Recherches sur les végétaux nourrissans/Article IV

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& la diſſoudre : c’eſt un produit de la végétation, ſur lequel le feu agit comme ſur tous les corps les plus ſolides, c’eſt-à-dire, qu’il en décompoſe une portion, & qu’il laiſſe à l’autre la ſaculté alimentaire ; mais, comme nous l’avons déjà obſervé, la matière nutritive ne conſtitue pas ſeulement l’aliment : elle a beſoin encore d’être associée à une ſubſtance qui puiſſe en relever la fadeur ; & cette ſubſtance eſt nommée aſſez ordinairement l'aſſaiſonnement. Voyons maintenant quelle en eſt la nature ?


Article IV


De l’Aſſaiſonnement.


Quoiqu’on ſoit fondé à regarder la ſobriété & l’exercice comme un des meilleurs aſſaiſonnemens des mêts, il ne ſaut pas croire pour cela que toutes les ſubſtances, ajoutées aux alimens dans des proportions convenables pour en relever la fadeur naturelle, ſoient toujours inutiles ou capables de préjudicier à l’économie animale ; il exiſte même une infinité de matières, dont il ſeroit impoſſible de tirer un parti avantageux, ſi on ne les associoit à un corps doué de la ſapidité. Le miel, le ſel commun & la crême, furent les premiers & les ſeuls ingrédiens dont on ſe ſervit autrefois en qualité d’aſſaiſonnement ; depuis on a cherché & trouvé dans toutes les parties des Plantes, la ſubſtance ſavoureuſe qui produit cet eſſet : on l’a même découvert dans l’aliment lui-même à l’aide de quelques opérations particulières. Par exemple, le grain, après la germination, eſt plus ſucré, la viande ſaiſandée eſt plus ſapide, la châtaigne rôtie a plus de goût ; enfin, les farineux acquièrent de la ſaveur par la fermentation & la cuiſſon : voilà donc des ſubſtances évidemment fades, devenues ſavoureuſes ſans l’addition d’aucun aſſaiſonnement étranger.

Les principes qui conſtituent le corps muqueux inſipide, ſont ſi intimément unis entre eux, qu’il en réſulte une ſubſtance neutre, ſi j’oſe m’exprimer ainſi, d’autant moins ſuſceptible d’altération, qu’elle eſt plus fade & plus ſolide, comme la Nature nous l’offre dans les ſemences des graminées & des légumineux.

Les aſſaiſonnemens ne ſont donc pas employés ſeulement pour rendre les mets plus délicats ou dans la vue de flatter le palais ; ils ſervent encore de correctif ; ils contribuent à rendre la nourriture plus ſavoureuſe, plus ſoluble & plus appropriée à notre conſtitution : ils raniment les fibres de l’eſtomac & des autres organes deſtinés à la digeſtion ; enfin, l’aliment, & ſur-tout celui qui eſt farineux, ſeroit lourd & indigeſte ſi on ne l’associoit avec une matière ſapide, ſi on ne développoit celle qu’il contient par le moyen connu pour en faire du pain, ou dans certains cas par la cuiſſon & la torréfaction.

Nous voyons, en effet, que les Indiens, pour relever la fadeur naturelle du riz, dont ils font leur principale nourriture, ont grand ſoin de l’aſſaiſonner avec du gingembre. Au Pérou, ne mêle-t-on pas le piment avec le maïs? Ces pâtes, ces bouillies, ces paſtilles, dont les Grecs & les Romains étoient amateurs paſſionnés, contenoient toutes ſortes d’aſſaiſonnement. C’eſt donc un principe certain que les alimens & même les boiſſons ne produiſent leurs véritables effets, qu’autant qu’ils ſont ſapides. Une eau fade eſt peſante à l’eſtomac, le pain azyme ſe digère difficilement, combien de viandes même des plus ſavoureuſes, qui ſeroient indigeſtes ſans une ſauce piquante, tel eſt le cochon par exemple, pour lequel l’École de Salerne recommande l’accommodage au vin : les gelées des chairs & des parties ſolides des animaux, ne ſeroient pas auſſi alimentaires, ſi on n’y mettoit du ſel ou du ſucre. Enfin, cette condition d’aſſaiſonner les alimens & les boiſſons, s’étend même juſque ſur les médicamens ; ces derniers exigent qu’on leur ajoute une ſubſtance capable de les approprier à l’eſtomac qui doit les recevoir.

Les formes variées, ſous leſquelles ſe préſente la matière nutritive dans les animaux & les végétaux, ne ſont que des modifications qui n’en changent pas l’effet principal ; elle eſt conſtamment muqueuſe, diſſoluble dans l’eau, & plus ou moins alimentaire, au lieu que l’aſſaiſonnement eſt de nature & d’eſpèce différente : quelquefois il eſt âcre & acerbe, d’autres fois acide ou ſalé, ſouvent enfin, il eſt doux & ſucré ; mais ſa propriété eſſentielle conſiſte à aſſaiſonner l’aliment, afin de le rendre plus ſuſceptible de ſe diſſoudre & de ſe combiner avec les ſucs propres de l’animal qui s’en nourrit : en ſuppoſant que le ſucre ſoit auſſi nutritif qu’on le prétend, la pulpe des cannes d’où on le retire dans l’état brut, doit l’être davantage.

L’aſſaiſonnement, cette partie conſtituante de l’aliment, eſt pour l’ordinaire ſalé ou ſucré ; alors il affecte une configuration particulière, tantôt c’eſt celle du ſel marin, tantôt celle du ſucre dont l’eau eſt le diſſolvant : lorſque l’aſſaiſonnement au contraire eſt piquant ou aromatique, ſa nature eſt plutôt huileuſe que ſaline, & il ſe diſſout plus volontiers dans les liqueurs ſpiritueuſes ; mais il réſide dans les différentes parties des végétaux, & ſur-tout dans cette pellicule plus ou moins dure, plus ou moins épaiſſe qui les revêt à leur ſurſace extérieure, & que l’on nomme vulgairement l’écorce, dont aucune partie de la fructification n’eſt exempte ; elle paroît être aux végétaux ce que la peau eſt aux animaux : à ce ſujet, qu’il me ſoit permis de hasarder quelques réflexions, elles ne ſont nullement étrangères à l’objet que je traite.

Sans vouloir examiner ici quelles ſont les fonctions de l’écorce dans l’économie végétale, nous obſervons que cette partie eſt toujours d’un tiſſu plus ſerré & plus compacte que les ſubſtances qui en ſont recouvertes ; que l’extrait ſéparé par l’eau, eſt peu abondant ſans avoir un caractère véritablement muqueux, & qu’étant deſtinée à envelopper les ſucs mucilagineux, elle n’auroit pu les garantir de tous les accidens ſi elle eût été compoſée des mêmes principes : l’écorce doit donc être d’une nature différente, & ne contenir rien ou peu de choſe de nutritif.

On remarque en effet, que depuis l’écorce épaiſſe de la plus grosse racine juſqu’à la membrane mince de la ſemence la plus imperceptible, cette partie des végétaux eſt conſtamment douée de ſaveur, d’odeur & de couleur ; que de ces attributs réſultent toujours le médicament ou l’aſſaiſonnement, mais jamais l’aliment qui par lui-même eſt inodore & fade : la plupart des végétaux exotiques, que l’on tient dans les Pharmacies pour s’en ſervir au beſoin contre les maladies les plus rebelles & les plus opiniâtres, ſont des écorces. Le quinquina, la caſcarille, le ſimmarouba, la canelle, &c. offrent continuellement des preuves ſenſibles de ce que nous avançons ; mais il nous ſuffira de parcourir d’un œil rapide les parties différentes de pluſieurs ſamilles de Plantes, pour être aſſurés que c’eſt dans l’écorce ou enveloppe extérieure que réſident leurs principes les plus eſſentiels.

Les radix, les raves, les navets, ne ſont plus auſſi piquans dès qu’on les a ratiſſés ; la racine de benoîte n’exhale le gérofle qu’à ſa ſurſace ; la couleur rouge que l’orcanette communique aux corps gras & huileux, dans leſquels on la ſait bouillir ou infuſer, dépend de ſon écorce ; la garance n’eſt également teignante que par cette partie ; c’eſt dans la ſeconde écorce de ſureau qu’on a découvert l’effet diurétique ; le ſainboïs ou garou n’eſt véſicatoire qu’à la faveur de ſon écorce ; les feuilles de la claſſe des glayeuls & de beaucoup d’autres Plantes, n’ont que la ſuperficie de mordicant ; les fleurs des liliacées ne ſont odorantes qu’à leur ſurſace, ce qui rend leur parfum ſi fugace & ſi difficile à ſe fixer dans les fluides employés à deſſein de les retenir ! En diſſéquant pluſieurs fleurs colorées, telles que l’œillet, on a obſervé que le velouté qui les revêt, eſt réellement le ſiége de leur odeur & de leur couleur.

Les fruits & les ſemences préſentent les mêmes phénomènes ; la pelure des fruits à pepin, eſt quelquefois très-acerbe, quelquefois auſſi très-savoureuſe & très-aromatique ; la pomme d’api, la poire de rousselet, doivent à cette pelure tous leurs agrémens : parmi les fruits à noyaux, on remarque que les abricots, ſa reine-claude & la mirabelle, ſont délicieux en les mangeant ſans les peler ; c’eſt le contraire pour la pêche. Les fruits à grain, tels que la framboiſe & les fraiſes, ne ſont ſucculens qu’à leur extérieur ; dans les baies, les raiſins n’ont de couleur que dans leur pellicule. En enlevant l’épiderme de pluſieurs ſemences aromatiques, on les prive entièrement de leur odeur, telle eſt la coriandre. Que d’exemples ſemblables ne pourrions-nous pas accumuler ici à l’égard des animaux, dont la peau eſt ordinairement plus ſapide & plus colorée que la chair qui en eſt recouverte !

D’après ce que nous venons d’obſerver relativement à quelques propriétés générales des écorces, je crois qu’il eſt permis de tirer cette conſéquence, ſavoir ; que les parties eſſentielles des végétaux n’ont jamais été deſtinées dans l’ordre de la Nature, à entrer dans la maſſe de nos alimens, comme matière ſubſtancielle ; que quand elles s’y trouvent en certaine proportion, elles opèrent l’effet du médicament ou de l’aſſaiſonnement ; que ſi l’on prépare dans quelques contrées du pain d’écorce d’arbres, c’eſt que ces arbres contiennent dans leur tronc, une moëlle farineuſe comme le palmier-sagoutier, ainſi que je m’en ſuis aſſuré par l’examen de ce pain que j’ai eu occaſion de voir & de goûter ; mais alors l’écorce n’en forme plus la baſe fondamentale ; elle y fait les fonctions de leſt. Arrêtons-nous ſur cette troiſième partie qui conſtitue eſſentiellement l’aliment ? C’eſt la dernière qui nous reſte à examiner.


Article V


Du Leſt fibreux.


Ce n’eſt pas aſſez que la matière nutritive ſoit associée & combinée avec une certaine quantité de ſubſtance ſapide qui en relève