Refrains de jeunesse/11

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La Maison de la bonne presse (p. 58-61).


SIR JOHN N’EST PLUS




Sir John n’est plus ! la dixième heure
Aux Chambres sonne lentement,
Tandis qu’Ottawa, tristement,
Prête l’oreille aux glas qui pleure.
Depuis sept longs jours, l’âme en deuil,
Redoutant cette heure fatale,
Tout entière, la Capitale
A vu s’entrouvrir son cercueil.


De l’Atlantique au Pacifique,
Réveillant les échos navrés,
Les bulletins désespérés
Ont rempli toute l’Amérique.
Jusqu’au delà de l’Océan,
Dans le vieux monde, où toute gloire
Trouve une place dans l’histoire,
On a parlé de ce géant.

Il n’est plus ! Mille accents funèbres,
Portés par l’électricité,
Traversent bourg, ville et cité,
Que la nuit couvre de ténèbres ;
Et le peuple que son drapeau,
Depuis longtemps, guide, prospère,
Comme un fils qui pleure son père,
Verso des pleurs sur son tombeau.


Ah ! sur sa mort, peuple, sanglote,
Cueille bien son dernier soupir,
Et que toujours son souvenir
Te rappelle un grand patriote !…
Vois, devant toi, cet horizon
Dont l’étendue est infinie !
Il fut taillé par son génie
Dans la confédération.

Ses œuvres remplissent la terre
Que tu foules en triomphant ;
Hier tu n’étais qu’un enfant,
Aujourd’hui, vaste est ta carrière.
Oh ! oui, tu peux lever le front,
Et marcher devant toi sans craindre,
Car l’homme qui vient de s’éteindre
T’a fait fort contre tout affront.


Bénis son nom, et que tes larmes,
En l’arrosant le rendent fier ;
Et que ses ennemis d’hier,
Enterrant leur haine et leurs armes,
Oubliant leurs griefs passés,
À l’ombre de son mausolée,
Exhalent, l’âme désolée,
La prière des trépassés !…

Repose en paix vieillard célèbre !
Ta gloire ne périra pas :
Va rejoindre dans le trépas,
Cartier, ton compagnon funèbre !
Héritier de ses grands projets,
Tu sus en avoir le génie :
Tous deux, vous fîtes la Patrie,
Elle vous doit même regrets…


Ottawa, juin 1891.