Regain de jeunesse

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Chants révolutionnairesAu bureau du Comité Pottier (p. 132-133).


REGAIN DE JEUNESSE



À la citoyenne Caroline P.


Cheveux gris, voulez-vous vous taire !
Oh ! mes quarante ans, taisez-vous !
Ce soleil d’or, baignant la terre,
Fait de la jeunesse pour tous.
Est-ce l’oiseau, qui met des ailes
À mes reins hier si pesants.
Salut ! mes sœurs les hirondelles,
Aujourd’hui, je n’ai que quinze ans !

Des soucis, faisons table rase
Cherchons les horizons subits.
Quoi ! je puis au vin de l’extase
Tremper mon morceau de pain bis ?
Quoi ! je puis, à ma fantaisie
Dénicher les refrains naissants
Et gaminer la poésie…
Aujourd’hui, je n’ai que quinze ans !

C’est donc vrai, que la cendre couve
Si longtemps le feu du matin ?
Oh ! quel bonheur ! je me retrouve,
Moi, qui disais : je suis éteint !

Éclate flamme et te déploie
Siècles, voyez ! voyez, passants !
J’ai rallumé mon feu de joie,
Aujourd’hui, je n’ai que quinze ans !

Dans ce ravin se creuse un porche,
Là, ma muse balbutia.
En y descendant, je m’écorche
Aux ongles de l’acacia,
Mon corps roule et mon esprit flotte
Dans les éthers éblouissants…
Bon ! j’ai déchiré ma culotte.
Aujourd’hui, je n’ai que quinze ans !

Philosophe à l’âme indiscrète,
Soleil, vais-je t’interroger
Comme on fait d’une pâquerette,
Pétale à pétale, et songer ?
Non ! mais comme un collier j’égrène
Tous mes souvenirs séduisants :
Chérubin rêve à sa marraine.
Aujourd’hui, je n’ai que quinze ans !

Ah ! dans les herbes les plus frêles,
Je sens la vie et le baiser ;
Je vois les fleurs s’aimer entr’elles ;
Je vois les rayons s’épouser.
Velours des prés, soyez ma couche ;
Et, pour m’ouvrir l’âme et les sens,
Nature, un baiser sur ta bouche !
Aujourd’hui, je n’ai que quinze ans !


Fosse Bazin, 1856.