiné peut être regardée comme une restitution des droits payés sur les sucres bruns ou moscouades avec lesquels il est fait. La prime à l’exportation des soieries est une sorte de restitution des droits payés à l’importation de la soie écrue, ou simplement filée ; celle sur l’exportation de la poudre, une restitution des droits payés à l’importation du soufre ou du salpêtre. Dans la langue des douanes, on n’appelle Restitution (drawback) que ce qui s’accorde à l’exportation des marchandises étant encore sous la même forme où elles ont été importées. On l’appelle Prime dès que la marchandise exportée a subi par la main-d’œuvre une modification qui lui a fait changer de dénomination.

Les prix que donne l’État à des artistes ou à des fabricants qui excellent dans leur profession ne sont pas susceptibles des mêmes objections que les primes.

En encourageant un talent ou une dextérité extraordinaire, ils servent à entretenir l’émulation des ouvriers alors employés dans ces mêmes genres d’occupation, et ils ne sont pas assez considérables pour détourner vers un de ces emplois une plus grande portion du capital du pays que celle qui y aurait été d’elle-même. Ils ne tendent pas à renverser l’équilibre naturel entre les divers emplois, mais à rendre aussi fini et aussi parfait que possible le travail qui se fait dans chacun d’eux. D’ailleurs, la dépense des Prix n’est qu’une bagatelle, celle des primes est énorme ; la seule Prime sur le blé a coûté quelquefois à l’État plus de 300,000 livres dans une seule année.

Quelquefois les Primes sont appelées Prix, tout comme les Drawbacks sont quelquefois appelés Primes. Mais il faut toujours s’attacher à la nature de la chose en elle-même, sans s’embarrasser des termes.


DIGRESSION
Sur le commerce des blés et sur les lois y relatives.[29]


Je ne puis terminer ce chapitre sur les primes, sans observer qu’il n’y a rien de moins mérité que les éloges qu’on a donnés à la loi qui établit la prime à l’exportation des blés, et à tout ce système de règlements qui s’y trouve lié. Pour démontrer la vérité de mon assertion, il ne faut que faire un examen particulier de la nature du commerce des blés et des principales lois anglaises relatives à ce commerce. La longueur de la digression sera bien justifiée par la grande importance du sujet.

Le commerce de marchand de blé se compose de quatre branches différentes, qui peuvent bien quelquefois être exercées par la même personne à la fois, mais qui n’en constituent pas moins, par leur nature, quatre commerces distincts et séparés. Ces branches sont :

1° Le commerce du marchand qui trafique sur le blé dans l’intérieur seulement ;

2° Celui du marchand qui importe du blé étranger pour la consommation du pays ;

3° Celui du marchand qui exporte à l’étranger le blé produit dans le pays ;

Et 4° celui du marchand voiturier ou du marchand qui importe du blé étranger, dans la vue de le réexporter ensuite.


§ 1. — Commerce intérieur.


L’intérêt du marchand qui commerce sur les blés dans l’intérieur, et l’intérêt de la masse du peuple, quelque opposés qu’ils puissent paraître au premier coup d’œil, sont pourtant précisément semblables, dans les années mêmes de la plus grande cherté.

L’intérêt de ce marchand est de faire monter le prix de son blé aussi haut que le peut exiger la disette réelle du moment, et ce ne peut jamais être son intérêt de le faire monter plus haut. En faisant monter le prix, il décourage la consommation[30] et met tout le monde, plus ou moins, mais particulièrement les classes inférieures du peuple, dans le cas d’épargner sur cet article et de vivre de privations. Si, en élevant ce prix trop haut, il décourage la consommation au point que la provision de l’année puisse dépasser la consommation de l’année et durer quelque temps après la rentrée de la récolte suivante, il court le risque, non-seulement de perdre une partie considérable de son blé, par des causes naturelles, mais encore de se voir obligé de vendre ce qui lui en reste, pour beaucoup moins qu’il aurait pu en retirer quelques mois auparavant. Si, en ne faisant pas monter le prix assez haut, il décourage si peu la consommation que la provision de l’année soit dans le cas de ne pouvoir atteindre à la consommation de l’année, non-seulement il perd une partie du profit qu’il eût pu faire, mais encore il expose le peuple à souffrir avant la fin de l’année, au lieu de simples rigueurs d’une cherté, les mortelles horreurs d’une famine. C’est l’intérêt du peuple, que sa consommation du mois, de la semaine, du jour, soit proportionnée aussi exactement que possible à la provision existante. Or, l’intérêt du marchand qui commerce sur le blé dans l’intérieur est absolument le même[31]. En mesurant au peuple sa provision dans cette proportion, aussi exactement qu’il lui est possible d’en juger, il se met dans le cas de vendre tout son blé au plus haut prix et avec le plus gros profit qu’il puisse faire ; et la connaissance qu’il a de l’état de la récolte, ainsi que du montant de ses ventes du mois, de la semaine, du jour, le met à portée de juger, avec plus ou moins de précision, si réellement le peuple se trouve approvisionné dans cette proportion. Sans se régler sur l’intérêt du peuple, son intérêt personnel le porte nécessairement à traiter le peuple, même dans les années de disette, à peu près de la même manière qu’un prudent maître de vaisseau est quelquefois obligé de traiter son équipage. Quand ce maître prévoit que les vivres sont dans le cas de pouvoir manquer, il diminue la ration de son monde. Quand même il lui arriverait de le faire par excès de précaution et sans une nécessité réelle, encore tous les inconvénients qu’en pourrait souffrir l’équipage ne sont-ils rien en comparaison des dangers, de la misère et de la mort, auxquels une conduite moins prévoyante pourrait quelquefois les exposer. De même, quand on supposerait que, par excès de cupidité, le marchand de blé vînt à faire monter le prix de son blé plus haut que ne l’exige la disette de la saison, une telle conduite, qui garantit efficacement le peuple d’une famine pour la fin de l’année, ne peut causer à ce même peuple que des inconvénients peu considérables en comparai­son des dangers qu’il aurait eus à courir si, dans le commencement de l’année, le marchand eût agi à son égard d’une manière plus généreuse[32]. Le marchand de blé est celui que cet excès d’avarice expose à en souffrir le plus, non-seulement à cause de l’indignation générale qu’elle excite contre lui, mais encore, en supposant qu’il échappe aux suites de cette indignation, à cause de la quantité de blé que sa cupidité lui laisse nécessairement sur les bras à la fin de l’année, et qu’il se verra obligé, si l’année suivante est favorable, de vendre à un prix beaucoup plus bas que celui qu’il aurait pu en retirer sans cela.

S’il était possible, à la vérité, qu’une compagnie de marchands vînt à se rendre maîtresse de la totalité de la récolte d’une grande étendue de pays, alors il pourrait bien être de son intérêt de faire de cette récolte ce qu’on dit que les Hollandais font des épiceries des Moluques, c’est-à-dire d’en jeter ou d’en détruire une partie consi­dérable, pour tenir le reste à haut prix. Mais il est presque impossible, même quand on abuserait pour cela de la force des lois, de venir à bout d’établir à l’égard du blé un monopole aussi étendu ; et toutes les fois que la loi laisse le commerce libre, c’est, de toutes les marchandises, celle qui est le moins sujette à pouvoir être accaparée ou mise en monopole à l’aide de gros capitaux et par des achats faits à l’avance. non-seulement sa valeur excède de beau­coup ce que les capitaux de quelques particuliers seraient jamais en état d’acheter, mais même, en supposant ces capitaux assez forts pour cela, la manière dont cette marchandise est produite rend un pareil achat absolument impraticable. Comme dans tout pays civilisé c’est la marchandise dont la consommation annuelle est la plus forte, aussi y a-t-il annuellement une plus grande quantité d’industries employées à la produire, qu’il n’y en a à produire toute autre marchandise. De plus, au moment où le blé est séparé de la terre, il se divise nécessairement entre un plus grand nombre de propriétaires que toute autre marchandise, et ces propriétaires ne peuvent jamais être rassemblés dans un lieu comme le seraient un nombre de manufacturiers indépendants, mais ils sont nécessairement disséminés dans tous les différents coins du pays. Ces premiers propriétaires de blé, ou fournissent immédiatement les consommateurs de leur voisinage, ou fournissent d’autres vendeurs de blé dans l’intérieur, qui fournissent ces consommateurs. Par conséquent, les vendeurs de blé dans l’intérieur, y compris le fermier ainsi que le boulanger, sont nécessairement plus nombreux que les vendeurs de toute autre denrée, et la manière dont ils sont dispersés rend absolument chimérique toute possibilité d’une ligue générale entre eux. Ainsi, si, dans une année de disette, quelqu’un d’eux venait à s’apercevoir qu’il eût par-devers lui une plus grande quantité de blé qu’il ne pourrait espérer d’en débiter au prix courant avant la fin de l’année, il ne s’aviserait jamais de chercher à maintenir le prix élevé à son propre détriment et pour le bénéfice seul de ses rivaux et de ses concurrents ; mais, au contraire, il le ferait aussitôt baisser, pour pouvoir se défaire de tout son blé avant la rentrée de la nouvelle récolte. Les mêmes motifs, le même intérêt qui régleraient ainsi la conduite de ce vendeur, régleraient pareillement celle de tout autre, et les obligeraient tous, en général à vendre leur blé au prix qui, d’après le meilleur jugement qu’ils en pourraient porter, s’accorderait le mieux avec l’état de disette ou l’abondance de la saison.

Quiconque examinera avec attention l’histoire des chertés et des famines qui ont affligé quelques parties de l’Europe, pendant le cours de ce siècle ou des deux précédents, sur plusieurs desquelles nous avons des renseignements fort exacts, trouvera, je crois, qu’une cherté n’est jamais venue d’aucune ligue entre les vendeurs de blé de l’intérieur, ni d’aucune autre cause que d’une rareté réelle du blé[33] occasionnée peut-être quelquefois, et dans quelques lieux particuliers, par les ravages de la guerre, mais dans le plus grand nombre des cas, sans comparaison, par les mauvaises années ; tandis qu’une famine n’est jamais provenue d’autre cause que des mesures violentes du gouvernement et des moyens impropres employés par lui pour tâcher de remédier aux inconvénients de la cherté.

Dans un pays à blé d’une grande étendue, entre les différentes parties duquel il y a liberté de communication et de commerce, jamais la disette causée par les plus mauvaises années ne peut être assez grande pour amener une famine ; et la plus misérable récolte, ménagée avec économie et avec frugalité, fera subsister, pendant toute l’année, le même nombre de gens qui, dans les années d’abondance moyenne, sont nourris plus largement. Les années les plus contraires au blé, ce sont celles d’une excessive sécheresse, ou celles qui sont excessivement pluvieuses. Or, comme le blé croît également sur les terres basses et sur les terres élevées, sur des terres qui sont situées de manière à être trop humides et sur celles qui sont trop exposées à la sécheresse, il s’ensuit que les pluies ou les sécheresses qui sont contraires à certains cantons du pays sont favorables à d’autres, et que si, dans les années de pluie ou de sécheresse, la récolte se trouve, il est vrai, de beaucoup au-dessous de ce qu’elle est dans une année convenablement tempérée, cependant, même dans celles-là, ce qui est perdu dans une des parties du pays se trouve, jusqu’à un certain point, compensé par ce qu’on gagne dans l’autre. Dans les pays à riz, où la récolte exige non-seulement un terrain très-humide, mais où elle a besoin même, dans une certaine période de sa croissance, d’être ensevelie sous l’eau, les effets d’une sécheresse sont bien plus pernicieux. Toutefois, même dans ces contrées, la sécheresse n’est peut-être jamais assez générale pour y occasionner nécessairement une famine, si le gouvernement laisse au commerce sa liberté. La sécheresse qui eut lieu au Bengale, il y a quelques années, aurait vraisemblablement occasionné une très-grande disette. Quelques règlements impropres, quelques entraves absurdes mises, par les facteurs de la Compagnie des Indes, au commerce du riz, sont peut-être ce qui a contribué à changer cette disette en une famine.

Quand le gouvernement, pour remédier aux inconvénients d’une cherté, oblige tous les vendeurs de blé à vendre leur marchandise à ce qu’il lui plaît d’appeler un prix raisonnable, alors, ou il les empêche de porter leur blé au marché, ce qui peut quelquefois causer une famine, même dans le commencement de l’année, ou bien, s’ils l’y portent, il met le peuple dans le cas de consommer ce blé si vite, et il encourage dès lors tellement la consommation, qu’il doit nécessairement amener une famine avant la fin de l’année. Le commerce de blé sans restriction, sans gênes, sans limites, qui est le préservatif le plus efficace contre les malheurs d’une famine, est aussi le meilleur palliatif des inconvénients d’une disette réelle ; il ne peut y avoir que des adoucissements. Aucun commerce ne mérite mieux la protection la plus entière de la loi, et aucun commerce n’en a autant besoin, parce qu’il n’y en a aucun qui soit aussi exposé à l’animosité populaire.

Dans les années de disette, les classes inférieures du peuple imputent leur détresse à l’avarice du marchand de blé, qui devient l’objet de leur haine et de leur fureur. Aussi, au lieu de faire des profits dans ces occasions, il est souvent en danger d’être totalement ruiné, et d’avoir ses magasins pillés et détruits par leurs violences. C’est cependant dans les années de disette, quand le prix est élevé, que le marchand de blé s’attend à réaliser ses plus grands profits. En général, il a des marchés passés avec des fermiers, pour lui fournir une certaine quantité de blé à un prix fixe, pour un nombre d’années déterminé[34]. Ce prix de contrat s’établit sur ce qu’on suppose le prix modéré et raisonnable, c’est-à-dire le prix ordinaire ou moyen, lequel, avant ces dernières années de disette, était communément environ de 28 schellings le quarter de blé froment, et, pour les autres grains, à proportion. Ainsi, dans les années de disette, le marchand de blé achète une grande partie de son blé au prix ordinaire, et le revend à un prix beaucoup plus élevé. Ce qui démontre pourtant assez clairement que ce profit extraordinaire n’excède pas ce qu’il faut pour porter son commerce au niveau des autres commerces et pour compenser les pertes nombreuses qu’il a à essuyer dans d’autres circonstances, tant à cause de la nature périssable de la marchandise en elle-même, qu’à cause des variations fréquentes et imprévues de son prix, c’est cette seule observation, que les grandes fortunes ne sont pas plus communes dans ce négoce que dans tout autre. Cependant, la haine populaire à laquelle il est en butte dans les années de disette, les seules années où il puisse être très-lucratif, en éloigne tous les gens qui ont de la fortune et quelque considération dans la société. Il est abandonné à une classe inférieure de marchands, et les seules gens à peu près qui soient, dans le marché intérieur, des intermédiaires entre le producteur et le consommateur, sont les meuniers, les boulangers, les fariniers, avec une quantité de malheureux regrattiers.

L’ancienne police de l’Europe, au lieu de chercher à affaiblir cette haine populaire contre un commerce si avantageux au public, paraît, au contraire, l’avoir autorisée et même encouragée.

Par les statuts des cinquième et sixième années d’Édouard VI, chap. xiv, il a été statué que quiconque achèterait du blé ou grain avec intention de le revendre, serait réputé accapareur frauduleux, et serait, pour la première fois, condamné à deux mois de prison et à une amende montant à la valeur du blé ; pour la seconde, à une incarcération de six mois et à une amende du double de cette valeur ; et pour la troisième fois, mis au pilori, condamné à une incarcération aussi longue qu’il plairait au roi, et à la confiscation de tous ses biens meubles et immeubles. La police ancienne de la plupart des autres pays de l’Europe ne valait pas mieux que celle de l’Angleterre.

Il paraît que nos ancêtres s’étaient imaginé que le peuple achèterait son blé à meilleur compte du fermier que du marchand de blé, qui, à ce qu’ils craignaient, exigerait, outre le prix payé par lui au fermier, un profit excessif pour lui-même. Ils tâchèrent même d’empêcher, autant que possible, qu’aucun tiers, quel qu’il fût, pût s’entremettre entre le producteur et le consommateur ; et ce fut là l’objet d’une quantité de gênes qu’ils imposèrent au commerce de ceux qu’ils appelaient blatiers ou voituriers de blé. D’abord, personne ne pouvait exercer ce métier qu’en vertu d’une patente qu’il certifiât sa probité et sa bonne foi ; et pour accorder cette patente, il fallait, d’après le statut d’Édouard VI, l’autorité de trois juges de paix. Mais, par la suite, cette formalité même fut jugée une entrave insuffisante et, par un statut d’Élisabeth, le privilège d’accorder la patente fut réservé aux sessions de trimestre[35].

Par là, l’ancienne police de l’Europe cherchait à régler l’agriculture, le grand commerce des campagnes, sur des maximes tout à fait différentes de celles qu’elle avait adoptées à l’égard des manufactures, le grand commerce des villes. En ne laissant au fermier d’autres acheteurs que les consommateurs ou leurs facteurs immédiats, qui sont les blatiers et les voituriers de blé, elle tendait à l’obliger à exercer lui-même, outre son métier de fermier, celui de marchand ou détaillant de blé. Au contraire, dans presque tous les cas, elle défendait à l’artisan d’exercer le métier de vendeur en boutique, ou de détailler ses propres marchandises. Elle s’imaginait, par l’un de ces règlements, faire le bien général du pays, ou rendre le blé moins cher, sans bien comprendre peut-être comment cela pouvait se faire. Par l’autre, elle avait en vue de faire le bien d’une classe particulière de gens, les marchands en boutique, qui, a ce qu’on supposait, se trouveraient supplantés par l’ouvrier fabricant, lequel vendrait tellement au-dessous de leur prix, si on lui laissait le moins du monde la liberté de détailler, que leur commerce se trouverait totalement anéanti.

Cependant, quand même on eût permis au fabricant de tenir boutique et de vendre ses propres marchandises au détail, il n’eût pas pu vendre pour cela au-dessous du marchand ordinaire ; tout ce qu’il aurait placé de son capital dans sa boutique, il aurait fallu qu’il le retirât de son industrie. Pour porter son commerce total au niveau de tous les autres commerces, de même qu’il lui aurait fallu, sur une partie de ce capital, les profits d’un fabricant, de même il lui aurait fallu sur l’autre les profits d’un marchand en boutique. Si, par exemple, dans le lieu particulier de sa résidence, 10 p. 100 sont le taux du profit des fonds placés, soit dans les manufactures, soit dans le commerce de détail, il faudra, dans ce cas, que chaque pièce de marchandise de sa fabrique qu’il vendra dans sa boutique soit chargée d’un profit de 20 p. 100. Quand il fera passer ces pièces d’ouvrage de son atelier dans sa boutique, il faudra bien qu’il les évalue au prix auquel il les aurait vendues à un débitant ou à un marchand qui les lui aurait achetées en gros. En les évaluant plus bas, il perdrait une partie des profits du capital placé dans sa manufacture. Quand ensuite il les vendra dans sa boutique, à moins de les vendre au même prix que les aurait revendues un détaillant, il perdrait une partie des profits du capital placé dans sa boutique. Ainsi, quoiqu’il paraisse, dans cette supposition, faire un double profit sur la même pièce de marchandise, cependant, comme ces marchandises auront fait successivement partie de deux capitaux distincts, il n’aura toujours fait qu’un seul profit sur la totalité du capital occupé par ces marchandises ; et s’il eût fait moins que ce profit, il aurait été en perte, ou il n’aurait pas employé la totalité de son capital d’une manière aussi avantageuse que la plupart de ses voisins.

Ce qu’on défendait au fabricant, on le prescrivit en quelque sorte au fermier ; on força celui-ci de diviser son capital en deux emplois différents, d’en conserver une partie dans ses greniers et dans ses granges pour fournir d’un moment à l’autre aux besoins du marché, et d’employer l’autre à la culture de ses terres. Mais, de même qu’il n’aurait pas pu sans perte employer la dernière partie de son capital pour moins que les profits ordinaires des fonds placés dans les fermes, de même il n’aurait pas pu davantage employer l’autre pour moins que les profits ordinaires des fonds placés dans le commerce. Que le capital qui fait réellement aller un commerce de marchand de blé appartienne à une personne qu’on appelle fermier, ou à une personne qu’on appelle marchand de blé, il n’en faut pas moins, dans un cas comme dans l’autre, un profit égal qui indemnise le maître de ce capital de l’emploi qu’il en fait ainsi, pour mettre son commerce au niveau de tous les autres emplois, et pour empêcher que son intérêt ne le porte à changer cet emploi pour un autre, dès qu’il en aura la possibilité. Par conséquent, le fermier qu’on obligea ainsi à exercer le métier de marchand de blé ne se trouva pas pour cela en état de vendre son blé à meilleur marché que tout autre marchand de blé n’eût été forcé de le faire, dans le cas d’une libre concurrence.

Celui qui peut employer tout son capital dans un seul genre d’affaires a un avantage de la même espèce que l’ouvrier qui emploie tout son travail à faire une seule et même opération. De même que le dernier y acquiert une dextérité qui le met en état de fournir, avec ses mêmes deux bras, une beaucoup plus grande quantité d’ouvrage, de même l’autre acquiert une méthode tellement facile et prompte dans l’arrangement et la conduite de son commerce, dans l’achat et le débit de sa marchandise, qu’avec le même capital il peut mener un bien plus grand nombre d’affaires. Ainsi, de même que l’un peut ordinairement fournir son ouvrage à beaucoup meilleur marché, de même l’autre peut ordinairement livrer ses marchandises à quelque chose de moins que si son attention et son capital étaient partagés entre une grande quantité d’objets divers. La plus grande partie des fabricants ne pourraient suffire à donner leurs propres marchandises au détail à aussi bon marché qu’un actif et vigilant détaillant, dont toute la besogne se borne à les acheter en gros pour les revendre en détail. La plupart des fermiers pourraient encore bien moins suffire à donner leur propre blé au détail ou à fournir les habitants d’une ville, distante de peut-être quatre ou cinq milles du plus grand nombre d’entre eux, à aussi bon compte qu’un actif et vigilant marchand de blé, qui n’a pas autre chose à faire que d’acheter du blé en gros, de l’amasser dans de grands magasins et de le revendre en détail.

La loi qui défendit au fabricant d’exercer ce métier de vendeur en boutique tâcha d’établir forcément cette division dans les emplois des capitaux, plus promptement qu’elle n’aurait eu lieu sans cela. La loi qui obligea le fermier à exercer le métier de marchand de blé tâcha d’empêcher cette division de se faire aussi vite qu’elle se serait faite. L’une et l’autre de ces lois furent des atteintes manifestes à la liberté naturelle et, par conséquent, des injustices ; et elles furent l’une et l’autre aussi impolitiques qu’elles étaient injustes.

C’est l’intérêt de la société que des choses de ce genre ne soient ni précipitées dans leur marche ni gênées dans leur progrès. Celui qui emploie son travail ou son capital à une plus grande diversité d’objets que sa position ne lui en impose la nécessité, ne peut jamais nuire à ses voisins en vendant à meilleur compte qu’eux. Il peut seulement se faire tort à soi-même, et c’est en général ce qui lui arrive. L’homme de tous métiers n’est jamais riche, dit le proverbe. Mais la loi devrait toujours s’en reposer sur les gens du soin de leur intérêt personnel, comme étant eux-mêmes en général, dans leur situation locale, plus en état d’en bien juger que ne peut faire le législateur. Néanmoins, la plus pernicieuse, sans comparaison, de ces deux lois, ce fut celle qui força le fermier à faire le métier de marchand de blé.

Elle arrêta non-seulement cette division dans les emplois des capitaux, qui est toujours si avantageuse à la société, mais elle arrêta aussi les progrès de la culture et de l’amélioration des terres. En obligeant le fermier à faire deux métiers au lieu d’un, elle le mit dans la nécessité de partager son capital en deux portions, dont une seulement put être employée à la culture. S’il avait été le maître de vendre toute sa récolte à un marchand de blé à l’instant même que son blé eût été battu, la totalité de son capital serait immédiatement revenue à la terre et aurait été employée à acheter plus de bestiaux et à louer plus de domestiques pour la cultiver mieux et y faire de nouvelles améliorations ; mais, se trouvant obligé de vendre son blé au détail, il fut dans la nécessité de garder dans ses granges et ses greniers une grande partie de son capital pendant toute l’année, et il ne put par conséquent cultiver aussi bien qu’il aurait pu le faire sans cela avec le même capital. Ainsi, cette loi retarda nécessairement l’amélioration des terres, et au lieu de rendre le blé moins cher, elle a dû contribuer à le rendre plus rare et dès lors plus cher qu’il n’aurait été sans elle.

Après l’état de fermier, celui de marchand de blé, s’il était convenablement protégé et encouragé, est réellement celui dont le travail contribuerait le plus à la production du blé. Il soutiendrait le métier de fermier de la même manière que le commerce du marchand en gros soutient le métier de manufacturier.

Le marchand en gros, en fournissant au manufacturier le plus prompt débit, en le débarrassant de ses marchandises aussi rapidement que celui-ci peut les fabriquer, et quelquefois même en lui en avançant le prix avant qu’elles soient faites, le met en état de tenir la totalité de son capital, et quelquefois même plus que tout son capital, constamment employée à fabriquer et, par conséquent, il le met en état de fabriquer une bien plus grande quantité de marchandises que s’il était obligé de les débiter lui-même ou à ceux qui les doivent consommer immédiatement, ou même aux détaillants. De plus, comme le capital d’un marchand en gros est suffisant pour remplacer celui de plusieurs fabricants, cette relation qui s’établit entre lui et eux intéresse le gros capitaliste à en soutenir beaucoup de petits, et à venir à leur aide dans les pertes et les malheurs, qui sans cela pourraient causer leur ruine.

Une relation du même genre, qui s’établirait généralement entre les fermiers et les marchands de blé, produirait des effets également avantageux aux fermiers. Ils se verraient à même de tenir la totalité, et même plus que la totalité de leurs capitaux, constamment employée à la culture. En cas de quelqu’un de ces accidents auxquels leur industrie est plus exposée que toute autre, ils trouveraient dans le riche marchand de blé, leur pratique ordinaire, une personne qui aurait à la fois intérêt à venir à leur secours et les moyens de le faire, et ils ne se verraient pas, comme à présent, totalement dépendants de l’indulgence de leur propriétaire ou de la pitié de son intendant. S’il était possible, comme il ne l’est peut-être pas, d’établir tout à la fois universellement cette relation, et s’il était possible aussi en même temps de rappeler à leur propre destination la totalité des capitaux de tous les fermiers du royaume, et de les ramener à la culture de la terre en les retirant de tous les autres emplois vers lesquels il peut y en avoir maintenant quelques portions de détournées ; s’il était possible enfin, pour soutenir et pour aider les opérations de cette grande masse de capitaux, d’en former tout d’un coup une autre presque aussi grande, il n’est peut-être pas aisé de se faire une idée de l’importance, de l’étendue et de la rapidité des améliorations que ce seul changement de situation produirait sur toute la surface du pays.

Ainsi, le statut d’Édouard VI, en empêchant, autant qu’il lui a été possible, qu’aucun tiers ne vînt à s’entremettre entre le producteur et le consommateur, a tâché d’anéantir une profession dont le libre exercice est non-seulement le meilleur palliatif des inconvénients d’une disette, mais encore le plus sûr préservatif contre cette calamité ; aucune profession ne contribuant plus à la production du blé, après la profession de fermier, que celle de marchand de blé.

La rigueur de cette loi fut ensuite mitigée par plusieurs statuts subséquents, qui permirent successivement d’emmagasiner le blé lorsque le prix du froment n’excéderait pas 20, 24, 32 et 40 sch. le quarter. Enfin, par le statut de la quinzième année de Charles II, chap. vii, il fut déclaré que toutes personnes n’étant point intercepteurs, c’est-à-dire n’achetant pas pour revendre au même marché dans les trois mois, pourraient librement emmagasiner ou acheter du blé pour le revendre, tant que le prix du froment n’excéderait pas 48 schellings le quarter, et celui des autres grains à proportion. Toute la liberté dont ait jamais joui le commerce de marchand de blé dans l’intérieur du royaume dérive de cet acte. Le statut de la douzième année du roi actuel, qui révoque presque toutes les autres anciennes lois contre les accapareurs et intercepteurs, ne révoque point les restrictions portées par cet acte particulier, qui, par conséquent, restent toujours en vigueur[36].

Cet acte cependant autorise, jusqu’à un certain point, deux préjugés populaires très-absurdes.

En premier lieu, il suppose que quand le prix du froment est monté jusqu’à 48 sch. le quarter, et celui des autres grains à proportion, tout achat de blé en gros serait dans le cas de nuire au peuple. Or, par ce qui a été dit jusqu’à présent, il paraît assez évident qu’il n’y a aucun prix auquel l’achat du blé en gros par le marchand trafiquant dans l’intérieur du royaume puisse être préjudiciable au peuple ; et d’ailleurs, quoiqu’on puisse regarder 48 sch. le quarter comme un très-haut prix, cependant, dans les années de disette, c’est un prix qui a souvent lieu immédiatement après la moisson, quand il y a à peine quelque partie de la nouvelle récolte en état d’être vendue, et quand il est impossible, même aux plus crédules, de supposer qu’il y en ait déjà d’acheté en gros, de manière à influer sur l’état des subsistances.

Secondement, cet acte suppose qu’il y a un certain prix auquel le blé est dans le cas d’être intercepté, c’est-à-dire acheté par avance pour être revendu bientôt après sur le même marché, de manière à porter préjudice au peuple. Mais si jamais un marchand intercepte du blé qui va à un marché particulier, ou l’achète sur ce marché pour le revendre bientôt après au même marché, ce ne peut être que parce qu’il juge que le marché ne saurait être aussi abondamment fourni pendant tout le cours de l’année que dans cette circonstance particulière et que, par conséquent, le prix doit bientôt monter. S’il juge mal à cet égard, et si le prix ne hausse pas, alors non-seulement il perd tout le profit du capital qu’il a employé à cette opération, mais encore une partie même du capital, par la dépense et la perte qu’entraînent toujours l’emmagasinement et la garde du blé. Il se nuit donc à lui-même bien plus essentiellement qu’il ne peut nuire même à ceux en particulier qu’il aura empêchés de se fournir de blé à ce même jour de marché, parce qu’ils peuvent ensuite se fournir, à tout aussi bon compte, à quelque autre jour de marché. S’il se trouve qu’il ait bien jugé, alors, au lieu de nuire à la masse du peuple, il lui aura rendu un service très-important. En faisant sentir aux gens les inconvénients d’une cherté un peu plus tôt qu’ils ne l’auraient sentie sans cela, il empêche qu’ils ne l’éprouvent d’une manière plus dure, comme cela n’eût pas manqué d’arriver si le bon marché du blé les eût encouragés à consommer plus vite que ne le comporterait la modicité réelle de la provision de l’année. Quand la rareté du blé est réelle, la meilleure chose qu’on puisse faire pour le peuple, c’est de répartir les inconvénients de cette disette, de la manière la plus égale possible, sur tous les différents mois, semaines et jours de l’année. L’intérêt du marchand de blé fait qu’il s’étudie à faire cette répartition le plus exactement qu’il peut ; et comme aucune autre personne que lui ne saurait avoir le même intérêt à le faire, ou les mêmes connaissances et les mêmes moyens pour le faire avec autant de précision que lui, c’est sur lui qu’il faut s’en reposer pour l’opération la plus importante de son commerce, ou bien, en d’autres termes, le commerce de blé, en tant qu’il a pour objet l’approvisionnement du marché intérieur, doit être laissé parfaitement libre.

On peut comparer ces craintes du peuple contre le monopole des accapareurs et des intercepteurs aux soupçons et aux terreurs populaires qu’inspirait la sorcellerie. Les pauvres misérables accusés de ce dernier crime n’étaient pas plus innocents des malheurs qu’on leur imputait que ceux qui ont été accusés de l’autre. La loi qui a mis fin à toutes poursuites pour cause de sortilège, qui a mis hors du pouvoir d’un homme de satisfaire sa méchanceté en accusant son voisin de ce crime imaginaire, parait avoir guéri de la manière la plus efficace ces terreurs et ces soupçons, en supprimant ce qui en était l’appui et l’encouragement principal. La loi qui rendrait une entière liberté au commerce du blé dans l’intérieur, aurait vraisemblablement autant d’efficacité pour mettre fin aux craintes du peuple contre les accapareurs et intercepteurs.

Avec toutes ces imperfections, néanmoins, le statut de la quinzième année de Charles II, chap. vii, a peut-être plus contribué qu’aucune autre loi de notre livre des statuts, tant à l’abondance des approvisionnements du marché intérieur, qu’à l’augmentation de la culture du blé. C’est de cette loi que le commerce de blé dans l’intérieur a reçu toute la liberté et toute la protection dont il ait jamais joui jusqu’à présent, et ce commerce intérieur contribue bien plus efficacement que celui d’importation ou celui d’exportation, tant à l’abondance des approvisionnements du marché national, qu’à l’encouragement de la culture du blé.

L’auteur des Discours sur le commerce des blés a calculé que la quantité moyenne de grains de toute espèce importés dans la Grande-Bretagne était, à la quantité moyenne de grains de toute espèce qui y étaient consommés, dans une proportion qui n’allait pas au-delà de celle de 1 à 570. Ainsi, pour l’approvisionnement du marché national, l’importance du commerce intérieur des grains doit l’emporter sur celle du commerce d’importation dans le rapport de 570 à 1.

Suivant le même auteur, la quantité moyenne de grains de toute espèce exportés de la Grande-Bretagne n’excède pas la trente-unième partie du produit annuel. Par conséquent, pour encourager la culture du blé en fournissant un marché au produit du pays, l’importance du commerce intérieur doit être à celle du commerce d’exportation dans la proportion de 30 à 1.

Je n’ai pas beaucoup de foi à l’arithmétique politique, et je ne prétends pas garantir l’exactitude de l’un ni de l’autre de ces calculs. Je n’en parle que pour faire voir combien, dans l’opinion des personnes qui ont le plus d’expérience et de jugement, le commerce étranger sur le blé est d’une bien moindre conséquence que le commerce intérieur. Le très-bon marché du blé, dans les années qui ont précédé immédiatement l’établissement de la prime, pourrait bien être regardé, avec quelque raison, comme étant en grande partie l’effet de ce statut de Charles 11, qui avait été porté environ vingt-cinq ans auparavant, et qui, par conséquent, avait eu tout le temps de produire son effet.

très-peu de mots suffiront pour expliquer ce que j’ai à dire sur les trois autres branches du commerce des blés.


§ II. — Commerce d’importation.


Le commerce du marchand qui importe du blé étranger pour la consommation intérieure contribue évidemment à approvisionner directement le marché national ; sous ce rapport, il est directement avantageux à la masse du peuple. Il tend, à la vérité, à faire baisser tant soit peu le prix moyen du blé en argent, mais non pas à diminuer sa valeur réelle ou la quantité de travail qu’il est capable de maintenir.

Si l’importation était libre en tout temps, nos fermiers et nos propriétaires ruraux retireraient vraisemblablement moins d’argent de leur blé, une année dans l’autre, qu’ils ne font à présent que l’importation est par le fait prohibée la plupart du temps ; mais l’argent qu’ils en retireraient aurait plus de valeur, achèterait plus de marchandises de toute autre espèce, et emploierait plus de travail. Par conséquent, leur richesse réelle, leur revenu réel, seraient les mêmes qu’à présent, quoique exprimés par une moindre quantité d’argent, et dès lors ils ne se trouveraient ni moins en état de cultiver, ni moins encouragés à le faire, qu’ils ne le sont à présent. Au contraire, comme une hausse dans la valeur de l’argent, procédant d’une baisse dans le prix du blé en argent, fait baisser le prix de toutes les autres marchandises, elle donne à l’industrie du pays où elle a lieu quelque avantage sur tous les marchés étrangers, et tend par là à accroître et à encourager cette industrie. Or, l’étendue du marché national pour le blé doit être en proportion de l’industrie générale du pays où il croît, ou du nombre de ceux qui produisent autre chose et qui, par conséquent, ont d’autres denrées, ou, ce qui revient au même, le prix d’autres valeurs à donner en échange pour le blé. Et le marché national, étant dans tout pays le marché le plus prochain et le plus commode pour du blé, est aussi le plus vaste et le plus important. Par conséquent, cette hausse dans la valeur réelle de l’argent qui provient de la baisse du prix moyen du blé en argent, tend à agrandir le marché le plus vaste et le plus important pour le blé et, par conséquent, à encourager la production, bien loin de la décourager.

Par le statut de la vingt-deuxième année de Charles II, chapitre xiii, l’importation du blé froment, toutes les fois que, sur le marché national, le prix n’en excéderait pas 53 schellings 4 deniers le quarter, fut assujettie à un droit de 16 schellings le quarter, et à un droit de 8 schellings toutes les fois que le prix n’excéderait pas 4 livres. Il y a plus d’un siècle révolu que le premier de ces deux prix n’a existé, sinon dans les temps d’une très-grande disette, et le dernier, autant que je sache, n’a jamais été atteint. Cependant, à moins que le blé froment ne s’élevât au-dessus de ce dernier prix, l’importation en fut assujettie par ce statut à un très-fort droit, et tant qu’il ne s’élevait pas au-dessus du premier de ces prix, elle était soumise à un droit qui équivalait à une prohibition. L’importation des autres espèces de grains fut restreinte à un certain taux, et par des droits qui, à proportion de la valeur du grain, étaient presque tous aussi élevés[37]. Des lois postérieures ont encore augmenté ces droits.

La stricte observation de ce statut dans des années de disette eût pu vraisembla­ble­ment exposer le peuple à une très-grande misère. Mais, dans de pareilles circons­tances, l’exécution en fut généralement suspendue par des statuts temporaires qui permettaient, pour un temps limité, l’importation des blés étrangers. La nécessité de ces statuts de circonstance est une démonstration suffisante de l’inconvenance du statut général.

Quoique ces entraves mises à l’importation aient précédé l’établissement de la prime, elles ont néanmoins été dictées par le même esprit, par les mêmes maximes qui dictèrent ensuite ce règlement. Quelques nuisibles qu’elles fussent en elles-mê­mes, ces restrictions et quelques autres encore sur l’importation devinrent nécess­aires, en conséquence de l’établissement de la prime. Si, lorsque le froment était au-dessous de 48 schellings le quarter, ou peu au-dessus, il eût été possible d’importer des blés étrangers, ou francs de droits, ou en payant seulement un léger droit, alors on eût pu faire de ces importations, pour réexporter ensuite avec le bénéfice de la prime ; ce qui eût causé une grande perte au revenu public et eût totalement perverti l’institution, dont l’objet était d’étendre le marché pour le produit de l’intérieur, et non pas pour le produit des pays étrangers.

§ III. — Commerce d’exportation.


Le commerce du marchand qui exporte pour la consommation de l’étranger ne contribue certainement pas d’une manière directe à assurer l’abondance sur le marché national ; néanmoins il le fait indirectement. De quelque source que se tire habituellement cet approvisionnement du marché, que ce soit de la production intérieure ou de l’importation de l’étranger, à moins qu’habituellement ou cette production intérieure ou cette importation n’excède la consommation ordinaire du pays, l’approvisionnement du marché national ne saurait jamais se trouver extrêmement abondant. Or, si le surplus ne peut pas, dans les circonstances ordinaires, être exporté, les producteurs auront grande attention de ne jamais en produire, et les importateurs de ne jamais en importer plus que ce qu’exige la simple consommation du marché national ; ce marché sera donc très-rarement surabondant ; en général, même il se trouvera mal fourni, les gens dont le métier est de l’approvisionner craignant que leur marchandise ne leur reste sur les bras. La prohibition de l’exportation limite la culture et l’amélioration des terres du pays à ce qu’exige simplement la consommation des habitants ; la liberté de l’exportation met le pays à même d’étendre sa culture pour approvisionner les étrangers.

Par le statut de la douzième année de Charles II, chap. iv, l’exportation du blé fut permise toutes les fois que le prix du froment n’excéderait pas 40 schellings le quarter, et celui des autres grains à proportion. Par un acte de la quinzième année du même prince, cette liberté fut étendue jusqu’au prix qui excéderait, pour le froment, 48 schellings le quarter ; et par un autre de la vingt-deuxième année, elle fut étendue à des prix qui sont tous encore plus élevés ; à la vérité, il y avait à payer au roi un droit de tant par livre sur ces exportations ; mais tous les grains furent évalués si bas dans le livre des tarifs[38], que ce droit n’était que de 1 schelling sur le froment, 4 deniers sur l’avoine, et 6 deniers sur tous les autres grains par chaque quarter. Par l’acte de la première année de Guillaume et Marie, qui établit la prime, ce petit droit fut tacitement supprimé toutes les fois que le prix du froment n’excéderait pas 48 schellings ; et par le statut des onzième et douzième années de Guillaume III, chap. xxviii, il fut expressément supprimé pour tous les prix au-delà.

Ainsi, le commerce du marchand exportateur fut non-seulement encouragé par une prime, mais encore rendu plus libre que celui du marchand trafiquant dans l’intérieur. Par le dernier de ces statuts, le blé pouvait, à tout prix, être acheté en grandes quantités[39] pour l’exportation, mais on ne pouvait l’acheter de cette manière pour le revendre dans l’intérieur, à moins que le prix n’excédât pas 48 schellings le quarter. Néanmoins, comme on l’a déjà fait voir, l’intérêt du marchand qui commerce dans l’intérieur ne saurait jamais être opposé à l’intérêt de la masse du peuple ; mais celui du marchand qui exporte peut y être opposé, et dans le fait l’est quelquefois. Si, dans le temps où son propre pays souffre de la cherté, un pays voisin vient à être affligé d’une famine, ce pourrait être alors son intérêt de porter du blé à ce dernier pays en assez grande quantité pour aggraver de beaucoup dans le sien les inconvénients de la cherté. L’abondance des approvisionnements du marché intérieur n’était pas l’objet direct que se proposaient ces statuts ; mais, sous prétexte d’encourager l’agriculture, leur objet était de faire hausser le prix du blé, en argent, aussi haut que possible, et par là d’occasionner, autant que possible, une cherté constante sur le marché intérieur. Les découragements jetés sur l’importation limitaient l’approvisionnement de ce marché, même dans les temps de grande rareté de la denrée, à la production de l’intérieur ; tandis que les encouragements donnés à l’exportation, même quand le prix s’élevait jusqu’à 48 schellings le quarter, ne permettaient pas à ce marché de jouir de la totalité de cette production de l’intérieur, dans des temps même où la disette ne laissait pas que d’être sensible. Ce qui démontre suffisamment la défectuosité du système général des lois de la Grande-Bretagne sur cet objet, ce sont les expédients auxquels elle a été si souvent obligée de recourir, en défendant pour un temps limité l’exportation du blé par des lois de circonstance, et en supprimant aussi temporairement les droits sur l’importation. Si le système eût été bon, elle ne se serait pas vue si fréquemment réduite à la nécessité de s’en écarter.

Si toutes les nations venaient à suivre le noble système de la liberté des exportations et des importations, les différents États entre lesquels se partage un grand continent ressembleraient à cet égard aux différentes provinces d’un grand empire. De même que parmi les provinces d’un grand empire, suivant les témoignages réunis de la raison et de l’expérience, la liberté du commerce intérieur est non-seulement le meilleur palliatif des inconvénients d’une cherté, mais encore le plus sûr préservatif contre la famine ; de même la liberté des importations et exportations le serait entre les différents États qui composent un vaste continent. Plus le continent serait vaste, plus la communication entre toutes ses différentes parties serait facile, tant par terre que par eau, et moins alors aucune de ces parties en particulier pourrait jamais se voir exposée à l’une ou à l’autre de ces calamités ; car il serait alors d’autant plus probable que la disette d’un des pays serait soulagée par l’abondance de quelque autre. Mais très-peu de pays ont entièrement adopté ce généreux système ; la liberté du commerce des blés est presque partout plus ou moins restreinte, et dans beaucoup de pays elle est gênée par des règlements tellement absurdes, que souvent ils aggravent les malheurs inévitables d’une cherté, jusqu’à faire naître le terrible fléau de la famine. La demande de blé peut souvent, dans de tels pays, être si grande et si pressante, qu’un petit État de leur voisinage qui se trouverait en même temps éprouver chez soi un certain degré de cherté, ne pourrait se hasarder à les approvisionner sans s’exposer lui-même à cette affreuse calamité. Ainsi, la police très-vicieuse d’un pays peut rendre à un certain point imprudent et dangereux d’établir dans un autre ce qui, sans cela, serait la meilleure police. Néanmoins, la liberté illimitée d’exporter serait beaucoup moins dangereuse dans de grands États, où la production étant beaucoup plus considérable, la quantité de blé qui serait dans le cas d’être exportée, quelle qu’elle fût, pourrait rarement être telle que la totalité de l’approvisionnement pût s’en ressentir. Dans un canton suisse ou dans quelqu’un des petits États de l’Italie, il se peut bien quelquefois qu’il soit nécessaire de restreindre l’exportation du blé ; il ne peut guère l’être jamais dans de grands pays, tels que la France et l’Angleterre. D’ailleurs, empêcher le fermier d’envoyer en tous temps sa marchandise au marché le plus avantageux, c’est évidemment sacrifier les lois ordinaires de la justice à une considération d’utilité publique, à une sorte de raison d’État ; et c’est un acte d’autorité que la puissance législative ne peut exercer que dans le cas de la nécessité la plus urgente, seule circonstance qui puisse le rendre excusable. Si jamais l’exportation du blé devait être défendue, le prix auquel elle pourrait l’être devrait toujours être un prix très-élevé.

Les lois relatives au blé peuvent généralement être comparées aux lois relatives à la religion ; le peuple a un sentiment si fort de son intérêt personnel dans les matières qui touchent à sa subsistance dans cette vie, ou à son bonheur dans une vie future, que le gouvernement est forcé de se plier à ses préjugés et d’établir, pour maintenir la tranquillité publique, un système conforme aux idées populaires. C’est peut-être pour cette raison que, sur l’un ou sur l’autre de ces deux objets capitaux, il est si rare de trouver un système qui soit raisonnable.


§ IV. — Commerce de transport.


Le commerce du marchand voiturier ou de celui qui importe du blé étranger pour réexporter, contribue à assurer l’abondance sur le marché national. À la vérité, ce n’est pas sur ce marché sur le marchand se propose de vendre son blé ; toutefois, il sera généralement disposé à l’y vendre, et même un peu au-dessous de ce qu’il espère en trouver sur le marché étranger, parce qu’il s’épargnera ainsi les dépenses du chargement et du déchargement, celles du fret et de l’assurance. Quand un pays, au moyen du commerce de transport, devient le magasin et l’entrepôt de l’approvisionnement des autres, il ne peut guère arriver que les habitants de ce pays viennent à manquer de blé. Quoique le commerce de transport puisse ainsi contribuer à réduire le prix moyen du blé en argent sur le marché national, néanmoins il ne fera pas baisser par là la valeur réelle du blé, il fera seulement hausser un peu la valeur réelle de l’argent.

Le commerce de transport pour le blé fut, par le fait, interdit dans la Grande-Bretagne. Dans toutes les circonstances ordinaires, l’importation des blés étrangers était comme prohibée par les droits exorbitants dont elle était chargée, et qui n’étaient pas restituables, pour la plus grande partie du moins lors de l’exportation ; et dans les circonstances extraordinaires, quand une disette obligeait de suspendre ces droits par des lois temporaires, l’exportation était toujours prohibée. Ainsi, par ce système de lois, le commerce de transport se trouva, de fait, interdit dans tous les cas.

Ce système de lois, qui est lié avec l’établissement de la prime, ne parait donc nullement mériter les éloges qui lui ont été prodigués. L’amélioration et la prospérité de la Grande-Bretagne, qu’on a si souvent attribuées à ces lois, peuvent très-aisément s’expliquer par de tout autres causes. Cette assurance que donnent les lois de la Grande-Bretagne à tout individu, de pouvoir compter sur la jouissance des fruits de son propre travail, est seule suffisante pour faire prospérer un pays, en dépit de tous ces règlements de vingt autres lois de commerce qui ne sont pas moins absurdes, et cette sécurité a été portée au plus haut degré par la révolution, presque au même moment où la prime a été établie. L’effort naturel de chaque individu pour améliorer sa condition, quand on laisse à cet effort la faculté de se développer avec liberté et confiance, est un principe si puissant, que, seul et sans autre assistance, non-seulement il est capable de conduire la société à la prospérité et à l’opulence, mais qu’il peut encore surmonter mille obstacles absurdes dont la sottise des lois humaines vient souvent embarrasser sa marche, encore que l’effet de ces entraves soit toujours plus ou moins d’attenter à sa liberté ou d’atténuer sa confiance. Dans la Grande-Bretagne, l’industrie jouit d’une sécurité parfaite, et quoiqu’elle soit bien éloignée d’avoir une entière liberté, au moins est-elle aussi libre et plus libre que dans aucun autre pays de l’Europe.

Parce que l’époque de la plus grande prospérité de la Grande-Bretagne et de ses plus grands progrès dans la culture a été postérieure à ce système de lois qui est lié avec l’institution de la prime, il ne faudrait pas, pour cette raison, en faire honneur à ce système de lois. Cette époque a été aussi postérieure à la dette nationale ; or, ce qu’il y a de certain au monde, c’est qu’elle n’a pas été amenée par la dette nationale.

Quoique le système de lois qui est lié avec l’établissement de la prime ait précisément la même tendance que les règlements de l’Espagne et du Portugal, celle d’abaisser un peu la valeur des métaux précieux dans le pays où il est établi, cependant la Grande-Bretagne est certainement un des plus riches pays de l’Europe, tandis que l’Espagne et le Portugal sont peut-être au nombre des plus pauvres. On peut pourtant se rendre compte de cette différence de situation d’après deux différentes causes : d’abord, la taxe, en Espagne, la prohibition, dans le Portugal, sur l’exportation de l’or et de l’argent, et la police rigoureuse qui maintient l’exécution de ces lois, doivent, dans deux pays très-pauvres, qui importent annuellement entre eux au-delà de 6 millions sterling, opérer non pas plus directement, mais encore plus puissamment la réduction de la valeur de ces métaux, que les lois sur les blés ne peuvent le faire dans la Grande-Bretagne ; secondement, cette mauvaise politique ne se trouve pas, dans ces pays-là, contre-balancée par la liberté et la sécurité générale du peuple ; l’industrie n’y jouit pas d’un libre exercice et n’y est pas animée par la confiance ; enfin, les gouvernements tant civils qu’ecclésiastiques de ces deux royaumes sont de nature à suffire à eux seuls pour y perpétuer la misère, même quand les règlements de commerce y seraient aussi sages qu’ils sont pour la plupart absurdes et extravagants.

L’acte de la treizième année du roi actuel paraît avoir établi, sur la législation des blés, un système nouveau, meilleur que l’ancien à bien des égards, mais qui lui est peut-être un peu inférieur sous un rapport.

Par cet acte, les droits énormes mis sur l’importation pour la consommation nationale sont supprimés aussitôt que le prix du blé froment de moyenne qualité s’élève jusqu’à 48 schellings le quarter, celui du seigle de moyenne qualité, des pois ou des haricots à 32 schellings, celui de l’orge à 24 schellings, et celui de l’avoine à 16 schellings ; et il établit à leur place un léger droit de 6 deniers seulement sur le quarter de blé froment, et sur celui des autres grains à proportion. Ainsi, à l’égard de toutes ces différentes sortes de grains et spécialement du blé froment, le marché national se trouve ouvert aux secours venant de l’étranger, dans le temps de chertés bien moins grandes que celles où il l’était auparavant.

Par le même acte, l’ancienne prime de 5 schellings sur l’exportation du blé cesse aussitôt que le prix s’élève à 44 schellings le quarter, au lieu de 48 schellings, prix auquel elle cessait auparavant ; celle de 2 schellings 6 deniers sur l’exportation de l’orge cesse dès que le prix s’élève à 22 schellings au lieu de 24 schellings, prix auquel elle cessait auparavant ; celle de 2 schellings 6 deniers sur l’exportation de la farine d’avoine cesse dès que le prix s’élève à 14 schellings au lieu de 15 schellings, prix auquel elle cessait auparavant ; la prime sur le seigle est réduite de 3 schellings 6 deniers à 3 schellings seulement, et elle n’a plus lieu dès que le prix est à 28 schellings au lieu de 32 schellings, prix auquel elle cessait auparavant. Si les primes sont une aussi mauvaise institution que j’ai tâché de le prouver, plus tôt elles cessent, plus elles sont faibles et mieux cela vaut.

Le même acte permet, dans les moments même des plus bas prix, l’importation du blé destiné à être réexporté, franche de droits, pourvu qu’en même temps le blé soit serré dans un magasin à deux clefs, dont une au roi, l’autre au marchand qui importe. Cette liberté, il est vrai, ne s’étend qu’à vingt-cinq des différents ports de la Grande-Bretagne, mais ce sont les principaux ; et dans la plupart des autres, il ne pourrait peut-être guère s’y trouver de magasins convenables pour cet objet.

jusque-là, cette loi paraît évidemment une amélioration faite à l’ancien système.

Mais, par la même loi, on accorde une prime de 2 schellings par quarter pour l’exportation de l’avoine, toutes les fois que le prix n’excède pas 14 schellings. Jusqu’à présent, il n’avait pas encore été donné de prime pour l’exportation de ce grain, non plus que pour celle des pois et haricots.

Par la même loi aussi, l’exportation du blé est prohibée dès que le prix s’élève à 44 schellings le quarter, celle du seigle à 28 schellings, celle de l’orge à 22 schellings, et celle de l’avoine à 14 schellings. Ces divers prix semblent tous beaucoup trop bas, et d’ailleurs il paraît qu’il y a une sorte d’inconséquence à prohiber l’exportation précisé­ment aux mêmes prix auxquels on retire la prime donnée pour encourager l’expor­tation. Certainement il aurait fallu, ou supprimer la prime à des prix beaucoup plus bas, ou permettre l’exportation à des prix beaucoup plus hauts.

Sous ce rapport donc, cette loi paraît inférieure à l’ancien système. Cependant, avec toutes ses imperfections, nous pouvons peut-être dire d’elle ce qui a été dit des lois de Solon, que, si elle n’est pas en elle-même la meilleure possible, du moins est-elle la meilleure que pussent comporter les intérêts, les préjugés et les circonstances des temps. Elle pourra peut-être frayer les voies à une meilleure loi dans un temps convenable.


CHAPITRE VI.

des traités de commerce.


Quand une nation s’oblige, par un traité, à permettre chez elle l’entrée de certaines marchandises d’un pays étranger, tandis qu’elle les prohibe venant de tous les autres pays, ou bien à exempter les marchandises d’un pays de droits auxquels elle assujettit celles de tous les


  1. La seconde édition des Discours sur le commerce du blé (Tracts on the corn trade) fut publié en 1766. Depuis cette époque de grands changements ont eu lieu dans le commerce des céréales en Angleterre. Au lieu d’exporter régulièrement comme nous faisions autrefois, nous importons régulièrement depuis cinquante ans. Mais cette importation a beaucoup diminué.
    Mac Culloch.
  2. Liv. I, chap. xi, sect. iii, Digression sur les variations de la valeur de l’argent, 3e période.
  3. Ses défenseurs prétendent que non-seulement elle fait baisser le prix des céréales, mais qu’en augmentant le bénéfice du fermier, elle donne en outre de grands encouragements à l’agriculture. Il est vrai qu’ils n’expliquent pas comment ces deux buts opposés peuvent être atteints. Buchanan.
  4. Et pourquoi une augmentation des salaires proportionnée à l’augmentation des prix des denrées de première nécessité ? Si la quantité de ces denrées est diminuée par l’exportation, une augmentation quelconque dans les salaires mettra-t-elle le laboureur en état de consommer la même quantité qu’auparavant ? Et si non, à quoi servira cette augmentation ? Buchanan.
  5. Ceci est une erreur, dit Mac Culloch ; le prix du blé en argent ne règle pas le prix en argent des autres choses.
  6. Mais la quantité de blé étant diminuée dans le pays par suite de l’exportation favorisée par la prime, le prix du travail évalué en argent ne peut certainement pas mettre le laboureur à même de consommer la même quantité qu’auparavant ; il devra se borner évidemment à une portion moins grande ; ceux qui prétendent au contraire que le prix du travail s’élève avec le prix du blé, admettent qu’en dépit de la diminution de la denrée la consommation doive rester la même. Buchanan.
  7. En augmentant le prix de tous les produits du sol, la prime augmente encore davantage les bénéfices du fermier et du cultivateur. Buchanan.
  8. Le prix des céréales ne modifie pas le prix des autres produits bruts du sol. Ainsi il n’a aucun rapport avec le prix des métaux et autres matières, telles que charbon, bois et pierres, et comme il ne détermine pas le prix du travail, il ne peut par conséquent régler le prix des manufactures ; de sorte que la prime, en contribuant à la hausse des céréales, n’est en définitive qu’un bénéfice très-réel pour le fermier. On ne voudra certainement pas insister sur cet argument, pour prouver l’excellence de la mesure. Il est incontestable qu’on encourage l’agriculture en produisant une hausse dans le prix des céréales, mais la question sera toujours de savoir si c’est là une bonne manière d’encourager.Buchanan.
  9. Mac Culloch fait observer que l’effet de ces restrictions n’a pu être aussi grand que le suppose Adam Smith : « Le véritable désavantage et l plus grand, dit-il, des restrictions à l’exportation des métaux précieux consiste à en augmenter la quantité d’une manière factice, et à priver le pays de la valeur des objets qu’il obtiendrait en échange de ce surplus de métal. »
  10. Le docteur Smith exagère certainement ici les inconvénients qui résultent des lois par lesquelles, en Portugal et en Espagne, l’exportation de l’or et de l’argent est interdite. Ces inconvénients, d’ailleurs, ont maintenant disparu, et les métaux précieux arrivent en Europe par une voie différente. On lit dans le Rapport du comité de la Chambre des Communes, sur le haut prix des lingots : « Si dans le courant de l’année dernière de fortes exportations d’or pour le continent ont eu lieu, d’un autre côté des importations très-considérables de ce métal sont arrivées dans ce pays (l’Angleterre). Ces importations sont venues de l’Amérique du Sud et principalement des Indes Occidentales. Les changements survenus en Espagne et en Portugal, ainsi que les avantages maritimes et commerciaux que nous avons remportés, paraissent avoir fait de cette partie de l’Amérique la voie par laquelle les produits des mines de la Nouvelle-Espagne et du Brésil parviennent aux autres pays. Dans une pareille situation, les importations de lingots et d’argent monnayé nous mettent à même de nous pourvoir de la quantité suffisante, et la rareté de cet article pourrait en conséquence être moins sensible chez nous que sur tout autre marché. Un fait remarquable vient à l’appui de ce que nous avançons. L’argent monnayé du Portugal est maintenant envoyé régulièrement de ce pays-ci aux établissements à coton du Brésil, de Fernambouc et de Maranham ; tandis que des dollars nous arrivent en très-grande quantité de Rio-Janeiro. » Buchanan.
  11. La prime ne tend qu’à abaisser les profits, mais non à élever le prix d’aucune autre denrée excepté le blé. Mac Culloch.
  12. Le marchand de grains peut profiler de cette prime d’une manière indirecte, mais le bénéfice du propriétaire des terres est direct et clair ; et si le docteur Smith avait mieux observé, il aurait vu que ce sont principalement les propriétaires des campagnes qui sont les véritables soutiens de tout genre de prime et de monopole pour favoriser la vente de leurs produits. Buchanan.
  13. L’influence d’une prime d’exportation accordée à des produits manufactures, sur leur prix ou sur le produit du manufacturier, cesse bientôt. L’élévation de prix que la prime occasionne, dans le premier moment, doit attirer infailliblement dans l’industrie favorisée autant de capital de plus qu’il en faut pour répondre à la demande croissante des produits, et en même temps pour réduire les profits du manufacturier et du commerçant au taux commun. Mac Culloch.
  14. Le blé n’est pas une valeur invariable, parce que cette valeur est égale à la quantité de travail qu’elle peut entretenir. La valeur d’une denrée ou la faculté qu’elle a de s’échanger pour acheter du travail ou d’autres marchandises, est une qualité tout à fait différente de son utilité, c’est-à-dire de la propriété qu’elle a de satisfaire nos besoins et nos désirs. L’utilité, quoique élément essentiel de la valeur, n’est pas le principe qui la détermine ; elle dépend uniquement de la facilité ou de la difficulté de la production. Mac Culloch.
  15. Le prix des céréales varie, c’est-à-dire on donne pour la même quantité de blé plus ou moins d’argent, par suite de variations survenues dans la valeur de l’argent qui sert au payement du prix, ou par suite d’un changement dans la valeur des céréales mêmes. Une augmentation dans le prix des céréales n’implique pas nécessairement une baisse dans la valeur de l’argent ; bien que le docteur Smith regarde un changement dans la valeur réelle des céréales comme absolument impossible. Mais en réfléchissant sur le cas même auquel se rapporte l’argumentation du docteur Smith, c’est-à-dire en admettant que, par suite d’une exportation volontaire ou forcée, le prix îles céréales éprouve une hausse, ne paraît-il pas évident que la hausse dans le prix de cette quantité de céréales, qui reste dans le pays, provient tout simplement d’une augmentation de valeur, par suite de la diminution de la provision ? En affirmant qu’aucune exportation ne pourrait augmenter la valeur des céréales, le docteur Smith prétend-il établir que la prime accordée à l’exportation, tout en diminuant la provision, ne saurait contribuer en même temps à produire une hausse dans la valeur réelle des céréales ? Peut-il nier que la valeur réelle des céréales, ainsi que celle de toutes les marchandises, ne soit augmentée par une diminution de quantité ?

    L’assertion que la nature donne aux céréales une valeur inaltérable repose évidemment sur une erreur. Le docteur Smith confond ici l’utilité avec l’échange. Il est vrai qu’un boisseau de froment ne nourrit pas plus de personnes dans nos temps de disette que dans un temps d’abondance ; mais un boisseau de froment pourra être échangé contre une plus grande quantité d’objets de luxe ou de toute autre nature en temps de disette qu’en temps d’abondance ; et le propriétaire de terre qui aura de grandes provisions de grains, sera en définitive plus riche à une époque de disette qu’à une époque d’abondance. Il est donc impossible de soutenir que la prime, en favorisant l’exportation, ne produise pas en même temps une véritable hausse dans les prix. Buchanan.

  16. Ils paraissent au contraire avoir parfaitement compris leurs intérêts. Ils virent qu’en envoyant au dehors une partie de l’approvisionnement, ils obtiendraient de meilleurs prix pour la portion restante, et ils ne s’embarrassèrent guère des considérations raffinées dont M. Smith a embrouillé la question. Maintenant que la production intérieure n’est pas suffisante, et que, par conséquent, le pays est devenu dépendant des envois étrangers, aucune prime ne pourrait effectuer une exportation et produire une hausse dans les prix. Les propriétaires de terre, changeant de vues, ont donc imaginé d’interdire l’importation, comme ils avaient autrefois favorisé l’exportation. Dans tout ceci, ils ont prouvé qu’ils avaient assez l’intelligence de leurs propres affaires ; et on peut seulement regretter que, comme législateurs, ils ne se soient pas montrés assez soucieux du bien-être de la communauté, et qu’ayant été témoins de la misère des pauvres par suite du haut prix des céréales, ils aient persisté dans des mesures dont les effets devaient encore augmenter cette misère. On peut regretter que le désir d’augmenter leurs revenus ait prévalu sur toutes les considérations de justice et d’humanité. Buchanan.
  17. Mac Culloch admet l’inverse de ce paragraphe : • Une prime à l’exportation du blé, dit-il, en élève le prix, et, en forçant de cultiver des terres inférieures, elle élève la rente. (C’est la théorie de Ricardo, qui est l’article de foi fondamental de l’école du commentateur.) Elle produit donc un avantage réel et durable aux propriétaires ; tandis qu’une prime à l’exportation sur des marchandises manufacturées ne donne aux producteurs de ces denrées que des avantages insignifiants et temporaires. »
  18. Une prime accordée à la production ne réduirait pas le prix des céréales ; elle augmenterait seulement les revenus des propriétaires des terres.
    Buchanan.
  19. Pour plus de détails sur les effets des primes accordées à la production, voir le chapitre de Ricardo sur ce sujet dans l’ouvrage intitulé : Principles of political economy and taxation. A. B.
  20. Ainsi nommées, parce qu’elles se payent à raison de tant par tonneau du port des bâtiments expédiés pour la pêche.
  21. Pour le distinguer du hareng soret, que les Anglais nomment hareng rouge. Le hareng blanc est notre hareng salé commun. C’est de celui-ci qu’il est question dans tout cet article.
  22. Le produit de la pêche de la baleine rapporte certainement les frais, ainsi que les revenus des capitaux engagés dans ce commerce ; et quand même il n’y aurait pas de prime, ce commerce n’en continuerait pas moins. Buchanan.
  23. Espèce de barque ou bâtiment ponté dont les Hollandais ont les premiers fait usage pour la pêche du hareng ; les buyses hollandaises sont du port de quarante-cinq à soixante tonneaux ; les écossaises, de vingt à vingt-huit.
  24. Cette première opération se fait dans le jour même de la pêche ; elle consiste à fendre le hareng, le vider de ses intestins, le laver dans l’eau fraîche, le saler et l’encaquer. Le baril ne contient alors que six à sept cents harengs ; le baril marchand en contient environ un millier.
  25. Sea-sticks
  26. Voyez les états annexés à la fin du volume.
  27. Sea-loches, du mot écossais lock, qui signifie lac. Voyez Dictionnaire de Johnson.
  28. D’importants changements ont été faits dans les règlements de la pêche du hareng, depuis la publication de la Richesse des Nations. Mac Culloch.
  29. Il y a peu de sujets qui aient donné naissance à une controverse plus vive que la législation des céréales, en France et en Angleterre. Cependant, nous n’avons pas cru devoir reproduire les notes dont les commentateurs anglais d’Adam Smith ont inondé ce chapitre de son ouvrage. La législation anglaise des céréales est une des formes de l’exploitation de la partie laborieuse de la population par la partie oisive. À quoi bon discuter avec les loups au profit des moutons ? — Quant à ce qui concerne la France, nous sommes heureusement loin du temps où Turgot, Necker, l’abbé Galiani, les économistes et leurs adversaires préludaient aux grandes luttes politiques de la Révolution par leurs curieuses discussions sur la liberté du commerce des grains. Tous ces livres sont aujourd’hui oubliés. Il ne reste que le souvenir des nobles efforts de Turgot, et la conviction que le meilleur préservatif de la disette est la plus grande somme de liberté compatible avec la juste rémunération du travail agricole. A. B.
  30. Malheureusement il est éprouvé, par de tristes expériences, que la disette du blé ne fait qu’augmenter, même artificiellement, la demande. A. B.
  31. L’auteur expose ici comment les choses devraient se passer logiquement, mathématiquement, pour ainsi dire ; mais la pratique ne répond pas toujours, ou mieux, elle ne répond presque jamais à cette théorie. A. B.
  32. Adam Smith tombe ici dans l’optimisme exagéré que l’on est en droit de reprocher à l’un de ses commentateurs, M. Mac Culloch. C’est aller trop loin, que de prétendre que la cupidité du marchand de blé qui fait hausser le prix du blé au-dessus de son taux naturel, en prévision d’une disette, est une chose avantageuse a la masse du peuple. A. B.
  33. Il faut excepter les disettes qui ont précédé et accompagné la Révolution française. À ces deux époques, le fait d’accaparement existait avec toutes les circonstances les plus odieuses qu’on lui impute le plus souvent à tort. A. B.
  34. Cette méthode, si elle a été pratiquée du temps d’Adam Smith, ne l’est plus aujourd’hui, du moins comme méthode ordinaire. Mac Culloch.
  35. Cour formée de la réunion de tous les juges de paix de chaque comté : elle se tient tous les trois mois, et alternativement dans une des villes principales du comté.
  36. Ceci est une erreur. Le statut de 1772 (12 Geo. III, ch. lxxi) abroge les restrictions et pénalités imposées par les statuts plus anciens contre l’achat et la vente du blé et des autres produits naturels. Le préambule de l’acte reconnaît en ces termes les funestes effets de ces restrictions : « Comme il a été prouvé par l’expérience que les restrictions mises au commerce du blé, de la farine, de la viande, du bétail et autres sortes d’aliments, en s’opposant au libre commerce de ces denrées, ont pour effet d’en décourager la production et d’en hausser le prix ; lesquels statuts, s’ils étaient mis en vigueur, causeraient de grands maux aux habitants de la plus grande partie du royaume, et particulièrement aux habitants des cités de Londres et de Westminster, il est dorénavant résolu que, etc… »

    Mais par malheur ce statut ne déclarait pas que personne ne pourrait plus être poursuivi devant les tribunaux pour les délits imaginaires d’accapareur, de regrattier, etc. Les auteurs de l’acte croyaient sans doute que le progrès des connaissances et l’esprit du siècle seraient une sécurité suffisante pour la liberté du commerce. Ils se trompaient. En 1795 et 1800, le prix du blé s’éleva à un taux excessif ; et malgré les raisonnements concluants du docteur Smith et d’autres écrivains compétents, malgré la déclaration si explicite du préambule de l’acte cité plus haut, les clameurs contre les marchands de blé furent aussi fortes qu’elles auraient pu l’être dans le siècle des Édouard et des Henri. Les autorités municipales de Londres dénoncèrent les spéculations des marchands de blé… L’un d’eux, nommé Rutley, fat accusé, en 1800, du délit de regrattier, c’est-à-dire pour avoir vendu sur le même marché, le même jour qu’il les avait achetés, trente quarters d’avoine, à la surenchère de deux schellings le quarter Mac Culloch.

  37. Avant le statut de la treizième année du roi actuel, les droits à payer sur l’impor­ta­tion des différentes sortes de grains étaient établis comme il suit :
    GrainsDroitsDroitsDroits
    Haricots à 28s.le quart, 19s. 10d. par quart. Ensuite jusqu’à 40s.16s. 8d.au-delà 12d.
    Orge à 28s.19s. 10d.32s. 16s.12d.
    L’importation de la drèche est prohibée par le bill de la taxe annuelle sur la drèche.
    Avoine à 16s.le quart 5s. 10d. et au delà de ce prix, 9 1/2d.
    Pois à 40s.16s. 10d. et au delà de ce prix, 9 3/4d.
    Seigle à 36s.19s. 10d. jusqu’à 40s.16s. 8d.au delà, 12d.
    Blé from. à 44s.21s. 9d. till 53s. 4d.17s.au delà, 8s. jusqu’à 4 l. et au delà de ce dernier prix, environ 1s. 4d.
    Blé saran. à 32s.paye 16s. par quarter


    Ces différents droits ont été établis en partie par le statut de la vingt-deuxième année de Charles II, à la place de l’ancien subside, et en partie par le nouveau subside, par les tiers et deux tiers de subside, et par le subside de 1747.

  38. Toutes les marchandises sujettes au droit de douane appelé poundage, ou de tant par livre de leur valeur, sont évaluées dans un livre de tarifs pour prévenir l’arbitraire et les contestations dans la perception du droit.
  39. To ingros, acheter des denrées en grandes quantités et en faire des magasins.