Revue Musicale de Lyon 1903-11-24/À travers la Presse

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À travers la Presse

« La Bohème » de Léoncavallo
et la Presse Lyonnaise.

L’Express (L.). « …, Un des plus gros défauts de la Bohème de M. Léoncavallo est aussi la disproportion extravagante, qui existe entre la pauvreté et l’exiguïté du sujet et l’énorme développement de la musique, ou tout au moins des sonorités instrumentales. Qu’il s’agisse d’épisodes joyeux et comiques, ou, au contraire de scènes de passion et de sentiment, l’expression y revêt une intensité d’accents et une emphase absolument ridicule et déplacée dans ce milieu prosaïque de rapins et de grisettes… « Tout cela est horriblement faux, trivial et rebattu, et ce n’est pas l’instrumentation pauvre quoique bruyante de M. Léoncavallo, ce ne sont pas ses accompagnements obstinés de harpes ou de violons et violoncelles doublant misérablement les voix à l’octave ou à l’unisson, ce ne sont pas les timbres criards et canailles de son orchestre, qui peuvent en relever le mérite ni la saveur. »

Le Nouvelliste (E. D.).

« … Aux deux parts très différentes d’impression que le musicien a développées, partie bouffonne et partie dramatique, on peut reconnaître d’égales qualités de mouvement, de vivante rapidité, dans la facile montée des rythmes, dans la chatoyante couleur des sonorités. Le premier acte est peut-être le meilleur dans le genre comique comme le troisième le serait dans la note du drame. Ce n’est pas qu’il y paraisse une grand originalité d’invention ni beaucoup de distinction mélodique, mais au troisième acte, quoique bien disproportionnée au sujet, on sent une émotion généreuse, une séduisante franchise d’élan, et le premier reste amusant par la verve de ses parodies musicales, par sa grosse charge bruyante mais bien enlevée. » Le Salut Public (Amaury) :

« Massenet et Delibes, Donizetti et Gounod y sont tour à tout mis à contribution avec une désinvolture éhontée ; Massenet surtout, qui est l’inspirateur et le modèle presque exclusif de la jeune école italienne, y est outrageusement pillé. Mais sous l’assemblage facile de cette mosaïque musicale n’apparaît même pas le travail patient ou la préoccupation artistique qui pourrait lui servir de circonstance atténuante.

« L’idée est pauvre et lamentablement banale, le procédé d’après lequel elle est mise en œuvre n’est ni d’un ordre, ni d’un mérite supérieur, et rien n’est plus insignifiant et plus grossier à la fois que l’orchestration relâchée, qui fait moins que de soutenir les banales mélodies de la voix, qui se contente le plus souvent de les accompagner de l’unisson servile des instruments.

« C’est donc, pour nous résumer, une œuvre hybride, puisqu’elle participe d’un double caractère, une œuvre médiocre, puisqu’elle n’atteste de la part de son auteur aucune personnalité, que cette Bohème dont on nous a donné hier, sans que le besoin s’en fût fait bien impérieusement sentir, la première représentation. »

Lyon Républicain (Raoul Cinoh).

« Comédie lyrique, dit l’affiche : vaudeville à musique serait plus exact, ou, mieux encore, salmigondis musical. Il y a de tout, en effet, dans la Bohème ; c’est une salade italienne où on pique, au hasard de la fourchette : des leitmotiv — car l’auteur a des prétentions tétralogiques — des pastiches de toutes sortes, des parodies à jet continu, qui vont de Siegfried et des Maîtres Chanteurs jusqu’aux Huguenots, à Faust, à l’Africaine… et aux Boites de Montmartre ; des tentatives symphoniques dont les efforts s’essoufflent vite et se réduisent le plus souvent en mélodrames de pantomime, et aussi de jolies phrases de mélodie séduisante, des unissons nombreux qui visent le vulgaire succès.

« On y trouve même… de la musique, et du Léoncavallo ! Tout cela, bien entendu, est arrangé avec beaucoup de chic ; mais, qui dit chic, dit « chiqué », et c’est en vain qu’on chercherait un autre mot pour résumer l’impression générale de l’œuvre.

« Pour l’inspiration du musicien, si elle ne brille pas toujours par l’originalité, elle est du moins de mélodie facile, et l’orchestre la commente avec une habileté qui peut passer pour de la maitrise. Mais pourquoi déchaîner toute la meute des instruments en une aventure où suffiraient des joueurs de flûte, de guitares et de pianos — gredin de  ! toujours faux ! Pourquoi tout ce bruit et ce luxe d’orchestration ! M. Léoncavallo se parodierait-il lui-même ? On pourrait le croire. En tout cas, on ne sait jamais quand il est sincère, et même lorsqu’il a fini de rire on en est à se demander s’il ne plaisante pas encore. »

Moniteur Judiciaire (Léon Vallas).

« … Et, au point de vue musical, nous trouvons de tout également : des chansons burlesques, des valses chantées, de grands éclats à la Massenet, des leit-motive et surtout un grand nombre de réminiscences : thème du Feu, de la Tétralogie, représentatif de la gaité du Quartier-Latin ; thème de l’oiseau de Siegfried ; du Massenet à toutes les pages et même, Dieu me pardonne, une phrase entière que j’ai certainement lue jadis dans quelque sonate de Bach pour violon.

« Ce méli-mélo, surtout mélo, est, comme la plupart des œuvres de la nouvelle école italienne, orchestré à coups de poing. Les cordes se pâment, les arpèges des harpes ruissellent, les cuivres éclatent et tonitruent ; des phrases chantées longuement par les voix sont doublées par les hautbois, le cor anglais, les violoncelles ou les violons inlassablement. Le bruit s’arrête ; le bruit recommence : le compositeur veut montrer qu’il a quatre-vingt musiciens à sa disposition et le prouve de façon éclatante. »

L’Ouest-Artiste. — À propos de la reprise des Huguenots.

« Le vieil opéra craque de toutes parts. Chaque joue qui passe emporte dans l’oubli quelque chose de ce répertoire lyrique qui charma plusieurs générations, et fit l’admiration de notre jeunesse. Il y a beaucoup de mélancolie à assister à la déchéance irrémédiable et fatale d’œuvres que nous avons aimées et auquelles nous demandons vainement aujourd’hui de nous rendre les impressions qu’elles nous firent éprouver autrefois. »

Le Spectacle. — Au Conservatoire[1]

« Finis les concours d’admission au Conservatoire !

« La sentence officielle est venue séparer le bon grain de l’ivraie !… Bien des espoirs ont été déçus, bien des rêves réalisés ; pour les uns, l’avenir semble s’ouvrir radieux ; pour les autres, il semble se briser irrémédiablement.

« La valeur qui s’attache aux décisions des notabilités artistiques, officielles et patentées, a le tort considérable de paraître, à tous ceux qu’intéressent ces décisions, comme la consécration sans appel des ignorances et des talents.

« Et, de même que ceux que ces notabilités déclarent admis à suivre l’enseignement quelconque, qu’elles daignent donner, croient posséder les dons les plus rares qui font les génies, ceux qu’elles frappent — souvent aveuglément — se croient brisés définitivement, trop souventes fois.

« De là, pour les premiers, les orgueils immodérés et qui vont croissant avec les récompenses décernées chaque année, comme aussi, pour les derniers, des désespérances qui tuent en eux tout désir de lutte.

« En tout cas, les uns et les autres ne peuvent que souffrir de jugements imparfaits, rendus à la légère, sous des influences diverses, complètement étrangères à l’art.

« Pourquoi, par exemple, des jurys composés de quatre professeurs, formant majorité, chez qui s’adressent régulièrement, quelques jours avant les examens d’admission, les élèves hommes ou dames désireux de prendre quelques leçons préalables et payantes ?

« Pourquoi rejeter des élèves, aussi doués que d’autres, pour d’enfantines questions d’âge et de nombre d’élèves, comme si la pépinière devait fournir un chiffre régulier de spécimens ?

« Pourquoi aussi tout cet appareil glacial qui paralyse les candidats ? et n’est-ce pas assez des salles malpropres et froides sans les accompagner d’une mise en scène de tribunal, sans leur présenter des visages agressifs et froids, plutôt que sympathiques et accueillants ?

« Les assemblées qui sortent de la médiocrité n’ont pas besoin de décors semblables.

« Et que l’on ne vienne pas dire qu’il n’y a dans ces lignes que parti pris et antipathie ; simplement nous disons ce que nous croyons nécessaire pour l’art et les antiques… et surtout pour les jeunes !

« Et puis, après tout, ceux qui n’ont pas été acceptés dans notre temple de la musique, se consoleront en se ressouvenant de la phrase fameuse prononcée il y a quelques années par le directeur du moment de notre Conservatoire : « Quoiqu’on en dise, le Conservatoire de Lyon ne produit pas plus de déclassés que les Conservatoires des autres villes de France ! »

« Pas plus, soit, mais autant !

« Au lieu d’être sélectionnées, de garder seulement les élèves dont les aptitudes permettent d’assurer d’une façon presque précise un avenir artistique brillant ou tout au moins normal, les classes s’encombrent de la foule des incapables que des professeurs ne savent — ou ne veulent pas — rendre à des fonctions plus en harmonie avec leurs capacités.

« Plus tard, ils s’apercevront de leur erreur — coupable si elle est volontaire et dictée par un calcul…

« Mais alors le jeune homme aura été où l’auront poussé ses besoins, au hasard des planches, jaloux et envieux ; la jeune fille qui rêvait de triompher sur des scènes grandioses, finira au music-hall ou même… qui peut savoir ?

« Mais nos Conservatoires fidèles à leurs rôles, auront conservé… des notabilités artistiques, officielles et patentées ! »

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