Redgauntlet/Lettre 11

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Redgauntlet. Histoire du XVIIIe siècle
Traduction par Albert Montémont.
Ménard (Œuvres de Walter Scott, volume XXp. 122-145).
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LETTRE XI.

LE MÊME AU MÊME.


Il faut vous figurer maintenant que vous nous voyez parcourir chacun de notre côté les dunes désertes. Là, c’est le petit Benjie qui court vers le nord, avec Hemp sur ses talons, s’enfuyant tous deux comme s’il s’agissait de la vie, aussi long-temps que le polisson sait que son maître peut l’apercevoir, mais comptant bien marcher tout à son aise dès qu’il sera hors de vue. En regardant à l’ouest, vous voyez la haute taille et le chapeau à forme élevée de Meggie, qui a rejeté son manteau sur son épaule gauche pour être plus agile, s’obscurcir à mesure que la distance diminue sa grandeur, et que les rayons du soleil, déjà de niveau avec la mer, commencent à s’y enfoncer.

Puis, vous tournant avec célérité vers l’orient, vous apercevez en plein Darsie Latimer, avec sa nouvelle connaissance, Willie le voyageur ; ce dernier touche de temps à autre la terre avec son bâton, non pas d’une manière incertaine et timide, mais avec l’air confiant d’un pilote expérimenté qui jette la sonde dans un endroit où il sait par cœur la hauteur de l’eau, et s’avance avec autant d’assurance et de hardiesse que s’il possédait les yeux d’Argus. Ils cheminent, chacun avec son violon pendu derrière le dos, mais l’un d’eux ignore complètement où ils portent leurs pas.

Et pourquoi vous engouer si vite d’une pareille folie ? demande mon sage conseiller. — Ma foi, je crois qu’en somme, de même que le sentiment de mon abandon et le plaisir qu’on trouve à échanger des soins mutuels m’ont décidé à m’établir momentanément à Mont-Sharon ; de même l’uniformité de la vie que j’y menais, la simplicité paisible de la conversation des Geddes, et la monotonie de leurs amusements et de leurs occupations, ont lassé mon naturel impatient, et m’ont disposé à saisir le premier moyen d’évasion que le hasard mettrait à ma portée.

Que n’aurais-je pas donné pour parvenir à répandre sur mon visage cet air solennel et grave que vous possédez, afin de couvrir mon espièglerie de cette couleur sérieuse, dont vous avez si souvent couvert les vôtres ! Vous avez une si heureuse adresse pour faire les choses les plus folles de la manière la plus sage, que vous feriez passer vos extravagances pour des actions raisonnables aux yeux de la prudence même.

D’après la direction que suivait mon guide, je commençai à soupçonner que la vallée de Brokenburn était le but de notre voyage. Or, il devenait important pour moi de réfléchir si je pouvais honnêtement, et même sans péril, forcer pour ainsi dire mon ancien hôte à m’accorder encore l’hospitalité. Je demandai donc à Willie si nous n’allions pas chez le laird.

« Connaissez-vous le laird ? » répliqua Willie interrompant une ouverture de Corelli, dont il avait sifflé plusieurs morceaux avec une grande précision.

« Je le connais un peu, répondis-je ; et c’est pourquoi je doute si je dois m’introduire dans sa maison sous un déguisement.

— Et j’hésiterais moi, non pas un peu, mais beaucoup, avant de vous y conduire, mon jeune ami ; car je pense que le mieux qui pourrait nous en arriver, à vous et à moi, serait de nous faire rompre quelques os. Non, non, ami, nous n’allons pas chez le laird, mais à une joyeuse réunion à Brokenburn-Foot, où il y aura force jolis garçons et force jolies filles ; et peut-être y verra-t-on les gens du laird, car pour lui-même il ne vient jamais à de pareilles assemblées. Il ne songe plus qu’au fusil de chasse et à la javeline au saumon, à présent que piques et mousquets ne sont plus à l’ordre du jour.

— Il a donc été soldat ?

— Je répondrais qu’il a servi. Mais suivez mon conseil, et ne vous inquiétez pas de lui plus qu’il ne s’inquiète de vous. Mieux vaut laisser dormir les chiens qui dorment. Nous ferons fort bien de ne pas parler du laird, jeune homme. Mais dites-moi plutôt quelle espèce d’espiègle vous êtes pour être si disposé à devenir compagnon d’un vieux joueur de violon ambulant ? Meggie soutient que vous êtes un homme comme il faut, mais un shilling fait toute la différence que met Meggie entre un seigneur et un vilain, et vos couronnes vous rendraient prince du sang à ses yeux. Pour moi, je suis à même de savoir que vous portez de beaux habits et que vous avez la main douce ; mais c’est aussi bien un signe de paresse que de noblesse. »

Je lui déclinai mon nom, en ajoutant, comme je l’avais déjà appris à M. Josué Geddes, que j’étais étudiant en droit, ennuyé de mes études, et voyageant pour ma santé et mon plaisir.

« Et êtes-vous dans l’habitude de vous accrocher à tous les vagabonds que vous rencontrez sur la grande route, ou que vous découvrez se couchant sans lumière au fond d’un trou dans le sable ?

— Oh ! non ; seulement avec d’honnêtes gens comme vous-même, Willie.

— D’honnêtes gens comme moi ! — Comment savez-vous si je suis honnête, ou qui je suis ? — Sachez que je puis être le diable lui-même ; car il a le pouvoir de devenir déguisé comme un ange de clarté, et en outre il excelle à jouer du violon. — Il exécuta une sonate à Corelli, comme vous savez. »

Il y avait quelque chose de bizarre dans ce discours et dans le ton dont il était débité. Il semblait que mon compagnon n’avait pas toujours sa tête, ou qu’il voulait essayer s’il pourrait m’effrayer. Je souris pourtant à l’extravagance de son langage ; et, pour toute réponse, je lui demandai s’il était assez fou pour croire que le diable pût jouer une si ridicule mascarade.

« Vous n’en savez rien ; — non rien, » reprit le vieillard en branlant la tête, secouant sa barbe et fronçant les sourcils. « Je pourrais vous conter une histoire à ce sujet. »

Je me rappelai alors que sa femme m’avait prévenu qu’il était aussi bon conteur qu’habile musicien ; et, comme vous savez que j’aime les histoires superstitieuses, je le suppliai de me donner un échantillon de son talent tandis que nous marchions.

« Il est bien vrai, dit l’aveugle, que, quand je suis las de manier l’archet ou de chanter des ballades, j’échappe aux importunités des paysans par une histoire que je raconte ; et j’en sais de si terribles, qu’elles font trembler les vieilles femmes sur leurs sièges, et sauter les petits enfants à bas de leur lit pour accourir vers leurs mères. Mais celle que je vais vous dire roule sur un fait arrivé dans notre propre maison, du temps de mon père ; c’est-à-dire, quand mon père était encore un jeune gaillard ; et je vous la conte pour qu’elle vous serve de leçon à vous qui n’êtes qu’un enfant, qu’un étourdi, et qui vous attachez aux gens sur une route peu fréquentée : car grandes furent les pertes et les inquiétudes qui en résultèrent pour mon pauvre père. »

Il commença donc son histoire d’une voix distincte et d’un ton convenable à un récit, l’élevant et l’abaissant avec une admirable habileté ; parfois parlant presque tout bas, et tournant vers ma figure ses yeux brillants, mais privés de la vue, comme s’il lui eût été possible de distinguer l’impression que produisait son récit sur mon visage. Je ne vous en ferai pas grâce d’une syllabe, quoiqu’elle soit des plus longues : je tire donc un trait, — et je commence.


Histoire racontée par Willie le voyageur.

Vous devez avoir entendu parler de sir Robert Redgauntlet de Redgauntlet, qui habitait dans ces environs avant les années de disette. Le pays s’en souviendra long-temps, et nos pères osaient à peine respirer quand on prononçait son nom devant eux. Il était avec les montagnards du temps de Montrose, et il se montra encore sur les montagnes de Glencairn en 1632 : aussi, quand le roi Charles II revint, qui fut en faveur comme le laird de Redgauntlet ? Il fut fait chevalier de la cour de Londres avec la propre épée du roi, et devint un des plus enragés de ces coquins d’épiscopaux. Il arriva ici, rugissant comme un lion, avec une commission de lieutenant, ou le diable sait de quoi, pour réduire tous les whigs et tous les convenantaires du pays. C’était une fameuse besogne ; car les whigs étaient aussi braves que les cavaliers étaient fiers, et c’était à qui lasserait l’autre. Redgauntlet se déclarait toujours pour la violence, et son nom n’était pas moins connu dans le pays que ceux de Claverhouse et de Tarn Dalyel. Vallons ni rochers, montagnes ni cavernes, ne pouvaient cacher les pauvres whigs, lorsque Redgauntlet les poursuivait au son du cor et avec sa meute, comme s’ils eussent été autant de daims. Et en vérité, quand il les attrapait, il ne leur faisait pas beaucoup plus de cérémonie que n’en fait un montagnard à un chevreuil. — Voici tout ce qu’il disait : « Voulez-vous prêter serment ? — Non ? — Alors, attention ! — En joue ! — feu ! » et le rebelle restait sur place.

Sir Robert était haï et redouté au loin. On pensait qu’il avait directement fait un pacte avec le diable ; — qu’il était à l’épreuve de l’acier, — et que les balles glissaient sur son justaucorps de buffle, comme les grains de grêle sur un toit ; qu’il avait une jument qui se transformait en lièvre de l’autre côté de Carrifra-Gawns, et beaucoup d’autres choses encore dont je vous entretiendrai plus tard. La meilleure bénédiction qu’on lui souhaitait, c’était : « Que le diable déchire Redgauntlet ! » Néanmoins, il n’était pas mauvais maître pour ses gens, et ses fermiers l’aimaient encore assez ; quant aux satellites et aux soldats qui le secondaient dans ses persécutions, comme les whigs appelaient ces sanglantes époques, ils se seraient enivrés à n’y plus voir en buvant à la santé du laird.

Maintenant, vous saurez que mon grand-père demeurait sur les domaines de Redgauntlet : — l’endroit se nomme Primrose-Know. Nous y avions demeuré sous la domination des Redgauntlet, depuis le commencement des poursuites et bien auparavant. C’était une jolie habitation, et je crois que l’air y est plus vivifiant et plus frais que partout ailleurs dans le pays : elle est maintenant tout à fait abandonnée. J’étais assis sur le seuil de la porte brisée il y a trois jours, et j’étais content qu’il me fût impossible de voir le triste état de notre ancienne demeure ; mais il ne s’agit point de tout cela. C’était donc là que demeurait mon grand-père Steenie Steenson, coureur de pays et bon diable dans son jeune temps, joueur habile de cornemuse ; il était fameux pour l’air de Hoopers et Girders. — Tout le Cumberland ne le valait pas pour celui de Jockie Lutin ; — et il avait les doigts les plus agiles qu’il y eût sur le violon, entre Cerwick et Carlisle. Un gaillard comme Steenie n’était pas de l’étoffe dont se font les whigs. Il devint donc tory, comme on disait alors ; ce qui équivaut à jacobite aujourd’hui, par une espèce de nécessité, pour appartenir à l’un ou à l’autre de ces partis. Il n’avait aucune malveillance pour les whigs, et n’aimait pas à voir couler le sang : néanmoins, comme il était obligé de suivre sir Robert à la chasse et au combat, aux battues et aux excursions, il vit faire beaucoup de mal, et peut-être en fit-il un peu qu’il ne pouvait éviter.

Or Steenie était devenu en quelque sorte le favori de son maître, et il était connu de tous les gens du château : souvent on l’envoyait chercher pour qu’il jouât de la cornemuse, lorsqu’il y avait des réjouissances. Le vieux Dougal Mac Calluni, le sommelier, qui avait suivi sir Rohert dans ses revers et ses succès, par monts et par vaux, à travers marais et rivières, aimait passionnément la cornemuse, et disait toujours un mot au laird dans l’intérêt de mon grand-père ; car Dougal menait son maître par le bout du nez.

Enfin arriva la révolution, et vraisemblablement elle aurait dû briser le cœur de Dougal et de son maître. Le changement ne fut pas tout à fait aussi grand qu’ils le craignaient, et que le pensaient d’autres gens. Les whigs faisaient grand tapage des représailles qu’ils exerceraient contre leurs anciens ennemis, et surtout contre sir Robert Redgauntlet. Mais il y avait trop de hauts personnages qui avaient pris part à la même besogne pour faire un triage et constituer un nouveau monde. Le parlement n’y donna donc pas grande attention ; et sir Robert, si ce n’est qu’il lui fallut chasser des renards au lieu de covenantaires, resta comme il était auparavant. Ses festins étaient aussi splendides, et sa grand’salle aussi bien éclairée que jamais, quoiqu’il n’eût plus les amendes des non-conformistes pour garnir le buffet et le cellier. Il est certain qu’il commença à devenir moins accommodant pour les rentes que les fermiers ne lui payaient pas trop bien auparavant, et il fallait qu’ils fussent exacts au jour de l’échéance, sans cela le laird n’était pas content. Or c’était un homme si terrible, que personne ne se souciait de le fâcher ; les jurements qu’il lâchait, la fureur à laquelle il avait coutume de se livrer, et l’air menaçant qu’il savait prendre, donnaient parfois à penser que c’était un diable incarné.

Eh bien, mon grand-père n’était pas économe : non pas qu’il n’eût aucun ordre ; — mais il n’avait pas le don de l’épargne, et il se trouva arriéré de deux termes. La première fois, à la Pentecôte, il s’en tira avec de belles paroles et sa cornemuse ; mais quand arriva la Saint-Martin, sommation fut faite par le receveur des rentes de payer au jour fixé la somme due, ou d’avoir à décamper. Il ne lui était pas facile de se procurer de l’argent ; mais il avait beaucoup d’amis, et il parvint à réunir entre eux tous l’argent dont il avait besoin — mille marcs — dont la plus grande partie était prêtée par un voisin qu’on appelait Laurie Lapraick — un fin matois. Laurie ne manquait pas d’écus — savait chasser avec la meute et fuir avec le lièvre — puis était whig ou tory, saint ou pécheur, suivant le côté d’où venait le vent. Il excellait à mener sa barque dans ce monde de révolution ; il aimait assez à entendre de temps à autre une marche ou un air sur la cornemuse ; et surtout, il croyait n’avoir rien à craindre pour l’argent qu’il prêtait à mon grand-père sur la ferme de Primrose-Know.

Mon grand-père s’en alla donc au château de Redgauntlet avec une bourse pesante et un cœur léger, content d’éviter la colère du laird. Eh bien, la première chose qu’il apprit au château, fut que sir Robert avait eu un accès de goutte, parce que mon grand-père n’était pas arrivé avant midi. Ce n’était pas à cause de l’argent, dit Dougal, mais parce qu’il lui coûtait de renvoyer son favori de ses domaines. Dougal fut content de voir Steenie, et l’amena dans le grand salon à boiseries de chêne, où le laird était assis tout seul, si ce n’est qu’il avait près de lui un vilain grand singe qui était particulièrement dans ses bonnes grâces : — maudite bête, qui jouait mille tours pendables par jour — dont il était difficile de se faire bien venir, et qui se fâchait aisément — qui courait à travers tout le château, piaillant et criant, pinçant et mordant les gens, surtout à l’approche des mauvais temps ou des troubles dans l’État. Sir Robert l’appelait le major Weir, comme le sorcier qui fut brûlé à Édimbourg ; et peu de personnes aimaient le nom ou les qualités de cette créature. On croyait qu’il y avait quelque chose en elle d’extraordinaire — et mon grand père ne fut pas plus satisfait qu’il ne faut quand la porte se ferma sur lui, et qu’il se vit seul dans la chambre avec le laird, Dougal Mac Callum et le major, chose qui ne lui était pas encore arrivée.

Sir Robert était assis, je devrais dire couché dans un grand fauteuil à bras, entortillé dans son ample robe de velours, et les pieds sur son coussin ; car il avait et la goutte et la gravelle, et sa figure était aussi effroyable et aussi pâle que celle de Satan. Le major Weir était accroupi en face de lui, avec un habit rouge brodé et la perruque de son maître sur sa tête ; et chaque fois que la douleur arrachait une grimace à sir Robert, le singe grimaçait aussi, comme une tête de mouton suspendue à la porte d’un boucher ; le vilain et terrible couple qu’ils formaient tous deux ! — Le justaucorps de buffle du laird était accroché à un clou derrière lui, et il avait son sabre et ses pistolets sous la main ; car il était fidèle à la vieille coutume d’avoir toujours ses armes prêtes et un cheval sellé jour et nuit, ainsi qu’il ne manquait jamais de le faire lorsqu’il pouvait encore manier un cheval et courir après les pauvres montagnards qu’il parvenait à dépister. Certaines gens disaient que c’était de crainte que les whigs ne voulussent se venger, mais je pense moi que c’était simplement par habitude. — Il ne craignait personne. Le registre des fermages, avec sa couverture noire et ses fermoirs de cuivre, était devant lui, et un livre de chansons licencieuses était placé entre ces feuillets pour le tenir ouvert à l’endroit qui portait témoignage contre le bon homme de Primrose-Know, comme en arrière pour ses rentes et son loyer. Sir Robert lança à mon grand-père un regard tel, qu’il semblait vouloir lui arracher le cœur hors de l’estomac. Il vous faut savoir qu’il avait une manière telle de froncer les sourcils, qu’on distinguait parfaitement sur son front une marque profondément empreinte d’un fer à cheval, comme si on l’y eût imprimé.

« Êtes-vous venu les mains vides, fils d’une cornemuse ? demanda sir Robert. Corbleu ! si par malheur… »

Mon grand-père, faisant aussi bonne contenance que possible, avança un pied et plaça sur la table son sac d’argent avec le geste d’un homme qui croit faire adroitement une chose. Le laird le tira aussitôt à lui. « Tout y est-il, Steenie, mon homme ?

— Votre Honneur trouvera le compte juste, répondit mon grand-père.

— Ici, Dougal ! reprit le laird ; descendez donner à Steenie un verre d’eau-de-vie, pendant que je compte l’argent et que j’écris le reçu. »

Mais ils n’étaient pus plus tôt sortis tous deux de l’appartement, que sir Robert poussa un cri dont résonna tout le massif château. Dougal rentra en courant, — tous les valets arrivèrent, — le laird jetait cri sur cri, les uns toujours plus effrayants que les autres. Mon grand-père ne savait pas s’il devait rester ou s’enfuir, mais il s’aventura à rentrer dans le salon, où régnait un grand tumulte, — où il n’y avait personne qui pût dire « entrez » ou « sortez. » Le laird rugissait d’une horrible façon en demandant de l’eau froide pour ses pieds et du vin pour se rafraîchir le gosier ; et « enfer ! enfer ! enfer ! flammes d’enfer ! » étaient les seuls mots qu’il avait à la bouche. On lui apporta de l’eau ; mais quand on plongea ses pieds gonflés dans le baquet, il s’écria qu’elle le brûlait ; et certaines gens disent que réellement elle bouillait et débordait comme celle d’un chaudron placé sur un feu trop violent. Il jeta la coupe à la tête de Dougal en disant qu’il lui avait donné à boire du sang au lieu de Bourgogne ; et très-certainement la servante trouva du sang caillé sur le tapis en le lavant le lendemain. Quant au singe qu’on appelait le major Weir, il gambadait et hurlait comme pour parodier son maître ; mon grand-père se sentit la tête tournée ; il oublia argent et reçu, et se précipita en bas de l’escalier ; mais à mesure qu’il courait, les cris devenaient de plus en plus faibles, — un pénible soupir accompagné d’un râlement se fit entendre, et le bruit se répandit dans le château que le laird était mort.

Eh bien, mon grand-père décampa, un doigt dans la bouche, et sa meilleure espérance était que Dougal avait vu le sac d’argent et entendu le laird parler d’écrire la quittance. Le jeune laird, alors sir John, arriva d’Édimbourg pour mettre ordre aux affaires. Sir John et son père ne s’étaient jamais bien accordés. — Le fils avait étudié pour devenir avocat, et par la suite il siégea dans les derniers parlements d’Écosse, et vota pour la réunion des trois royaumes, mais non pas sans s’être arrangé de manière à y trouver son compte, pensait-on. — Si son père avait pu sortir de son tombeau, il lui aurait rompu le crâne sur sa propre pierre sépulcrale. Nombre de gens pensaient qu’il était encore plus facile de compter avec le vieux cavalier, tout dur qu’il était, qu’avec le jeune homme à belles paroles ; — mais nous reviendrons là-dessus.

Dougal Mac Callum, pauvre diable, s’abstint de gémir et de crier ; il parcourait la maison pâle comme un cadavre, et donnait, comme son devoir était de le faire, les ordres pour les grandes funérailles. Or, Dougal avait toujours l’air de plus en plus mélancolique quand la nuit approchait, et il était toujours le dernier à se retirer. Son lit était dans une petite tourelle justement en face de la chambre funèbre, chambre que son maître occupait de son vivant, et où il était alors étendu en parade, comme on dit, hélas ! La nuit d’avant les funérailles, Dougal ne put se contraindre plus long-temps ; il descendit du haut de son orgueil, et pria poliment le vieil Hutcheon de venir passer une heure avec lui dans sa chambre. Lorsqu’ils furent dans la tourelle, Dougal se versa un verre d’eau-de-vie, et en présenta un autre à Hutcheon ; il lui souhaita mille prospérités et longue vie, ajoutant que pour lui-même il ne resterait pas long-temps en ce monde ; et la raison, c’était que, depuis la mort du sir Robert, son sifflet d’argent résonnait chaque nuit dans la chambre d’apparat, comme il avait coutume de résonner du vivant du laird, lorsqu’il l’appelait pour l’aider à se retourner dans son lit. Dougal dit que se trouvant seul avec la mort à cet étage de la tour (car personne ne se souciait de veiller sir Robert Redgauntlet comme on eût veillé un autre cadavre), il n’avait encore jamais osé répondre au coup de sifflet ; mais que sa conscience lui reprochait d’avoir négligé son devoir ; car « quoique la mort rompe tout engagement de service, continuait Mac Callum, elle ne rompra jamais mon engagement avec Robert ; et je répondrai au premier coup de sifflet, si vous consentez seulement à m’accompagner, Hutcheon. »

Hutcheon ne s’en souciait guère ; mais il s’était battu près de Dougal dans les grandes batailles et dans les petites affaires, et il ne voulut pas lui faire faute en cette occasion. Les deux camarades s’attablèrent donc devant une cruche d’eau de vie : Hutcheon, qui était un peu clerc, aurait lu volontiers un chapitre de la Bible ; mais Dougal ne voulut entendre qu’un fragment de David-Lindsay[1], ce qui était la pire des préparations possibles.

Lorsque vint minuit et que toute la maison fut tranquille comme la tombe, le sifflet d’argent retentit, sans qu’on pût s’y méprendre, sur un ton aussi aigu et aussi perçant que si Robert y eût soufflé : les deux vieux serviteurs se levèrent aussi et entrèrent en chancelant dans la chambre où était étendu le mort. Hutcheon en vit assez au premier coup d’œil ; car il y avait dans la pièce des torches qui lui montrèrent le diable, sous sa propre forme, assis sur le cercueil du laird. Il tomba sur le plancher, comme privé de vie, et ne put dire combien il était resté de temps sans connaissance au bas de la porte ; mais quand il se releva, il appela son camarade, et n’en recevant pas de réponse il réveilla toute la maison : alors on trouva Dougal étendu mort à deux pas du lit sur lequel était placée la bière de son maître. Quant au sifflet, il avait disparu ; mais on l’entendit bien des fois résonner dans le haut de la maison, au milieu des combles, parmi les vieilles cheminées et les tours, où les hiboux ont leurs nids. Sir John étouffa l’affaire, et les funérailles se passèrent sans autre intervention diabolique.

Mais quand tout fut fixé, et que le nouveau laird commença à mettre ordre à ses affaires, chaque fermier reçut sommation de payer ses arrérages, et mon grand-père y fut pour toute la somme dont il se trouvait redevable d’après le registre des recettes. Eh bien, il s’en va au château pour conter son histoire, et on l’introduit auprès de sir John assis dans le fauteuil de son père, en grand deuil, avec des pleureuses, une haute cravate et une petite rapière de promenade à son côté, au lieu du large et vieux sabre de son père dans lequel il entrait bien cent livres d’acier pour la lame, la poignée et le fourreau. J’ai entendu si souvent répéter leur entretien, qu’il me semble que j’y assistai moi-même, quoique je ne pusse pas être né à cette époque. (En effet, Alan, mon compagnon de route, imitait de la manière la plus comique le ton flatteur et conciliant du fermier, et l’air de mélancolie hypocrite avec lequel répondit sir John). Son grand-père, dit-il, avait, tant qu’il parlait, les yeux fixés sur le livre des rentes, comme si c’eût été un mâtin faisant mine de vouloir sauter sur lui pour le mordre.

« Je vous félicite, maître, du fauteuil de famille, du pain blanc et de la belle seigneurie dont vous héritez. Votre père était la bonté même pour ses amis et pour ses gens, vous êtes bien digne de mettre ses souliers, sir John — ses bottes, devrais-je dire ; car il portait rarement des souliers, à moins que ce ne fût des pantoufles quand il avait la goutte.

— Il est vrai, Steenie, » répondit le laird en poussant un profond soupir et en portant son mouchoir à ses yeux ; « nous l’avons perdu bien soudainement, et il fera faute au pays. N’avoir pas eu le temps de mettre ordre à ses affaires ! — mais il était bien préparé sans doute à comparaître là-haut, car c’est là le principal, — quoiqu’il nous ait laissé un écheveau très-embrouillé à démêler, Steenie. — Hem ! hem ! il faut nous mettre à la besogne, Steenie ; j’en ai beaucoup, et j’ai peu de temps à y consacrer.

Il ouvrit alors le fatal registre. J’ai entendu parler de ce qu’on appelle le livre de jugement : — je suis certain que c’est quelque chose comme un livre de comptes pour les débiteurs en retard.

« Stephen, » dit sir John, encore avec le même ton de voix doux et flûté, — « Stephen Stevenson, ou Steenson, vous êtes marqué ici pour la rente d’une année en arrière due au dernier terme.

Stephen. S’il plaît à Votre Honneur, sir John, je l’ai payée à votre père.

Sir John. Alors vous avez reçu une quittance sans doute, Stephen, et vous pouvez la montrer ?

Stephen. Je n’eus pas le temps de la recevoir, avec la permission de Votre Honneur ; car à peine avais-je mis l’argent sur la table, au moment où Son Honneur sir Robert, aujourd’hui défunt, tirait le sac à lui pour compter la somme et pour écrire le reçu, qu’il fut attaqué du mal qui nous l’a enlevé.

C’est bien malheureux, » répliqua sir John, après un instant de silence. « Mais vous avez peut-être remis l’argent en présence de quelqu’un. Je n’exige qu’une preuve talis qualis, Stephen. Je ne voudrais pas agir trop rigoureusement envers un pauvre homme.

Stephen. En vérité, sir John, il n’y avait personne dans la chambre que Dougal Mac Callum, le sommeiller. Mais, comme Votre Honneur le sait bien, il a déjà suivi son vieux maître.

— C’est encore très-malheureux, Stephen, » dit sir John sans changer sa voix d’une seule note. « L’homme à qui vous avez remis l’argent est mort, — et l’homme qui fut témoin du paiement est mort aussi, — et l’argent lui-même qu’on aurait dû retrouver n’a été ni vu ni mentionné dans l’inventaire. Comment puis-je croire tout cela ? »

Stephen. Je n’en sais rien, sir John ; mais voici une espèce de petit mémorandum des monnaies qui composaient la somme totale ; car, Dieu me protège ! il me fallut emprunter à vingt bourses différentes ; et je suis sûr que chacun de mes amis consentira à faire serment que je ne lui ai pas caché le motif de mon emprunt.

Sir John. Je doute peu que vous ayez emprunté l’argent, Steenie. C’est le paiement qui manque tout à fait de preuves.

Stephen. L’argent doit être dans la maison, sir John. Et puisque Votre Honneur ne l’a jamais vu, puisque feu Son Honneur ne peut l’avoir emporté avec lui, il est possible que quelqu’un de vos gens en sache des nouvelles.

Sir John. Nous interrogerons les domestiques, Stephen ; c’est de toute justice. »

Mais laquais et servantes, pages et palefreniers, tous nièrent fortement avoir jamais vu un sac d’argent semblable à celui que décrivait mon grand-père. Le pire était qu’il n’avait communiqué à personne d’entre eux son intention de payer ses fermages. Une fille avait remarqué quelque chose sous son bras, mais elle avait cru que c’était sa cornemuse.

Sir John Redgauntlet ordonna aux domestiques de sortir de la chambre, et dit alors à mon grand-père ; « Maintenant, Steenie, vous voyez que j’use d’égards envers vous ; et comme je ne doute pas que vous ne sachiez mieux que personne où trouver l’argent, je vous prie fort honnêtement, et dans votre propre intérêt, de ne pas prolonger cette feinte davantage ; car, Stephen, il faut payer ou déguerpir.

— Que le seigneur vous pardonne une telle pensée, » dit Stephen presque poussé au pied du mur, « je suis un honnête homme.

— Et moi aussi, Stephen, et tous les gens de la maison de même, j’espère. Mais s’il y a un fripon parmi nous, ce doit être celui qui conte une chose et ne peut la prouver. » Il s’arrêta un instant, puis ajouta d’un ton plus sévère : « Si je comprends bien votre stratagème, vous voudriez prendre avantage de certains mauvais bruits qui courent sur ma famille et particulièrement au sujet de la mort subite de mon père, afin de m’escamoter mes revenus et peut-être de ternir ma réputation, en donnant à penser que j’ai déjà reçu la rente que je demande. — Où supposez-vous que soit cet argent ? — je veux le savoir. »

Mon grand-père voyait si bien que toutes les apparences étaient contre lui, qu’il tomba presque dans le désespoir ; — pourtant il se tenait tantôt sur un pied tantôt sur un autre, regardait tous les coins de la chambre, et ne répondait rien.

« Parlez, fripon ! » s’écria le laird imprimant à sa figure l’expression toute particulière que donnait son père à la sienne quand il était en colère. Il semblait que les rides de son front formassent l’effrayante image d’un fer à cheval. « Parlez, fripon ! parlez ! je veux connaître votre pensée. — Supposez-vous que j’aie cet argent ?

— Il s’en faut beaucoup que je dise rien de semblable.

— Accusez-vous quelqu’un de ma maison de l’avoir pris ?

— Je ne voudrais pas accuser un de vos domestiques qui peut être innocent ; et quand même l’un d’eux serait coupable, je n’en ai pas de preuve.

— L’argent doit être quelque part, s’il y a un mot de vérité dans votre histoire ; je vous demande où vous croyez qu’il soit, — et j’exige une réponse précise.

— Dans l’enfer, s’il vous plaît de connaître mon idée, » s’écria mon grand-père poussé à bout ; — « dans l’enfer ! avec votre père et son sifflet d’argent. »

Il se précipita alors dans l’escalier ; car le salon n’était plus sa place après un tel propos, et entendit le laird jurer aussi furieusement que sir Robert l’avait jamais fait, et hurler après le bailli et l’officier de justice.

Mon grand-père courut chez son principal créancier — (il s’appelait Lawrie Lapraik) pour essayer s’il en pourrait tirer quelque chose ; mais lorsqu’il lui raconta son histoire, il s’entendit apostropher des plus vilains noms : — voleur, mendiant, fripon étaient encore les plus honnêtes ; et tout en l’accablant de termes aussi durs, Lawrie alla rechercher une vieille histoire où l’on accusait mon grand-père d’avoir trempé ses mains dans le sang des saints de Dieu, comme si un fermier avait pu se dispenser d’aller à la guerre avec le laird, et surtout avec un laird tel que sir Rohert de Redgauntlet. Mon grand père ne fut pas long-temps à perdre patience, et pendant que Lawrie et lui en étaient à couteaux tirés, il eut l’imprudence de mal parler tant de l’homme que de sa doctrine, et dit des choses qui faisaient dresser les cheveux sur la tête des gens qui l’entendaient : — il n’était plus maître de lui, et il avait vécu avec de rudes gaillards dans son temps.

Enfin, ils se quittèrent ; et, pour s’en retourner chez lui, mon grand père eut à traverser le bois de Pitmurkie, qui est tout plein de sapins noirs, dit-on. — Je connais le bois ; mais les sapins peuvent être noirs ou blancs, sans que je puisse le dire. À l’entrée de ce bois est une prairie commune ; et, au bord de la prairie, un petit cabaret solitaire, qui était alors tenu par une grande diablesse de femme, qu’on appelait la mère Tibbie Faw. Le pauvre Steenie s’y arrêta pour demander un demi litre[2] d’eau-de-vie ; car il ne s’était pas encore rafraîchi le gosier de la journée. Tibbie le força de manger un morceau ; mais il ne pouvait y songer ; il ne voulut pas même ôter le pied de l’étrier, il avala toute l’eau-de-vie en deux traits, en portant un toast à chacun. Le premier était, à la mémoire de sir Robert Redgauntlet : « puisse-t-il ne jamais reposer tranquille dans la tombe jusqu’à ce qu’il ait rendu justice à son pauvre fermier ! » — Le second : « À la santé de l’ennemi des hommes, s’il veut seulement me rapporter mon sac d’argent ou me dire ce qu’il est devenu ! » — Car il voyait que tout le monde allait le regarder comme un voleur et un coquin, et cette réputation lui semblait pire que la ruine de sa maison et que la perte de ses biens.

Il trottait sans s’inquiéter où il allait. La nuit était devenue fort sombre, et les arbres la rendaient plus sombre encore : il laissait sa bête suivre son chemin à travers le bois, lorsque tout à coup de las et de harassé qu’il était auparavant, son bidet commença à sauter, à cabrioler, à ruer tellement, que mon grand-père pouvait à peine se tenir en selle. — Sur quoi un cavalier qui accourut subitement à son côté, dit : « Vous avez là une bête bien vive, l’ami ; voulez-vous me la vendre ? » En parlant ainsi, il toucha de sa badine le cou du cheval, et le cheval reprit aussitôt son allure accoutumée, un trot fort paisible. — « Mais son ardeur se passe bien vite, il me semble, continua l’étranger ; c’est comme le courage de bien des gens qui se croient capables de faire de grandes choses jusqu’à ce qu’ils soient mis à l’épreuve. »

Mon grand-père écoutait à peine, et il piqua son cheval en lui disant : « On vous souhaite le bonsoir, l’ami ! »

Mais il paraît que l’étranger ne quittait pas aisément son monde ; car, si vite que galopât Steenie, si doucement qu’il lui plût d’aller, l’homme se mettait toujours au même pas que lui, et le suivait toujours. Enfin, mon grand-père commença moitié à se fâcher, et moitié, pour dire vrai, à s’épouvanter.

« Que me voulez-vous donc, l’ami ? dit-il. Si vous êtes un voleur, je n’ai pas d’argent ; si vous êtes un honnête homme cherchant la compagnie, je n’ai le cœur ni à la joie ni à la conversation ; et si vous avez besoin de connaître la route, je la connais à peine moi-même.

— S’il vous plaît de me conter vos peines, répliqua l’étranger ; je suis un pauvre diable qui, bien que fort maltraité lui-même dans ce monde, est capable d’aider ses amis. »

Mon grand-père, pour s’alléger le cœur plus que dans l’espoir d’aucune assistance, lui conta donc l’histoire depuis le commencement jusqu’à la fin.

« C’est une mauvaise affaire, dit l’étranger ; mais je crois que je puis vous secourir.

— Si vous pouvez me prêter la somme, monsieur, c’est consentir à un remboursement très-éloigné… et je ne connais pas d’autres moyens d’en sortir sur terre…

— Mais, sous terre, il peut s’en rencontrer. Allons, je serai franc avec vous. Je vous prêterais bien de l’argent, mais vous auriez sans doute scrupule d’accepter mes conditions. Or, je puis vous dire que votre vieux laird est troublé dans sa tombe par vos malédictions et les plaintes de votre famille, et… si vous osez aller le voir, il vous donnera votre quittance. »

Les cheveux de mon grand-père se dressèrent tout droits sur sa tête à cette proposition ; mais il réfléchit que son compagnon pouvait être quelque drôle aimant à rire, qui cherchait à l’effrayer, et qui finirait peut-être par lui prêter de l’argent : d’ailleurs l’eau-de-vie avait doublé son courage, et son malheur lui avait tourné la tête. Il déclara qu’il aurait la hardiesse d’aller jusqu’à la porte de l’enfer, et même un pas plus loin, pour avoir un reçu. — L’étranger sourit.

Ils continuaient à s’avancer dans le plus épais du bois, lorsque soudain le cheval de mon grand-père s’arrêta à la porte d’une grande maison ; et, s’il n’avait pas su que le château de Redgauntlet était à plus de dix milles, il l’aurait pris pour le sien. Ils pénétrèrent dans la première cour en passant par une haute porte délabrée et sous un vieux portail ; toute la façade de l’édifice était éclairée ; on entendait les cornemuses et les violons de dehors, et au dedans on dansait, on s’amusait comme on avait l’habitude de le faire chez sir Robert, à Pâques, à Noël, et aux autres grandes fêtes. Ils descendirent de cheval, et mon grand-père, attacha le sien, à ce qu’il lui semblait, au même anneau où il l’avait attaché le matin, lorsqu’il avait été rendre visite au jeune sir John.

« Dieu ! s’écria-t-il, si la mort de sir Robert n’était qu’un songe ! »

Il frappa à la porte du vestibule, comme il avait coutume de frapper, et sa vieille connaissance, Dougal Mac Callum, comme à l’ordinaire aussi, — vint ouvrir la porte, et dit : « Joueur de cornemuse, Steenie, est-ce vous, mon garçon ? Sir Robert vous demande à grands cris. »

Mon grand-père était comme un homme qui rêve. — Il se retourna pour voir l’étranger, mais il avait disparu pendant ce temps-là. Il eut à peine la force de dire : « Ah Dougal, sommelier, êtes-vous vivant ? Je croyais que vous étiez mort ?

— Ne vous occupez point de moi, répondit Dougal, mais prenez garde à vous-même ; et songez bien qu’il vous faut ne rien accepter de personne ici, ni à manger, ni à boire, ni or, ni argent, excepté la quittance qu’on vous doit. »

À ces mots, il conduisit mon grand-père à travers des appartements et des corridors qu’il connaissait bien jusque dans le vieux salon boisé en chêne ; là Steenie put entendre chanter autant de chansons profanes, retentir autant de blasphèmes et de jurements, et voir couler le vin rouge en aussi grande abondance, qu’au château même de Redgauntlet durant les jours de prospérité.

Mais, Dieu nous prenne sous sa sainte garde ! quelle effroyable réunion de convives étaient assis autour de la table ! — Mon grand-père en connaissait beaucoup d’entre eux qu’on avait portés depuis long-temps à leur dernière demeure. C’était le superbe Middleton, le dissolu Rothes et le perfide Lauderdale ; Dalyell, avec sa tête haute et sa barbe jusqu’à la ceinture ; Earlshall, avec du sang de Caméron aux mains ; le sauvage Bonshaw, qui garrotta les membres du bienheureux M. Cargill jusqu’à ce que le sang en jaillît ; et enfin Dumbarton Douglas, deux fois traître à son pays et à son roi. C’était encore le sanguinaire avocat Mackenye, qui, pour son esprit et sa sagesse mondaine, a été auprès des autres comme un dieu. C’était aussi Claverhouse, aussi beau que quand il vivait, avec ses longues boucles de cheveux noirs et frisés retombant sur un justaucorps de buffle tout brodé, et la main gauche posée sur son épaule droite pour cacher sa blessure qu’y avait faite la balle d’argent. Il était assis loin des autres, et les regardait avec une physionomie mélancolique et hautaine, tandis qu’eux tous criaient, chantaient et riaient au point que la salle en tremblait. Mais leurs rires produisaient de temps à autre d’effrayantes grimaces, et leurs chants se changeaient en sons si discordants que les ongles même de mon grand-père en devenaient bleus, et que la moelle se figeait dans ses os.

Les domestiques qui les servaient à table étaient les bandits de valets et de soldats qui avaient exécuté sur la terre leurs ordres coupables et barbares. C’était Lang-Lad de Nethertown, qui aida à prendre Argyle, et le coquin qui avait osé faire les sommations à l’évêque, et qu’on appelait le Trompette du diable ; et les infâmes gardes du corps avec leurs habits galonnés, et le sauvage montagnard Amorites, qui répandait le sang comme de l’eau. Et bien d’autres orgueilleux serviteurs au cœur hautain, aux mains sanglantes, rampant sous les riches et les rendant plus pervers encore qu’ils n’auraient été, réduisant les pauvres en poussière, quand les riches les avaient déchirés en morceaux. Et beaucoup d’autres qui allaient et venaient, tous aussi diligents à leur poste que s’ils eussent été vivants.

Sir Robert Redgauntlet, au milieu de toute cette effroyable orgie, cria d’une voix de tonnerre à Steenie, le joueur de cornemuse, de venir vers le haut bout de la table où il était assis, les jambes étendues et enveloppées de flanelle, avec ses pistolets d’arçon près de lui, et son grand sabre accroché à son fauteuil, absolument comme mon grand-père l’avait vu la dernière fois sur la terre ; — le coussin même du singe était près de lui, mais l’animal n’y était pas. — Ce n’était pas son heure, à ce qu’il paraît ; car en s’avançant il entendit un convive demander : « Le major n’est-il pas encore venu ? » et un autre lui répondre : « Le singe arrivera dans la matinée. » Et quand mon grand-père se fut avancé, sir Robert, ou son ombre, ou le diable sous sa figure, dit : « Eh bien, joueur de cornemuse, vous êtes-vous arrangé avec mon fils pour ses fermages de l’année ? »

Steenie fit un effort et parvint à répondre que sir John ne voulait pas s’arranger sans une quittance de Son Honneur.

« Vous l’aurez pour un air de cornemuse, Steenie, » répliqua l’ombre de sir Robert. « Jouez-nous : Trémoussez-vous bien, la mère. »

Or c’était un air que mon grand-père avait appris d’un sorcier qui l’avait entendu à une des réunions où ils allaient adorer Satan ; mon grand-père l’avait joué quelquefois aux joyeux soupers qu’on donnait au château de Redgauntlet, mais jamais de fort bon cœur. En cette occasion le frisson le prit, rien que de l’entendre nommer, et il s’en excusa en disant qu’il n’avait pas sa cornemuse avec lui.

« Mac Callum, enfant de Beelzébub, dit l’effrayant sir Robert, apporte à Steenie la cornemuse que je lui gardais. »

Mac Callum en apporta une qui aurait pu servir au joueur de Donald des Îles, mais il poussa le coude de mon grand-père en la lui offrant ; et Steenie, après l’avoir examinée attentivement sans rien dire, remarqua que le tuyau était d’acier, et rougi à blanc : il devait donc bien se garder de s’y frotter les doigts. En conséquence, il s’excusa de nouveau, disant qu’il était tout troublé, et qu’il n’aurait pas assez de vent pour gonfler le sac.

« Alors, il vous faut boire et manger, Steenie ; car nous ne faisons guère autre chose ici, et un homme repu ne peut pas bien traiter avec un homme affamé. »

Or c’étaient les paroles mêmes que le sanguinaire comte de Douglas avait prononcées pour retenir près de lui le messager du roi, pendant qu’il faisait couper la tête de Mac Lollan de Bombie, au château de Threave : c’est pourquoi Steenie se tint de plus en plus sur ses gardes. Il parla donc en homme, et déclara qu’il ne venait ni pour manger, ni pour boire, ni pour faire de la musique, mais simplement pour savoir ce qu’était devenu l’argent qu’il avait apporté, et en demander quittance. Il eut même en ce moment la hardiesse de sommer sir Robert, par le repos de sa conscience, — car il ne pouvait prononcer le saint nom, — et s’il souhaitait la paix et la tranquillité de la tombe, de ne pas lui tendre de pièges, mais de lui remettre seulement ce qui lui appartenait.

Le spectre grinça les dents et sourit ; mais il tira la quittance d’un large porte-feuille, et la donna à Steenie. « Voilà votre reçu, misérable chien hargneux, dit-il ; quant à l’argent, mon coquin de fils peut aller le chercher dans le berceau du chat. »

Mon grand-père se répandit en remercîments, et il se préparait à sortir, quand sir Robert lui cria : « Attends donc, sac à vin ! je n’ai pas terminé avec toi. Ici nous ne faisons rien pour rien ; et il faut que tu reviennes d’aujourd’hui en un an, rendre à ton maître l’hommage que tu lui dois pour la grâce qu’il t’accorde. »

La langue de mon grand-père se trouva subitement déliée, et il répliqua à haute voix : « Je m’en remets à la volonté de Dieu, et non à la vôtre.

Il n’avait pas plus tôt prononcé ces mots, que tout fut obscurité autour de lui, et il fut jeté à terre par un choc si subit, qu’il perdit à la fois respiration et connaissance.

Combien de temps Steenie resta-t-il évanoui ? — Il ne pouvait le dire ; mais en revenant à lui, il se trouva étendu dans le vieux cimetière de la paroisse de Redgauntlet, précisément à la porte de la chapelle mortuaire de la famille, et l’écusson du vieux chevalier sir Robert était appendu au-dessus de sa tête. Un épais brouillard du matin avait mouillé l’herbe et les pierres sépulcrales autour de lui, et son cheval paissait paisiblement à côté des deux vaches du ministre. Steenie aurait cru que toute cette aventure était un rêve ; mais il tenait en main la quittance bien écrite et bien signée par le vieux laird ; seulement les dernières lettres de son nom étaient comme tracées par une main tremblante : il avait sans doute été saisi d’une soudaine douleur en écrivant la fin.

L’esprit complètement troublé, il quitta ce lieu lugubre, dirigea son cheval à travers le brouillard jusqu’au château de Redgauntlet, et après beaucoup d’instances il fut introduit devant le laird. « Eh bien ! banqueroutier, fripon, » dit sir John en l’apercevant, apportez-vous la rente ? »

Non, répondit mon grand-père, je ne l’apporte pas ; mais j’apporte à Votre Honneur le reçu de sir Robert.

— Comment, drôle ? — le reçu de sir Robert ! — Vous m’aviez dit qu’il ne vous en avait pas donné.

— Plairait-il à Votre Honneur de voir si ce morceau de papier est en règle. »

Sir John examina chaque ligne et chaque lettre avec beaucoup d’attention, et lut enfin la date que mon grand-père n’avait pas remarquée. « Du lieu de ma destination, s’écria-t-il, ce vingt-cinq novembre. » « Quoi ! — c’est d’hier ! — Scélérat, il faut que tu sois allé la chercher en enfer !

— Je la tiens du père de Votre Honneur. — S’il est dans l’enfer ou dans le ciel, — je l’ignore, répliqua Steenie.

— Je vous dénoncerai comme sorcier au conseil privé. — Je vous enverrai à votre maître le diable, à l’aide d’un tonneau de goudron et d’une torche.

— J’ai l’intention de faire moi-même un rapport au presbytère, et de dire aux anciens tout ce que j’ai vu la dernière nuit ; car ce sont des choses qu’il leur appartient mieux de juger qu’à un pauvre homme comme moi.

Sir John réfléchit, s’apaisa et pria mon grand-père de lui dire toute l’histoire. Il la lui conta d’un bout à l’autre, comme je vous l’ai contée — mot pour mot, sans plus ni moins.

Sir John garda encore le silence long-temps, et enfin il dit d’un ton très-calme : « Steenie, votre histoire touche à l’honneur de mainte noble famille, outre la mienne ; et si c’est un conte fait à plaisir pour vous débarrasser de moi, le moins à quoi vous puissiez vous attendre est d’avoir la langue percée d’un fer rouge ; ce qui ne vaudra guère mieux que de se frotter les doigts contre les tuyaux rougis d’une cornemuse. Mais elle pourrait être vraie, Steenie, et si l’argent se retrouve, je ne saurai plus qu’en penser. — Où irons-nous chercher le berceau du chat ? Il ne manque point de chats dans ce vieux manoir ; mais je crois qu’ils mettent bas leurs petits sans qu’il leur faille ni lit ni berceau.

— Nous ferions bien d’en parler à Hutcheon, dit mon grand-père ; il connaît tous les recoins du château aussi bien — qu’un autre domestique, mort à présent, et dont je me soucie peu de prononcer le nom. »

Eh bien, Hutcheon, lorsqu’ils l’interrogèrent, répondit qu’il y avait près de l’horloge une tourelle en ruine, depuis long-temps abandonnée ; elle n’était accessible qu’au moyen d’une échelle, car on n’y pouvait pénétrer que par une étroite embrasure bien au-dessus des créneaux ; on appelait jadis cet endroit le Berceau du chat.

« J’y monterai à l’instant même, s’écria sir John ; il prit, Dieu sait dans quel dessein, un des pistolets de son père sur la table de la salle, où ils étaient restés depuis la nuit fatale, et se hâta de monter dans les combles.

Il était périlleux de grimper jusqu’à la tourelle ; l’échelle était vieille, et il lui manquait plusieurs échelons. Sir John s’aventura pourtant ; arrivé à l’embrasure, son corps intercepta le peu de lumière qui pénétrait dans la tourelle. Quelque chose se précipita sur lui avec fureur, et peut s’en fallut qu’il ne tombât de cette hauteur. — Le pistolet partit. — Hutcheon qui tenait l’échelle, et mon grand-père qui était derrière Hutcheon entendit un grand cri. Bientôt après, sir John jeta le corps du singe, en criant qu’il avait retrouvé l’argent, et qu’il lui fallait quelqu’un pour l’aider. Ils montèrent tous deux, et découvrirent d’abord le sac d’argent, et ensuite une multitude d’objets qui avaient disparu depuis longtemps. Lorsque sir John eut fouillé la tourelle, il conduisit mon grand-père dans la salle à manger, lui frappa dans la main, lui parla amicalement, l’assura qu’il était fâché d’avoir douté de sa parole, et que dorénavant il se montrerait bon maître envers lui pour réparer son injustice.

« Et maintenant, Steenie, ajouta-t-il, votre vision est en résumé favorable à la probité de mon père, puisqu’il a désiré, même après sa mort, que justice fût rendue à un pauvre homme comme vous ; pourtant vous devez sentir que les gens malintentionnés pourraient bâtir là-dessus d’injurieuses suppositions concernant le salut de son âme. Je pense donc que mieux vaudra rejeter tout l’équivoque de l’histoire sur cette vilaine créature, le major Weir, et ne rien dire de votre rêve dans le bois de Pitmurkie. Vous aviez bu beaucoup trop d’eau-de-vie pour être certain de quelque chose ; et cette quittance, Steenie (sa main tremblait en la tenant), n’est qu’une singulière espèce de document : nous ferons bien, je pense, de la mettre tranquillement au feu.

Oh ! mais toute singulière qu’elle soit, c’est la seule pièce justificative du paiement de ma rente, » s’écria mon grand-père effrayé de perdre la pièce par laquelle sir Robert le déchargeait de sa créance.

« J’en porterai le montant à votre crédit sur le registre des rentes, et je vous donnerai à l’instant même un reçu de ma propre main. De plus, Steenie, si vous pouvez retenir votre langue sur cette affaire, je diminuerai votre fermage à dater d’aujourd’hui.

— Grand merci à Votre Honneur, » répondit Steenie qui n’eut pas de peine à voir de quel côté soufflait le vent ; « sans aucun doute je me conformerai à tous les ordres de Votre Honneur : seulement je serais bien aise de causer avec quelque savant ministre de mon aventure ; car je n’aime pas cette sorte de rendez-vous que le père de Votre Honneur…

— N’appelez-pas ce fantôme mon père ! » dit sir John en l’interrompant.

« Eh bien, la chose qui lui ressemblait tant, — il m’a recommandé de l’aller voir d’aujourd’hui en un an, et c’est un poids sur ma conscience.

— Si vous avez l’esprit tellement troublé par cette affaire, vous pouvez en parler au ministre de notre paroisse : c’est un honnête homme ; il s’intéresse à l’honneur de notre famille, d’autant plus qu’il attend quelque protection de ma part. »

À ces conditions, mon grand-père consentit sans peine à ce qu’on brûlât la quittance, et le laird la jeta dans la cheminée de sa propre main. Mais elle ne brûla point ; elle s’envola par la cheminée suivie d’une longue traînée d’étincelles et en sifflant comme une fusée.

Mon grand-père se rendit au presbytère[3], et le ministre, quand il eut écouté l’histoire, dit qu’il pensait véritablement que Steenie s’était, de gaieté de cœur, exposé à de grands périls ; néanmoins, comme le joueur de cornemuse avait refusé les arrhes du diable (car l’offre de boire et de manger n’était pas autre chose), et qu’il n’avait pas voulu lui rendre hommage en faisant de la musique à son ordre, on pouvait espérer que Satan ne tirerait pas grand avantage de ce qui s’était passé, si mon grand-père se tenait sur ses gardes pour la suite. En conséquence, Steenie, de son propre mouvement, négligea long-temps et sa cornemuse et l’eau-de-vie ; — ce ne fut même qu’après le jour anniversaire de cet événement qu’il consentit à reprendre son instrument et à boire un verre d’usquebaugh ou de tipenny.

Sir John arrangea son histoire du singe comme bon lui sembla ; et nombre de gens croient encore aujourd’hui que le merveilleux de toute l’affaire repose sur le penchant de cet animal pour le vol. Il s’en trouve même que vous n’empêcheriez pas de penser que ce n’était point le vieil ennemi des hommes que Dougal et son ami Hutcheon virent dans la chambre du laird, mais seulement cette maudite créature, le major, cabriolant sur le cercueil. Quant au sifflet d’argent qu’on entendit après la mort du laird, la méchante bête pouvait aussi bien siffler que son maître lui-même, sinon mieux. Mais le ciel connaît la vérité ; elle fut divulguée pour la première fois par la femme du ministre, après que sir John et son propre mari furent morts. Et alors mon grand-père, dont le corps était affaibli par les ans, mais qui n’avait rien perdu du côté du jugement et de la mémoire, — au moins, si peu que ce n’était pas la peine d’en parler, — fut obligé d’en faire le récita ses amis pour l’honneur de son nom : autrement, on l’aurait accusé de sorcellerie.


Les ombres du soir devenaient de plus en plus épaisses autour de nous, lorsque mon conducteur termina sa longue narration par cette morale : « Vous voyez, mon gaillard, qu’il n’est pas sûr de prendre un étranger pour guide quand on se trouve dans un pays inconnu.

— Je n’aurais pas tiré cette conclusion, dis-je. L’aventure de votre grand-père fut heureuse pour lui, puisqu’elle le sauva du déshonneur et de la misère ; et heureuse pour son seigneur aussi, puisqu’elle l’empêcha de commettre un acte criant d’injustice.

— Oui, mais ils eurent tous deux la sauce à avaler tôt ou tard, répliqua Willie le voyageur ; ce qui était différé n’était pas perdu. Sir John mourut sans avoir dépassé la soixantaine de beaucoup, et sa maladie ne dura aussi qu’un instant. Et quoique mon grand-père fût mort paisiblement à un bel âge, pourtant mon père, homme robuste de quarante-cinq ans, tomba entre les deux bras de sa charrue pour ne jamais se relever, et ne laissa que moi d’enfant, pauvre créature qui ne vois pas, qui n’ai ni père ni mère, et qui ne peux ni travailler ni mourir d’indigence. Les choses allèrent d’abord assez bien ; car sir Redwald Redgauntlet, fils unique de sir John, et petit-fils du vieux sir Robert, et, hélas ! le dernier de cette honorable maison, m’ayant repris la ferme, voulut bien me recueillir dans son château. Il aimait la musique, et j’eus les meilleurs maîtres que l’Angleterre et l’Écosse pouvaient fournir. Que d’années heureuses j’ai passées avec lui ! mais malheur à moi ! il suivit l’exemple de tant d’autres braves gens en 1745. — Je n’en dirai pas davantage. — Ma tête a toujours été un peu bouleversée depuis que je l’ai perdu ; et si je disais un mot de plus sur son compte, le diable m’enlève si j’aurais le cœur de jouer cette nuit. — Regardez donc mon jeune drôle, » reprit-il sur un ton tout différent, « vous devez voir maintenant les lumières de Brokenburn. »



  1. Ancien auteur écossais. a. m.
  2. A mutchkin, mesure écossaise. a. m.
  3. Manse, dit le texte, car c’est encore ainsi qu’on appelle en Écosse la maison du ministre. a. m.