Revoil Voyage au pays des Kangarous 1885/ch8

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Traduction par Bénédict-Henry Révoil.
Mame (p. 57-64).
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CHAPITRE VIII

Mise a l’eau de l’embarcation de Jack. — Une alarme. — Espérances décues. — Jack ne perd pas courage. — Une excursion au vieux campement. – Black Peter et les sauvages. — Le bateau submergé. — Construction de deux canots et d’un catimaron.


Il était important d’amener la construction du brave Jack jusqu’à la mer afin de s’assurer de sa parfaite solidité. Le point difficile était de franchir les récifs et les jeunes gens savaient bien qu’il leur faudrait ramer jusqu’à une grande distance avant de découvrir un passage. À l’aide de deux billes de bois rondes et polies, Jack et Wilkins, au moment de la haute mer poussèrent le bateau jusqu’au liquide bouillonnant et le mirent à flot. Cela fait, il fut convenu qu’on tenterait l’aventure à bord de cette frêle embarcation !

Wilkins et Arthur se chargèrent de l’entreprise. Jack demeura à terre où ses soins industrieux étaient réclamés. Gérald et Hugues restèrent avec les autres, car on redoutait leur étourderie.

Tandis que les deux navigateurs s’éloignaient, ceux qui étaient restés à terre les suivaient des yeux ; bientôt ils les virent disparaître à la pointe du promontoire, et alors Jack, suivi de Gérald et de Hugues, s’élança sur cette hauteur pour se rendre compte des progrès de leurs deux compagnons. Lorsqu’ils parvinrent de l’autre côté, quelle ne fut pas leur consternation en n’apercevant plus la moindre trace du bateau ! Ils s’élancèrent alors sur la pente conduisant au rivage, en poussant des cris auxquels l’écho seul répondait. Bientôt, à leur plus grande épouvante, ils purent distinguer la tête des deux navigateurs émergeant de la cime des vagues ils faisaient de grands efforts pour atteindre la terre.

Gérald et Hugues voulurent se jeter immédiatement à l’eau ; mais Jack d’un ton d’autorité, leur défendit d’en rien faire. Se dépouillant aussitôt de sa veste, il coupa une branche d’arbre, et, la poussant devant lui, se mit à nager dans la direction d’Arthur, qui semblait perdre courage et qui saisit avec fureur la branche quand elle arriva à sa portée. À ce moment, Jack fit volte-face et s’avança dans la direction de la plage jusqu’au moment où parvenu à l’endroit où l’on avait pied, il laissa Arthur entre les mains de son frère et de leur ami O’Brien.

Cela fait, il se mit à la recherche de Wilkins, qui, s’appuyant sur une rame, épave du naufrage, nageait tranquillement du côté de la plage. Mais au moment où Jack arrivait à une petite distance de l’endroit où le convict se trouvait, celui-ci disparut tout à coup, sans qu’il fût possible de comprendre si c’était à la fatigue ou à toute autre cause que l’on devait attribuer cet incident.

Les jeunes gens restés sur la rive poussèrent un grand cri ; mais, au même moment, ils aperçurent de nouveau Wilkins qui flottait sur le dos, comme, l’eût fait un cadavre. En deux brassées Jack parvint près du convict, le saisit par les cheveux et l’entraîna vers la terre.

Hugues comprit alors que leur ami ne pourrait pas résister à la tâche qu’il entreprenait ; il se hâta donc de se dévêtir et de se jeter à l’eau pour aider à la délivrance de Wilkins. Le brave garçon avait eu une heureuse inspiration, car, en effet, Jack n’en pouvait plus, et il avait besoin d’aide pour accomplir ce sauvetage. Quand les deux jeunes gens ramenèrent leur fardeau sur le sable, on eût pu croire que Wilkins avait perdu la vie.

Gérald se précipita au milieu du bois, appela Marguerite et Jenny au secours des deux noyés, et quand les deux femmes arrivèrent près d’eux, ils rouvraient les yeux. À peine Wilkins fut-il revenu à lui, qu’il adressa un regard anxieux à ceux qui l’entouraient et dit d’une voix tremblante :

« Mon Dieu ! quelle terrible chose que de mourir en état de péché !

— Quelle joie je ressens de vous entendre parler de la sorte, mon pauvre Wilkins répondit Marguerite. Maintenant que vous voilà hors de danger, hâtez-vous de remercier Celui qui a daigné vous donner le temps de vous repentir afin d’entrer dans une nouvelle vie. Faites votre prière à haute voix ; nous sommes vos amis, et nous unirons nos actions de grâces aux vôtres. »

Ce que désirait la jeune fille, Wilkins le fit, et l’on vit sur cette plage déserte toutes ces personnes agenouillées, les mains jointes, adressant à Dieu une oraison qui partait du fond du cœur. Pour la première fois le convict s’adressait au Seigneur, et ce fut avec conviction qu’il s’écria :

« Ainsi soit-il ! »

Afin de ne point laisser Max Mayburn dans l’anxiété, tout le monde se hâta de retourner au camp aussitôt que les deux naufragés purent suivre leurs amis.

Tout en cheminant, Arthur raconta à ses amis qu’à peine l’embarcation arrivée en pleine mer il avait compris qu’il y avait un défaut dans la construction. Wilkins et lui s’étaient hâtés de virer de bord pour regagner le rivage ; mais, quelques instants après, le bateau avait coulé sous leurs pieds.

C’est ainsi que tous les efforts de Jack avaient été détruits en quelques secondes, et que les espérances de délivrance étaient perdues.

Tous les malheureux naufragés se montraient vivement affectés ; mais Jack, quoique très mortifié par son insuccès, fut le premier à relever la tête, et il déclara qu’il allait tenter une autre expérience.

« Il nous reste, dit-il, assez de matériaux, et puis il n’y a pas si loin d’ici à la terre ferme. Laissez-moi faire, messieurs Mayburn : je vais construire deux canots en écorce qui nous porteront tous. L’important, c’est de nous trouver de l’autre côté des récifs, car alors nous pourrions ramer sans danger.

— Mon brave garçon, répondit Max Mayburn, je suis très ignorant en matière de construction navale, mais tu dois convenir que ton premier essai n’a pas été heureux ! N’importe, j’admire ta persévérance, et je suis certain que tu réussiras. Mets-toi donc encore à l’œuvre ; mais crois-moi quand un de tes canots sera achevé, porte-le sur le lac ; en cas d’accident, tu ne courrais du moins aucun risque.

— Je vais fabriquer une embarcation, mais je n’emmènerai personne avec moi quand j’en ferai l’essai, me contentant de ramer autour de notre petite baie. Si je réussis, alors nous partirons. Cette fois, je n’ai plus la moindre appréhension, à moins que vous ne chargiez encore trop le frêle esquif. Allons ! je vais de ce pas choisir un arbre.

— Pas avant d’avoir pris votre repas, mon cher ami, observa Jenny Wilson. J’ajouterai même que si vous alliez dormir une ou deux heures, cela n’en vaudrait que mieux après une baignade forcée. Tenez, voici une bonne portion de canard rôti qui n’eût pas déparé la table d’un lord si j’eusse eu les condiments nécessaires pour mieux l’assaisonner. »

Jack se rendit aux bons raisonnements de la vieille femme ; il mangea de bon appétit, et passa l’après-midi à dessiner des modèles de canots, de chaloupes et de catimarons.

Le lendemain matin, laissant Wilkins encore brisé de fatigue et en proie à des sortes de terreurs produites par l’ébranlement qu’il avait, subi, aux soins généreux de miss Marguerite et de son père, Jack s’éloigna, suivi d’Arthur, de son frère et de Gérald, afin de trouver un arbre assez fort et assez long pour l’usage qu’il voulait en faire.

« Après tout, dit le jeune charpentier à Arthur, si je ne réussis pas cette fois encore, nous recourrons aux catimarons. Voici, près du camp, des arbres qui nous serviront à les confectionner. Je crains seulement que votre père et miss Marguerite n’osent point s’aventurer sur de pareilles embarcations. Ah ! voici un grand arbre. Il s’agit d’en enlever l’écorce avec le plus grand soin. »

L’arbre désigné par Jack appartenait à l’essence des eucalyptus, – sorte de gommier, — et l’écorce qui le recouvrait était rude et forte : il paraissait facile de le dépouiller. Arthur commença par faire une grande entaille au pied du géant de la forêt tout autour du tronc et pratiqua ensuite une fente perpendiculaire aussi haut qu’il put atteindre en s’élevant sur les épaules de Jack ; il parvint à douze pieds, et procéda à une seconde incision circulaire.

Hugues et Gérald se tenaient autour de l’arbre, afin de recevoir l’écorce qu’Arthur détachait avec soin, et qui, en effet, à leur plus grande joie, tomba dans leurs bras sans être aucunement endommagée dans sa chute.

Jack voulait que l’on transportât aussitôt cette écorce au campement mais, les Mayburn ayant manifesté l’intention d’aller visiter l’endroit où ils avaient d’abord débarqué sur l’île, on se dirigea de ce côté.

Hugues et Gérald avaient pris les devants ; mais bientôt Arthur et Jack les virent revenir courant et le visage consterné.

« Oh ! grand Dieu ! s’écrièrent-ils, les sauvages ! là ! là, et nous n’avons aucune arme pour nous défendre !

— En effet, répondit Arthur. Sont-ils nombreux ? Nous ne pouvons pas songer au combat. Que faire ? Ah ! mes amis, rendez-vous immédiatement près de mon père, en ayant soin d’emporter la grande écorce avec vous pendant ce temps-là, Jack et moi nous irons en reconnaissance. »

Sans perdre un instant, les deux jeunes gens, rampant sur le bord de la falaise, parvinrent à un endroit d’où ils distinguèrent un groupe de naturels entourant un objet informe échoué sur la plage, lequel semblait exciter leur curiosité.

Jack ne tarda pas à reconnaître dans cette épave son embarcation, que la haute mer avait sans doute précipitée sur la côte.

« Regardez, monsieur Arthur, fit-il avec un accent de terreur. Je ne me trompe pas, l’infâme Black Peter est au milieu d’eux, et c’est lui qui les aura guidés sur cette côte pour s’emparer de nous.

— Ou plutôt de ce qui reste de nos provisions. Ces sauvages n’ont pas le moindre désir de faire connaissance avec nos armes à feu ; d’autre part, en admettant qu’ils nous fissent captifs, ils seraient fort embarrassés de nos personnes. Le mieux est de décamper au plus tôt, il ne faut pas qu’ils nous découvrent. Allons Jack c’est bien convenu il faut partir de cette île maudite. »

Les deux jeunes gens s’éloignèrent avec autant de précaution qu’ils en avaient mis à approcher, et ils eurent bientôt rejoint Hugues et Gérald, qui emportaient l’écorce non sans difficultés. Ils les aidèrent, et, de cette façon, parvinrent plus vite auprès des autres naufragés de la baie de l’épave.

Max Mayburn fut très découragé en apprenant la visite des naturels ; mais la présence du méchant Black Peter parmi eux le remplissait de terreur.

« C’est la place de ce bandit, s’écria Wilkins, un chien enragé au milieu des tigres. Convenez qu’il sera opportun de se débarrasser de ce misérable s’il se présente à portée de notre fusil ! Je sais qu’il me cherche pour m’emmener avec lui, et que, si je refuse, il me tuera. C’est un homme sans foi ni loi, et il veut se venger.

— Nous ne lui avons cependant fait aucun mal, objecta Marguerite ; mais n’ayez pas de crainte, Wilkins, vous ne courrez aucun risque avec nous. Vous avez choisi la bonne route ; il n’est pas probable que vous cédiez de nouveau à de mauvais conseils.

— Je l’espère, miss Mayburn, quoique la vie libre ait bien des charmes. N’importe ! je combattrai le mauvais esprit qui souffle de nouveau sur mon cœur.

— Et vous agirez sagement, mon pauvre garçon, ajouta Max Mayburn. Je vous engage à prier Dieu pour qu’il vous donne la force de résister au démon tentateur. »

Wilkins se mit à pleurer, et ses amis le consolèrent de leur mieux. Les naufragés ne se sentaient pas eux-mêmes en sûreté tant que les naturels resteraient dans leur voisinage. Il fut convenu que Jack accompagnerait Arthur sur la falaise pour surveiller les agissements des sauvages, et découvrir, si faire se pouvait, leurs projets et les motifs qui les avaient amenés dans l’île.

Tandis que les deux fortes têtes du campement s’éloignaient, Hugues et Gérald transportaient la grande écorce dans la grotte, et ajoutaient à ce déménagement la voile qui servait de tente et tous les objets qui eussent pu trahir leur présence sur le rivage. Il avait été convenu d’avance que, si Jack et Arthur redoutaient le moindre péril, ils siffleraient d’une certaine façon, pour que toute la famille eût le temps de se réfugier dans la grotte du promontoire.

Les deux jeunes gens s’avançaient sous le taillis, dans la direction de l’endroit où ils avaient vu les sauvages, sans être aperçus d’eux. Ils y arrivèrent, et parvinrent à se creuser un trou au milieu des roches, en réservant deux ouvertures pour surveiller leurs ennemis.

Les naturels se tenaient toujours à la même place autour de la barque échouée ; mais Jack et Arthur entendirent bientôt des coups de marteau qui éveillèrent leur attention. Black Peter leur parut occupé à réparer une avarie Auprès de lui se trouvait la boite de charpentier contenant les outils que le convict avait volés aux naufragés et la hache qui leur avait fait défaut.

Arthur fut d’avis que Black Peter avait amené les sauvages à cette place pour s’emparer du reste des objets sauvés du naufrage du Golden-Fairy : il émit aussi l’opinion que ce misérable avait apporté les outils pour fabriquer un radeau, afin d’emporter le butin que n’eussent pu contenir les petits esquifs à une ou deux places qui portaient les naturels. Mais Black Peter ayant trouvé la barque échouée, s’était dit qu’il était préférable de se servir de cette épave pour le but proposé.

« Je souhaiterais que ces figures cuivrées laissassent une de leurs embarcations sur la plage, afin de savoir comment ils les fabriquent et surtout de quelle façon ils lient les deux extrémités. Je désirerais particulièrement les voir se risquer sur cette « boîte » car ils seraient tous noyés, ou peu s’en faut. »

Arthur dissuada Jack de s’avancer plus près pour mieux voir les canot. C’eût été risquer sa vie et celle des autres.

Les deux jeunes gens se contentèrent de surveiller le travail de Black Peter. Enfin, avec l’aide des naturels, le convict remit l’embarcation à flot, et l’on vit bientôt tous ces hommes chanter en dansant pour exprimer leur joie enfantine.

Black Peter choisit alors trois d’entre eux pour l’accompagner dans l’embarcation. Ces sauvages, à l’aide d’avirons et de pagaies empruntées à leurs canots, parvinrent à faire mouvoir la barque de Jack à travers les rochers, au grand contentement des spectateurs, qui poussaient des cris de joie et se jetèrent dans leurs canots pour faire escorte à Black Peter.

Les deux jeunes gens suivirent toujours des yeux le convict et ses nouveaux amis, persuadés que tous ceux qui montaient l’embarcation allaient sombrer ; mais il n’en fut rien : soit que l’eau eût fait gonfler le bois, soit que Black Peter eut remédié à ce qui manquait à l’œuvre de Jack pour la rendre parfaite, ils virent l’embarcation s’éloigner, et bientôt elle disparut à l’un des coins de la côte.

Arthur et son compagnon hâtèrent le pas et se dirigèrent vers un point de l’île plus au sud, d’où ils devaient apercevoir encore la flottille, qui fuyait à force de rames dans la direction d’un point noir, lequel devait indubitablement être une île éloignée.

Quand les deux jeunes gens furent convaincus que les sauvages s’étaient tous éloignés, ils s’avancèrent vers la plage, afin d’examiner l’endroit où ces hommes inconnus s’étaient arrêtés.

Jack était contrarié en songeant que le résultat de son travail et de son industrie était devenu la proie de ce misérable Black Peter. Il eût été content de voir le bateau s’enfoncer avec tous ceux qui le montaient.

En parvenant sur la plage, le brave garçon se rasséréna en découvrant un canot que les sauvages n’avaient pas pu emmener, et qui devait appartenir sans doute à ceux qui aidaient Black Peter dans la manœuvre de l’embarcation.

Ce n’était pas une prise de valeur, car à peine pouvait-il contenir une seule personne à l’aise ; mais Jack fut à même de se rendre compte de la façon dont les naturels construisaient leurs esquifs, et c’était là le point essentiel.

« Nous allons emporter ce canot, n’est-ce pas, monsieur Arthur ? fit-il ; un échange n’est pas un vol, et certes ce « bibelot » ne vaut pas ma barque.

— Mon avis est qu’il est plus sage de laisser ici ce spécimen de l’art de naviguer des sauvages, répliqua Arthur. Les hommes noirs reviendront certainement ici pour le chercher, et s’ils ne le trouvent plus, ils seront convaincus que nous n’avons pas quitté l’île. D’un autre côté, Black Peter croira que nous avons péri en sombrant avec votre embarcation, et il ne nous poursuivra plus. Le canot que voici, – regardez-le bien, est terminé des deux côtés, poupe et proue, par des écorces filamenteuses que nous pouvons nous procurer dans les bois. Nous nous servirons de cordes de chanvre, qui sont bien préférables, et dont nous avons une provision. Quant au fond, à l’endroit de la quille, nous le fortifierons avec une seconde écorce ou avec des planches minces. Voilà donc qui est convenu : nous laissons le canot à sa place.

— C’est bien ! Je me fais fort de travailler mieux que ces moricauds, répliqua Jack. Bonté du Ciel ! voilà qui vaut mieux que le canot, s’écria-t-il et, qui plus est, c’est ma propriété que je retrouve. »

En effet, c’était une petite scie qui avait été oubliée sous les branches du manglier, et dont Black Peter s’était servi.

Arthur, s’étant consulté avec toute sa prudence, consentit à ce que Jack emportât la scie ; d’ailleurs, à la place où se trouvait cet instrument, il eût été entraîné par la marée montante.

Les deux jeunes gens, charmés de leur trouvaille, se hâtèrent de retourner auprès des autres naufragés, afin de leur apprendre que tout danger avait cessé, et que les sauvages s’étaient éloignés.

Hugues et Gérald manifestèrent une grande colère en apprenant le nouveau vol de Black Peter. Wilkins morigénait Jack, lui reprochant sa maladresse, puisque le convict, ami des sauvages, avait été plus adroit que lui, et était parvenu à rendre le bateau navigable.

« Nous ne savons pas cependant comment s’est terminé le voyage de Black Pater, observa Marguerite. Qui peut dire que le bateau ne s’est pas enfoncé dans un endroit de la mer où tout moyen de salut a été impossible ?

— Plaise à Dieu que cela ait été ainsi » fit Wilkins.

Max Mayburn réprimanda celui-ci pour ce vœu antichrétien, en lui faisant observer qu’il eût bien mieux valu prier pour que cet homme méchant se repentît.

« Lui, avoir des remords ! allons donc, Monsieur, ce serait aussi impossible que de voir mademoiselle Marguerite devenir une sauvagesse. Black Peter est incorrigible. Il est venu au monde dans la peau d’un coquin, et il mourra dans celle d’un mécréant.

— Ne parlez pas ainsi Wilkins, riposta Max Mayburn. Nul être humain, créé à l’image de Dieu n’est créé avec un esprit pervers, destiné à la perdition : la porte du salut est toujours ouverte à qui veut la franchir. Adressons au Ciel une prière pour que Black Peter trouve l’entrée, de cette porte du paradis. Je voudrais être à même, par mes efforts, d’amener au bien cette âme de pécheur.

— Je demande à Dieu, moi, qu’il ne vous mette jamais sur le chemin de ce misérable ; car j’aurais peur pour votre vie. Croyez-moi, monsieur Mayburn, je connais mon coquin, et je sais ce dont il est capable. »

Wilkins était d’avis que rien au monde ne rendrait son ex-camarade de geôle capable d’un bon sentiment.

Marguerite, parlant à voix basse à son père, lui conseilla de garder ses bonnes paroles pour Wilkins, qui valait mieux que Black Peter.

Jack s’était mis au travail pour construire le canot d’écorce. Il le façonna sur quatorze pieds de long, et d’une largeur telle, que deux personnes pussent s’asseoir dans le fond. Quant aux bancs, il n’osa pas en placer de peur de l’écartement. Les deux pointes furent fixées à l’aide des liens filamenteux fournis par un arbre dont les fibres semblèrent plus favorables à cet usage que les cordes sauvées du navire naufragé.

En deux jours Jack termina le canot, et la gomme qu’il avait étendue sur les parois se trouva sèche. Il façonna des pagaies et des rames et, quand tout cela fut prêt, il se montra très désireux de lancer au plus tôt la frêle embarcation, afin de s’assurer qu’elle naviguait.

Par malheur, ce canot ne pouvait emporter tous les naufragés et leurs provisions ; il fut donc décidé qu’on en construirait un autre. À cet effet, on se procura une autre grande écorce d’eucalyptus. En se rendant dans les bois pour la couper, les jeunes gens passèrent sur la plage, et purent s’assurer que les sauvages n’étaient pas revenus. Tout était tranquille, et rien ne semblait devoir troubler cette quiétude.

Avant d’entreprendre la seconde embarcation, les jeunes gens mirent la première à l’eau, en ayant soin de la porter de l’autre côté des récifs avant d’y monter. Wilkins voulait tenter seul l’aventure ; mais Jack s’obstina à le suivre, afin de voir les défauts de construction, s’il y en avait, et de les corriger aussitôt.

L’œuvre de Jack flottait admirablement ; elle obéissait parfaitement à la rame et chacun fit des compliments au courageux travailleur. On porta cette embarcation dans l’intérieur de la grotte, puis on songea à commencer la seconde.

« Si nous réussissons aussi bien, observa Jack, nous n’aurons plus à redouter que la tempête ou qu’une charge trop forte nous fasse chavirer. Voyons ! monsieur Arthur, il y aura quatre personnes dans le premier canot et cinq dans le second ce sera bien.

— Sans compter qu’il faut ajouter à ce poids celui de nos vêtements du fusil, des couteaux, de la hache, de nos ustensiles de cuisine et de table, et des provisions indispensables. Comment allez-vous caser tout cela ? » observa Marguerite.

Jack et ceux qui l’aidaient gardèrent le silence. En effet, le poids de ces objets allait accroître sensiblement celui des cinq passagers.

« M’est avis, remarqua Wilkins, que nous ferions bien de fabriquer un catimaron, de façon à amener à terre, par-dessus le ressac, M. Mayburn et les dames. »

L’avis donné par le convict était bon à suivre, et Max Mayburn et ses fils l’approuvèrent. Dès que le second canot fut achevé, on se mit au travail, et à l’aide de longues tresses de lianes et de fortes branches d’arbres, on parvint à faire un catimaron très solide, que l’on entoura de planches légères afin de préserver de l’eau de mer les provisions qu’on devait y arrimer. Gérald appela cela le « wagon aux bagages » et déclara qu’il se chargeait de le diriger à lui tout seul.

Lorsque tout fut achevé, on tint conseil afin de décider sur quel point de la côte on se dirigerait. Les naufragés savaient qu’une grande partie du territoire australien était déserte, que l’eau y manquait, et que la nourriture était rare. Qui pouvait dire si l’on n’aborderait pas sur une de ces côtes inhospitalières ? Il fallait donc songer à se procurer quelques provisions à tout hasard. Le tonneau ayant contenu de l’eau-de-vie était d’une capacité suffisante ; on le remplit d’eau fraîche, car il était important de ne pas souffrir de la soif.

Cela fait, un beau matin tout le monde se mit en marche, pourvu de sacs et de paniers, afin de rapporter des provisions de toutes sortes, indispensables pour la nourriture des passagers.