Recherches sur les végétaux nourrissans/Article V

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des écorces, je crois qu’il eſt permis de tirer cette conſéquence, ſavoir ; que les parties eſſentielles des végétaux n’ont jamais été deſtinées dans l’ordre de la Nature, à entrer dans la maſſe de nos alimens, comme matière ſubſtancielle ; que quand elles s’y trouvent en certaine proportion, elles opèrent l’effet du médicament ou de l’aſſaiſonnement ; que ſi l’on prépare dans quelques contrées du pain d’écorce d’arbres, c’eſt que ces arbres contiennent dans leur tronc, une moëlle farineuſe comme le palmier-sagoutier, ainſi que je m’en ſuis aſſuré par l’examen de ce pain que j’ai eu occaſion de voir & de goûter ; mais alors l’écorce n’en forme plus la baſe fondamentale ; elle y fait les fonctions de leſt. Arrêtons-nous ſur cette troiſième partie qui conſtitue eſſentiellement l’aliment ? C’eſt la dernière qui nous reſte à examiner.


Article V


Du Leſt fibreux.


Ce n’eſt pas aſſez que la matière nutritive ſoit associée & combinée avec une certaine quantité de ſubſtance ſapide qui en relève la fadeur ; il eſt néceſfaire encore qu’elle ſe trouve mêlée & confondue avec une autre ſubſtance plus abondante, d’un tiſſu plus compact & plus ſolide, qui puiſſe donner, ſi j’oſe m’exprimer ainſi, du corps & de l’expanſion à l’aliment : car il ne ſuffit pas d’être nourri, il ſaut encore être leſté ; mais le leſt doit être comme l’aſſaiſonnement dans des proportions reſpectives : ſa ſurabondance ſatigueroit l’eſtomac, les entrailles, & loin d’appaiſer la ſaim, elle ne pourroit que concourir à l’augmenter.

La ſubſtance deſtinée à leſter, varie infiniment moins que celle qui ſert d’aſſaiſonnement ou de nourriture ; toujours ſolide & compacte, elle ſert de charpente ou d’enveloppe aux ſubſtances molles & flexibles que renferment tant les végétaux que les animaux : elle eſt inattaquable par les différens menſtrues, & fournit, étant ſoumiſe à la cornue, moins de produits flegmatiques & ſalins, que de reſidus charbonneux.

Le leſt eſt pour l’ordinaire privé de toute qualité nutritive, ou du moins le mucilage qu’il contient, n’y exiſte que comme une de ſes parties conſtituantes, ne pouvant être diviſé que groſſièrement par la maſtication & par la force mécanique des organes digeſtifs ; il ne doit pas avoir plus d’action ſur l’aliment que ſur l’eſtomac : ſa fonction principale conſiſte à diſtendre les parois des viſcères, à en remplir la grande capacité, à retarder la digeſtion plutôt que de l’accélérer, à former enfin la matière des excrétions.

Il eſt donc bien certain que le leſt ne produit dans les alimens que ſon propre poids ; qu’il paſſe en entier de la bouche dans l’eſtomac, & de l’eſtomac dans le canal inteſtinal, ſans s’atténuer ſuffiſamment pour former du chyle, & ſe changer par conſéquent en ſang ; que ſouvent même il entraîne une portion de la vraie nourriture, augmente la ſomme des déjections au point que l’on rend preſqu’autant que l’on mange, d’où il fuit des ſelles ſolides & copieuſes qui occaſionnent des maux de reins, &c. Auſſi M. de Buffon remarque-t-il que, plus les animaux ſe nourriſſent de ſubſtances peu alimentaires, plus la quantité de leurs excrétions eſt copieuſe & ſolide ; or voilà préciſément la poſition de ceux qui font uſage d’alimens, dans la compoſition deſquels il entre beaucoup de leſt, ou qu’une préparation mal entendue a réduits à l’état inſoluble.

Quelques Auteurs, dans l’opinion que les matières terreuſes pouvoient ſervir de nourriture, fondés ſur ce que certains peuples en étoient extrêmement friands, ont ſans doute confondu l’effet du leſt avec celui de la nourriture, comme on prend tous les jours la plénitude de l’eſtomac pour la ſatiété ; car tout nous porte à croire que le règne minéral eſt dépourvu de la propriété alimentaire.

Une des conditions néceſfaires pour qu’une ſubſtance ſoit réellement nourriſſante, eſt que l’eau puiſſe l’extraire en partie, & que le produit de l’extraction acquière par ſon évaporation, des caractères que nous avons déſignés dans l’article où il s’agit de la matière nutritive ; or la plupart des terres ne fourniſſent à l’eau, dans laquelle on les ſait bouillir, que quelques atomes ſalins, & comme pluſieurs participent encore du règne végétal ou animal, dont elles ſont les débris, elles produiſent à la dernière violence du feu, des indices d’alkalicité : il y a donc des terres ſolubles en partie dans l’eau, mais il n’en n’eſt pas de nourriſſantes.

Je ne diſconviens pas que les hommes & les animaux ne puiſſent avaler de la terre & même des petites pierres ; mais on les retrouve encore long-temps après dans leur eſtomac, ſans avoir ſubi aucun changement qui annonce qu’elles aient été attaquées & décompoſées par les ſucs digeſtifs ; il ſeroit donc bien difficile de ſe perſuader qu’avec cette reſſource on pourroit vivre en vigueur & en ſanté : on ſait combien cette eſpèce de terre appelée lac Lunæ, farina foſſilis à cauſe de ſa fineſſe & de ſon extrême blancheur, a occaſionné de ſuites fâcheuſes aux Allemands, qu’une faim preſſante a forcé d’en faire uſage dans un temps de diſette.

Je ſais bien encore que la terre fait la baſe de la matière fibreuſe ; qu’elle entre même comme partie conſtituante dans la compoſition du corps muqueux qu’on extrait des deux règnes ; qu’elle s’y trouve dans tout autre état que quand on l’obtient par la deſtruction de la matière végétale & animale dont elle fait le ſoutien ; qu’en, paſſant par les différens filtres, elle ſe combine de manière à ne plus exercer ſon action qu’avec la totalité des autres principes ; mais réduite à ſon état groſſier & peſant, elle eſt trop compacte pour s’atténuer, ſe diſſoudre, & remplacer la diſſipation des fluides : elle eſt incapable, en un mot, de faire les fonctions des matières alimentaires.

Les matières ſolides ne ſont pas les ſeules qui aient la propriété de leſter l’eſtomac ; les liquides peuvent agir également de cette manière. L’eau, que l’on regarde comme nutritive, priſe en certaine quantité, ne produit pas un autre effet ; les liqueurs ſpiritueuſes, l’eau-de-vie, leſtent auſſi l’eſtomac, avec cette différence qu’elles enlèvent aux ſucs digeſtifs, leur humidité, & rétréciſſent la capacité du viſcère qui les contient : les buveurs d’eau-de-vie mangent fort peu ; le vin leſte auſſi : mais il nourrit par le muqueux extractif qu’il contient encore, & qui a échappé à la fermentation.

Il eſt donc bien néceſſaire de diſtinguer dans la compoſition ordinaire de l’aliment, les trois ſubſtances dont nous venons de ſpécifier les caractères les plus généraux ; il convient maintenant d’examiner ſi la nourriture qui en réſulte, n’opère point ſon effet en raiſon de la matière qui y domine.


Article VI


De la Nourriture légère.


Il ſemble que la Nature ait aſſigné à l’homme, l’uſage qu’il doit faire des dons qu’elle lui prodigue en accordant aux végétaux, qu’elle a le plus évidemment deſtinés à remplir nos beſoins, des propriétés capables de les ſatiſfaire tous ; ainſi les fruits, par exemple, qui renferment beaucoup d’humidité, & la plupart un principe piquant ou aigrelet, paroiſſent avoir été formés particulièrement pour étancher la ſoif ; les ſemences farineuſes, plus conſiſtantes & moins ſavoureuſes, pour appaiſer la ſaim ; les écorces, plus ſapides, pour aſſaiſonner les mets ; enfin, les feuilles, les tiges, & preſque toutes les racines, extrêmement abondantes en matière fibreuſe, pour ſervir de leſt. Ces quatre ordres de parties des végétaux, malgré la diſtinction que nous établiſſons entre