Recueil des lettres missives de Henri IV/1581/12 juillet ― À mon cousin monsieur le mareschal de Montmorency

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1581. — 12 juillet. — Ire.

Cop. — Biblioth. de Tours, ancien manuscrit des Carmes, coté M, n° 50, Lettres historiques, p. 39. Communiqué par M. le préfet.


[À MON COUSIN MONSR LE MARESCHAL DE MONTMORENCY.]

Mon Cousin, Combien que je ne doubte poinct de vostre bonne volonté, et que vous ayez beaucoup d’occasions de conduire les affaires de vostre gouvernement à quelque estat paisible et tranquille, pour ce que ceulx qui nous provoquent et attirent aux effects contraires ne vous aiment pas plus que nous, se couvrant du service du Roy et de l’apparence exterieure pour parvenir à leur interest, je ne lerray de me plaindre de vous, et le feray d’aultant plus librement que je sçay que vous m’aimez, et que je vous aime aussy. Vous sçavez, et ne sçauroit-on desnier que je n’embrasse de verité et de faict tout ce qui appartient à la paix ; je n’ay manqué de parole ni de promesse à ce qui estoit de mon pouvoir et ne reste de tout que la reddition de Mende qui, à mon grand regret, retarde trop longuement. J’y ay faict ce que j’ay pu, comme je doibs, et le gaige qu’on me retient vaut beaucoup mieulx que cela. Aussy croy-je que ceulx qui nous veulent mal seroient marrys qu’on y eust satisfaict. Neantmoings, comme si ce seul poinct estoit le tout, on neglige les aultres parties, et, par maniere de dire, pour un moine on laisse à faire un abbé. Car il me semble que laissant Mende à part (qui me garde de recouvrer plus d’une vingtaine de mes chasteaux, places et maisons, lesquelles je ne demande poinct, esperant que le temps pourveoira à l’ung et à l’autre), on ne peut refuser de passer oultre quant au reste, et de planter la fasce de la paix parmy le peuple d’une et d’aultre religion, luy donnant la seureté et soulaigement qu’il requiert ; que quand cela se feroit, tout aultre obstacle tomberoit bas, et ceulx qui se rendent les plus revesches seroient contraincts de venir à raison. Par tels moyens, sans mettre les armées aux champs, on verroit d’une part et d’aultre la paix s’executer ; ou au contraire, si chascun de son costé tire le bout de la corroye, qu’il fauldra necessairement qu’il rompe par le milieu. Ceulx de la Religion, ne desirant rien tant que vivre en paix et en repos, vous ont presenté leur requeste et remonstrances, pour obtenir de vous ce qui appartenoit à la tranquilité commune, et faire que par mutuelle intelligence et demonstration de leur sincere affection vous entrassiez avant en l’execution de l’edict. Mais ç’a esté en vain ; car encores qu’ils ayent receu, embrassé et publié la paix, cassé leurs garnisons, cessans toutes contributions, fortifications et actes d’hostilite, vous n’avez de vostre part faict aulcune chose correspondante à cela, ainsy que j’ay veu par la response qu’avez faicte aux articles qui vous ont esté presentez. Vous tenez encores vos troupes et compaignies droictes en garnison, comme en temps de guerre ; et les faictes payer et entretenir par contributions qui se levent sur le peuple, saisissant les pauvres gens et leur bestail. On s’assemble, on faict des entreprises et s’il se trouve quelqu’un de la Religion par les chemins, on le tue ou on le Faict prisonnier, luy imposant qu’il a dressé quelque party aux Catholiques. Et sur ce on se donne des alarmes, comme ces jours passez au chasteau d’Aumelas, qui est une maison champestre et comme deserte.

Mais je ne remarqueray point icy telles particularitez qui vous sont assez cognues, comme aussy je ne me tairay des faultes qu’aulcuns d’entre les nostres, par tels exemples, peuvent avoir commises ; ains seulement vous diray qu’il seroit fort facile, s’il vous plaisoit prendre confiance avec les principaulx de la Religion, de remedier à tout, et par une bonne justice empescher le cours du mal. Laquelle neantmoings tant s’en fault que n’avez voulu permettre qu’elle fust retablie en son siege et ancien estat. Et combien que les Catholiques et mesme les plus factieux, qui ont tousjours porté les armes, ayent libre accez partout, conversent parmy les nostres, et jouissent de leurs biens, ceulx de la Religion n’osent approcher encores à une lieue des murs des villes et lieux de leurs anciennes demeures, ne peuvent jouir de leurs biens ; ains a l’on pillé, ruiné et desmoly leurs maisons, coupé les arbres et vignes : tellement qu’ils sont errans et vagabonds en grand desespoir, comme entre aultres ceulx de la ville de Fleurensac[1], lesquels s’estans despuis ung an soubmis sous vostre obeissance, avec foy et promesse qu’ils disent signée de vostre main, de laisser vivre les ungs et les aultres avec exercice des deux religions, faisant la garde commune, se plaignent qu’incontinent vous y avez faict construire une citadelle et faict desarmer ceulx de la Religion, dont les principaulx, craignans leur vie estre en danger, auroient esté contraincts se sauver en un chasteau à demi quart de lieue. Apres quoy faict, leurs biens furent saisis, leurs fruicts, bestail et aultres meubles vendus, sans qu’on voulust seulement laisser chose quelconque pour la nourriture de leurs femmes et enfans. Et depuis la paix faicte, on n’a cessé de fortifier la dicte citadelle, comme celles qu’avez basties en plusieurs lieux, qui nourrissent le soubçon ; ny se sentent les absens de la commodité de leurs biens, qui est une grande misere et calamité. Vous ayant bien voulu, mon Cousin, representer toutes ces choses pour vous prier considerer par vostre prudence combien elles estrangent et reculent l’establissement de la paix, à quoy me semble que pouvez remedier (et si les nostres n’apportent à mesme effect l’obeissance qu’ils doibvent, je ne les veulx poinct excuser, ains seray le premier qui les condampneray), partant je vous prie rappeler les principaulx d’entre eulx à vous, et, és choses qui requierent moings de dilation, proceder unanimement, sans attendre aultres executeurs à ce qui sera necessaire. En quoy je m’asseure que vous les trouverez obeissans et traictables, et que vous y acquerrez honneur, avec le gré et contentement de tous, tant d’une que d’aultre part. Si non, je crains que l’impatience et la douleur n’engendrent le desespoir, et que de là nous retombions en une plus grande misere dont on ne se pourra relever jamais, ce que Dieu ne veuille. Et pour ce que je feray response particuliere à vos lettres par aultre que ceste-cy, je ne la feray plus longue, pour prier Dieu, mon Cousin, vous avoir en sa trez saincte et digne garde. À Nerac, ce xije jour de juillet 1581.


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[HENRY.]


  1. Florensac, ville de l’ancien diocèse d’Agde, en Languedoc, aujourd’hui chef-lieu de canton du département de l’Hérault. Elle fut plusieurs fois pillée, durant ces guerres, par les catholiques et par les protestants.