Recherches sur les végétaux nourrissans/Deuxième Objection

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à cet objet ; il a même eu l’honnêteté de m’écrire pour m’en prévenir, & l’on doit attendre de ſon zèle éclairé & de ſes recherches, toutes les connoiſſances qu’il eſt poſſible de deſirer ſur ce point d’économie rurale très-important.


Deuxième Objection.


La végétation de la pomme de terre exige beaucoup du ſol ; bientôt elle épuiſe le meilleur terrein, lui enlève tous ſes ſels & le rend incapable de produire des grains.


Réponse.


cette idée dans laquelle ſont encore quelques perſonnes, vient moins de leurs obſervations particulières que des conjectures qu'elles ſe forment ſur la végétation : perſuadés d’une part, que la racine eſt l’organe principal deſtiné à pomper la nourriture & à la transmettre au reſte de la plante, voyant de l’autre la quantité énorme de grosses racines charnues que raſſemble un pied de pommes de terre, elles en ont conclu que cette croiſſance vigoureuſe s’opérait qu’aux dépens du terrein qu’elle appauvriſſoit, & que chaque eſpèce de terre & d’engrais, avoit des ſels particuliers ; mais le temps & l’expérience ont montré que c’était ſans fondement qu’on prétendoit que cette Plante épuiſoit les terres ; qu’il y en avoit au contraire certaines qu’elle amélioroit en les rendant plus légères, plus meubles ! que les Plantes tiraient leur ſuc nourricier moins de la terre que de l’atmoſphère au milieu duquel elles vivoient ; que la racine elle-même ne végétoit & ne ſe multiplioit qu’à la faveur de ce ſuc nourricier : cela eſt tellement vrai, que ſi les animaux viennent brouter la ſane des pommes de terre avant que leurs tubercules ſe ſoient entièrement formés, ils avortent & ne groſſiſſent point ; mais s’il étoit vrai que la pomme de terre épuiſât le ſol, comme on le dit ſi vaguement, pourquoi dans certains cantons ſa récolte eſt-elle aujourd’hui ce qu’elle étoit il y a un ſiècle ?

Sans rappeler ici ce que nous avons avancé dans nos Additions aux Récréations chimiques de Model, touchant la cauſe de la fécondité des terres, nous ferons obſerver que c’eſt à tort qu’on à tort qu’on l’a attribué aux matières ſalines, graſſes & ſulfureuſes, puiſque les expériences modernes les mieux faites, n’avoient jamais démontré l’exiſtence d’aucune de ces matières dans les terres labourables réputées les plus fertiles ; que ſi ces ſubſtances contribuoient à l’accroiſſement des végétaux, ce ne pouvoit être par leurs propres parties ; qu’il ne falloit les conſidérer, ainſi que les engrais & leſſives employés pour les ſemailles, que comme des inſtrumens propres à attirer les vapeurs qui circulent dans l’air, à les retenir, à les communiquer d’une manière très-divine, aux orifices des vaiſſeaux deſtinés pour la nutrition ; mais qu’une fois les Plantes développées c’étoit par leurs feuilles qu’elles ſe nourriſſoient ; que c’étoit autant de puiſſances que la Nature ſe ménageoit pour enlever dans l’atmoſphère le fluide eſſentiel à leur accroiſſement, l’élaborer & le diſtribuer aux autres parties, & que la racine elle-même ſe nourriſſoit & groſſiſſoit par le moyen des ſucs qui deſcendoient des feuilles & de la tige.

S’il étoit vrai que la pomme de terre épuiſât le ſol au point de le mettre hors d’état de produire des grains, pourquoi, dans certains cantons, la récolte eſt-elle aujourd’hui ce qu’elle étoit il y a un ſiècle, & fait-on ſuccéder dans certains endroits, à cette culture, dans la même pièce, celle des grains, qui rapportent plus que les jachères ordinaires L’Auteur eſtimable du Guide du Fermier, aſſure que la culture de la pomme de terre a cet avantage ; qu’il n’eſt pas néceſſaire de laiſſer repoſer le terrein, quelque maigre qu’il ſoit : il a vu conſtamment & pendant une longue ſuite d’années, planter des pommes de terre dans des terreins où l’on jetoit peu d’engrais, qui ne fructifioient pas moins bien, n’en devenoient pas moins grosses, pas moins abondantes.

La pomme de terre n’épuiſe donc pas davantage le terrein que le blé de Turquie & les autres graminés dont les racines ſont fibreuſes & grêles ; il faut ſeulement avoir l’attention de lui donner les labours, ainſi que les engrais convenables, & ne la point cultiver deux années de ſuite ſur le même alignement ; les meilleures prairies & les meilleurs champs, en Irlande, doivent leur origine à la culture des pommes de terre. Les labours profonds, les engrais, les différens rechauffemens, l’obligation où l’on eſt de remuer & de fouiller la terre pour en faire la récolte, ſont ſans doute les meilleurs moyens de la préparer à recevoir & à multiplier les grains qu’on voudra faire ſuccéder à cette Plante, ſoit froment, orge, chanvre, lin, &c. Dans un terrein ainſi amélioré, il faut beaucoup moins de ſemences, la récolte en eſt ſûre & abondante ; c’eſt d’ailleurs un excellent moyen de purger ſa terre des mauvaiſes herbes étouffées par l’épaiſſeur des tiges de la pomme de terre & peut-être par une ſorte de virulence : ainſi, loin de détériorer le ſol, notre Plante concourt à ſa fécondité.


Troiſième Objection.


En conſultant les Mémoires publiés ſur la culture des pommes de terre, on rencontre tant de méthodes différentes entr’elles, qu’on ne ſait à laquelle donner la préférence pour obtenir des récoltes aſſurées, abondantes & à peu de frais.