Recherches sur la probabilité des jugements en matière criminelle et en matière civile/Chapitre III

La bibliothèque libre.

CHAPITRE III.

Calcul des probabilités qui dépendent de très grands nombres.

(66). Lorsqu’on veut calculer le rapport des puissances très élevées de deux nombres donnés, on le peut toujours, sans difficulté, au moyen des tables logarithmiques, en employant, s’il est nécessaire, des logarithmes qui contiennent plus de décimales, que ceux dont on fait usage ordinairement. Si et sont ces deux nombres, et et leurs puissances, on aura

 ;

les produits , , et leur rapport s’obtiendront aisément ; et ce rapport étant le logarithme de celui qu’on demande, on trouvera ensuite celui-ci dans les tables. Mais il n’en est plus de même, lorsqu’il s’agit du rapport de deux produits dont chacun est composé d’un très grand nombre de facteurs inégaux, tel que

 ;

les deux nombres et étant très grands, l’addition des logarithmes de , , , etc., et de ceux de , , , etc., deviendrait très pénible, et même impraticable, ainsi que le calcul de ce rapport. On est obligé alors de recourir à des méthodes d’approximation, dont Stirling a donné le premier exemple, et qui ont cela de très remarquable qu’elles introduisent, dans les valeurs approchées des rapports que l’on considère, la circonférence du cercle et d’autres quantités transcendantes, quoique leurs valeurs exactes soient des nombres entiers, ou des fractions qui ont des nombres entiers pour numérateurs et pour dénominateurs.

Ces rapports de produits d’un très grand nombre de facteurs, et les sommes de nombres aussi très grands de semblables rapports, se présentent dans la plupart des applications les plus importantes du calcul des probabilités ; ce qui rendrait les règles exposées dans les deux chapitres précédents, bien qu’elles soient complètes, très peu utiles ou tout-à-fait illusoires, sans le secours des formules propres à en calculer les valeurs numériques avec une approximation suffisante. Ce sont ces formules dont nous allons maintenant nous occuper.

(67). Considérons d’abord le produit , des premiers nombres naturels.

Ici et dans tout ce chapitre, la lettre sera employée pour représenter la base des logarithmes népériens. Par le procédé de l’intégration par partie, on trouvera

. (1)

Le coefficient de , sous cette intégrale, s’évanouit pour et pour  ; entre ces deux limites, il ne devient jamais infini, et ne passe que par un seul maximum que l’on déterminera en égalant sa différentielle à zéro : en appelant sa valeur maxima, et la valeur correspondante de , on aura

,.

Cela étant, on pourra poser

 ;

désignant une nouvelle variable que l’on fera croître depuis jusqu’à , et dont les valeurs particulières , , , répondront respectivement à , , . En regardant comme une fonction de , nous aurons alors

.

On aura aussi

 ;

et si l’on fait

,

et qu’on développe suivant les puissances de , il en résultera

,

en observant que la différentielle première de est égale à zéro, et où l’on fera après les différentiations. La valeur de que l’on tirera de cette équation pourra être représentée par une série de la forme

 ;

, , , etc., étant des coefficients indépendants de , que l’on déterminera, les uns au moyen des autres, en substituant cette valeur dans cette équation, et égalant ensuite à zéro la somme des coefficients de chaque puissance de dans son premier membre. On aura, de cette manière,

(2)

En désignant par un nombre entier et positif, on a

On a aussi, comme on sait,

 ;

désignant toujours le rapport de la circonférence au diamètre. Donc, à cause de

,

nous aurons

.

Il suffira donc de déterminer les coefficients , , , etc., de rangs impairs ; or au moyen des équations (2), on trouve

,,, etc. ;

par conséquent, en ayant égard à l’équation (1) et à la valeur de , on aura finalement

. (3)

(68). La série contenue entre les parenthèses sera d’autant plus convergente dans ses premiers termes, qu’il s’agira d’un plus grand nombre . Toutefois, la loi de la série n’étant pas connue, elle peut être du genre des séries qui finissent par devenir divergentes, en les prolongeant convenablement ; mais en réduisant cette série à sa partie convergente, on pourra toujours faire usage de la formule (3) pour calculer une valeur approchée du produit des premiers nombres naturels ; et il ne sera pas même nécessaire que soit fort considérable pour que l’approximation soit très grande. En prenant, par exemple, , la formule réduite à ses trois premiers termes, donne 3 628 800 à moins d’une unité près, et ce nombre entier se trouve être aussi la valeur exacte du produit des 10 premiers nombres naturels.

En mettant au lieu de dans la formule (3), il vient

 ;

mais on a identiquement

 ;

on aura, par conséquent,

 ;

et en divisant cette équation membre à membre par l’équation (3), on en conclut

 ; (4)

en sorte que l’expression en série du produit des nombres impairs ne renferme plus la quantité , qui se trouve dans celle du produit des nombres pairs et impairs.

Si l’on fait dans cette équation et dans la formule (3), on en déduit

Par le calcul direct, on a

0,96105…, 1,08444… ;

et ces séries réduites à leurs trois premiers termes, donnent 0,95920 et 1,08680 ; ce qui diffère très peu des valeurs exactes. Ces exemples numériques, joints au précédent, montrent quel degré d’approximation on peut attendre des formules de ce genre, dont on fera un continuel usage dans ce chapitre.

En multipliant par les deux membres de l’équation (3), les élevant ensuite au carré, et les divisant par , il vient

en élevant les deux membres de l’équation (4) au carré, et supprimant dans le premier un facteur égal à l’unité, on a de même

De cette manière, les premiers membres de ces deux équations sont des produits composés d’un même nombre de facteurs, égal à  ; et si l’on divise ces équations membre à membre, on en conclut

résultat qui coïncide dans le cas de infini, avec la formule connue de Wallis, savoir :

.

C’est à Laplace que l’analyse est redevable de la méthode que nous venons d’employer pour réduire les intégrales en séries convergentes dans leurs premiers termes, et propres à en calculer des valeurs approchées, lorsque les quantités soumises à l’intégration sont affectées de très grands exposants. Nous en verrons dans la suite une autre application.

(69). Maintenant, soient E et F deux événements contraires, de nature quelconque, dont un seul arrivera à chaque épreuve ; désignons par et leurs probabilités que nous supposerons constantes ; appelons la probabilité que dans un nombre d’épreuves, E arrivera un nombre de fois, et F un nombre de fois ; nous aurons (no 14)

, (5)

où l’on devra faire

,.

Or, si , , , sont de très grands nombres, il faudra recourir à la formule (3) pour calculer la valeur numérique de cette quantité . En supposant chacun de ces trois nombres assez grand pour qu’on puisse réduire cette formule à son premier terme, nous aurons

et par conséquent

, (6)

pour la valeur approchée de .

Il est facile d’en conclure que l’événement composé le plus probable, ou celui pour lequel cette valeur de sera la plus grande, répondra au cas où le rapport des nombres et approchera le plus possible d’être égal au rapport des deux probabilités et . En effet, si l’on considère, au contraire, et comme des nombres donnés et et comme des variables dont la somme est l’unité, mais qui peuvent croître par degrés infiniment petits, depuis zéro jusqu’à l’unité, on trouvera, par la règle ordinaire, que le maximum de répond et . Mais vu le grand nombre des autres événements composés, moins probables que celui-là, sa probabilité sera néanmoins peu considérable et diminuera à mesure que le nombre des épreuves, que l’on suppose très grand, augmentera encore davantage. Par exemple, si l’on a , et que soit un nombre pair, l’événement composé le plus probable répondra à  ; et d’après la formule (6), sa probabilité aura pour valeur

 ;

laquelle décroîtra, comme on voit, en raison inverse de la racine carrée du nombre . En prenant 100, on aura

0,07979, 0,92021 ;

en sorte qu’on pourra parier un peu plus de 92 contre 8, que dans 100 épreuves, les événements contraires E et F, tous les deux également probables, n’arriveront pas néanmoins un même nombre de fois. Si l’on eût conservé le second terme de la formule (3), cette dernière expression de se trouvait multipliée par  ; ce qui diminuerait d’un 400e de sa valeur, dans le cas de 100.

(70). Non-seulement l’événement composé pour lequel les nombres et approchent le plus d’être entre eux comme les fractions et , est toujours le plus probable, mais dans un nombre d’épreuves, donné et supposé très grand, les probabilités des autres événements composés ne commencent à décroître rapidement que quand le rapport s’écarte de , en plus ou en moins, au-delà d’une certaine limite dont l’étendue est en raison inverse de .

En effet, prenons encore pour exemple le cas de  ; soit une quantité donnée, positive ou négative, et moindre que , abstraction faite du signe ; si nous faisons, dans la formule (6),

,,

nous en déduirons

.

Or, si est une fraction ou un nombre très petit par rapport à , on aura, par la formule du binôme (no 8), à très peu près,

et en prenant sous le radical, au lieu de , il en résultera

,

pour la loi du décroissement de la probabilité , dans une petite étendue, de part et d’autre de son maximum. En faisant, par exemple,

,,

on en conclura que dans 200 épreuves, la probabilité que les événements E et F, dont les chances sont égales, auront lieu le premier 105 fois et le second 95 fois, est à la probabilité qu’ils arriveront chacun 100 fois, comme est à l’unité, ou à peu près, comme 3 est à 4.

La formule (6) suppose que chacun des trois nombres , , , est très grand ; cette condition étant remplie, et si le rapport s’écarte beaucoup de , cette formule donne pour une valeur très petite relativement à son maximum ; mais il est bon d’observer que si l’on suivait une autre méthode d’approximation, la valeur toujours très petite de que l’on trouverait, lorsque la différence est une très petite fraction, pourrait ne pas coïncider avec celle qui se déduit de la formule (6), de telle sorte que le rapport de l’une de ces valeurs approchées à l’autre pourrait différer beaucoup de l’unité.

Pour le faire voir, j’observe qu’en vertu d’une formule qui se trouve dans l’un de mes mémoires sur les intégrales définies[1], on a

.

Quels que soient les nombres et , et leur somme , on aura donc, d’après l’équation (5),

,

dans le cas de , qu’il nous suffira de considérer. Or, si est un très grand nombre, et si, dans un calcul d’approximation, on le traite comme un nombre infini, le facteur de sous le signe d’intégration, s’évanouira dès que la variable aura une grandeur finie ; et l’autre facteur ayant toujours une valeur finie, il s’ensuit qu’on pourra, sans altérer la valeur de l’intégrale, l’étendre seulement depuis jusqu’à , en désignant par une quantité infiniment petite et positive. Entre ces limites, on aura

,,

et, par conséquent,

.

Mais actuellement, le facteur s’évanouissant pour toute valeur finie de , on peut aussi, sans altérer la valeur de cette nouvelle intégrale, l’étendre au-delà de , et si l’on veut jusqu’à  ; et comme on a, d’après une formule connue,

,

il en résultera

.

Cela posé, si l’on fait, comme plus haut,

,

cette valeur de coïncidera avec celle qui se déduit de la formule (6), seulement lorsque sera un très petit nombre relativement à  ; et pour d’autres valeurs de , le rapport de l’une à l’autre de ces deux valeurs de différera beaucoup de l’unité, et pourra même devenir un très grand nombre. En prenant, par exemple, et , la formule précédente donne

.

On déduit de la formule (6)

 ;

ou bien, à cause que le second facteur est à très peu près égal au troisième, il en résulte

 ;

Or, ces deux valeurs de s’accordent en ce sens qu’elles sont toutes deux très petites, et qu’elles montrent, en conséquence, que dans un très grand nombre d’épreuves, il y a une probabilité extrêmement faible que les deux événements E et F, dont les chances sont égales, arriveront des nombres de fois et , ou dont l’un sera triple de l’autre. Mais si l’on divise la dernière valeur de par la première quantité qui croît indéfiniment avec , et surpasse déjà 800 pour 100.

(71). Supposons toujours les chances de E et F constantes, mais inconnues. On sait seulement que dans un nombre ou d’épreuves, E et F sont arrivés fois et fois. On demande la probabilité que dans un nombre ou d’épreuves futures, E et F arriveront fois et fois. En la représentant par  ; désignant par le produit des premiers nombres naturels, de sorte qu’on ait

 ;

et faisant, pour abréger,

,

nous aurons (no 46)

.

Quels que soient et , si et sont de très grands nombres, et que l’on réduise, comme plus haut, la formule (3) à son premier terme, nous aurons

 ;

les valeurs des autres produits , , etc., se déduiront de celle de en y mettant , , etc., au lieu de  ; et il en résultera

,

pour la valeur approchée de , dans laquelle on a fait, pour abréger,

.

On peut aussi mettre cette expression de sous une autre forme : à cause de la grandeur de , on a, à très peu près, par la formule du binôme,

 ;

et à cause de , il en résulte

. (7)

Si et sont de très petits nombres par rapport à et , on aura, à très peu près,

,,,

soit par la formule du binôme (no 8), soit par la considération des logarithmes ; on aura également, à très peu près,

, ;

et l’on pourra aussi remplacer le facteur par l’unité dont il différera très peu. Par conséquent, nous aurons

 ;

et d’après la formule (5), nous voyons que cette expression de coïncide avec la probabilité que les événements E et F arriveront des nombres de fois et , dans un nombre d’épreuves , lorsque les chances et de E et F sont données à priori, et ont pour valeur certaines et . Dans le cas particulier de et , on a et  ; en sorte que la probabilité qu’un événement E qui a eu lieu un nombre de fois dans un très grand nombre d’épreuves, arrivera encore une fois dans une nouvelle épreuve, a pour valeur approchée le rapport de à  ; ce qui est conforme à la règle du no 49.

Mais lorsque les nombres et ont des grandeurs comparables à celles de et , la probabilité n’est plus la même que si les chances de E et F étaient données à priori, et certainement égales à et . Pour le faire voir par un exemple, je désigne par un nombre entier, ou une fraction qui ne soit pas très petite, et je prends

,, ;

la quantité est alors à très peu près égale à  ; et à cause de , la formule (7) se réduit à

.

En la comparant à la formule (5), et désignant par , ce que devient celle-ci quand on y fait

,,

et que l’on y met et au lieu de et , on en conclut

 ;

d’où il résulte que est moindre que , dans le rapport de l’unité à , et que, par conséquent, est une très faible probabilité, lorsque est un très grand nombre.

Ainsi, il y a une différence essentielle entre les probabilités et des événements E et F, qui sont données par hypothèse, et leurs probabilités et , déduites des nombres de fois que E et F sont arrivés dans un très grand nombre d’épreuves : la probabilité que E et F arriveront des nombres de fois donnée dans une autre série d’épreuves, est moindre dans le second cas que dans le premier ; différence qui tient à ce que les probabilités de E et F, conclues de l’observation, quelque grands que soient les nombres et sur lesquels elles sont fondées, ne sont cependant elles-mêmes que probables, tandis que les probabilités de E et F, données à priori, ont des valeurs certaines. Si l’on sait, par exemple, qu’une urne A renferme des nombres égaux de boules blanches et de boules noires, il y aura une probabilité à très peu près égale à 0,07979, comme on l’a vu plus haut, que dans 100 tirages successifs, et en remettant à chaque fois dans A la boule qui en est sortie, on amènera 50 boules de chaque couleur ; mais si la proportion des boules blanches et des boules noires contenues dans A n’est pas donnée, et que l’on sache seulement que dans 100 tirages il est arrivé 50 boules blanches et 50 boules noires, la probabilité que la même chose aura lieu dans 100 nouvelles épreuves ne sera plus que la fraction 0,07979, divisée par , ou 0,05658, en faisant dans l’équation précédente.

(72). Pour donner un exemple du cas où les chances des événements E et F varient pendant les épreuves, je suppose qu’une urne A contienne un nombre de boules dont boules blanches et boules noires ; qu’on en tire successivement un nombre de boules, sans remettre dans A les boules qui en seront extraites ; et j’appelle la probabilité que dans tirages, on amènera, suivant un ordre quelconque, boules blanches et boules noires. D’après la formule du no 18, en désignant par et les nombres de boules blanches et de boules noires qui resteront dans A après les tirages, et leur somme par , de sorte qu’on ait

,, ;

faisant, pour abréger,

 ;

et conservant la notation du numéro précédent, nous aurons

.

Si , , , , sont de très grands nombres, les valeurs des six produits , , etc., seront données par la formule (3) ; et en la réduisant à son premier terme, et observant qu’on a

,,

on en conclura

,

pour la valeur approchée de  ; laquelle est exacte et égale à l’unité, dans le cas où l’on a

,,,

et où l’on doit prendre, en conséquence, l’unité pour le facteur  : elle exprime alors la probabilité que dans un nombre d’épreuves, on tirera de A, les boules blanches et les boules noires que cette urne contenait ; ce qui est la certitude.

Dans le cas où les nombres et sont entre eux comme et , on a aussi

, ;

et si l’on fait

, ;

l’expression de devient

.

En la comparant à la formule (5), et désignant par la probabilité que deux événements dont les chances seraient constantes et égales aux chances et des extradions d’une boule blanche et d’une boule noire à l’origine des tirages, arriveraient des nombres de fois et dans un nombre ou d’épreuves, on aura

 ;

ce qui montre que la probabilité est plus grande que dans le rapport de à , quel que soit le nombre de boules qui restent dans A après les tirages, et pourvu seulement que le nombre de boules qu’on en a tirées soit très grand.

On peut remarquer que l’on a

, ;

de sorte que les nombres et de boules des deux couleurs qui restent dans A, sont entre eux comme les probabilités et , ou comme les nombres et de pareilles boules que cette urne contenait primitivement. Si l’on a, par exemple, , et conséquemment , on aura (no 69)

 ;

et à cause de , il en résultera

 ;

Lorsque , cette quantité a pour valeur

 ;

d’où l’on conclut que quand une urne A renferme des nombres très grands et égaux, de boules blanches et de boules noires, et qu’on en tire la moitié de leur nombre total, sans y remettre les boules sorties, la probabilité d’amener autant de boules blanches que de boules noires, surpasse, dans le rapport de à l’unité, la valeur qu’elle aurait si l’on eût remis dans l’urne, la boule extraite à chaque épreuve.

(73). Je reviens actuellement au cas où les chances et des deux événements E et F sont constantes, et je vais considérer la probabilité que dans un nombre ou d’épreuves, E arrivera au moins fois et F au plus fois. Cette probabilité sera la somme des premiers termes du développement de , ordonnée suivant les puissances croissantes de  ; de sorte qu’en la désignant par , on aura

(8)

mais sous cette forme, il serait difficile de la transformer en une intégrale à laquelle on puisse ensuite appliquer la méthode du no 67, lorsque et seront de très grands nombres. Cherchons donc d’abord une autre expression de P qui convienne mieux à cet objet.

On peut aussi dire que l’événement composé dont il s’agit consiste en ce que F n’arrivera pas plus de fois dans les épreuves. En le considérant de cette manière, je l’appellerai G. Il pourra avoir lieu dans les cas suivants :

1o. Si les premières épreuves amènent toutes l’événement E ; car alors, il ne restera plus que ou épreuves qui ne pourront pas amener F plus de fois. La probabilité de ce premier cas sera .

2o. Si les premières épreuves amènent fois E et une fois F, sans que F occupe le dernier rang, condition nécessaire pour que ce second cas ne rentre pas dans le premier. Il est évident que les épreuves suivantes ne pouvant amener F que fois au plus, cet événement n’arrivera pas plus de fois dans la totalité des épreuves. La probabilité de l’arrivée de fois E et de une fois F, qui occuperait un rang déterminé, étant , et ce rang pouvant être les premiers, il s’ensuit que la probabilité du second cas favorable à G, sera .

3o. Si les premières épreuves amènent fois E et deux fois F, sans que F occupe le deuxième rang, ce qui est nécessaire et suffisant pour que ce troisième cas ne rentre ni dans le premier, ni dans le second. La probabilité de l’arrivée de fois E et de deux fois F, dans des rangs déterminés, serait  ; en prenant deux à deux les premiers rangs pour y placer F, ou a combinaisons différentes ; la probabilité du troisième cas favorable à G aura donc pour valeur.

En continuant ainsi, on arrivera enfin au ième cas, dans lequel les épreuves amèneront fois E et fois F, sans que F occupe le dernier rang, afin que ce cas ne rentre dans aucun des précédents ; et sa probabilité sera

.

Ces cas étant distincts les uns des autres, et présentant toutes les manières différentes dont l’événement G puisse avoir lieu, sa probabilité complète sera la somme de leurs probabilités respectives (no 10) ; en sorte que nous aurons

(9)

expression qui doit coïncider avec la formule (8), mais qui a l’avantage de pouvoir se transformer aisément en intégrales définies, dont les valeurs numériques pourront être calculées par la méthode du no 67, avec d’autant plus d’approximation que et seront de plus grands nombres.

(74). Pour effectuer cette transformation, j’observe qu’en intégrant fois de suite par partie, et désignant par une constante arbitraire, on aura

Comme on a , tous les termes de cette formule, excepté , disparaissent quand  ; si donc on désigne par une quantité positive quelconque, ou zéro, on en conclura

Dans le cas de , cette équation se réduit à

 ;

et en divisant l’équation précédente par celle-ci, et faisant, pour abréger

,

on obtient facilement

Or, si l’on prend

,

et si l’on observe qu’on a , le second membre de cette dernière équation coïncidera avec la formule (9) ; pour cette valeur de , nous aurons donc

. (10)

Dans le cas de et , est la probabilité que E arrivera au moins fois, ou à toutes les épreuves ; par conséquent, doit avoir pour valeur ; et, en effet, pour , on a,

,,.

Dans le cas de et , est la probabilité que E arrivera au moins une fois, ou que F n’arrivera pas à toutes les épreuves ; on doit donc avoir

 ;

ce que l’on peut aussi vérifier. Pour cela, je fais

,, ;

pour , il en résulte

et à cause de

,,

la formule (10) coïncide avec la valeur précédente de .

(75). Appliquons d’abord la méthode du no 67 à l’intégrale .

En appelant, comme dans ce numéro, la valeur de qui répond au maximum de , et la valeur correspondante de , l’équation , qui servira à déterminer sera

,

d’où l’on conclut

,.

Si l’on fait, dans les équations (2),

,

et qu’après avoir effectué les différentiations relatives à , on y mette pour cette quantité, sa valeur précédente, on en déduit


etc.

et lorsque , , , seront de très grands nombres et du même ordre de grandeur, il est aisé de voir que ces valeurs des quantités , , , etc., formeront une série très rapidement décroissante, dont le premier terme sera du même ordre de petitesse que la fraction , le second de l’ordre de , le troisième de l’ordre de , et ainsi de suite.

Cela posé, nous aurons, pour la valeur en série de l’intégrale donnée,

. (11)

(76). L’expression de l’autre intégrale contenue dans la formule (10) sera différente selon qu’on aura ou en désignant toujours par la valeur de qui répond au maximum de .

En effet, la variable que l’on a représentée par dans la transformation du no 67, doit être positive pour toutes les valeurs de supérieures à , et négative pour toutes les valeurs de moindres que  ; or, si l’on appelle et les valeurs de et de , qui répondent à , on aura

, ;

à cause de , et en ayant égard à la valeur précédente de , on en déduit

 ;

d’où l’on tire , en faisant, pour abréger,

. (12)

En considérant comme une quantité positive, il faudra donc prendre , lorsqu’on aura , et , quand on aura  ; par conséquent, d’après la transformation du numéro cité, nous aurons, dans le premier cas,

,

et, dans le second,

en faisant, comme dans ce no 67,

On a d’ailleurs

étant un nombre entier et positif, ou zéro. Si donc on fait généralement

,,

et si l’on observe que est l’expression de , il en résultera

(13)

pour le cas de , et

(14)

pour le cas de .

Chacune des séries contenues dans ces formules aura, en général, le même degré de convergence que la série (11). Les valeurs des intégrales désignées par ne pourront s’obtenir que par approximation, lorsque sera différent de zéro. Celles qui sont représentées par s’exprimeront toujours sous forme finie, et l’on aura

.

Quand on aura , les formules (13) et (14) devront coïncider. En effet, on aura en même temps

,, ;

ce qui rendra nulle la valeur de tirée de l’équation (12). Il en résultera

et d’après l’équation (11), les formules (13) et (14) se réduiront l’une et l’autre à

(77). Nous supposerons actuellement les nombres , , , assez grands pour qu’on puisse négliger dans ces différentes formules, les quantités , , etc. D’après les valeurs de et données plus haut, on aura

 ;

et au moyen de l’équation (10) et des formules (11), (13), (14), nous aurons

(15)

la première ou la seconde de ces deux valeurs de ayant lieu, selon que l’on a ou , et étant une quantité positive, donnée par l’équation (12). Pour plus de simplicité, on a mis et au lieu de et dans les derniers termes de ces formules ; elles feront connaître, avec une approximation suffisante, la probabilité qu’il s’agissait de déterminer.

Si est un nombre pair, que l’on fasse , et qu’on suppose , on aura

,.

Ce sera donc la première équation (15) qu’il faudra employer ; cette formule et l’équation (12) deviendront

et exprimera la probabilité que dans un très grand nombre pair d’épreuves, l’événement F le plus probable n’arrivera cependant pas plus souvent que l’événement contraire E. En appelant la probabilité qu’ils arriveront tous les deux le même nombre de fois, sera la probabilité que F arrivera moins souvent que E. Dans le cas de , il est évident que sera aussi la probabilité que E arrivera moins souvent que F ; le double de , ajouté à la probabilité , donnera donc la certitude, ou, autrement dit, sera l’unité ; d’où l’on conclut

 ;

et c’est, en effet, ce que l’on peut aisément vérifier.

En réduisant en série, on a

et, par conséquent,

 ;

donc en conservant seulement les termes du même ordre de petitesse que la fraction , nous aurons

,.

Nous aurons, en même temps,

 ;

au moyen de quoi la valeur précédente de se réduira à

 ;

ce qui coïncide, effectivement, avec celle que l’on déduit de la formule (6), dans le cas de et .

Si est un nombre impair, que l’on fasse qu’on suppose toujours , on aura encore  ; la première formule (15) et l’équation (12) deviendront

et sera la probabilité que dans un très grand nombre d’épreuves, l’événement le plus probable se présentera cependant le moins souvent ; car étant impair, le cas de l’égalité des arrivées de E et F sera impossible. Dans le cas de , cette probabilité devra être égale à  ; et c’est aussi ce que nous allons vérifier.

Nous aurons

et, par conséquent,

En négligeant, comme plus haut, le terme de l’ordre de petitesse de la fraction , il en résultera

,, ;

ce qui réduit à la valeur précédente de .

(78). Supposons maintenant que le nombre diffère du produit , d’une quantité , positive ou négative, mais très petite par rapport à ce produit. À cause de et , on aura à la fois

,.

La valeur correspondante de sera

,

et, par conséquent, moindre que , en regardant d’abord comme une quantité positive. Si l’on développe le second membre de l’équation (12) suivant les puissances de , on trouve

 ;

et, étant une quantité positive, si l’on fait

,

on en déduit

.

En excluant le cas où l’une des deux fractions et serait très petite, la série comprise entre les parenthèses, est très convergente, puisqu’elle procède suivant les puissances de , ou de . En ne conservant seulement que les deux premiers termes, et faisant, pour abréger,

,

on aura simplement . On aura, en même temps,

 ;

mais dans le second terme de la première formule (15), il suffira de faire , et d’y mettre et , au lieu de et  ; elle deviendra, de cette manière,

.

Considérons actuellement comme une quantité négative, auquel cas on aura . En désignant par une quantité positive, et prenant pour la valeur de , celle de sera

 ;

mais la valeur de tirée de l’équation (12) devant toujours être positive, on aura , en faisant, pour abréger,

,

la seconde formule (15), que l’on devra employer, deviendra

.

Si l’on retranche de celle-ci, la précédente valeur de , et qu’on appelle la différence, il vient

(16)

et d’après la signification de ces deux probabilités , il est aisé de voir que sera la probabilité que l’événement F arrivera dans un très grand nombre d’épreuves, un nombre de fois qui n’excédera pas la seconde valeur de , et surpassera la première au moins d’une unité, si elle est un nombre entier, et de moins d’une unité, si elle n’en est pas un.

(79). Pour simplifier ce résultat, soient le plus grand nombre entier contenu dans , et l’excès de sur  ; désignons par , une quantité telle que soit un nombre entier, très petit par rapport à  ; et faisons ensuite}}

Les limites des valeurs de auxquelles se rapporte la probabilité , deviendront

, ;

par conséquent, la formule (16) exprimera alors la probabilité que excédera au moins d’une unité cette première limite, et ne surpassera pas la seconde, c’est-à-dire la probabilité que ce nombre sera contenu entre les limites

,

équidistantes de , et dans lesquelles on a mis au lieu de , ou qu’il sera égal à l’une d’elles.

D’après les équations qu’on vient de poser, et les expressions de et , on aura

, ;

étant une quantité de l’ordre de petitesse de la fraction . Or, en désignant par une quantité quelconque de cet ordre, dont on négligera le carré, on a

 ;

si donc on applique cette équation aux deux intégrales contenues dans la formule (16), et si l’on fait , dans les termes compris hors du signe , qui sont déjà divisés par , il en résultera

, (17)

où l’on a aussi mis, dans le dernier terme, au lieu de .

Si l’on eût voulu que l’intervalle des valeurs de dont la probabilité est , ne comprît pas sa limite inférieure, il aurait fallu augmenter d’une unité la plus petite des deux valeurs précédentes de  ; ce qui aurait fait disparaître le dernier terme de la valeur de , et, par suite, le dernier terme de la formule (17). De même, pour que cet intervalle ne comprît pas sa limite supérieure, on aurait dû diminuer d’une unité la plus grande de ces deux valeurs de  ; ce qui aurait diminué de la valeur de , et encore fait disparaître le dernier terme de cette formule (17). Enfin, on devrait changer le signe de ce terme, si l’on voulait que l’intervalle des valeurs de que nous considérons ne renfermât ni l’une, ni l’autre, de ses deux limites. Il suit de là que le dernier terme de la formule (17) doit être la probabilité que l’on ait précisément

 ;

étant une quantité positive ou négative, telle que le second terme de soit très petit par rapport au premier. C’est aussi ce qui résulte de la formule (6).

En effet, en négligeant les quantités de l’ordre de petitesse de la fraction , on aura

, ;

d’où l’on conclut

,

ou, ce qui est la même chose,

or, en développant ces logarithmes, et négligeant toujours les termes de l’ordre de , on trouve pour la valeur du second membre de cette équation ; par conséquent, nous aurons

 ;

et comme on a aussi, d’après les équations précédentes,

,

la formule (6) deviendra

 ;

ce qu’il s’agissait de vérifier.

La première valeur de du numéro précédent, étant la probabilité que le nombre ne surpassera pas la limite , dans laquelle je mets au lieu de , il s’ensuit que si l’on fait dans la valeur de et qu’on la retranche ensuite de celle de , la différence sera la probabilité que n’atteindra pas cette même limite. De même, si l’on fait dans la valeur de et qu’on la retranche ensuite de la seconde valeur de du numéro précédent, la différence sera la probabilité que sera au-dessous de la limite . En appelant et ces différences, on trouve

(18)

On se rappellera que, dans ces formules, et sont des quantités positives, très petites par rapport à  ; en sorte que les limites de auxquelles ces probabilités et se rapportent diffèrent peu du produit , l’une en plus et l’autre en moins. En même temps, les valeurs des quantités et qu’elles renferment, seront très petites par rapport à et  ; et si l’on y met à la place de , on aura

,.

(80). En divisant par les limites de auxquelles se rapporte la formule (17), et ayant égard à ce que représente, on aura pour les limites du rapport , dont la probabilité est . Si donc, on néglige la fraction , il en résultera que cette quantité , déterminée par la formule (17), est la probabilité que la différence , se trouvera comprise entre les deux limites

,

qui seront aussi, en changeant leurs signes, avec la même probabilité, celles de la différence , puisque la somme de ces deux différences, est égale à zéro.

On pourra toujours prendre assez grand pour que cette probabilité diffère aussi peu qu’on voudra de la certitude. Il ne sera pas même nécessaire de donner à à une grande valeur pour rendre très petite la différence  : il suffira, par exemple de prendre égal à quatre ou cinq, pour que l’exponentielle , l’intégrale , et par suite la valeur de , soient presque insensibles. La quantité ayant reçu une pareille valeur et demeurant constante, les limites de la différence se resserreront de plus en plus à mesure que le nombre , qu’on suppose déjà très grand, augmentera encore davantage ; le rapport du nombre de fois que E arrivera au nombre total des épreuves, différera donc de moins en moins de la chance de cet événement ; et l’on pourra toujours multiplier assez le nombre des épreuves, pour qu’il y ait la probabilité que la différence sera aussi petite qu’on voudra. Réciproquement, en augmentant continuellement le nombre , si l’on prend pour chacune des limites précédentes, une grandeur constante et donnée , c’est-à-dire, si l’on fait croître dans le même rapport que , la valeur de approchera indéfiniment de l’unité ; en sorte qu’on pourra toujours augmenter assez le nombre des épreuves, pour qu’il y ait une probabilité aussi peu différente qu’on voudra de la certitude, que la différence tombera entre les limites données . C’est en cela que consiste le théorème de Jacques Bernouilli, énoncé dans le no 49.

(81). Dans le calcul précédent, nous avons exclu (no 78) le cas où l’une des deux chances et est très petite, qui nous reste, en conséquence, à considérer en particulier.

Je suppose que soit une très petite fraction, ou que ce soit l’événement F qui ait une très faible probabilité. Dans un très grand nombre d’épreuves, le rapport du nombre de fois que F arrivera à ce nombre sera aussi une très petite fraction ; en mettant a la place de dans la formule (9), faisant

,,

et négligeant ensuite la fraction , la quantité contenue entre les parenthèses, dans cette formule, deviendra

.

En même temps, on aura

, ;

on pourra remplacer par l’exponentielle , le premier facteur de cette valeur de , et réduire le second à l’unité ; par conséquent, d’après l’équation (9), nous aurons, à très peu près,

,

pour la probabilité qu’un événement dont la chance à chaque épreuve est la fraction très petite , n’arrivera pas plus de fois dans un très grand nombre d’épreuves.

Dans le cas de , cette valeur de se réduit à  ; il y a donc cette probabilité que l’événement dont il s’agit n’arrivera pas une seule fois dans le nombre d’épreuves, et conséquemment, la probabilité qu’il arrivera au moins une fois, ainsi qu’on l’a déjà vu dans le no 8. Dès que ne sera plus un très petit nombre, la valeur de différera très peu de l’unité, comme on le voit, en observant que l’expression précédente de peut être écrite sous la forme

.

Si l’on a, pas exemple, , et qu’on suppose , la différence sera à peu près un cent-millionième, de sorte qu’il est presque certain qu’un événement dont la chance très faible est à chaque épreuve, n’arrivera pas plus de dix fois, dans le nombre d’épreuves.

(82). L’intégrale contenue dans la formule (17) se calculera, en général, par la méthode des quadratures. On trouve à la fin de l’Analyse des réfractions astronomiques de Kramp, une table de ses valeurs qui s’étend depuis , jusqu’à , et d’après laquelle, on a

0,00001957729…,

pour . Au moyen de l’intégration par partie, on trouve

 ;

pour , la série comprise entre les parenthèses, sera suffisamment convergente, du moins dans ses premiers termes, et cette formule pourra servir à calculer les valeurs de l’intégrale. On a aussi

 ;

et en développant l’exponentielle suivant les puissances de , on aura

 ;

série qui sera très convergente pour les valeurs de moindres que l’unité.

Si l’on veut calculer la valeur de pour laquelle on a , on fera usage de cette dernière série ; et d’après l’équation (17) on aura

.

En désignant par la valeur de qui satisfait à cette équation, abstraction faite du deuxième terme de son second membre, nous aurons ensuite

,

aux quantités près de l’ordre de petitesse de . Après quelques essais, on trouve pour la valeur approchée de  ; d’où il résulte qu’il sera également probable que la différence tombera en dehors ou en dedans des limites

.

Pour une valeur quelconque de , il y a la probabilité que la différence des deux quantités et , aura pour limite le double de  ; si donc on a , il y aura une probabilité égale à que la quantité , sera comprise entre les limites

 ;

par conséquent, lorsque les événements E et F ont la même chance, il sera également probable que la différence entre les nombres de fois qu’ils arriveront, surpassera , ou sera moindre, abstraction faite du signe.

Ainsi, quand deux joueurs A et B jouent l’un contre l’autre à jeu égal, un très grand nombre de parties, un million par exemple, il y a un contre un à parier que l’un d’eux, sans dire lequel, gagnera 674 parties de plus que l’autre. C’est dans cette différence qui peut également favoriser les deux joueurs, que consiste la part du hasard. Mais si, à chaque partie, la chance de A surpasse la chance de B, il y aura une probabilité , toujours croissante avec le nombre , que A gagnera de plus que B, un nombre  ; et comme le terme , qui résulte de la différence d’habileté des deux joueurs, croît proportionnellement au nombre des parties, tandis que le terme ambigu croît seulement dans le rapport de la racine carrée de ce nombre, il s’ensuit que le joueur le plus habile, ou qui a le plus de chance à chaque partie, finira toujours par l’emporter sur l’autre, quelque petite que soit la différence .

(83). Dans ce qui précède, nous avons supposé connues les chances et des événements E et F, et nous avons déterminé, avec une grande probabilité et une grande approximation, les rapports et , quand le nombre des épreuves est très grand. Réciproquement, lorsque ces chances ne seront pas données à priori, et que les rapports et auront été observés, les formules que nous avons trouvées feront connaître les valeurs très probables et très approchées des inconnues et . Ainsi, il y aura la probabilité , donnée par la formule (17), que la chance de E est comprise entre les limites . Si diffère très peu de l’unité, la fraction sera donc à très peu près et très probablement égale à , et à  ; en mettant donc et à la place de et dans le terme ambigu de ces limites et dans le dernier terme de la formule (17), qui ont déjà pour diviseur, il en résultera

, (19)

pour la probabilité que la chance de E est comprise entre les limites

.

Lorsque , , , seront de très grands nombres, on pourra, en général, se servir des valeurs approchées et de et , pour calculer la probabilité d’un événement futur, composé de E et F ; par exemple, la probabilité de l’arrivée fois de E et fois de F, dans un nombre ou de nouvelles épreuves, pourvu que soit très petit par rapport à  ; et cela étant, si est néanmoins un très grand nombre, on pourra employer la formule (17) : en mettant , , , au lieu de , , , dans cette formule et dans les limites auxquelles elle se rapporte, elle deviendra

, (20)

et elle exprimera la probabilité que le nombre sera compris entre les limites

,

où l’on a mis au lieu du plus grand nombre entier contenu dans ce rapport. Quelque approchées que soient ces valeurs et de et , comme elles ne sont que probables et non pas certaines, on n’en pourra plus faire usage, ainsi qu’on l’a vu précédemment (no 71), quand le nombre des épreuves futures aura une grandeur comparable à celle du nombre . C’est pourquoi, nous allons considérer d’une autre manière la question des chances et de E et F, déduites des événements observés, et appliquées ensuite à la probabilité des événements futurs.

(84). On suppose toujours que l’événement observé soit l’arrivée fois de E et fois de F, dans un très grand nombre ou d’épreuves, pendant lesquelles les chances et de E et F n’ont pas varié. Il y aura alors, d’après ce qui précède, une très grande probabilité que ces chances inconnues différaient très peu des rapports et que l’on pourra prendre, en conséquence, pour les valeurs approchées de et . Ces chances étant d’ailleurs susceptibles d’une infinité de valeurs croissantes par degrés infiniment petits, la probabilité d’une valeur exacte de et de la valeur correspondante de sera une quantité infiniment petite, qu’il s’agira de déterminer, du moins pour chacune des valeurs de et , qui s’écartent peu de et et que nous aurons seulement besoin de connaître.

La quantité , déterminée par la première formule (18), étant la probabilité que le nombre est inférieur à , elle est également la probabilité que la chance inconnue de l’événement F, arrivé fois dans épreuves, est supérieure à , ou bien à , en substituant dans le second terme de cette limite, à la place de et , leurs valeurs approchées et . Si l’on met au lieu de dans cette formule, et que l’on conserve seulement les infiniment petits du premier ordre, sera donc aussi la probabilité que surpasse  ; par conséquent, exprimera la probabilité infiniment petite que l’on a précisément

,

pour toutes les valeurs de positives et très petites par rapport à , comme le suppose l’expression de . De même, la seconde formule (18) exprimera la probabilité que la chance est supérieure à  ; en y mettant au lieu de , on aura donc pour la probabilité que la valeur de surpasse  ; par conséquent, sera la probabilité que est supérieure à la seconde limite sans l’être à la première, ou que l’on a précisément

 ;

étant aussi une quantité positive et très petite par rapport à . Mais par les règles connues de la différentiation sous le signe , et en substituant et à la place de et dans les derniers termes des formules (18), on a

D’après les valeurs de et , et en y faisant les mêmes substitutions, on a aussi

, ;

d’ailleurs, en bornant, comme précédemment, l’approximation aux termes de l’ordre de petitesse de la fraction , et négligeant, en conséquence, ceux qui ont pour diviseur, nous aurons

et de ces diverses valeurs, nous déduirons

Or, ces deux expressions ayant la même forme, et se changeant l’une dans l’autre par l’échange de et , il s’ensuit que si l’on désigne par une variable positive ou négative, mais très petite par rapport à , et qu’on fasse

, (21)

on aura pour la probabilité de

 ;

à cause de et , cette probabilité infiniment petite sera, en même temps, celle de

.

Cette quantité décroît, comme on voit, très rapidement à mesure que augmente ; et avant que cette variable ait acquis une grandeur comparable à , celle de peut être extrêmement petite à raison du facteur . Si l’on exprime de la même manière au moyen de cette variable, les valeurs de et très différentes de et , et que l’on représente par leur probabilité ; sera une fonction de , différente de , dont les valeurs numériques seront encore beaucoup moindres que celles de qui répondent à la limite où peut s’étendre la formule (21). On pourra donc regarder ces valeurs de comme étant tout-à-fait insensibles ; ce qui nous dispensera de chercher l’expression de cette quantité en fonction de .

Cela posé, soit E′ un événement futur, composé de E et F ; désignons par la probabilité de E′ qui aurait lieu si les chances de E et F avaient des valeurs certaines, de sorte que soit une fonction donnée de et  ; désignons aussi par la probabilité véritable de E′, en ayant égard à celle des valeurs quelconques de et que l’on substituera dans  : en multipliant par cette probabilité infiniment petite de et , et intégrant ensuite le produit depuis et jusqu’à et , on aura l’expression de . Mais, d’après ce qu’on vient de dire, on pourra négliger la partie de cette intégrale qui répond aux valeurs de et qui s’écartent beaucoup de et  ; par conséquent, si l’on met dans les valeurs précédentes de et , on aura simplement

, (22)

en étendant l’intégrale aux valeurs positives ou négatives de , mais très petites par rapport à .

Ce résultat s’accorde avec celui qui a été obtenu plus directement, dans le second paragraphe de mon mémoire sur la proportion des naissances des deux sexes.

(85). Pour donner une première application des formules (21) et (22), je suppose que soit la probabilité que dans un très grand nombre ou de nouvelles épreuves, les événements E et F auront lieu des nombres de fois et qui seront entre eux, à très peu près, comme les nombres de fois et qu’ils sont arrivés dans les épreuves déjà faites ; ou, autrement dit, je suppose qu’on doive avoir

,, ;

et étant des quantités données, dont la seconde pourra être positive ou négative, mais sera très petite par rapport à .

D’après la formule (6), et en faisant

,

nous aurons

,

où l’on peut déjà remarquer que serait la probabilité de l’événement E′ que nous considérons, si et étaient les valeurs exactes et certaines des chances et de E et F, et que l’on eût . D’ailleurs, à cause de

,,

et, en faisant aussi

,

les valeurs de et du numéro précédent pourront s’écrire sous cette forme :

,.

En les substituant dans la valeur de , il vient

.

Les quantités et étant de l’ordre de petitesse de la fraction ou , on aura, en séries très convergentes,

d’où l’on déduit

Mais à cause du facteur de , qui est déjà de l’ordre de petitesse de , on pourra négliger les quantités de cet ordre dans les deux autres facteurs ; ce qui permettra de réduire toutes les exponentielles à l’unité, à partir de la troisième, dans chacun de ces deux produits. À ce degré d’approximation, on aura donc

.

Par la même raison, on pourra négliger le second terme de la formule (21) ; au moyen de quoi la formule (22) deviendra

.

Quoique cette intégrale ne doive s’étendre qu’à des valeurs de très petites par rapport à  ; si l’on observe qu’à raison du facteur exponentiel, le coefficient de sous le signe devient tout à fait insensible pour les valeurs de comparables à , on en conclura que sans altérer sensiblement cette intégrale, on peut l’étendre à de semblables valeurs de , et la prendre, comme nous le ferons effectivement, depuis jusqu’à . Or, en mettant et au lieu de et dans la valeur de , on a

 ;

cela étant, si l’on fait

,,

les limites de l’intégrale relative à la nouvelle variable seront encore , et il en résultera

, (23)

pour la probabilité qu’il s’agissait de déterminer.

Dans le cas de , on aura simplement

 ;

ce qui coïncide, d’après ce que représente, avec le résultat qu’on a trouvé d’une autre manière dans le no 71.

(86). Pour le second exemple de l’application des formules (21) et (22), nous supposerons que soit la probabilité que la différence n’excédera pas la quantité qu’elle devait atteindre dans l’exemple précédent.

La quantité sera en fonction des chances et de E et F, la probabilité que dans les épreuves futures, F n’arrivera pas plus d’un nombre de fois, égal à et que E aura lieu un nombre de fois, au moins égal à . Sa valeur sera donc donnée par l’une ou l’autre des formules (15), en y mettant , , , au lieu de , , . Pour ces valeurs extrêmes de et , on aura

,

en bornant toujours l’approximation aux quantités de l’ordre de petitesse de , ou de . D’après les valeurs de et du numéro précédent, on aura, en même temps,

 ;

si donc on limite la variable de manière qu’on ait

,

abstraction faite du signe, on aura , ou , selon que la constante sera positive ou négative ; par conséquent,

dans le premier cas, nous aurons

,

en vertu de la seconde équation (15), et dans le second cas,

,

en vertu de la première ; étant une quantité positive donnée par l’équation (12), ou dont le carré est

.

Des valeurs extrêmes de et , et de celles de et , qui doivent être employées les unes et les autres dans ces formules, il résulte}}

,,

en faisant, pour abréger,

.

Cette quantité sera de l’ordre de  ; on aura donc, en séries très convergentes,

d’où l’on déduit, au degré d’approximation où nous nous arrêtons,

,

et ensuite

,

en ayant égard à la valeur de , et faisant, pour abréger,

.

À cause de la limite qu’on vient d’assigner à , cette quantité sera de même signe que  ; pour que la valeur de soit positive, il faudra donc prendre le signe supérieur ou inférieur devant son expression, selon que sera une quantité positive ou négative. Le second terme de cette valeur de sera aussi de l’ordre de petitesse de ou  ; par conséquent, nous aurons

.

En même temps, les valeurs précédentes de deviendront

et, en vertu des formules (21) et (22), les valeurs correspondantes de seront

Les exponentielles , , , rendant insensibles les coefficients de sous les signes , au-delà de la limite assignée à , il s’ensuit que sans altérer sensiblement les intégrales relatives à cette variable, on pourra les étendre, comme plus haut, depuis jusqu’à . Soit, en outre,

,,, ;

étant une quantité positive, et les signes supérieurs ou inférieurs ayant lieu selon que sera une quantité positive ou négative. Dans la première expression de , qui suppose positive, on prendra donc

, ;

et les limites des intégrales relatives à la nouvelle variable seront et . Dans la seconde expression de , qui se rapporte au cas de négative, on devra prendre

, ;

et les limites de cette intégrale seront encore et . De cette manière, on aura

Les intégrations relatives à s’effectueront sans difficulté, en sorte que la probabilité qu’il s’agissait de déterminer ne renfermera plus qu’une intégrale simple relative à . À cause de

,

la première valeur de sera la probabilité que le nombre n’excédera pas , qui surpasse très peu , et sa seconde valeur exprimera la probabilité que n’excédera pas , qui est un peu moindre que .

(87). On peut remarquer qu’à raison des limites , relatives à , les deux premières intégrales sont les mêmes dans les deux valeurs de , et la troisième est la même au signe près. Il en résulte qu’en appelant l’excès de la première valeur sur la seconde, on aura simplement

 ;

et cette quantité sera la probabilité que le nombre surpassera , sans excéder .

Si nous faisons

, ;

les limites relatives à la nouvelle variable seront toujours , et nous aurons

,

ou, ce qui est la même chose,

,

en faisant aussi

,,.

En ayant égard à la valeur de , on verra que exprime actuellement la probabilité que sera compris entre les limites

,

ou égal à la limite supérieure. Si l’on veut que cet intervalle des valeurs de contienne aussi la limite inférieure, il faudra ajouter à la probabilité que sera précisément égal à cette limite ; laquelle probabilité sera donnée par la formule (23), en y faisant

.

De cette manière, si l’on désigne par la probabilité que le nombre tombera entre les deux limites précédentes, ou sera égal à l’une ou à l’autre, on aura

. (24)

En comparant cette valeur de à celle de qui est donnée par la formule (20), on voit que ces deux probabilités ne diffèrent l’une de l’autre que par leurs derniers termes, et sont, en conséquence, à peu près égales. Mais quand le nombre des épreuves futures n’est pas très petit par rapport au nombre des épreuves déjà faites, les termes ambigus des limites de auxquelles répondent ces probabilités et ne sont pas les mêmes, et les limites dont est la probabilité peuvent être beaucoup moins resserrées que celles dont la probabilité est .

En effet, si la probabilité diffère peu de la certitude, on pourra, dans les limites auxquelles elle se rapporte, mettre pour et leurs valeurs approchées et très probables et  ; ce qui changera ces limites en celles-ci :

 ;

étant le rapport de à . Or, en les comparant à celles du no 83, auxquelles répond la probabilité , on voit que pour une même valeur de , elles sont plus étendues dans le rapport de à l’unité. Pour les rendre aussi étroites que celles de ce numéro, il faudrait diminuer dans le rapport de l’unité à  ; ce qui diminuerait aussi leur probabilité et la rendrait moindre que . Quand sera une très petite fraction, les formules (20) et (24), coïncideront à très peu près, ainsi que les limites correspondantes des valeurs de . Ce résultat s’accorde avec celui que j’avais déjà trouvé d’une autre manière, dans le mémoire cité plus haut.

La formule (24) exprime aussi la probabilité que la différence sera comprise entre les limites

,

ou égale à l’une d’elles, et qu’il en sera de même à l’égard de la différence , en changeant leurs signes. Si donc on a pris pour un nombre tel que trois ou quatre, qui rende la probabilité très approchante de la certitude (no 80), et si, néanmoins, l’observation donne pour ou des valeurs qui s’écartent notablement de ces limites, on sera fondé à en conclure, avec une très grande probabilité, que les chances inconnues des événements E et F ont changé, dans l’intervalle des deux séries d’épreuves, ou même pendant ces épreuves.

On peut remarquer que pour une même valeur de , et, par conséquent, à égal degré de probabilité, les limites précédentes ont la plus grande amplitude, quand et sont égaux, et la moindre, lorsque l’un de ces nombres est très grand par rapport à l’autre. Dans le cas de , on a aussi à très peu près et  ; ce qui réduit le coefficient de à . Si, au contraire, est très grand relativement à  ; à cause de et , à très peu près, ce coefficient se réduira à , et sera moindre que le précédent, dans le rapport de l’unité à .

(88). Généralement, les deux événements contraires E et F, dont les chances inconnues sont et , étant arrivés les nombres de fois et dans le très grand nombre d’épreuves ; si deux autres événements contraires E1 et F1, dont les chances également inconnues seront désignées par et , ont eu lieu des nombres de fois et dans un très grand nombre ou d’épreuves, et si les rapports et diffèrent considérablement l’un de l’autre, ce qui aura lieu aussi, pour et , on devra regarder comme certain, ou à très peu près, que les chances et sont inégales, ainsi que et . Mais quand les différences et , sont de petites fractions, il est possible que les chances et , et , ne soient pas sensiblement inégales, et que les différences observées proviennent de ce que, dans les deux séries de et épreuves, les événements ne sont point arrivés rigoureusement en proportion de leurs chances respectives : il sera donc utile de déterminer, comme nous allons le faire, la probabilité d’une inégalité entre les chances inconnues et , et , correspondante à des différences données, peu considérables, égales et de signes contraires, entre les rapports et , et .

Je désigne, comme dans le no 84, par

,

une valeur de qui s’écarte peu de , de sorte que soit une variable positive ou négative, mais très petite par rapport à . Soit de même

,

une valeur de peu différente de , et dans laquelle la variable , positive ou négative, est très petite par rapport à . Supposons qu’on ait

 ;

étant une petite fraction, qui pourra aussi être positive ou négative. Nous aurons

 ;

en désignant cette différence par , on en déduira

 ;

et si est une petite fraction positive, et qu’il s’agisse de déterminer la probabilité que excédera d’une quantité au moins égale à , il ne faudra donner à la variable que des valeurs positives qui ne soient pas moindres que .

Cela posé, les probabilités infiniment petites des valeurs précédentes de et , seront et  ; le coefficient étant donné par la formule (21), et désignant ce que cette formule devient quand on y met , , , , au lieu de , , , . La probabilité du concours de ces deux valeurs sera le produit de et  ; et si l’on appelle la probabilité demandée, elle sera exprimée par une intégrale double, savoir :

.

Pour plus de simplicité je négligerai le second terme de la formule (21) ; et il en résultera

.

Si l’on veut substituer, dans cette intégration, la variable à , il faudra prendre pour la différentielle de la valeur précédente de , relative à  ; et, la variable étant ici supposée croissante, il faudra, pour que le soit aussi, changer le signe de  ; en sorte que l’on aura

.

On aura, en outre

.

L’intégrale relative à pourra s’étendre, comme dans les questions précédentes, depuis jusqu’à . En faisant

,
,

les limites relatives à la nouvelle variable seront encore  ; l’intégrale relative à ne devra s’étendre que depuis jusqu’à  ; et comme on aura

,,

la valeur de deviendra

.

Soit actuellement

, ;

faisons aussi

 ; (25)

étant une quantité positive, et en prenant le signe supérieur ou le signe inférieur selon que l’on aura ou . Les limites de l’intégrale relative à seront et  ; et si l’on observe que l’on a

,

on en conclura finalement

, ; (26)

la première valeur ayant lieu quand la différence sera positive, et la seconde, lorsque cette différence est négative.

On doit observer qu’ayant négligé le second terme de la formule (21), la probabilité du cas où la différence serait précisément égale à se trouve aussi négligée ; en sorte que est la probabilité qu’on a , et non pas qu’on ait , ou . Dans le cas de , la quantité est nulle, et les deux valeurs de sont , c’est-à-dire, qu’il y a un contre un à parier que excède d’une quantité plus grande que .

Les formules (26) serviront aussi à calculer la probabilité que la chance inconnue surpasse une fraction donnée. Pour cela, je fais, dans l’équation (25),

,, ;

ce qui la change en celle-ci

.

Mais le nombre étant supposé infini, la chance est certainement égale au rapport ou à la fraction  ; par conséquent, est alors la probabilité qu’on a . En prenant, pour plus de simplicité, au lieu de , et mettant aussi , , , à la place de , , , on aura

 ; (27)

et selon que la différence sera positive ou négative, la première ou la seconde formule (26) exprimera la probabilité que la chance inconnue d’un événement arrivé fois, dans un très grand nombre ou d’épreuves, excède la fraction donnée .

(89). Afin de donner une application numérique des diverses formules qu’on vient d’obtenir, je prendrai pour exemple l’expérience de Buffon qui nous a déjà servi dans le no 50.

L’événement E sera alors l’arrivée de croix, et F l’arrivée de pile, dans une longue série de projections d’une même pièce. D’après cette expérience, on a eu

2048, 1992, 4040,

pour les nombres de fois et que E et F sont arrivés dans le nombre d’épreuves successives. En substituant ces nombres dans la formule (19), et prenant , on aura

0,00468, 0,99555.

On trouvera, en même temps,

0,50693 ∓ 0,02225,

pour les limites de la valeur de , auxquelles cette formule se rapporte ; en sorte qu’il y a la probabilité 0,99555, ou à très peu près 224 à parier contre un, que la chance inconnue de l’arrivée de croix, est comprise entre 0,48468 et 0,52918. Si l’on veut connaître la probabilité qu’elle surpasse , ou que la chance de croix est supérieure à celle de pile, on substituera les valeurs précédentes de , , , dans la formule (27), et l’on y fera  ; en prenant le signe inférieur, et par conséquent la seconde formule (26), on aura

0,66298, 0,81043, 0,18957 ;

ce qui montre qu’il n’y a pas tout-à-fait cinq contre un à parier que la chance de croix soit plus grande que .

L’expérience dont nous nous occupons peut être divisée en deux parties, l’une composée de 2 048 épreuves, l’autre en contenant 1 992 ; dans la première partie, croix a eu lieu 1 061 fois et pile 987 fois ; dans la seconde partie, croix est arrivé 987 fois et pile 1 005 fois : or, d’après le résultat de l’expérience totale, et au moyen de la formule (24), on peut aussi calculer la probabilité que les nombres des arrivées de croix ou de pile ont dû être compris entre des limites données, dans les deux expériences partielles. Pour cela, on fera, dans cette formule et dans les limites auxquelles elle répond,

0,50693, 0,49307 ;

c’est-à-dire que l’on y mettra pour les rapports et , qui ne sont pas censés connus, leurs valeurs approchées, résultantes de l’expérience totale ; ce qui est permis, attendu que et n’entrent que dans des termes qui sont de l’ordre de petitesse de . On y mettra aussi pour le nombre total 4040. Relativement à la première partie de l’expérience, on aura, en outre,

2048 ;

et si l’on prend, comme plus haut, , on trouvera

0,99558,

pour la probabilité que le nombre des arrivées de pile a dû être compris entre les limites

1001 ∓ 79 ;

ce qui a eu lieu effectivement, puisque pile s’est présenté 987 fois dans cette première partie.

Relativement à la seconde partie, on aura

1992 ;

et en prenant toujours , on trouvera

0,99560,

pour la probabilité que pile a dû arriver un nombre de fois, compris entre les limites

982 ∓ 77 ;

qui renferment, en effet, le nombre de fois 1005 que pile est réellement arrivé. On néglige les fractions dans ces limites et dans les précédentes.

Supposons que l’on ne sache pas si la même pièce a été employée dans les deux parties de l’expérience, et que l’on demande, d’après leurs résultats, la probabilité que la chance de croix, dans la première partie, excède d’une fraction donnée, la chance de croix, dans la seconde partie. On fera d’abord, dans l’équation (25),

1992, 987, 1005,
2048, 1061, 987,

et en outre

0,02257,

Cette équation deviendra

( 0,02257) (44,936),

Si l’on fait, par exemple, 0,02, il faudra prendre le signe inférieur, et faire usage de la seconde formule (26) ; on aura de cette manière

0,11553, 0,56589, 0,43411 ;

de sorte qu’il y aurait à peine quatre à parier contre trois, que la chance de croix serait plus grande d’un cinquantième, dans la première partie de l’expérience que dans la seconde. En faisant 0,025, on devra prendre le signe supérieur et employer la première formule (26) ; on aura alors

0,10925, 0,43861, 0,56139 ;

et il y aurait moins de un contre un à parier, que l’excès dont il s’agit surpasserait un quarantième.

(90). Je placerai ici la solution d’un problème, susceptible d’une application intéressante, et qui sera fondée sur les formules précédentes et sur un lemme que je vais d’abord énoncer[2].

Une urne A renferme un nombre de boules, dont boules blanches et boules noires, de sorte qu’on ait . On en extrait d’abord au hasard un nombre de boules, successivement et sans les remettre, ou toutes à la fois ; ensuite, on en extrait de même un nombre ou d’autres boules ; je dis que dans cette seconde opération, la probabilité d’amener boules blanches et boules noires, est indépendante du nombre et de la couleur des boules sorties dans la première, et la même que si était zéro.

En effet, supposons que l’on effectue les tirages successifs ; soient le nombre total des combinaisons différentes de boules qui pourront arriver, le nombre de ces combinaisons dans lesquelles les dernières boules se composeront de blanches et de noires, le nombre de celles dans lesquelles ce seront les premières boules qui en renfermeront blanches et noires ; la chance d’amener boules blanches et boules noires, après une extraction de boules quelconques, sera , et la chance d’amener boules blanches et boules noires, avant qu’aucune boule ait été extraite de A, aura pour valeur ; or, les deux nombres et sont égaux ; car, en général, une combinaison qui se compose de boules déterminées, suivies de boules aussi déterminées, et celle où ces dernières boules précèdent, au contraire, les premières, sont toutes deux également possibles ; et, en particulier, pour chaque combinaison dans laquelle les dernières des boules extraites de A renferment blanches et noires, il y a toujours une autre combinaison dans laquelle ce sont les premières boules qui contiennent ces nombres de blanches et de noires, et réciproquement. Les fractions et , et conséquemment les probabilités qu’elles expriment, sont donc aussi égales ; ce qu’il s’agissait de démontrer.

On peut vérifier cette proposition de la manière suivante.

Les nombres de boules blanches et de boules noires contenues dans A étant et , la chance d’amener boules blanches et noires dans les premiers tirages, est une fonction de , , , , que je représenterai par . Celle d’amener boules blanches et noires dans les premiers tirages sera de même  ; ces tirages ayant réduit à et , les nombres de boules blanches et de boules noires que A renferme, la chance d’en extraire ensuite blanches et noires dans ou nouveaux tirages, aura pour expression  ; le produit de ces deux dernières fonctions sera donc la chance d’amener boules blanches et noires, après avoir déjà extrait de A, boules blanches et boules noires ; par conséquent, si l’on fait la somme des valeurs de ce produit, qui répondent à toutes les valeurs entières ou zéro de et , dont la somme est , on aura l’expression complète de la chance d’amener boules blanches et noires, après avoir extrait de A un nombre de boules quelconques. Cela étant, il s’agira de faire voir que cette chance est indépendante de , et égale à , c’est à-dire de montrer que l’on a

 ;

la somme s’étendant depuis et , jusqu’à et .

Pour cela, j’observe qu’on a, d’après le no 18,

,

en faisant, pour abréger,

,

relativement à des nombres quelconques et , dont la somme est .

Il en résultera

,

ou, ce qui est la même chose,

 ;

au moyen de quoi, et de la valeur de , l’équation qu’il s’agit de vérifier deviendra

,

en supprimant le facteur , commun à tous les termes de ses deux membres ; et comme et sont des nombres quelconques, on y pourra, si l’on veut, mettre et au lieu de et  ; ce qui la changera en celle-ci

.

Or, son premier membre est le coefficient de , dans le développement de  ; son second membre est le coefficient de , dans le produit des développements de et , ou dans le développement de , comme le premier membre ; par conséquent, les deux membres de cette équation sont identiques ; ce qu’il s’agissait de vérifier.

(91). Supposons actuellement que les nombres , , , , soient très grands ; les valeurs approchées de , , , et ensuite celle de , se calculeront au moyen de la série (3) ; et si l’on réduit cette série à son premier terme, on en déduira une valeur de , que l’on pourra mettre sous la forme}}

,

en faisant, pour abréger,

.

Lorsque et , et par conséquent aussi et , seront entre eux comme et , chacun des quatre derniers facteurs atteindra son maximum et aura l’unité pour valeur. Ils décroîtront très rapidement à mesure que et s’écarteront de ce rapport, et deviendront tout-à-fait insensibles, dès que le rapport ne différera plus très peu de  ; en sorte qu’il suffira de considérer la probabilité exprimée par , pour des valeurs de et , à très peu près entre elles comme et . Si donc nous faisons

,,

et conséquemment

, ;

nous pourrons considérer comme une quantité positive ou négative, mais très petite par rapport à , de manière que soit une très petite fraction, dont nous négligerons le carré, ainsi que toutes les quantités de l’ordre de petitesse de .

Cela posé, nous aurons

et en négligeant les carrés des seconds termes de ces binômes, on trouvera d’abord par un calcul semblable à celui du no 85,

.

En mettant pour et leurs valeurs précédentes, cette formule devient ensuite

.

On trouvera de même

 ;

équation qui se déduit aussi de la précédente par le changement de , , , en , , , et du signe de . De là on conclut, au degré d’approximation où nous nous arrêtons,

 ;

ou bien, en faisant

,

on aura, plus simplement

 ; (28)

pour la chance d’amener les nombres et de boules blanches et de boules noires, exprimées par

(29)

Selon que le nombre sera pair ou impair, la différence sera aussi paire ou impaire. Si l’on désigne par un nombre entier et positif, et qu’on représente l’excès de sur par ou , l’expression correspondante de devra être, d’après ces équations (29),

,

en faisant, pour abréger,

,

et désignant par l’une de ces deux quantités

,,

savoir : la première quand sera pair, et la seconde quand il sera impair. La formule (28), après qu’on y aura substitué cette valeur de , exprimera donc la probabilité que dans les tirages successifs, le nombre des boules noires surpassera celui des boules blanches, d’un nombre d’unités égal à ou  ; par conséquent, si l’on y fait successivement jusqu’à ce que l’exponentielle soit devenue insensible, ou, si l’on veut, jusqu’à , et que l’on prenne ensuite la somme des résultats ; cette somme sera la probabilité que dans ces tirages, le nombre des boules noires excédera celui des blanches, d’un nombre pair ou impair quelconque d’unités. En la désignant par , nous aurons

 ;

indiquant une somme qui s’étend à toutes les valeurs de , comprises depuis jusqu’à , et croissantes par des différences constantes et égales à . Or, étant, par hypothèse, une très petite fraction, la somme pourra s’exprimer en série très convergente, ordonnée suivant les puissances de cette différence. En effet si l’on représente par la fonction de contenue sous le signe , et si l’on observe que cette fonction et toutes ses différentielles s’évanouissent à la limite , on aura, au moyen d’une formule due à Euler,

 ;

, , , etc., étant les valeurs de , , , etc., qui répondent à . D’après les équations (29), on a d’ailleurs, au même degré d’approximation que précédemment,

en ayant égard à la valeur de , il en résulte

les termes dépendants de , , etc., étant multipliés par dans l’expression de , auront , , etc., pour facteurs, et devront être négligés ; et à cause de

,,

on conclura de ces diverses valeurs

,

en faisant, pour abréger,

.

Soit une quantité positive ; selon que la quantité sera positive ou négative, prenons  ; à cause de

,

nous aurons finalement

(30)

la première valeur de ayant lieu quand on a , et la seconde dans le cas de .

En faisant dans la formule (28), et désignant le résultat par , on aura

, (31)

pour la probabilité que dans le nombre de tirages, les nombres et de boules des deux couleurs seront égaux entre eux, et à la moitié de  ; ce qui n’est possible que quand est un nombre pair.

(92). Après avoir extrait boules de A, supposons que l’on en extraie autres, puis autres, et ainsi de suite, jusqu’à ce qu’on ait épuisé le nombre de boules que cette urne renferme, de sorte qu’on ait

 ;

supposons, de plus, que chacun de ces nombres , , etc., soit très grand, ainsi que  ; et désignons par , , etc., ce que devient , en y mettant successivement , , etc., au lieu de , et faisant usage de la première ou de la seconde formule (30), selon qu’à l’origine des tirages, le nombre des boules noires sera plus grand ou plus petit que le nombre des boules blanches, contenus l’un et l’autre dans A ; ce qui rendra la quantité négative ou positive. D’après le lemme du no 90, les chances d’amener plus de boules noires que de blanches, dans ces tirages successifs des nombres de boules , , , etc., seront les quantités , , , etc. ; en sorte qu’elles ne varieront qu’à raison de l’inégalité de , , , etc., et seraient toutes égales, si ces nombres étaient égaux. Soit la moyenne des valeurs de , , , etc., c’est-à-dire,

,

en représentant par le nombre total des tirages. Si l’on suppose encore que soit très grand, et si l’on appelle le nombre de ces tirages dans lesquels les boules noires excéderont les blanches, la probabilité que se trouvera compris entre des limites données, sera la même, en vertu de la première proposition du no 52, que si toutes les chances , , , etc., étaient égales entre elles et à leur moyenne . Par conséquent, en mettant , , , au lieu de , , , dans la formule (17), nous aurons

,

pour la probabilité que le nombre sera contenu entre les limites

,

ou égal à l’une d’elles ; étant un petit nombre par rapport à .

Telle est la solution du problème que nous nous proposions de résoudre. L’application dont elle est susceptible se rapporte aux élections des députés dans un grand pays, comme la France, par exemple. Voici en quoi elle consiste.

Le nombre des électeurs, dans la France entière, est représenté par  ; celui des électeurs qui ont une opinion, par  ; celui des électeurs de l’opinion contraire, par ou . On partage le nombre total en un nombre de colléges électoraux, dont chacun élit un député, de telle sorte que le député élu dans un collége soit de la seconde ou de la première opinion, selon que le nombre des électeurs appartenant à l’une ou à l’autre y sera prépondérant. Cela étant, on demande la probabilité que le nombre des députés qui appartiendront à la seconde opinion, sera compris entre des limites données, en supposant que le partage des électeurs en un nombre de colléges, soit fait au hasard, c’est-à-dire en supposant qu’on prenne au hasard sur la liste générale, un nombre d’électeurs pour former un premier collége, un nombre pour former un second collége, un autre nombre pour en former un troisième, etc. ; et si l’on prend pour les limites de celles que l’on vient d’écrire, la probabilité demandée s’exprimera par la formule précédente.

Quoique chaque collége électoral se compose des électeurs d’un même arrondissement, et non pas d’électeurs pris au hasard sur la liste générale, ainsi que nous le supposons, il peut être utile cependant de savoir ce qu’il arriverait dans cette hypothèse ; c’est ce que nous allons montrer par des exemples.

(93). En France, le nombre des colléges électoraux, égal à celui des députés, est 459, et l’on peut évaluer à environ 200000 le nombre total des électeurs. Je supposerai que tous les nombres , , , etc., soient égaux ; en prenant pour un nombre impair, je ferai

459, 435, 199665.

Je supposerai aussi qu’on ait

94835, 104830 ;

de sorte que la différence entre la majorité et la minorité soit à très peu près le vingtième du nombre total des électeurs. La quantité sera négative ; on fera donc  ; en prenant la seconde des deux valeurs de du no 91, il en résultera

0,77396, 0,13684 ;

et, en vertu de la première formule (30), on aura

0,85426, 0,14574 ;

La chance d’une élection dans le sens de la majorité des électeurs surpasserait donc 21/25 ; et la minorité, quoiqu’elle ne diffère pas beaucoup de la majorité, ne pourrait guère espérer d’élire plus des 4/25 des députés. En mettant ces valeurs de et à la place de et dans l’expression de du numéro précédent, faisant 459, et prenant , on trouve

0,99682,

pour la probabilité que le nombre des députés élus par la majorité, serait compris entre les limites 392 ∓ 21, et ceux de la minorité entre les nombres 67 ± 21. L’amplitude de ces limites est considérable relativement au nombre , parce que n’est pas extrêmement grand.

Je suppose toujours que la différence soit à peu près le vingtième de  ; mais je prends pour un nombre pair. Je fais, en conséquence,

459, 436, 200124,

et, en outre,

95064, 105060.

On aura toujours  ; mais il faudra prendre pour la première valeur du numéro 91. De cette manière, on trouvera

0,74006, 0,14764 ;

et il en résultera

0,84279, 0,15721.

Mais étant un nombre pair, le cas de est possible ; d’après la formule (31), sa chance est 0,02218 ; et si l’on en ajoute la moitié à la valeur de , on a 0,85388 ; quantité très peu inférieure à celle qui a lieu quand est impair.

Afin de montrer l’influence de l’inégalité des nombres d’électeurs dans les différents colléges, je supposerai que la moitié du nombre total des électeurs soit répartie également dans le tiers des colléges, et l’autre moitié dans les deux autres tiers.

Pour appliquer les formules précédentes au premier tiers, je ferai alors

153, 654, 100062 ;

et, pour les appliquer aux deux derniers,

306, 327, 100062.

Je supposerai, en outre,

95062, 105062, 200124 ;

de manière que la différence entre la majorité et la minorité soit toujours à peu près un vingtième du nombre total des électeurs. Dans le premier cas, où est un nombre pair, on trouve

0,89429, 0,01376, 0,90117 ;

dans le second, où est impair, on obtient

0,81981 ;

il en résulte donc

1/2 (0,90117 + 0,81981) = 0,86049,

pour la chance moyenne d’une élection dans le sens de la majorité ; laquelle surpasse un peu, comme on voit, celle qui a lieu quand tous les colléges sont composés d’un même nombre d’électeurs.

Lorsque la différence entre la majorité et la minorité vient à augmenter, la chance des élections dans le sens de la minorité diminue très rapidement, de telle sorte qu’elle est bientôt presque nulle. Pour le faire voir, je suppose les électeurs répartis en nombres égaux dans tous les colléges ; je prends pour a, , , les mêmes nombres que dans le premier exemple ; et je fais, en outre,

89835, 109830 ;

ce qui rend la différence a très peu près le dixième du nombre , et double de ce qu’elle était dans cet exemple. Je trouve alors

0,98176, 0,01824 ;

en sorte que la chance d’une élection dans le sens de la minorité n’est plus que d’à peu près un soixantième. À cause de la petitesse de , c’est à la formule du no 81 qu’il faudra recourir pour déterminer la probabilité que le nombre de fois qu’une telle élection aura lieu dans le nombre total des colléges électoraux, ne surpassera pas un nombre donné . En faisant, dans cette formule,

8,3713, 15,

on en déduit

0,98713, 0,01287 ;

ce qui fait voir qu’il y aurait à peu près cent à parier contre un que la minorité n’élira pas plus de 15 députés. En élevant la différence entre la majorité et la minorité à 30000, c’est-à-dire aux trois vingtièmes du nombre total des électeurs, on trouve que la chance s’abaisserait au-dessous d’un millième, et qu’il serait fort probable que la minorité n’élirait pas un seul député.

S’il en était ainsi, le gouvernement représentatif ne serait plus qu’une déception, puisqu’une minorité de 90000 sur 200000 électeurs ne serait représentée que par un très petit nombre de députés, et qu’une minorité de 85000 n’aurait plus qu’une très faible chance d’avoir un interprète dans la chambre élective. Il suffirait que dans l’intervalle de deux sessions, trois vingtièmes de la totalité des électeurs changeassent d’opinion, pour que la chambre entière passât de la droite à la gauche, d’une opinion à l’opinion contraire. Mais les électeurs dont chaque collége est compose ne sont pas pris au hasard, comme notre calcul le suppose, sur la liste des électeurs de toute la France ; et dans chaque arrondissement, l’opinion prépondérante se forme et se maintient par des causes particulières, telles que les intérêts de la localité, l’influence du Gouvernement et celle de quelques citoyens. Toutefois, il était bon de signaler l’extrême mobilité que le hasard pourrait produire dans la composition de la chambre élective, pour de très petits changements dans la proportion des électeurs qui ont une opinion et de ceux qui appartiennent à l’opinion contraire.

—
  1. Journal de l’École Polytechnique, 19e cahier, page 490.
  2. Depuis que la note de la page 61 est imprimée, on m’a fait remarquer que la proposition qu’elle renferme est comprise dans ce lemme, dont j’avais déjà fait usage pour la solution du problème du trente-et-quarante, citée à la page 70.